La Pierre de Tear fait peau neuve ! L'aventure continue sur www.pierredetear.fr !
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Brume.
Bruine.
Bruissement lancinant du ressac sur les galets.
Un choc sourd, bref, qui pourtant se répercute à travers le bois dans tes genoux et monte comme un ver insidieux jusqu’à ton cœur partagé.
Tu accostes.
Tu sautes à terre et ton pied manque glisser sur les pierres roulées par tant de naufrages. Tu laisses échapper un sifflement d’exaspération et tu rajustes nerveusement ta cape lourde de froide humidité. D’un geste à peine conscient, tu vérifies la présence à ton côté de Confiance, l’épée forgée sur l’Enclume du Chant par le maître forgeron. Dans ta fierté de jeune coq, tu as voulu la nommer Assoiffée et mère t’en a dissuadé d’un sourire à peine moqueur.
Confiance… si seulement tu pouvais te fier aux hommes, à commencer par toi-même, autant que tu t’en remets au fer éprouvé qui arme si bien ta main !
Le sable crisse sous tes pas encore hésitants puis, presque aussitôt, la terre durcie comme au feu d’un chemin sinueux les dirige vers la destination qui occupe ton esprit fébrile. L’excitation te soutient après des jours et des jours d’errance. Toutes tes pensées abouties ou informes, qu’elles soient déductions ou spéculations, soupçons ou souvenirs sont autant de filins qui s’amarrent à cette sombre falaise que tu distingues à peine et te tirent vers elle.
Des heures, des jours, peut-être des siècles se sont écoulés au sablier de ta vie depuis que tu as commencé ton voyage. Tu ne sais pas. Lorsque tu as regardé en arrière, tu as eu beau écarquiller les yeux, as-tu outrepassé le voile noir de ton histoire ? Cette brume n’est-elle pas l’écume du temps qui t’emporte sur sa vague ?
Le sentier s’arc-boute sur la pierre noire et hostile, tu le foules avec une assurance factice et le vertige qui bientôt s’empare de toi ne procède pas du précipice plongé dans un éternel crépuscule que l’étroitesse de la piste te force à longer. C’est la peur qui, telle le vautour, se repaît de tes entrailles. A nouveau, ta main empaume la garde de Confiance et tu inspires profondément un air alourdi par l’expectative. Tu aspires à atteindre ton but et pourtant tu appréhendes ce que à quoi tu vas être confronté au cœur de cette falaise dont le sommet défie un ciel plus sombre encore.
L’haleine moite du vent te plaque sur la roche et contre ton épaule, celle-ci cogne comme un cœur immense, aux dimensions du monde. Tu frissonnes.
Une goutte roule le long de ta joue mais tu lui dénies le statut de larme. Un souffle tiède l’essore et t’enseigne la voie que t’impose ton dilemme.
Un tunnel.
Un antre au sein de la muraille.
Un goulet aux parois lisses, luisant doucement d’une palpitation orangée, traversée par intermittence d’éclairs rougeoyants.
Une invitation pressante à t’y engouffrer.
Une convocation péremptoire.
Une menace diffuse qui retient ton pas.
Mais as-tu d’autre option ?
Alors tu t’engages dans le couloir dont la légère pente te mène sans retour possible vers l’accomplissement de ta quête.
Un pas après l’autre
Des centaines de foulées, jalons que nul ne dénombrera après ton passage.
Tu tends l’oreille.
Une musique ?
Un air de danse lente, de nostalgie douce-amère…
Ne ralentis pas l’allure ! Ne ferme pas les yeux !
Ne ferme pas les yeux !
… Tu lui offres ta main et elle y pose délicatement la sienne. Tu captures son regard et tu ne le laisses pas t’échapper. Car elle t’a prise dans les rets de ses longs cheveux si noirs qu’ils en paraissent bleus. Mais tu sais que ton devoir t'inflige de lier ton corps sinon ton cœur à l’une de ces filles de rois dont les pères briguent une alliance avec le tien.
Qu’importe ! Ce soir, le temps d’une danse, de toutes les danses, elle sera tienne. Il suffit de croire que demain ne viendra jamais, que l’instant est éternel.
La musique vous emporte sur ses ailes de soie vers un ailleurs où les princes épousent les bergères… ou des filles de comte. L’orchestre caché derrière le rideau doré ne tisse que pour vous des notes dont la langueur finit pourtant par te blesser.
T’arrache à l’illusion de ton libre arbitre. Te met hors de toi.
Tu as beau être né prince, tu n’es qu’un pion sur l’échiquier d’une politique qui pour l’heure te dépasse. Une partie de toi l’admet. L’autre s’en offusque.
Le regard sévèrement royal de père te cloue au pilori de sa colère. Mère hausse un sourcil savamment épilé. Tu t’affiches devant les ambassadeurs des rois candidats à un accord que scelleront des épousailles qui te pèsent.
La nausée comme à l’habitude et comme à l’habitude le mutisme.
Garder pour toi la révolte qui te ronge, bâillonner une protestation égocentrique, opposer hypocritement la raison d’état au langage trop émollient du cœur.
Juguler la sève entreprenante du désir… tu enserres sa taille souple d’un bras exclusif, tu coules un regard convoiteux dans la vallée odorante qui sépare des collines jumelles où s’égare ton imagination, tu brûles d’apposer ton sceau sur la moue charmante des lèvres purpurines mais tu es brutalement conscient que le brasier qu’elle allume en toi, tu devras l’éteindre en compagnie d’une fille d’étuves.
Un air de danse lente, de nostalgie douce-amère…
Tu ouvres les yeux, ébloui malgré la faible luminosité.
Les dernières notes s’égrènent. Les as-tu rêvées ?
Tu chancelles, tu craches un mot malsonnant.
La main gauche frôlant la paroi étrangement tiède, la droite s’assurant sur la garde de ta dague de chasse dont tu t’es étonné de trouver la lame ensanglantée… as-tu forcé le cerf récemment ou quelque bête noire ? Tu n’en gardes aucun souvenir… tu t’enfonces profondément dans les entrailles de la montagne, dans la tanière d’un démon que tu ne sais nommer, que tu refuses peut-être d’avouer connaître.
Longtemps après, à ce qu’il te semble… mais peut-être est-ce juste au terme d’une ou deux respirations, une porte te barre le passage.
Le terme de ta quête.
Une serrure et pas de clef bien sûr.
Tu ne sais plus vraiment pourquoi tu te retrouves face – affronté ? – à ce battant massif, noirâtre d’humidité et vaguement menaçant. Tu sais seulement que tu dois dépasser cet obstacle. Elle, tu n’y penses plus, tu l’as oubliée. En cela, tu te montres sage. N’était-elle pas, elle aussi, un accident sur notre chemin ?
Franchis ce passage, ne tergiverse pas ! Derrière le chêne vieilli et pourtant robuste, j’attends que tu viennes me délivrer de mes chaînes.
Pose ta main sur la serrure car elle en est la clef. La main gauche !
Tu pousses le lourd panneau gorgé d’ans comme s’il n’était qu’une cloison de papier. T’attendais-tu à ce cachot sans fenêtre ? Au fumet âcre de paille moisie et d’excréments qui agresse tes narines délicates ?
La pénombre t’oblige à avancer d’un pas hésitant vers la forme prostrée contre le mur du fond. Tu plisses les yeux sous tes sourcils froncés pour parvenir à distinguer les traits du prisonnier étroitement enchaîné à la paroi couverte de salpêtre.
Ne me reconnais-tu donc pas ? Sous le sang et la crasse, malgré les tuméfactions et le rictus qui tord ma bouche, en faisant abstraction de la folie qui hante mon regard, ne suis-je pas enfin celui que tu cherchais, celui qui t’appelait à son aide et qui t’a attiré jusqu’à lui ?
Tu ne comprends pas… moi aussi, je ne sais pas vraiment où tout cela nous a mené. Ni qui m’a mis aux fers et comment. Quant au pourquoi, j’en ai bien une petite idée. Pas toi ?
Tu secoues la tête, désemparé. Mais tu es venu jusqu’à moi, cela me suffit pour l’instant. J’ignore si j’aurais agi de même à ton égard. Tu as toujours été de nous deux le plus gentil, le mieux élevé, le moins contestataire, le prince héritier presque parfait.
Presque…
Tu te mets à genoux, tu m’offres tes mains et j’y pose les miennes, encroûtées de sang.
Un air de danse lente, de nostalgie douce-amère.
Nous fermons les yeux. Tu luttes car tu voudrais les garder ouverts… ne pas voir, ne pas savoir.
Trop tard.
Car n’est-ce pas ce que tu cherchais à cœur perdu, ces retrouvailles ?
Tu sais maintenant pourquoi ta lame est sanglante, pourquoi tes mains sont ensanglantées…
…Tu veux qu’elle t’appartienne bien plus que l’instant d’une danse, que le temps d’une soirée. Alors tu lui donnes un rendez-vous secret, tu sais, dans ce charmant pavillon de chasse où, dit-on, le grand père honorait ses maîtresses. Tu te fais pressant, n’écoutant que le désir brûlant dans tes veines et pas du tout ses supplications. Elle te dit qu’elle ne veut pas n’être qu’une favorite et que, puisque tu dois épouser une princesse étrangère, elle va quitter la cour et n’y revenir qu’une fois mariée. Tu t’emportes, tu la serres contre toi et tu l’embrasses. Tes mains se font possessives, s’emparent des charmes qu’on te refuse. Elle est terrifiée mais ne se livre pas. Alors tu ouvres la porte au démon, tu libères ce monstre que tu as dissimulé au monde… jusqu’à cet instant où tout bascule.
Elle te repoussait ? Je l’ai prise de force puis je l’ai tuée. Pour toi. Pour nous.
Tu ne te souviens pas de ce qui s’est passé ensuite ? Moi… à peine… juste le sang oignant mes mains jusqu’aux poignets comme des gants d’écarlate et son goût métallique sur mes lèvres et ma langue. De toutes façons, elle était déjà morte…
Elle n’aurait pas dû s’amuser de toi.
Ce qui compte, c’est que nous nous soyons retrouvés, non ?
Brumes dans ma tête.
Bruine. Gouttes de sel glissant le long de mes joues.
Bruissement lancinant du sang à mes oreilles.
Une terreur sourde qui pourtant vrille mon cœur et monte comme un serpent sournois jusqu’à ma conscience.
Je voudrais aborder. Sauter à bas du lit trempé d’humeurs sur lequel je suis étendu sans force ni volonté. D’un geste, je… je ne puis pas même bouger les paupières.
- Votre majesté, je ne parviens pas à tirer le prince du coma. J’ai tout tenté mais je n’obtiens aucune réaction. Je suis terriblement désolé, Votre Majesté.
- Mon fils était dans cet état lorsque le duc l’a trouvé gisant dans la chambre de sa fille. Sa fille morte, éventrée et éviscérée… Je veux croire que l’horreur du crime qu’il a commis est en train de le tuer… qu’il ne peut s’imaginer survivre à ce forfait. Je ne peux envisager qu’un acte de folie pour justifier cette atrocité.
- Votre Majesté, j’entrevois peut-être un espoir. L’ermite qui loge en la forêt de…
- Il n’y a pas d’espoir, mire Chastel. Seulement deux enfants massacrés par des êtres de cauchemar. Le duc s’est engagé à garder le silence sur cette triste affaire. Je vous recommande d’en faire autant, Chastel.
- Cela va sans dire, Votre Majesté. Qui me croirait d’ailleurs ? Notre pauvre prince a donc succombé à ses blessures.
Non ! Je suis toujours vivant ! Je ne peux pas parler mais je pense ! Ne m’abandonnez pas !
Je suis vivant ! Vivant ! Je me suis retrouvé ! Je suis redevenu moi-même ! Ce n’est pas moi qui l’ai tué, c’est lui l’assassin ! Lui ! L’autre ! Non ! NON ! Ne me laissez pas mourir ! Je veux vivre ! Non ! Non ! Non ! Nonnonnonnonnonnonno…………..
Dans ton texte, Aelghir, j'ai spécialement apprécié l'usage du présent, qui dans ce cas là, selon mon point de vue, donne plus d'intensité au texte, mais surtout le fait que le narrateur parle au "héros", puis qu'il devienne lui-même narrateur, si brusquement. Mais je crois que ça a pu gêné certaines personnes, c'est peu courant, d'autant plus que le texte en lui-même est troublant. Les nombreuses descentes à la ligne aussi. Si je me souviens bien, lors de ma lecture, elles me donnaient une impression de... frénésie. J'étais vraiment prise dans le texte.
Certains passages ressemblent plus à de la poésie qu'à de la prose. Par exemple :
Brume.
Bruine.
Bruissement lancinant du ressac sur les galets.
Assonnances et allitérations. Prenant dès les premiers mots.^^
En gros, j'étais plongée dans le texte jusqu'à la fin, jusqu'à cette chute assez inattendue. Ton style, même si je ne te connaissais pas ce genre de texte, reste très beau (et facilement reconnaissable, même anonyme) et vraiment sonore. J'aime vraiment bien, même si je dois avouer que l'histoire m'a un peu... troublée.
Voilà, plus ou moins ce que j'en pense. J'arrive pas à faire une phrase aujourd'hui.
Chevalier un jour, Chevalier toujours ! Montjoie Saint Denis et Tutti Quanti !
Je voulais justement écrire quelque chose de troublant et même trouble, car nous sommes tout au long du texte dans la tête du personnage, dans son délire schizophrène avec dédoublement de personnalité.
L'ambiance ne m'a pas plue, trop étouffante, trop.. prenante, les phrases rapides qui s'enchainent, comme un goufre qui t'aspire Trop réaliste, trop proche de ce qui peux arriver à n'importe qui, et le coup de coma encore plus.
En gros ce texte m'a foutu les jetons. Si c'était ton but c'est réussi
C'est à la fois très réaliste et pourtant nettement éloigné de la réalité. Je trouve l'ambiance trop étrange pour être courante dans le réel. Un cauchemard plutôt, ou un rêve sombre comme on en fait des fois.
Folie / Coma, ce n'est pas si abstrait que ça.. Cauchemard, oui, du type dont on ne se rapelle que des bribes, mais bribes suffisantes pour nous faire frissoner
Pourvoyeuse-de-Vent Nul ne se connaît tant qu'il n'a pas souffert
(petite parenthèse avant de dire ce que j'en pense: Aelghir c'est quoi cet avatar? )
J'ai reconnu ton style au premier coup d'oeil (qui ne le devinerait pas? ) J'entends par là que c'est un style toujours très fluide, direct, où l'émotion est parfaitement dosée avec l'action. J'ai été sincèrement séduite par ton texte, et c'est sans doute d'abord grâce au mode de narration utilisé: je n'ai jamais rencontré de texte où le personnage s'adresse à quelqu'un sans que ce soit une lettre, mais pour le coup c'est réussi! ça ne m'a pas choquée, au contraire ça rend l'émotion plus intense encore, et ce rythme de mots les uns en-dessous des autres donnent un effet de suspense tout à fait approprié à l'ensemble. Donc une ambiance prenante, jusqu'au coup de théâtre de la fin. Le choc est peut-être un peu brutal mais surprenant néanmoins! Bref, un très beau récit qui mérite bien la première place (mais avec toi on a l'habitude hein )
Aaaah j'ai beaucoup aimé. (Tu as eu droit à un vote d'ailleurs ^^) Bon, comme d'hab, on ne change pas un Aelghir en padawan d'une joute à l'autre, tu écris véitablement bien. Tes phrases sonnent juste, la musique est prenante... je peux te faire des compliments comme ça longtemps, mais comme je suis très méchante méchante, je vais aussi dire les moins bien
C'est flou, ok c'est fait exprés mais ça mélange le lecteur, on patauge un peu. L'histoire... bon bah voilà quoi, rien de particulier. Mais j'ai pas tout compris... C'est qui le narrateur ? Je me suis un peu perdue, même si je suis restée charmée par les mots bien placés.
Chevalier un jour, Chevalier toujours ! Montjoie Saint Denis et Tutti Quanti !
Le "tu", le "je", le "nous" : en fait la même personne dans un délire schyzo avec dédoublement de personnalité, le gentil et le monstre. Totalement dissocié au début, il finit par se retrouver ( les "retrouvailles") et il comprend alors qu'il a assassiné dans une crise de folie la jeune femme. Tout se passe dans sa tête alors qu'il est dans un état comateux.
Voilà.
Merci, j'avais pas tout à fait saisi les choses comme ça, au début. J'avais plutôt l'impression d'une sorte de... créature, réelle ou non, qui empoisonnait l'esprit du "gentil".
Mais ce n'est pas si loin de ce que tu voulais, somme toute, et c'est à la fin que j'ai compris le truc.
La vie n'est faite que de séparations, provisoires ou le plus souvent définitives... Multi
Excellent texte, vrai de vrai ! Digne du prix Qu'on court et du prix Féminin ainsi que de celui des lecteurs de Telle est Mama et des auditeurs de Transe Interne ! Bientôt, tu seras chevalier des lézards et des lépreux et reçu à la Star Académie française ! Bonnet collant ! Heu... Chapeau bas, messire.