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Poésie et prose
(Sujet créé par Eltharion l 23/04/05 à 21:42)
Voilà un petit espace créé pour que ceux qui le veulent puissent faire partager des poèmes et des passages littéraires qu'ils aiment particulièrement. Vous pouvez aussi parler d'auteurs et de mouvements que vous appréciez.
Inutile de préciser qu'aucun détournement ne sera toléré
[edit : apparemment le post avec le poème de prevert à disparu alors...]
Sinon Rimbaud aussi, je remercie mon prof de français de 4e qui, en nous faisant apprendre par coeur des poèmes, m'a donné le goût de la langue francaise... merci !
Ma bohème
Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées;
Mon paletot soudain devenait idéal;
J'allais sous le ciel, Muse, et j'étais ton féal;
Oh! là là! que d'amours splendides j'ai rêvées!
Mon unique culotte avait un large trou.
Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou
Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur;
Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon coeur!
Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.
A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d'eux.
Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid !
L'un agace son bec avec un brûle-gueule,
L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait !
Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l'archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.
Baudelaire, un de mes poètes préférés. Voici le premier texte de cet auteur que j'ai découvert; il a, sans aucun doute, été la porte qui m'a ouvert ce monde, il garde à mes yeux une valeur sentimentale.
A une passante
La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d'une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l'ourlet ;
Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son oeil, ciel livide où germe l'ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.
Un éclair... puis la nuit ! - Fugitive beauté
Dont le regard m'a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l'éternité ?
Ailleurs, bien loin d'ici ! trop tard ! jamais peut-être !
Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais !
Merci pour ce topic ainsi qu'à ceux qui l'alimentent, à mes yeux, c'est une véritable bouffée de beauté et, j'espère, de futures découvertes.
> Ithilarin : je ne connaissais pas le poème de Carrol mais c'est assez extraordinaire à voix haute !
Ca m'inspire ça
To my apprentice Thy poem is wonderful
and left me wondering
what was its hidden rule
so strange it was and amazing.
Et puisque nous en sommes à aller chercher au dela des frontières, voici ce qui n'est pas un poème stricto censu car il fut chanté par Marlene Dietrich :
Sag mir, wo die Blumen sind,
Wo sind sie geblieben?
Sag mir, wo die Blumen sind,
Was ist gescheh'n?
Sag mir, wo die Blumen sind,
Mädchen pflückten sie geschwind.
Wann wird man je versteh'n,
Wann wird man je versteh'n?
Sag mir, wo die Mädchen sind
Männer nahmen sie geschwind.
Sag mir, wo die Männer sind
Zogen fort, der Krieg beginnt.
Sag, wo die Soldaten sind
Über Gräbern weht der Wind.
Sag mir, wo die Gräber sind
Blumen weh'n im Sommerwind.
'Tis only Carroll and his twisted mind
That left those curious but so bright lines
May we read them aloud for long and good
To make other minds sparkle as they should!
EL DESDICHADO
Gérard de Nerval
Je suis le ténébreux, - le veuf, - l'inconsolé,
Le prince d'Aquitaine à la tour abolie :
Ma seule étoile est morte, - et mon luth constellé
Porte le soleil noir de la Mélancolie.
Dans la nuit du tombeau, toi qui m'as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon cœur désolé,
Et la treille où le pampre à la rose s'allie.
Suis-je Amour ou Phébus ?... Lusignan ou Biron ?
Mon front est rouge encor du baiser de la reine;
J'ai rêvé dans la grotte où nage la sirène...
Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron :
Modulant tour à tour sur la lyre d'Orphée
Les soupirs de la sainte et les cris de la fée.
[edit : apparemment le post avec le poème de prevert à disparu alors...]
tout ce que je sais c'est que la disparition du Prévert n'est aucunement lié a ma volonté...Peut etre quelqu'un a t il cru qu'il était incomplet...?
Si c'est le cas, je jure que c'etait bel et bien le poeme en entier retranscrit ici... :
Sur le collier du chien que tu laisses au mois d'août
Sur la vulgarité de tes concours de pets
Sur l'étandard nazi et sur le drapeau rouge
Sur la rosette au coin du vieillard officiel
Sur les blousons kakis, sur les képis dorés
Sur le cul blanc des féministes
Sur le mandrin des misogynes
Sur le béret obtus des chauvins aveuglés
Sur la croix des cathos, sur le croâ des athées
Sur tous les bulletins et sur toutes les urnes
Où les crétins votants vont se faire entuber
Sur l'espoir en la gauche
Sur la gourmette en or de mon coiffeur de droite
Sur la couenne des connes aplaties sur les plages
Sur l'asphalte encombré des cercueils à roulettes
Sur les flancs blancs d'acier des bombes à neutron
Que tu t'offres à prix d'or sur tes impôts forcés
Sur la sébile humiliante et dérisoire
Qu'il faut tendre pourtant à tous les carrefours
Pour aider à freiner l'ardeur des métasthases
Sur le mur de la honte et sur tous les barbelés
Sur les fronts dégarnis des commémorateurs
Pleurant aux cimetièrres qu'ils ont eux-mêmes empli
Sur le petit écran qui lave encore plus blanc
Sur l'encéphalogramme éternellement plat
Des musclés, des Miss France et des publicitaires
Sur l'étandard vainqueur de la médiocrité
Qui flotte sur les ondes hélas abandonnées
Aux moins méritants des handicapés mentaux
Sur la Bible et sur Mein Kampf
Sur le Coran frénétique
Sur le missel des marxistes
Sur les choux-fleurs en trop balancés aux ordures
Quand les enfants d'Afrique écartelés de faim
Savent que tu t'empiffres à mourir éclaté
Sur le nuage
Sur la lune
Sur le soleil atomique
Sur le cahier d'écolier de mes enfants irradiés
J'écris ton nom
HOMME.
Pierre Desproges Dictionnaire superflu à l'usage de l'élite et des biens nantis 1985
There's something rotten in the kingdom of Blizzard...Chevalier du Haut Verbeex Responsable des CL / Membre du Conseil RP / Modérateur / Newser
Rien n'est jamais acquis à l'homme. Ni sa force
Ni sa faiblesse ni son coeur, et quand il croit
Ouvrir ses bras son ombre est celle d'une croix.
Et quand il croit serrer son bonheur il le broie,
Sa vie est un étrange et douloureux divorce.
Il n'y a pas d'amour heureux.
Sa vie elle ressemble à ces soldats sans armes,
Qu'on avait habillés pour un autre destin,
A quoi peut leur servir de se lever matin ?
Eux qu'on retrouve au soir désoeuvrés incertains,
Dites ces mots ma vie, et retenez vos larmes...
Il n'y a pas d'amour heureux.
Mon bel amour, mon cher amour, ma déchirure,
Je te porte dans moi comme un oiseau blessé,
Et ceux-là sans savoir nous regardent passer,
Répétant après moi les mots que j'ai tressés,
Et qui pour tes grands yeux tout aussitôt moururent.
Il n'y a pas d'amour heureux.
Le temps d'apprendre à vivre il est déjà trop tard,
Que pleurent dans la nuit nos coeurs à l'unisson,
Ce qu'il faut de malheur pour la moindre chanson.
Ce qu'il faut de regrets pour payer un frisson,
Ce qu'il faut de sanglots pour un air de guitare...
Il n'y a pas d'amour heureux.
Il n'y a pas d'amour qui ne soit à douleur,
Il n'y a pas d'amour dont on ne soit meurtri,
Il n'y a pas d'amour dont on ne soit flétri.
Et pas plus que de toi l'amour de la patrie,
Il n'y a pas d'amour qui ne vive de pleurs...
Oui dès l'instant que je vous vis
Beauté féroce, vous me plûtes
De l'amour qu'en vos yeux je pris
Sur-le-champ vous vous aperçûtes
Ah ! Fallait-il que vous me plussiez
Qu'ingénument je vous le dise
Qu'avec orgueil vous vous tussiez
Fallait-il que je vous aimasse
Que vous me désespérassiez
Et qu'enfin je m'opiniâtrasse
Et que je vous idolâtrasse
Pour que vous m'assassinassiez
Alphonse ALLAIS
Les conquérants
Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal,
Fatigués de porter leurs misères hautaines,
De Palos de Moguer, routiers et capitaines
Partaient, ivres d'un rêve héroïque et brutal.
Ils allaient conquérir le fabuleux métal
Que Cipango mûrit dans ses mines lointaines,
Et les vents alizés inclinaient leurs antennes
Aux bords mystérieux du monde Occidental.
Chaque soir, espérant des lendemains épiques,
L'azur phosphorescent de la mer des Tropiques
Enchantait leur sommeil d'un mirage doré ;
Ou penchés à l'avant des blanches caravelles,
Ils regardaient monter en un ciel ignoré
Du fond de l'Océan des étoiles nouvelles.
Lisez KhimairaMénestrelle [/link] I like being a mess. It's who I am.
Voici un de mes passages préférés d’un de mes tomes préférés de la Recherche (quand j’arrive à déterminer quel est le tome que je préfère, aujourd’hui c’est celui-ci )…
Des lignes que je relis fort souvent avec admiration et respect. Une des plus belles proses que je connaisse, imposante et fascinante, lancinante et envoûtante, tour à tour asphyxiante et inspirante. Ca fait maintenant près de neuf ans que je lis et que je le comprends de façon différente à chaque fois… Je n’ose pas en parler plus, donc je vous souhaite tout simplement une bonne lecture.
Attention, retenez votre souffle, c’est parti
**
Je regardais les trois arbres, je les voyais bien, mais mon esprit sentait qu'ils recouvraient quelque chose sur quoi il n'avait pas prise, comme sur ces objets placés trop loin dont nos doigts, allongés au bout de notre bras tendu, effleurent seulement par instant l'enveloppe sans arriver à rien saisir. Alors on se repose un moment pour jeter le bras en avant d'un élan plus fort et tâcher d'atteindre plus loin. Mais pour que mon esprit pût ainsi se rassembler, prendre son élan, il m'eût fallu être seul. Que j'aurais voulu pouvoir m'écarter comme je faisais dans les promenades du côté de Guermantes quand je m'isolais de mes parents! Il me semblait même que j'aurais dû le faire. Je reconnaissais ce genre de plaisir qui requiert, il est vrai, un certain travail de la pensée sur elle-même, mais à côté duquel les agréments de la nonchalance qui vous fait renoncer à lui, semblent bien médiocres. Ce plaisir, dont l'objet n'était que pressenti, que j'avais à créer, moi-même, je ne l'éprouvais que de rares fois, mais à chacune d'elles il me semblait que les choses qui s'étaient passées dans l'intervalle n'avaient guère d'importance et qu'en m'attachant à sa seule réalité je pourrais commencer enfin une vraie vie. Je mis un instant ma main devant mes yeux pour pouvoir les fermer sans que Mme De Villeparisis s'en aperçût. Je restai sans penser à rien, puis de ma pensée ramassée, ressaisie avec plus de force, je bondis plus avant dans la direction des arbres, ou plutôt dans cette direction intérieure au bout de laquelle je les voyais en moi-même. Je sentis de nouveau derrière eux le même objet connu mais vague et que je pus ramener à moi. Cependant tous trois, au fur et à mesure que la voiture avançait, je les voyais s'approcher. Où les avais-je déjà regardés? Il n'y avait aucun lieu autour de Combray où une allée s'ouvrît ainsi. Le site qu'ils me rappelaient, il n'y avait pas de place pour lui davantage dans la campagne allemande où j'étais allé, une année, avec ma grand'mère prendre les eaux. Fallait-il croire qu'ils venaient d'années déjà si lointaines de ma vie que le paysage qui les entourait avait été entièrement aboli dans ma mémoire et que, comme ces pages qu'on est tout d'un coup ému de retrouver dans un ouvrage qu'on s'imaginait n'avoir jamais lu, ils surnageaient seuls du livre oublié de ma première enfance? N'appartenaient-ils au contraire qu'à ces paysages du rêve, toujours les mêmes, du moins pour moi en qui leur aspect étrange n'était que l'objectivation dans mon sommeil de l'effort que je faisais pendant la veille, soit pour atteindre le mystère dans un lieu derrière l'apparence duquel je le pressentais, comme cela m'était arrivé si souvent du côté de Guermantes, soit pour essayer de le réintroduire dans un lieu que j'avais désiré connaître et qui, du jour où je l'avais connu, m'avait paru tout superficiel, comme Balbec? N'étaient-ils qu'une image toute nouvelle détachée d'un rêve de la nuit précédente, mais déjà si effacée qu'elle me semblait venir de beaucoup plus loin?
Ou bien ne les avais-je jamais vus et cachaient-ils derrière eux, comme tels arbres, telle touffe d'herbe que j'avais vus du côté de Guermantes, un sens aussi obscur, aussi difficile à saisir qu'un passé lointain, de sorte que, sollicité par eux d'approfondir une pensée, je croyais avoir à reconnaître un souvenir? Ou encore ne cachaient-ils même pas de pensée et était-ce une fatigue de ma vision qui me les faisait voir doubles dans le temps comme on voit quelquefois double dans l'espace? Je ne savais. Cependant ils venaient vers moi ; peut-être apparition mythique, ronde de sorcières ou de nornes qui me proposait ses oracles. Je crus plutôt que c'étaient des fantômes du passé, de chers compagnons de mon enfance, des amis disparus qui invoquaient nos communs souvenirs. Comme des ombres ils semblaient me demander de les emmener avec moi, de les rendre à la vie. Dans leur gesticulation naïve et passionnée, je reconnaissais le regret impuissant d'un être aimé qui a perdu l'usage de la parole, sent qu'il ne pourra nous dire ce qu'il veut et que nous ne savons pas deviner. Bientôt, à un croisement de route, la voiture les abandonna. Elle m'entraînait loin de ce que je croyais seul vrai, de ce qui m'eût rendu vraiment heureux, elle ressemblait à ma vie.
Je vis les arbres s'éloigner en agitant leurs bras désespérés, semblant me dire: ce que tu n'apprends pas de nous aujourd'hui, tu ne le sauras jamais. Si tu nous laisses retomber au fond de ce chemin d'où nous cherchions à nous hisser jusqu'à toi, toute une partie de toi-même que nous t'apportions tombera pour jamais au néant. En effet, si dans la suite je retrouvai le genre de plaisir et d'inquiétude que je venais de sentir encore une fois, et si un soir - trop tard, mais pour toujours - je m'attachai à lui, de ces arbres eux-mêmes, en revanche, je ne sus jamais ce qu'ils avaient voulu m'apporter ni où je les avais vus. Et quand, la voiture ayant bifurqué, je leur tournai le dos et cessai de les voir, tandis que Mme De Villeparisis me demandait pourquoi j'avais l'air rêveur, j'étais triste comme si je venais de perdre un ami, de mourir à moi-même, de renier un mort ou de méconnaître un dieu.
Marcel Proust, A l’ombre des jeunes filles en fleurs , Deuxième partie, Nom de Pays : le Pays.
Ô Capitaine ! mon Capitaine ! fini notre effrayant voyage,
Le bateau a tous écueils franchis, le prix que nous quêtions est gagné,
Proche est le port, j'entends les cloches, tout le monde qui exulte,
En suivant des yeux la ferme carène, l'audacieux et farouche navire ;
Mais ô cœur ! cœur ! cœur !
Oh ! les gouttes rouges qui lentement tombent
Sur le pont où gît mon Capitaine,
Etendu mort et glacé.
Ô Capitaine ! mon Capitaine ! lève-toi et entends les cloches !
Lève-toi - c'est pour toi le drapeau hissé - pour toi le clairon vibrant,
Pour toi bouquets et couronnes enrubannés - pour toi les rives noires de monde,
Toi qu'appelle leur masse mouvante aux faces ardentes tournées vers toi;
Tiens, Capitaine ! père chéri !
Je passe mon bras sous ta tête !
C'est quelque rêve que sur le pont,
Tu es étendu mort et glacé.
Mon Capitaine ne répond pas, pâles et immobiles sont ses lèvres,
Mon père ne sent pas mon bras, il n'a ni pulsation ni vouloir,
Le bateau sain et sauf est à l'ancre, sa traversée conclue et finie,
De l'effrayant voyage le bateau rentre vainqueur, but gagné;
Ô rives, Exultez, et sonnez, ô cloches !
Mais moi d'un pas accablé,
Je foule le pont où gît mon Capitaine,
Etendu mort et glacé.
Consolation à Monsieur Du Périer (gentilhomme d'Aix-en-Provence) sur la mort de sa fille.
François de Malherbe a mis plusieurs année à l'écrire, en tout cas j'aime bien même si c'est triste.
Ta douleur, Du Périer, sera donc éternelle,
Et les tristes discours
Que te met en l'esprit l'amitié paternelle
L'augmenteront toujours !
Le malheur de ta fille au tombeau descendue
Par un commun trépas,
Est-ce quelque dédale où ta raison perdue
Ne se retrouve pas ?
Je sais de quels appas son enfance était pleine,
Et n'ai pas entrepris,
Injurieux ami, de soulager ta peine
avecque son mépris.
Mais elle était du monde ,où les plus belles choses
Ont le pire destin,
Et rose elle a vécu ce que vivent les roses,
L'espace d'un matin.
Puis quand ainsi serait ,que selon ta prière,
Elle aurait obtenu
D'avoir en cheveux blancs terminé sa carrière,
Qu'en fut-il advenu ?
Penses-tu que, plus vieille, en la maison céleste
Elle eut plus d'accueil ?
Ou qu'elle eut moins senti la poussière funeste
Et les vers du cercueil ?
Non ,non, mon Du Périer, aussitôt que la Parque
Ôte l'âme du corps,
L'âge s'évanouit au-deçà de la barque ,
Et ne suit point les morts.
Tithon n'a plus les ans qui le firent cigale :
Et Pluton aujourd'hui,
Sans égard du passé les mérites égale
D'Archémore et de lui.
Ne te lasse donc plus d'inutiles complaintes :
Mais songe à l'avenir,
Aime une ombre comme ombre, et de cendres éteintes,
Éteins le souvenir.
C'est bien je le confesse , une juste coutume,
Que le coeur affligé
Par le canal des yeux vidant son amertume
Cherche d'être allégé.
Même quand il advient que la tombe sépare
Ce que Nature a joint,
Celui qui ne s'émeut pas à l'âme d'un Barbare,
Ou n'en a du tout point.
Mais d'être inconsolable ,et dedans sa mémoire
Enfermer un ennui,
N'est-ce pas se haïr pour acquérir la gloire
de bien aimer autrui ?
Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.
J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.
Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.
Les Contemplations - Livre IV - XIV
3 septembre 1847
Victor Hugo
Sinon, Owyn je crois que tu as une bonne mémoire !