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Nayda repassa une fois de plus ses ordres en tête. Lu l'agaçait : ses airs condescendants, ses manières autoritaires... il n'y a pas si longtemps, je lui ai fait regretter de me parler sur ce ton! Sa colère tomba aussi soudainement qu'elle avait été suscitée. Elle devait se rendre à l'évidence : l'époque où elles séchaient les cours d'Histoire du Monde sans aucun scrupule pour aller se baigner dans la rivière était bien révolue. Depuis la mort d'Elliandre, Lu avait changé du tout au tout... Tu devrais être heureuse qu'elle ne se morfonde pas toute la journée au lieu de te plaindre, se morigéna t elle. Elle l'était, dans une certaine mesure. Elliandre avait été tout ce pour quoi se battait Lutanéa, tout ce pour quoi elle vivait. Et elle lui avait été arrachée de force, par des Membres intouchables du Conseil Restreint, dont Nayda faisait partie à présent. Elle était devenue une magnifique jeune femme, dont la beauté avait fait rougir plus d'un homme. Seulement elle ne riait plus, elle ne chantait plus comme avant. Elle s'était peu à peu détournée de Nayda et du monde, et semblait prisonnière d'elle-même. Nayda avait alors décidé d'agir. Galldrenn, le Haut Dirigeant du Conseil Restreint, devenait trop vieux pour maintenir l'ordre chez les magiciens. Tout le monde savait qu'il vivait ses dernières années, et la lutte pour le pouvoir avait déjà débutée. Si le vieux Galldrenn ne choisissait pas bientôt quelqu'un pour le succéder, Razielk serait alors à la tête de l'ordre des Magiciens-il avait assez comploté pour cela-et Nayda n'osait pas envisager cette éventualité. Toujours est-il qu'elle avait alors demandé audience auprès du vieux Dirigeant, et qu'elle avait déposé la candidature de Lu.Galldrenn fut d'abord indécis, mais il s'était vite rendu à l'évidence : Lutanéa possédait toutes les qualités requises, il ne pouvait tout simplement pas refuser. Le vieil homme n'étant pas un imbécile, Nayda se doutait que son hésitation ne concernait pas Lu mais elle. Elle était loin d'être populaire à Alldrian, lieu de rassemblement des mages et Siège du Conseil Restreint. Elle n'avait jamais aimé les règlements, et elle ne se souciait pas de ce qui était interdit : pour ce qui la concernait, tous les mages étaient des petites gens arrogants, qui avaient trop de pouvoir et qui en abusaient. Elle s'étonnait parfois de ses propres pensées : en vérité, n'était-elle pas une Magicienne elle aussi ? Absorbée par ses réflexions, elle ne s'était pas rendu compte qu'elle avait déjà atteint l'édifice qu'elle cherchait. Le Temple qu'elle avait sous les yeux était un vestige des Temps Anciens, à l'Epoque où la magie n’était encore qu'une Légende. L’édifice, immense et tout en colonnes de marbre blanc était consacré à Riannael, Celle qui fut Trahie par les hommes, et qui exerçait sa Vengeance en leur donnant la Connaissance. Nayda n’avait jamais compris comment le Savoir pouvait être un fardeau, elle en avait parlé un jour avec son Instructrice à l’époque de son apprentissage, mais cette dernière s’était contentée de lui répondre que parfois, certaines choses devaient être ignorées pour le bien du monde…Nayda n’avait plus jamais abordé la question, l’occasion ne s’étant plus représentée. A présent elle regrettait de ne pas avoir insisté : elle se préparait à rencontrer l’Oracle, et ce qu’elle découvrirait pourrait alors tout changer, pour elle comme pour Lu. Un prêtre en robe blanche arborant le parchemin sanglant- symbole de Riannael- s’avança vers elle, la mine sombre. Elle fit mine d’observer la fresque sur le mur représentant la Déesse aux longs cheveux d’albâtre. Les prêtres de Riannael détestaient recevoir de la visite, ils considéraient les Voyageurs comme des idiots à la recherche d’un Savoir inutile. Plus encore ils haïssaient les Mages, dont l’influence avait peu à peu dépassé celle des ordres religieux. Il fallait se rendre à l’évidence : il était peu probable qu’elle obtienne ce pour quoi elle était venue.
A tous ceux qui n’étaient pas rois ou prêtres, ils refusaient les audiences auprès de l’Oracle. Ils me laisseront passer, s’obstina t elle. Ils le doivent. S’ils refusaient……et bien, elle ferait son Devoir, quoi qu’il lui en coûte.
_ «Mademoiselle ? Je peux vous aider mademoiselle ? »
Nayda sursauta. Le prêtre en robe la regardait, un sourire amusé aux coins des lèvres. Imbécile ! Se faire surprendre comme une gamine prise en faute ! Cesse donc de te conduire comme une écervelée ! Le regard qu’elle jeta à l’individu près d’elle l’obligea à détourner les yeux.
_ « Je désirerai voir l’Oracle. » Voilà. C’était dit. Il n’y avait plus qu’à espérer maintenant. L’homme la dévisagea comme si elle lui avait demandé de provoquer la pluie.
_ « Cela ne se peut. L’Oracle ne reçoit pas de visiteurs. A moins d’être envoyé par Nabalan Vasere vous devriez partir. »
Nabalan Vasere était celui qui se nommait lui-même l’Envoyé de Riannael. Un fanatique religieux, et probablement un charlatan. Cependant, sa renommée était telle qu’il avait vite été élevé au rang de Gardien des Temples, et à présent dirigeait tous les prêtres voués à la Déesse. Quoi qu’il en soit, Nayda ne pouvait pas repartir sans avoir vu l’Oracle. Et elle n’aimait pas du tout le ton condescendant de cet individu. Cela lui rappela Lu, et eut pour seul résultat d’attiser sa colère.
_ « Je dois voir l’Oracle. Je suis envoyée par Lutanéa Kesalnot, Dirigeante du Conseil Restreint. Cette requête est de la plus haute importance. » Le prêtre eut l’air déconcerté, puis s’inclina devant elle avec toute la déférence dont il était capable.
_ « Pardonnez mon audace mademoiselle. On m’a informé de votre venue. L’Oracle vous attend. »
Cette fois, ce fut Nayda qui eut l’air désemparé. Informé de ma venue ? Comment cela se peut-il ? !Lu m’a fait jurer de ne point en parler ! Elle m’a promis de me fouetter elle-même si quiconque était au courant de l’affaire ! Lutanéa ne l’avait jamais menacée. Ces paroles avaient agi sur Nayda à la façon d’un coup de gourdin. C’est à cet instant qu’elle avait réalisé que le fossé les séparant se révélerait quasiment infranchissable. Plus rien ne serait comme avant désormais ; elles avaient chacune leurs propres intérêts, et leurs priorités étaient différentes…trop différentes ? Nayda espérait que non.
Le prêtre la guida silencieusement dans les couloirs du Temple. De temps à autre, il s’arrêtait pour allumer une des nombreuses bougies qui éclairaient le lieu, ou encore pour relever un tableau représentant une des nombreuses batailles livrées au nom de la Déesse. L’homme s’immobilisa devant une immense porte en bois usé. Il se tourna ensuite vers Nayda, ses yeux de fanatique semblant sonder ses pensées.
_ « Quoi qu’il arrive dans cette salle, n’en parlez à personne. Peu de gens ont rencontré l’Oracle, la Messagère n’aime pas dispenser son Savoir, pour une raison qui m’échappe totalement. Sachez aussi que ce qu’elle vous dira arrivera, et que rien de ce que vous tenterez ne pourra l’empêcher. »Il s’arrêta, la dévisageant en silence, comme attendant une réponse. Nayda hésita : bien évidemment, elle devrait mettre Lu au courant de ce qu’elle aurait découvert. Et d’autres, aussi bien, si elle pouvait encore avoir confiance en leur parole. Lu et elles auraient besoin d’alliés, si jamais ce qu’elles pensaient découvrir se révélait exact.
_ « Je ferai ce que je dois. »La réponse sembla convenir au prêtre, qui ouvrit la porte et lui fit signe d’entrer.
Nayda entra lentement, le visage impassible. Elle espérait que le vieil homme ne remarquerait pas que ses mains tremblaient…
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Lorsque Nayda sortit du temple, le jour déclinait déjà. Le soleil avait pris des teintes oranges, et offrait un spectacle magnifique. Mais la jeune femme avait l’esprit ailleurs. Rien ne s’était passé comme elle l’avait espéré. L’Oracle, une fillette de sept ans à peine aux yeux vides, n’avait pas répondu à ses questions. Ceci n’est pas la règle, avait-elle dit.
Nayda l’avait appris à ses dépends. La Messagère avait alors révélé des choses sur le futur, des choses que Nayda aurait préféré ignorer ; certaines de ces révélations hanteraient ses nuits pendant des années…Elle se souvint des paroles du prêtre : Ce qu’elle vous dira arrivera, et rien de ce que vous tenterez ne pourra l’empêcher…Ces quelques mots résonnaient dans sa tête indéfiniment, comme pour lui rappeler son impuissance. Elle soupira. Le soleil se couchait déjà, et elle avait encore tant à faire…Elle releva ses manches, et observa le dessin tatoué sur son poignet. La Marque de l’Ego. Délivrée par les Portes, elle permettait à un Mage d’invoquer son gardien, son ami, sa moitié…Nayda ferma les yeux, et se concentra sur son compagnon. Son poignet la brûlait, à la limite du supportable…. Une larme coula le long de sa joue, qu’elle essuya négligemment d’un geste rapide. Elle lança alors son Appel, et la terre sembla se dérober sous ses pieds. Elle tomba à genoux, épuisée. Elle ne s’habituerait jamais à la fatigue qui suivait immanquablement l’Appel. Une si grande perte d’énergie pour si peu…. Elle leva les yeux sur la créature qu’elle avait invoquée. Cette dernière ne lui faisait plus peur depuis longtemps. Elles avaient vécu tant de choses ensemble…Tyanis était la meilleure chose qui lui soit arrivé. La manticore l’avait aidée à se tirer de nombre de situations délicates, sans jamais se plaindre quand elle lui ordonnait de réintégrer le Vide dans lequel elle attendait que Nayda l’appelle. En ce moment même, Tyanis la regardait patiemment, ses grands yeux verts la fixant, prête à bondir pour la rattraper si elle faisait mine de tomber de nouveau. Tyanis, je dois aller à Dyurne. Le feulement de la manticore l’interrompit. Je sais que je suis trop fatiguée pour faire ce voyage, mais c’est très important. Je me reposerai un peu pendant que tu m’emmèneras là bas. Si nous avons de la chance, nous y serons dans quelques heures…. La créature déploya ses grandes ailes brunes, sa queue de scorpion battant l’air, prête à prendre son envol dès que Nayda serait montée sur son dos. Tyanis ? L’énorme tête de lionne se tourna vers elle…. Elle était inquiète. Tyanis, il va se passer quelque chose de terrible aujourd’hui, quelque chose que nous avons déjà vécue voilà près de dix ans. La lutte va reprendre Tyanis, et je vais avoir besoin de ton aide pour survivre. Je ne t’obligerai pas à me suivre. Je te donne le choix maintenant. Si tu décides de ne pas venir, alors dépose-moi à Dyurne et retourne dans le Vide. Nous nous reverrons.si je survis…L’Oracle n’avait rien révélé de son avenir à elle, et elle ne le regrettait pas. La jeune fille avait parlé par énigmes, et le peu que Nayda avait compris se révélait être de très mauvais augure …Ne pense pas à ce qu’elle t’a dit. Tout peut changer. Ce prêtre stupide n’y connaît rien. L’Avenir n’est pas définitif.
La manticore l’observait. Je viens, bien évidemment. Tu n’imaginais tout de même pas me renvoyer aussi facilement ? Nayda retint un soupir de soulagement. Elle avait secrètement espéré cette réponse. La présence de Tyanis auprès d’elle était un réconfort. Avec son Ego, elle pourrait surmonter tous les obstacles. Elle adressa une prière muette à la Déesse Mère, la suppliant de lui donner le courage d’affronter ce que lui réserveraient les prochaines heures…..
Il n’y a plus de temps à perdre Tyanis. Nous sommes déjà en retard. Emmène-moi maintenant. La Manticore s’accroupit alors pour lui permettre de monter sur son dos. Sa peau dure et ses muscles puissants n’offraient que peu de prise pour Nayda qui tentait désespérément de se maintenir sur l’échine de la bête.
Dis adieu à ton repos pourtant mérité, pensa t elle ironiquement avant que Tyanis ne s’élève du sol……
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Ils arrivèrent à Dyurne un peu avant le lever du soleil. La ville était magnifique vue du ciel. Les tours de garde semblaient se perdre dans les nuages, et l’enceinte de la cité, qui datait de plus de deux milles ans, n’avait rien perdu de sa splendeur d’antan. Tyanis déposa la jeune femme à quelques miles de là : Nayda ne voulait pas qu’on sache qu’une magicienne était en ville ; elle avait trop d’ennemis, et la manticore qui l’accompagnait révélait son identité aussi sûrement qu’une carte de visite. Il y avait peu d’Ego de la même race chez les Mages, mais Tyanis quant à elle était la seule de son espèce à être sortie des Portes, ce dont Nayda ne pouvait s’empêcher d’être fière. La magicienne n’avait pas pris le temps de se changer : la tunique bleue qu’elle avait enfilée pour son audience auprès de l’Oracle était bien trop serrée, et ses gants en daim qui lui avaient épargné le froid mordant d’Alldrian n’étaient plus d’aucune utilité dans cette contrée habituée aux chaleurs torrides. Cependant elles ne les enleva pas pour autant : ils cacheraient la marque sur son poignet, et lui éviteraient bien des ennuis.
Elle supporta donc de mauvaise grâce la sueur sur son visage, et prit la route de Dyurne d’un pas pressé.
Elle mit près de deux heures pour atteindre la ville, et lorsqu’elle en franchit les portes elle tremblait à l’idée de ce qu’il allait s’y passer. La plupart des citadins étaient encore endormis ; et pourtant Nayda avait du mal à se frayer un passage parmi tous ces visages qui observaient ses vêtements avec curiosité –et incrédulité, elle s’en rendit vite compte. Ses gants cachaient son tatouage, mais attiraient l’œil sur elle. Eh bien, elle ne pouvait rien y changer, et si elle se risquait à les enlever, elle serait démasquée à la minute même, et tous ses plans tomberaient à l’eau avant même qu’elle ait pu les éprouver…Elle repoussa avec fermeté un homme qui l’avait bousculé…. Avant de s’immobiliser, le souffle court. Elle n’avait pas eu le temps de dévisager l’individu qui s’était excusé avant de reprendre son chemin ; la capuche qu’il avait relevée sur son visage empêchait un examen détaillé…. Et pourtant…. Ses yeux…..Elle secoua la tête, comme pour dissiper le brouillard qui entourait son esprit. Elle était fatiguée, n’avait pas dormie de la nuit, trop occupée à se maintenir sur sa monture, et –elle devait bien l’avouer- elle avait peur. Dans ces conditions, il n’était pas impensable que son esprit lui joue des tours.
Elle poussa un soupir de frustration et se força à marcher. Elle avait besoin de réfléchir. Elle comptait se rendre dans la taverne la plus proche et décider de ce qu’elle ferait. Elle avait encore le temps. Pour la deuxième fois de la journée, Nayda s’arrêta au beau milieu de la rue, les doigts serrés sur son pantalon bleu. Il y avait quelque chose ici ; un frémissement dans l’air qui lui arracha un hoquet d’angoisse. Les gens autour d’elle continuaient de déambuler, inconscients du danger à venir. Evidemment. Ils ne pouvaient pas sentir le changement. Elle seule en était capable, parce qu’elle était allée au Temple, parce qu ‘elle avait rencontré l’Oracle…Elle voulait crier à toutes ces personnes de fuir cet endroit, de courir aussi loin que leurs jambes le pourraient…Elle s’en abstint. Elle ne pouvait se le permettre. Personne ne devait être au courant de sa présence ici. Ses yeux rencontrèrent alors ceux d’une fillette qui agrippait les jupes de sa mère en riant, et les larmes coulèrent sur son visage. Au loin, un grondement sourd se faisait entendre…..
La petite fille ne riait plus à présent. Elle observait le ciel en silence, prenant exemple sur sa mère. Une silhouette en manteau noir la prit dans ses bras et fit un signe de la tête à l’attention de Nayda …qui leva aussitôt un Ecran autour d’elle en voyant crépiter l’Energie près d’eux. Ses yeux…. Elle avait été stupide. Elle aurait du croire en elle, en son instinct… L’homme ne l’attaqua pas, comme elle s’y était attendue. A la place, un Ecran jumeau de celui de la magicienne vint l’entourer. Ses bras agrippaient toujours l’enfant qui pleurait. Et tandis que Nayda avançait dans leur direction, plus déterminée que jamais, le ciel azur prit une couleur de sang, et des éclairs de feu apparurent parmi les nuages. Le grondement devint tempête, la tempête devint ouragan…Autour de Nayda, les habitants couraient en hurlant ; certains s’étaient agenouillés et priaient la Déesse Mère. Pourrez vous un jour me pardonner ? Le pourrai-je ? Elle s’obligea à ignorer ces questions. Se lamenter n’était pas la solution : ça ne ramènerait pas tous ces gens, et elle avait mieux à faire…
Elle jeta un coup d’œil au ciel, et crut distinguer une ombre qui grandissait à l’horizon. Elle sut alors pourquoi elle était venue. Elle se servit des forces qu’elles avaient encore en réserve pour donner plus de puissance à son Ecran. Quoi qu’il se passe maintenant, elle devrait y survivre. Tout dépendait d’elle. Si seulement j’avais prévenu Lu ! Elle redressa la tête, prête à affronter la Chose qui avançait, et qui tombait à la vitesse d’un météore sur la Cité. Et le Temps sembla soudain s’arrêter. La Chose approchait toujours, mais plus lentement semblait-il, et la tempête qui faisait rage à l’instant s’était transformée en une brise légère. Nayda ne baissa pas l’Ecran pour autant. C’était loin d’être terminé. La fillette près d’elle se dégagea de l’étreinte du jeune homme en vêtements sombres, courant rejoindre sa mère…Ce dernier la suivit, tentant désespérément de la rattraper. Il courait toujours lorsque l’orage reprit. La Chose dans le ciel était maintenant visible : c’était une Sphère énorme, de la taille d’un dragon, aux reflets violets. De loin, on l’aurait cru transparente, mais Nayda ne put distinguer l’intérieur. Elle n’en avait pas besoin, de toutes façons. Elle se doutait de ce qu’elle renfermait. Déesse Mère, pourquoi faut-il toujours que les choses se répètent ? Elle se servit de son Art pour se boucher les oreilles : elle ne voulait pas entendre les cris des morts, elle ne pourrait pas le supporter. De même, l’impact de la Sphère la rendrait certainement sourde. Cette dernière atteignit finalement la ville ; elle s’écrasa à quelques centaines de mètres de Nayda, qui s’en éloigna précipitamment. Les vitres des bâtiments explosèrent, les murs eux-mêmes s’écroulèrent les uns après les autres, aussi sûrement que le vent balaie un château de cartes. Une si belle ville……anéantie en quelques minutes. La jeune magicienne regardait la scène avec une curieuse impression d’irréalité, sa surdité temporaire semblait déformer les visages, transformant leur terreur en souffrance silencieuse. Les villageois étaient balayés par le souffle de l’impact, les débris des Tours de gardes qu’elle avait tant admiré lors de son arrivée tombant sur eux, les écrasant sous leur poids. Nayda ferma les yeux. A présent elle luttait pour maintenir l’Ecran qui l’entourait. La sueur coulait sur son front, et elle avait un mal de tête atroce. Mais ses Défenses tenaient bon. C’était plus qu’elle n’en avait espéré. La Sphère s’ouvrit alors en deux, et Nayda avança dans sa direction, se retirant du silence magique dans lequel elle s’était réfugiée. Sur la place, elle pouvait percevoir les gémissements étouffés des mourants…Elle se concentra sur son objectif et atteignit bientôt la Sphère…Prenant garde de ne pas tomber, elle se pencha à l’intérieur, et elle comprit ce qu’elle était venue chercher. La jeune femme qu’elle observait était à genoux ; ses longs cheveux blonds cachaient presque sa nudité. Cette dernière tourna son regard azur vers Nayda, qui étouffa un cri de surprise. Elle avait déjà vu ce visage……c’était impossible évidemment. Cela ne pouvait être. Pourtant, elle ne rêvait pas. La femme était toujours là, l’observant en silence, visiblement effrayée par la présence de la magicienne. Nayda descendit à l’intérieur de la Sphère, prudemment pour ne pas glisser sur cette pierre poreuse dont elle ignorait l’origine. Elle atterrit enfin en bas, auprès de celle qu’elle avait été envoyée chercher. Lentement, elle tendit une main vers celle ci, et sa voix retentit dans la Sphère comme dans une caverne :
_ « Je suis Nayda Farai, ma petite, vous devriez me suivre maintenant. Nous trouverons des vêtements pour vous, et à manger aussi. Je vous expliquerai tout si vous me suivez. Je ne connais pas toutes les réponses, et j’ai de nombreuses questions, mais venez avec moi et vous serez protégée. »
La femme ouvrit de grands yeux apeurés……mais elle se leva et prit la main de Nayda.
Voilà, je n’ai plus le choix maintenant… Elle était inquiète : elle venait probablement de mettre la main dans un nid de vipères, et il ne lui était maintenant plus possible de la retirer…. Elle s’attendait à être mordue à chaque instant à présent. La lutte reprenait…Pourvu que ça ne se finisse pas comme la dernière fois !
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Après le départ de la jeune femme, l’Oracle laissa les prêtres la raccompagner dans ses appartements. Elle les remercia d’une voix lasse et ils la laissèrent seule. Comme toujours. Seule avec son désespoir. Seule avec son fardeau. Ce qu’elle avait annoncé à cette femme la hantait. Lors de ses crises, elle n’était plus elle-même. La déesse prenait possession de son corps pour accomplir sa vengeance au-delà des contraintes du temps et de l’espace. Elle n’était véritablement qu’une petite fille, une marionnette entre les mains de Riannael. Une petite fille qui annonçait la mort et la destruction depuis plus de deux mille ans. Les hommes avaient trahi la déesse et ils en payaient le prix. Et elle-même était condamnée à rester son outil pour l’éternité. Elle se déshabilla puis lava son corps sans douceur. Elle se sentait salie, comme toujours après l’une de ses crises. Une fois sa tâche terminée, elle passa une autre robe et ouvrit le tiroir secret de l’armoire. Elle en sortit un couteau de cuisine et referma le mécanisme. Elle se mutilait toujours après l’annonce d’une mort : une blessure pour chaque nouvelle fin. Et ce qu’elle avait prédit ce soir là signifiait la mort de centaines de gens…Elle refusa releva ses manches et taillada lentement les veines de ses poignets. Elle méritait cette douleur et elle l’acceptait, car c’est elle qui lui permettait de ne pas sombrer dans la folie. Le sang jaillit de sa blessure, se répandant sur le sol glacé du temple. Elle ne mourrait pas, bien sûr. Elle ne pouvait pas mourir. Elle n’eut pas longtemps à attendre avant que ne se manifeste la volonté de Riannael. Le sang cessa peu à peu de couler et la blessure se referma : il ne resta bientôt plus qu’une cicatrice, nettement visible sur sa peau blanc nacrée. Il n’y avait pas toujours de cicatrices, seulement lorsqu’elle se mutilait volontairement, comme pour lui rappeler ses échecs et lui démontrer à quel point elle était impuissante…Lors des premières décennies de son existence, elle avait tenté à maintes reprises de se tuer, ne supportant plus ses prédictions de malheur. Aujourd’hui, bien des siècles plus tard, elle avait renoncé au repos. On ne pouvait lutter contre une déesse. Elle remit le couteau à sa place après avoir essuyé sa lame. Elle pensait toujours à cette femme. Elle savait que ce qu’elle avait révélé était d’une importance capitale, autant pour elle que pour le monde. Mais elle ne comprenait que très rarement ce qu’elle prophétisait, et elle craignait que cette fois-ci elle fasse une erreur qui entraînerait la mort des hommes de ce royaume. Elle repassa la scène dans son esprit, relevant chaque détail pour ne rien laisser de coté. Nayda Farai était entrée dans le temple, dans la salle des prédictions. Elle s'était avancé, les mains tremblantes, et l’avait aperçue, elle qui était au-delà du temps, elle qui n’avait pas de pupilles…Elle s’était arrêté un instant, surprise de ne trouver qu’une petite fille là où elle pensait découvrir une vieille femme au visage ridé. Alors elle avait pris la parole, car c’était son destin, et sa voix n’avait pas été celle d’une petite fille, mais celle de la Déesse elle-même.
« _ Nayda Farai. Pourquoi êtes vous venue ? »
Elle ignorait la réponse à cette question. Seules les choses les plus importantes étaient inscrits dans sa mémoire. Elle n’était pas Riannael, seulement l’un de ses avatars. Elle était imparfaite. Humaine malgré tout.
« _ Je cherche des réponses à mes questions. Me les donnerez vous ? Je viens de la part de Lutanéa Kesalnot, Haute Dirigeante du…
_Je sais qui elle est. »
Il était inutile de s’épancher plus longtemps. Les humains savaient si peu de choses, ils se perdaient en explications alors qu’il fallait agir. Elle avait toujours détester cela. Nayda la fixait désormais sans ciller, malgré ses yeux dépourvus de pupilles…Elle avait du cran.
« _ Alors vous devez certainement savoir pourquoi je suis ici. Me direz vous s’il est possible de rappeler les Dirigeants de la mort ? M’apprendrez vous le moyen ? »
Elle sourit à la question mais ne répondit pas. En d’autres circonstances elle aurait trouvé la demande audacieuse. Lutanéa avait beaucoup d’ambition décidément. Réveiller les morts, excusez du peu ! Il faudrait un jour qu’elle ait une conversation avec cette Dirigeante. On ne jouait pas avec la vie, elle devait s’en rendre compte. Elle se promit de demander plus tard la raison de cette demande. Plus tard. Pour l’heure, elle avait d’autres priorités. Et cette magicienne devant elle en faisait partie. Elle sentit le pouvoir en elle tandis qu’elle prenait la parole.
« _ Vous demandez des réponses et posez les mauvaises questions. Ceci n’est pas la règle. Avec votre venue ici s’achève le monde tel que vous l’avez connu. Guerres et souffrances sont à vos portes à présent. Elle aura à choisir bientôt. Vengeance et mort, parjure et salut. Il n’y a qu’une voie possible pour elle, mais quelle que soit celle qu’elle choisira la mort l’attend au bout du chemin. _ Que ? Que cela signifie-t-il ? ». L’incrédulité se peignait sur son visage, elle pouvait le voir, mais elle n’avait pas les réponses à ses questions, et elle ne pouvait arrêter maintenant…
_ Il y a deux couleurs dans cette partie d’échec, mais pour l’une c’est un roi et pour l’autre une reine. Les cavaliers tombent mais les fous restent. Au dénouement, la Mort est seule gagnante du combat. Dans les deux camps, la reine comme le roi tomberont. Il n’y a pas de paix sans sacrifice, pas de salut sans espoir. » Elle marqua une pause, puis lança :
« _ Dyurne sera votre prochaine destination ; car là-bas se trouve la clé de toutes vos réponses. Le passé ressurgit et personne n’est préparé à l’affronter, mais s’il doit y avoir une paix c’est elle qui vous la donnera. Le Ciel vous envoie sa réponse, libre à vous de l’utiliser au mieux. Une dernière chose : tout était différent auparavant. Ce qu’il s’est passé il y a dix ans n’était la faute ni de l’une ni de l’autre. C’est votre deuxième chance. Rares sont ceux auxquels elle est accordée. Ne la gâchez pas ! » Nayda avait alors fait mine de partir. Elle s’était tue jusque là, écoutant attentivement ses paroles. Elle la retint. Elle demanda le prix de ses prophéties, chose qu’elle faisait rarement, mais il lui semblait que la situation l’exigeait. Nayda avait offert son sang sans répliquer, et c’est cela qui avait été le plus dur pour elle-même. Elle n’avait pas accordé de réponses, seulement de nouvelles questions, et même ces questions exigeaient le prix du sang…Lorsque la jeune femme était partie, elle avait recueilli le liquide dans une fiole qu’elle garderait à présent sur elle en permanence. Elle ne savait pas pourquoi, mais c’était important, et cela concernait l’avenir.
A présent, dans cette chambre si grande et si froide, elle redevenait une enfant. Elle observa un moment la tache écarlate sur le sol, sortit la fiole de ses robes, et à l’aide d’un chiffon qu’elle essora, mélangea son sang et celui de la femme qu’elle avait mené vers son destin. Elle le remit ensuite à sa place. Elle en ignorait la raison, mais c’était ce qui devait être fait, elle le savait…
Guerres et souffrances sont à vos portes. Avec votre venue ici s’achève le monde tel que vous l’avez connu… Elle s’installa dans son lit et les larmes glissèrent sur son visage sans qu’elle puisse les contenir. Elle ne dormirait pas cette nuit…
Un bruit de pas dans le couloir…la porte s’ouvrit, laissant apparaître la silhouette familière de Jolin. Le Grand Prêtre la regarda en silence. Ses yeux semblaient voir au plus profond de son être : il avait toujours eu l’air de connaître tout de vous d’un simple coup d’œil. Il ne dit rien. Les mots n’auraient servi à rien. Il avança vers elle, et avec douceur, la serra contre son torse. Elle aimait cet homme. Des résidents du temple, il était le seul qui ne l’avait pas considéré avec crainte ni déférence. Elle était déjà depuis longtemps Oracle du Temple lors de son arrivée, mais cela ne l’avait pas impressionné le moins du monde. Il avait vu au-delà de ses pouvoirs, et elle lui en serait toujours reconnaissante…Elle se laissa aller à pleurer contre sa poitrine. Avec lui, elle se sentait de nouveau une jeune fille…
Lorsque Lutanéa entra dans son bureau, elle ne s’attendait pas à y trouver Llyane. La jeune femme inclina respectueusement la tête pour la saluer, et eut la décence de rougir.
_ « Je me suis permise d’entrer, j’espère que cela ne vous contrarie pas. J’ai des nouvelles importantes à vous annoncer, et j’avais peur qu’en restant devant votre porte Razielk ou l’un de ses laquais viennent me poser des questions auxquelles je n’aimerais pas répondre…Pardonnez mon audace, je vous en prie… »
Lu détailla la jeune femme en silence. Cette petite était trop belle pour son bien, c’était indéniable. Ses longs cheveux roux retombaient sur ses épaules, et son teint blanc comme neige ajoutait à sa beauté. Pour le moment, ses yeux d’un vert très clair l’observaient, attendant patiemment qu’elle se décide à parler. Elle n’avait pas l’air de se sentir coupable le moins du monde. Ces nouvelles devaient concerner Viagys, si elle se permettait d’entrer sans permission. Llyane ne se serait jamais permise de pénétrer dans la pièce sans une bonne raison.
_ « Peu importe, tant que cela ne se reproduit pas. » Llyane haussa un sourcil, seul et unique détail qui trahissait son étonnement. « Pardonne-moi, je suis nerveuse depuis que Nayda est partie…Ceci n’a rien à voir avec toi. Alors, qu’as-tu appris de si important que tu te permets de me déranger dans mes propres appartements ? », termina-t-elle dans un sourire. Elle aimait taquiner la jeune femme. D’une certaine façon, elle la considérait comme sa propre fille. Et elle se plaisait à penser que cette dernière la voyait comme une mère. Llyane ne répondit pas à son sourire ; la petite semblait inquiète, et Lu détestait ça.
_ « Le royaume de Viagys est maintenant gouverné par un hyraban. Votre ambassadeur est revenu. Il est en ce moment même à l’infirmerie et je ne crois pas qu’il survivra à ses blessures. » Lu la regarda avec incompréhension. Et elle me le dit avec autant d’émotions que si elle parlait de sa dernière robe achetée ! Cette gamine passe décidément trop de temps avec moi, ça ne peut lui apporter rien de bon… Elle garda le silence pendant un instant, troublée. Gouverné par un hyraban…. Un de ceux qui détestaient la Magie…Ils étaient peu nombreux à présent. Depuis la fondation du Conseil des Mages, ceux qui possédaient pouvoirs hors du commun n’étaient plus persécutés. Le génocide des Mages il y a des décennies de cela avait réveillé le peuple. Le Conseil Restreint avait juré de servir les nations, exigeant la fin des hostilités. Bien entendu, cela ne s’était pas arrêté là. La haine et la peur étaient trop forte, les magiciens trop puissants. Aujourd’hui encore il arrivait à Lu de recevoir des rapports de lutte avec des hyraban. La Déesse en soit remerciée, le meurtre n’était du moins plus appliqué.
Son attention se reporta sur Llyane.
_ « Que s’est-il passé là bas ? » Sa voix était calme et posée…Elle ne devait pas montrer sa colère, ne serait-ce qu’à Llyane. Intérieurement, elle était telle un volcan en éruption. Viagys était un des Royaumes les plus importants du Furkiald. Alkarwyn, le neveu du Duc lui-même avait le Don. Il deviendrait un jour un Magicien très puissant, si Lu avait son mot à dire…Et il représentait un des pions les plus importants de la partie qu’elle jouait…Elle ne devait pas le laisser filer. D’autres pourraient servir sa cause, mais Alkarwyn de par son Don était le seul qui convenait à ses attentes. Noble de naissance, il avait déjà malgré sa jeunesse une grande influence sur les Barons du Furkaild, et plus important : il était aimé du peuple. Le Duc n’ayant pas d’héritier, la direction du royaume reviendrait alors à son plus proche parent…et son neveu était placé en deuxième sur la liste, le premier étant Salkiar, le bâtard que le Duc avait reconnu…Eh bien, si elle parvenait à obtenir l’appui d’Alkarwyn, elle s’arrangerait pour que Salkiar ne soit plus sur cette liste. Un accident pouvait toujours arriver…Elle se refusa à y penser plus longtemps. Qu’était-elle devenue ?Elle parlait de tuer un homme comme si elle en avait le droit. Les Mages n’étaient pas des dieux, elle devait se le rappeler. Parfois son désir de puissance l’effrayait. Elle sentait l’Energie tout autour d’elle, savait que si elle le décidait, elle pourrait réduire la ville entière à l’état de cendres…et cela la terrifiait. Elle avait accepté ce poste dans l’unique but de poursuivre l’œuvre de Galldrenn , et d’accomplir ce que le vieil homme lui-même n’avait jamais réussi : unifier les Mages. Le Conseil ,’était véritablement qu’une parade pour le peuple ; jamais les Magiciens n’avaient été véritablement organisés. Les intrigues au sein même du Conseil n’en était qu’un des nombreux exemples…A Alldrian, il n’y avait pas une seule personne en dehors des serviteurs – et encore, elle doutait de l’honnêteté de certains- qui ne soit impliquée dans une quelconque affaire pour obtenir davantage de pouvoir. Elle faisait son possible pour enrayer ce phénomène, mais le meurtre et la corruption étaient trop profondément enracinés dans les mœurs des Magiciens de la Cour. Mais elle ne désespérait pas : elle arriverait à rendre son unité à la Magie. Et pour cela il lui fallait l’appui des Royaumes, et le Furkaild pour commencer. Et voilà que le pire était arrivé, le Duc devenu hyraban…Cette nouvelle annonçait bien des ennuis…C’est alors qu’elle se rendit compte que Llyane lui parlait depuis quelques minutes déjà.
« _ …Et l’ambassadeur est alors arrivé à Viagys, avec un peu de retard néanmoins : la saison froide a commencé plus tôt que prévu dans les Royaumes du Nord ; il lui a fallu traverser les montagnes sous la neige et cela a pris du temps. Il dit qu’il a rencontré des voyageurs en chemin, qui fuyaient les terres du Duc. Selon les rumeurs Alkarwyn aurait tué sa mère de sang froid et essaierait de prendre le pouvoir grâce à ses Dons. »
Lu ne put s’empêcher de réagir :
« _ C’est complètement absurde. Je surveille ce garçon depuis assez longtemps pour pouvoir affirmer qu’il ne porterait jamais la main sur sa mère. Je suis même étonnée que son oncle puisse penser une seule seconde qu’il ait pu le faire.
_ Quoi qu’il en soit, le Duc a renvoyé votre ambassadeur sur-le-champ. Il a déclaré qu’il ne pouvait pas laisser son neveu partir pour Alldrian à présent, et que quiconque ayant le Don foulera le sol de ses terres sera pendu. J’ai envoyé Zarai à Viagys pour vérifier ses dires. Ne me regardez pas comme ça, c’était le meilleur moyen de se renseigner. Zarai peut parcourir le trajet en seulement quatre jours et, invisible, il pourra espionner sans risque. »
Lutanéa renifla, l’air dédaigneux. Elle n’aimait pas l’Ego de Llyane. Ce faucon était très intelligent pour un Ego, et très rusé…un peu trop même. Et elle se méfiait de sa faculté à se rendre invisible. Il était attaché à Llyane, mais semblait avoir une liberté plus que raisonnable. Il pouvait par exemple mettre des jours à revenir, dans le seul but de démontrer son indépendance…C’était une particularité des faucons. Non, elle ne pouvait se fier à lui.
« _ Quoi qu’il en soit, les rumeurs semblent fondées. Des dizaines de personnes ont déjà été arrêtées. Trois ont été lynchés dans les rues et Alkarwyn est introuvable. On a effectivement retrouvé le corps de sa mère dans ses appartements, recouvert de terribles marques rouges…L’œuvre de la Magie, c’est certain » souligna-t-elle d’un air désolé.
Lu fronça les sourcils. Sa gorge était soudain bien sèche.
« _ Ne tirons pas de conclusions hâtives. Cela pourrait être un complot contre Alkarwyn visant à l’éloigner du trône. Salkiar aurait de bonnes raisons de se débarrasser du petit. Cela lui ferait un adversaire de moins à combattre. »
Llyane tapait machinalement ses ongles sur le bureau.
« _ C’est une possibilité, bien qu’assez improbable. Mes espions chez Salkiar n’ont rien trouvé d’anormal. Et puis ce n’est pas un imbécile : je suis persuadée qu’il sait que le Conseil a des agents dans le château, il serait vraiment stupide de tuer la sœur du Duc en utilisant la Magie, il sait que nous saurons dans très peu de temps s’il est coupable. Le sort qui a été utilisé était assez puissant pour laisser une Trace pendant au moins deux semaines, largement assez pour que Zarai arrive à Viagys. On retrouvera le meurtrier dès que Zarai sera revenu. Il connaît l’aura de Salkiar, je m’en suis assurée. La Trace lui permettra de savoir si ce dernier est bien à l’origine de tout cette agitation dans la ville.
_ Humm…Eh bien, tant qu’il ne sera pas de retour, nous n’ébruiterons pas cette histoire. Fais passer le message aux guérisseurs qui le soignent : personne ne doit être au courant des derniers évènements. S’il survit, il ne devra pas parler : l’accent du nord est aisément reconnaissable. Mais bon, nous verrons les détails une fois fixées sur son état. Et il faudrait aussi toucher un mot aux gardes qui l’ont vu entrer ce matin. Demande à Luis de s’en charger, s’il te plait, je dois assister à une réunion du Conseil dans vingt minutes, et j’ai deux ou trois choses à revoir avant de me rendre dans la Salle des Débats. Encore toutes ces questions sur les Ego et la Magie…les Députés se sont mis en tête de découvrir leur origine à présent…Ils doivent penser que nous n’avons pas assez de problèmes pour se perdre dans des recherches de ce genre. Nous nous retrouverons au souper. »
Elle attendit que Llyane soit sortie pour se replonger dans ses pensées…
************************************
Elle ne descendit pas tout de suite dans la Salle des Débats. Elle resta un moment immobile à contempler les tableaux accrochés aux murs de ses appartements. Chacun d’eux représentait un passage de l’histoire. Sur le plus grand d’entre eux on voyait une femme élever son épée au dessus d’un abîme. Reyna, la Forgeuse. La fondatrice d’Alldrian. Derrière elle on apercevait une ville, et un bâtiment gigantesque, qui était désormais le lieu de rassemblement des Mages. Elle observa plus attentivement le tableau. En cinq cents ans, Alldrian n’avait pas changée. Le peintre, quel qu’il soit, avait été un véritable génie. En regardant bien, elle pouvait presque distinguer la pièce dans laquelle elle se tenait à l’instant même…C’était du grand art, tout simplement. Elle se rappela les paroles du vieux Galldrenn. Les plus belles choses ne sont jamais crées par la magie, car elle n’est pas un art mais un don. Il n’y a aucune place pour les sentiments même dans le plus époustouflant des sortilèges. La beauté prend sa source dans les émotions humaines. La magie est puissante et efficace, oui, mais elle ne sera jamais belle. Tant de choses s’étaient passées depuis. Galldrenn était mort, emporté par la Spirale du Temps, et Lutanéa, contre toute attente, avait accepté de lui succéder. Elle se souvenait de ses premiers mois en tant que Haute Dirigeante. Elle était alors si fragile. Elle aurait refusé le poste si elle n’avait appris que Nayda avait remué ciel et terre pour le lui obtenir. Elle l’avait accepté pour elle, parce qu’elle le lui devait. Au départ. Il lui avait fallu des années pour se rendre compte à quel point elle avait été brisée. Elliandre…Tu étais si belle mon amour…Tu me manques tellement…Elle s’obligea à ne plus y penser. Il y avait des jours où elle avait envie de tout abandonner, de se laisser porter par son cœur et de rejoindre son aimée dans la mort. Elle ne pouvait se le permettre à présent. Nayda avait confiance en elle, et elle s’était donnée une mission. Elle s’était promise de venger sa mort il y a bien longtemps. Razielk paiera pour ce qu’il t’a fait. Je le tuerai moi-même ! Ses mains se crispèrent sur le dos du siège auquel elle s’était appuyée. Elle avait eu l’occasion de l’éliminer. Maintes fois. Mais elle devait penser comme une Haute Dirigeante à présent, et si elle tuait Razielk maintenant, le royaume en paierait le prix. Il était le seul en qui les dalreiloth avaient confiance, leur unique lien avec eux. Si Razielk mourait, ils n’auraient plus aucun contact avec les dalreiloth, et la faible entente que Lu avait réussi à instaurer s’effondrerait. Ils avaient déjà envahi la Vendera par le passé - son royaume- et leur méthodes n’avaient rien des conquêtes que Lutanéa connaissait. Ils encerclaient les villes et laissaient les habitants mourir de faim. Ils envoyaient des hommes avec du feu grégeois se suicider au nom de leur besoin ‘‘d’espace vital’’. Pas des méthodes honorables. Si tant est qu’il pouvait y en avoir. Elle détestait l’alliance avec ces gens que Razielk lui avait offerte. Et elle se haïssait pour l’avoir acceptée. Si elle l’avait pu, elle se serait opposée à cet accord; aurait mobilisé les armées et aurait installé un régime démocratique à la place de la dictature qui régnait actuellement dans ce pays. Mais elle était à la tête d’un royaume, et elle avait fait le serment de protéger son peuple. Les dalreiloth, avec leur fanatisme religieux et leur haine obsessionnelle à l’égard des impies étaient des ennemis puissants, et une menace non négligeable. Non, elle ne pouvait résolument pas se permettre de perdre Razielk…Pour le moment. Mais elle était patiente, elle avait tout le temps devant elle. Il lui avait fallu sept ans pour découvrir le coupable, que changerait sept ans de plus si Elliandre était vengée ?
Elle laissa son esprit dériver pendant un bref moment, et lança son cri mental…Tous les jours, elle se tenait à ce balcon et tendait son esprit le plus loin possible, dans un cri que seule elle pouvait entendre…Elle sentit le contact et retint sa respiration durant quelques secondes, une lueur d’espoir dans les yeux…Ce n’était pas Elliandre bien sûr. Ce n’était jamais elle. Ce ne serait jamais elle…
« _ Nayda. Où es-tu donc ?! tu aurais du rentrer il y a plus de deux jours ! » Elle ne parvenait pas à comprendre le message de son amie. Elle était bien trop loin. Elle n’aurait pas du être si loin…Elle tendit son esprit plus encore, au maximum de ses possibilités…La migraine qu’elle allait avoir serait terrible ! Elle percevait maintenant en partie la voix mentale de Nayda.
« _ Trop…distance…Arrivons…joins-moi…Temple…la Mère…aube. » Elle perdit le contact. Elle avait la nausée, son corps la brûlait affreusement. Elle se pencha par-dessus la rambarde pleine de fleurs et son estomac se vida de lui-même. Le temple de la Mère à l’aube. Elle y serait. Elle prit ses affaires et se rendit dans la Salle des Débats. Cette migraine s’annonçait des plus dures…
et moi qui avait créer un beau topic tout beau tout neuf pour poster tous nos textes personnels et ainsi recevoir les critiques pour l'améliorer...
mais je ne serai pas injuste
je l'imprime et je me lis cela ce soir
Tiens ? Tu as retravaillé un texte des Joutes Galldrenn ?
J'ai fait une lecture rapide. Alors en vrac :
Très agréable à lire, sauf pour les noms propres sur lesquels je bute (montmartre). L'écriture est bonne.
Trop d'intrigues amorcées, trop de noms, de concepts, qui nuisent à la compréhension globale. En particulier au début et dans le paragraphe avec Lu qui cause politique. (Mais faut dire que ma connexion synaptique est vite encombrée). Il s'agit du début d'un texte plus long, je suppose.
Attention à la cohérence temporelle, à la fin, je ne savais plus à quel moment se situait l'action. Le deuxième paragraphe avec Lu qui devient calife à la place du calife me semblait très éloigné dans le temps par rapport au début, puis à la fin, la scène de l'Oracle semble prendre place juste après le début.
Il faut peut-être réorganiser les paragraphes et bien préciser au début de chacun de qui on parle, quand et où pour éviter de se perdre.
Par exemple, le paragraphe sur les illuminés fanatiques arrive et part un peu comme un cheveu sur la soupe.
Le concept des Egos est sympa mais me rappelle vaguement quelque chose.
La cabale des Mages persécutés et qui se tirent dans les pattes me semble peut-être trop classique... mais j'ai du faire trop de Jdr pour juger de l'originalité d'une idée.
J'aime bien le concept de la femme tombée du ciel. C'est très riche en développements futurs.
Enfin, sur le long terme, je pense que tu devrais un peu plus insister sur la description des personnages principaux (Lu et Nayda), leur apprence, caractère, etc... Il me semble important de bien les décrire pour aider le lecteur à s'identifier.
C'est un peu rapide et un peu sec, mais j'espère que ça peut t'aider quand même. Je le relirai et si j'ai d'autres suggestions...
Merci Galldrenn et n'hésite pas à poster la suite.
Claire, j'avais vu le topic que tu avais crée et j'avais pensé le mettre là, mais après j'ai vu la longueur de mon truc et je me suis dit y a des petites malins qui vont pas remonter jusqu'en haut et qui vont finir par pas lire le topic et donc pas ton texte....du coup j'ai préféré pas foutre le bazar
Pour Justbob : Merci d'avoir pris le temps de lire, ça fait plaisir ...pour ce
En particulier au début et dans le paragraphe avec Lu qui cause politique.
Je vais voir, c'est vrai que c'est peut être pas très clair....j'essaierai de voir ce que je peux faire...
Pour les paragraphes, j'ai relu pour voir et je me suis apercu que y'avait effectivement un grave problème...je vais les remettre dans l'ordre, histoire de voir si ça devient plus clair...après relecture je me demande même comment j'ai pas vu le problème avant..j'étais tellement dans mon idée que j'ai rien vu...bref.Niveau caractère des personnages je décrirai plus, je reconnais que ça manque, je vais revoir les textes...
En tout cas encore merci pour tout, voila qui va pouvoir remettre de l'ordre dans mon histoire qui commencait à ressembler à un véritable puzzle ...
Je remets tout dans l'ordre pour les prochains qui liront s'il y en a
Encore mici!
Gall
Nayda? mais ca me ressemble ca!! bizare bizare! bon j'ai lu le debut, mais j'ai du mal, ca me fais mal au yeux, mais je m'y remet demain, je serai plus fraiche!
Je ne peu que dire merci Gall alors, si tu as pensé à mon texte..mais je crois que désormais je n'aurai plus de critiques et donc, ton texte retravaillé, tu pourras le poster sur °textes en tt genre°
Je suis contre ce concept de topic unique. Un topic par texte permet de bien séparer les choses, et la Pierre vous le permet, le forum grimoire est fait pour ça...
ca y est ! j'ai lu! a quand le suite? j'ai beaucoup aimé, peu etre un peu trop de mysteres, mais bon. J'ai reconnu mon avatar, Llyane, bonne chance pour la suite!
Ca devrait s'éclaircir bientot, c'est prévu en tout cas
J'ai reconnu mon avatar, Llyane
héhé...Lu est censé être beaucoup plus belle que Llyane, mais avec l'image que je lui ai mis c'est l'inverse qui apparait J'ai des projets pour Llyane, elle deviendra plus interessante après...ça m'énerve j'écris pas assez vite et j'ai tellement de choses à rajouter!!!Rahhhhhh!!!!Bon, je me calme, après tout c'est l'heure de mon cours de physique, et j'aurais pas le temps de reprendre l'histoire avant pas mal de temps j'pense....pffff!!Qui est le crétin qui a inventé l'école?
Elle fut avertie seulement par le bruit des cris étouffés des gardes du temple. Elle n’avait pas pu s’endormir. Elle avait fini par passer une de ses robes blanches, les seules qu’elle possédait, et elle était sortie pour respirer l’air frais de cette nuit d’hiver. Elle n’avait pas fait de bruit : elle ne voulait pas les réveiller. Les prêtres étaient toujours si prévenants ; ils auraient exigé de l’accompagner, lui auraient trouvé un manteau- on ne sortait pas par un froid pareil ainsi découverte, il ne faudrait pas qu’elle tombe malade…Ils l’auraient tous traitée comme devait l’être l’Oracle, et elle n’avait aucunement besoin qu’on lui rappelle qui elle était…Pas ce soir.
Et c’est pour toutes ces raisons qu’ils moururent, et pour aucune. Car alors même qu’elle découvrait les corps des gardes, elle entendit les lamentations du grand prêtre. Elle courut, et maudit Riannael pour lui avoir donné des jambes si courtes. Les prêtres étaient tout ce qu’elle avait jamais connu. Ils étaient ennuyeux et ils l’énervaient souvent, mais ils étaient les seuls qui ne l’avaient pas crainte, les seuls à ne pas la considérer comme source de malheur. Les seuls qui l’avaient accueillis. Et voilà que tout ceci était sur le point de prendre fin. On était venu lui enlever son refuge ; lui ôter le seul équilibre qu’elle avait pu établir après toutes ces années…Jolin...La rage s’empara lentement d’elle, elle accéléra l’allure. Elle devait arriver à temps. Elle devait le sauver. Comment, elle n’en avait aucune idée, mais elle savait que si elle le rejoignait elle pourrait…Elle entra dans la salle et laissa échapper un cri de désespoir. Le prêtre tomba au sol, la gorge tranchée, le sang dégoulinant sur sa robe longue…La créature penchée sur son corps huma l’air un instant, puis lentement, se retourna vers elle…Ses yeux étaient verts. Elle ne voyait plus que cela. Elle ne pouvait détacher son regard de cet être. Il était tout simplement magnifique. Ses cheveux, de cristal à ce qu’elle pouvait en juger, semblaient onduler sous les assauts d’un vent invisible. Son souffle brûlant formait des nuages dans la nuit glacée. Il s’approcha lentement, et ses pieds glissèrent sur le sol sans bruit…Sa voix s’éleva dans les ténèbres, aussi tranchante qu’une lame d’épée, et néanmoins si attirante que l’Oracle ne pouvait s’empêcher de se laisser bercer par ses paroles :
«_ Tu sais probablement pourquoi je suis là, Oracle. Mon maître m’avait prévenu que tu m’attendrais. Il y avait une femme ici. Avant de mourir, dis moi ce que tu as vu à propos d’elle. »
La question la prit au dépourvu. Elle ne savait pas vraiment pourquoi il était ici. Elle n’avait eu aucune vision de cette créature. Elle ne contrôlait pas ses prophéties : Riannael choisissait ce qu’elle désirait lui faire connaître, le reste elle ne pouvait l’apprendre. Non, elle ignorait la raison de sa venue. Et elle n’était pas certaine de vouloir la connaître. Ses yeux tombèrent sur les mains de l’homme, et sur le sang sur ses ongles, qui dégouttait lentement sur le sol…où gisait le cadavre de Jolin. Comment un être pouvait-il rester source de tant de beauté après avoir perpétré tant de violence ?
Elle entendait encore les cris horrifiés du prêtre au moment où les griffes du démon lui déchiraient les entrailles…la haine monta alors en elle, une rage froide et meurtrière, qu’aucun éclat ne pouvait apaiser.
« _ Ton maître réclame ma mort. Pour quelle raison ? »
L’homme sembla déconcerté un bref instant. Visiblement, il ne s’attendait pas à une telle question. Elle était censée être une petite fille terrifiée à l’idée de sa mort prochaine…Elle réprima le rire ironique qui s’emparait d’elle. C’était la deuxième erreur de son ennemi, quel qu’il soit. La première étant d’avoir cru qu’elle connaissait toutes les réponses, et avait prédit l’arrivée de son meurtrier.
Ce dernier éclata soudain d’un rire musical. Il ne semblait pas le moins du monde apeuré. Et comment aurait-il pu l’être ? Elle n’était rien qu’une gamine ! Du moins en apparence…
« _ Oh, le maître ne veut pas ta mort, petite fille. Bien au contraire…Tu es précieuse pour lui. J’aurais du te ramener là-bas. C’était les ordres. Mais vois-tu, il n’aurait pas du la laisser faire. La traînée qui lui sert de compagne a tué sa servante…mon amante. Ils l’ignoraient, bien sûr. Ils l’ignoraient tous…Elle l’a abattue sur la grande place, je l’ai vu mourir devant la foule avide de sang…Iléa, mon amour…Ils ont dit que tu étais trop maladroite, que tu n’exécutais pas les ordres. Mais je connais la vérité. J’ai vu comment cette femme te traitait. Tu étais trop belle, ma chérie. Tu lui faisais de l’ombre…Elle a exigé ta mort et il lui a donné…Il l’a même laissé avoir accès au lac. C’est interdit, pourtant, le lac est sacré et il en a conscience. Aucune femme n’a le droit d’aller là bas, mais elle a demandé et il a accepté. Il est aveuglé par son amour pour elle. Elle le manipule et il ne se rend compte de rien. Je l’ai observée depuis ce jour…elle a plongé dans le lac, Iléa. Elle a corrompu les eaux et absorbé une partie de leurs âmes. Je ne l’ai pas prévenu, non…il ne m’aurait pas fait confiance. A présent il m’envoie chercher la devineresse. Mais il ignore qu’elle ne lui sera pas amené…Je la tue pour toi, Iléa. C’est mon ultime vengeance… »
Elle comprit soudain que ce n’était plus à elle qu’il parlait. Il semblait ne plus avoir conscience de sa présence. Cet homme était fou, tout simplement. Les questions se bousculaient dans sa tête. Pourquoi voulait-on sa mort ? Et qu’était le lac d’argent ? Elle n’osait pas bouger, de peur de lui rappeler sa présence, et sa mission. En vain. Ses yeux revinrent finalement à elle. Ses yeux verts, si magnifiques et pourtant emplis d’une tristesse indicible…
« _ Je veux que tu saches que je suis désolé, vraiment. Je ne voulais pas ta mort. Mais je n’ai plus le choix à présent. »
Elle sentit la peur s’infiltrer peu à peu en elle. Elle se prépara à courir, prit son élan et …Il fut plus rapide. Avant qu’elle ait pu esquisser le moindre geste, il était sur elle, ses griffes lui transperçant la poitrine…Sa vue se brouilla…Ses larmes tombèrent sur le sol… Elle ne saigna pas. Elle eut juste le temps de former sur ses lèvres un faible ‘‘moi non plus ’’ avant que la puissance jaillisse en elle, tel un torrent de feu, lui brûlant les entrailles…C’est alors qu’elle fut projetée hors de son corps… Elle flottait, immatérielle. Ce n’était pas la première fois que Riannael possédait son corps, et pourtant elle ne s’était jamais habitué au sentiment de manque qu’elle ressentait lors de ces occasions. Tout était différent alors. L’air semblait plus lourd, comme chargé d’électricité, et elle avait l’impression d’étouffer. Tout était plus effacé ici, plus nuancé. Elle se sentait…seule. Invisible pour tous, sauf elle-même. Elle observa son corps, le souffle court. Elle était toujours la même, et pourtant il se dégageait d’elle une aura d’une incroyable intensité, et lorsqu’elle parla, sa voix n’était pas celle d’une enfant, mais celle d’une femme confirmée.
« _ Quiconque s’en prend à cet enfant défie la Déesse elle-même. Ta mort sera lente. Apprend à craindre mon pouvoir, toi qui ose attaquer ma Messagère. »
Le visage de l’homme était à présent un masque de terreur. Elle ferma les yeux, refusant d’assister au massacre. Il avait essayé de l’abattre, mais il l’avait fait par amour. Mais sûrement cela ne comptait pas. Non, rien ne comptait que la vengeance d’une déesse outragée…Car des dieux l’on ne doit point attendre de clémence. La voix de l’homme ressemblait à présent à la corde vibrante d’une harpe mal accordée. Elle ne rouvrit pas les yeux. Elle l’aurait du, elle le savait. Pour lui. Parce qu’elle le lui devait. Mais elle ne pouvait se résoudre à regarder. C’était elle qui faisait ça, et en même temps cela ne l’était pas. C’était néanmoins son visage, bien qu’elle n’imaginait pas avoir jamais adopté une expression aussi meurtrière. Et malgré cela c’était ses mains qui broyaient les os de cette chose, son corps qui se mouvait sans qu’elle puisse exercer aucun contrôle sur lui…
Au bout de ce qui lui parut des heures, les cris s’éteignirent, remplacé par un silence pesant. En un éclair, elle fut de retour dans sa propre chair. Elle était couverte de sang. Se relevant précipitamment, elle s’éloigna en hâte de l’endroit où elle se tenait. Où elle s’était tenue…et où elle avait tué. Un bruit squameux sous sa chaussure et elle vomit ce qu’elle avait difficilement réussi à avaler la veille au soir.
Elle examina la salle, la vue de nouveau brouillée. Les cadavres du grand prêtre et de son meurtrier n’étaient à présent qu’un seul amas de chair ensanglantée. Elle tomba à genoux, la gorge nouée…elle pleura longtemps ainsi, pour son refuge perdu, pour ses hommes et ces femmes qui étaient mort pour elle et pour l’individu qu’elle avait assassiné…
Lorsqu’elle se releva, le soleil tombait derrière les montagnes. Elle prépara ses affaires, n’emportant pour seule et unique arme qu’un simple couteau de cuisine. Elle rassembla ses cheveux blonds en une tresse convenable : le vent balayait la ville avec une violence remarquable, et elle ne supportait pas que ses cheveux se rabattent sur son visage. Une fois prête, elle plaça son sac sur ses frêles épaules et jeta un dernier regard à ce qui avait jadis été son refuge. Elle avait aimé cet endroit. Les hommes du temple n’avaient pas toujours été très agréables à vivre, mais ils avaient été sa seule famille, et ils l’avaient traitée avec respect et gentillesse...Et ils étaient morts pour elle. Elle s’en souviendrait à jamais. Elle referma derrière elle la lourde porte du bâtiment, luttant contre la fatigue. Elle avait encore une longue route à parcourir. Le temps n’avait pas de prise sur elle, mais si elle voulait sauver ce peuple elle devait rejoindre la femme. Nayda Farai pouvait être n’importe où à présent, et pourtant elle savait qu’elle la reverrait. Elle l’avait vu auprès d’elle, en un lieu qu’elle avait jadis visité maintes fois. Elle allait se rendre à Glyphe, le Siège des Temples de Riannael. Là-bas, elle retrouverait Nayda, et lierait son destin au sien… C’est ainsi qu’une jeune fille aux yeux sans pupilles prit la route des voyageurs, le cœur lourd de chagrin, avec pour seule arme son désir de vengeance et un couteau de cuisine…
Bon, j'ai pondu ce passage en attendant d'avoir un peu plus de temps....j'ai l'impression qu'il y a pas assez de descriptions dans l'histoire, ça enlève quelque chose non? J'ai comme le sentiment que tout va trop vite et qu'on a pas le temps de s'imaginer vraiment les lieux, les visages...Justbob m'avait déjà parlé de ça, qu'il fallait décrire plus les persos, et là j'ai pas trop pris compte des critiques je m'en rends compte maintenant....je me ratrappe sur le prochain je jure, et je reprendrai ce passage! En attendant si vous avez d'autres critiques sur ce passage...n'importe quoi pour m'aider..mici de poster
Ce passage me semble plutôt bien. Le mystère s'épaissit et on a envie d'en savoir plus.
Niveau description, il n'en nécessite pas vraiment plus. Je dirai qu'il faut que tu mettes encore plus en avant la très forte relation entre l'Oracle et les prêtres. Peut-être pas dans cette scène mais dans celle figurant dans ton premier post. Ne serait-ce que donner un nom au grand prêtre. D’autant qu’à la fin la vengeance semble constituer la motivation de l’Oracle.
Tu décris la douleur de l'Oracle de perdre son entourage mais cette douleur est d'autant plus crédible si on est vraiment conscient de sa relation. Par exemple, dialogue avec le grand prêtre où tu ébauches une sorte de relation père/fille pourrait bien renforcer la douleur. Le prêtre peut la surprendre en train de se couper les veines dans la première scène par exemple puis tenter de la consoler ou réconforter.
Si la vengeance est la motivation de l’Oracle, il faut que celle-ci soit vraiment justifiée.
Sinon :
Tu sais probablement pourquoi je suis là, Oracle. Mon maître m’avait prévenu que tu m’attendrais. Il y avait une femme ici. Avant de mourir, dis moi ce que tu as vu à propos d’elle.
Je veux que tu saches que je suis désolé, vraiment. Je ne voulais pas ta mort. Mais je n’ai plus le choix à présent
Et les infos sur la visiteuse ? Dans sa douleur, l’assassin ne s’y intéresse plus ?
C’est du chipotage, mais peut-être besoin d’éclaircir cela. Ou au contraire de rajouter du mystère…
Enfin :
semblaient onduler sous les assauts d’un vent invisible
Aaaaaaaaaah ! ! ! Le fameux « vent invisible » ! ! ! Cette expression m’a toujours fait sourire (ce qui n’empêche pas que j’ai forcément du l’utiliser à un moment ou à un autre).
Mici!!!Ca fait plaisir de voir que quelqu'un lit de temps en temps.
Donc il faut que je refasse une partie...un nom au grand prêtre?? pas une mauvaise idée tiens...En réalité, j'avais pensé instaurer une relation père fille entre elle et le Grand Prêtre, mais étant donné que l'Oracle a près de deux mille ans et que je voulais insister sur la solitude de cette petite fille qui n'en est pas une et qui vit hors du monde, j'avais renoncé....je vois que ça manque, ça enlève effectivement à l'aspect tragique du texte...Vais le revoir dès que j'aurais un peu de temps...
Et les infos sur la visiteuse ? Dans sa douleur, l’assassin ne s’y intéresse plus ?
Tiens c'est vrai que du coup il s'en tape lol. Ben faut dire aussi qu'il le demandait pour son maître, et qu'il part dans son délire sans avoir sa réponse...je reverrai ça aussi promis. Merci de me le rappeller, encore un truc qui allait passer au travers ..
Le fameux « vent invisible » ! !
Maieuuuuuuhhhh!!!T'aimes pas? Bon c'est vrai c'est un peu classique, mais j'aimais bien, et pis...et pis voila quoi!!!C'est pas parce que ça tombe sous le sens que ça doit pas être dit (lol). Et pis il y aurait pu y avoir un vent de couleur, visible et tout...ok bon j'aggrave mon cas là....
En tout cas je te remercie d'avoir pris le temps de lire et de m'aider à rectifier les bugs de l'histoire, c'est super sympa mici mici
EDIT : j'ai ajouté un passage pour la relation prêtre Oracle, je reprendrai peut être la scène du meurtre du coup, si je trouve l'inspiration
Le silence. Le clapotis régulier de la pluie sur sa main, les sanglots étouffés des survivants. Laèrio s’était dégagé non sans difficultés des décombres de la ville, les yeux piquants. Le soleil avait disparu sur Dyurne, laissant place à l’orage et à une pluie glaciale, comme pour purifier la ville. Ce qui avait été l’une des plus anciennes cités des royaumes n’était à présent qu’un amas de roches sans forme, comme balayée par le souffle du vent. Et pour ce que Laèrio en savait, ce pouvait bien être la raison de tout ceci. Son regard avait rencontré le corps de la petite fille, son visage figée dans une expression de douce tristesse. Il avait tenté de la rattraper, mais elle était trop rapide, et il avait du lutter pour préserver son Ecran intact. L’impact l’avait tout de même projeté dans les décombres, et il avait sombré dans l’inconscience.
Il lui avait fallu deux bonnes heures pour retrouver la trace de la jeune femme, celle qu’il avait déjà vu maintes fois à Alldrian. Nayda Farai, qui avait été acceptée au sein du Conseil Restreint, au grand dam des autres mages, qui condamnaient ses manquements au règlement. Nayda, qu’il avait haï pour le pouvoir qu’elle ne méritait pas, et qu’il haïssait encore aujourd’hui, presque huit ans plus tard. Elle était puissante, il devait en convenir, bien plus puissante que lui-même, mais elle était bornée et n’en faisait qu’à sa tête. Laèrio ne comprenait pas pourquoi Lutanéa la gardait au Conseil et lui accordait sa confiance. Mais aussi bien, la dirigeante était humaine avant tout. Sûrement son amitié avec Nayda aveuglait son bon sens. Il aurait du être nommé à sa place au Conseil. Lui avait toujours respecté scrupuleusement le code. Et pourtant, on lui avait clairement fait comprendre qu’il ne possédait pas les qualités nécessaires à un membre de l’assemblée.
Une jeune femme accompagnait la magicienne, tremblante dans le manteau qu’avait passé Nayda sur ses épaules. Ses longs cheveux blonds tombaient en cascade dans son dos et son visage semblait jeune, pourtant au fond de son regard azur il avait pu entrevoir une lueur de sagesse. La sensation étrange de devoir craindre et respecter cette femme s’était emparée de lui. Pour la première fois depuis des années, il avait eu un aperçu de son impuissance dans les yeux de cette étrange dame. Et cela l’avait rendu nerveux, il devait bien l’admettre.
Il avait suivi à contrecœur ces deux individus dans la forêt où elles s’étaient enfoncées, observant chacun de leurs gestes dans l’espoir d’apprendre quelque chose concernant leurs intentions. Il était ici pour une raison bien précise, les ordres étaient clairs : ils devaient découvrir la raison du départ de Nayda et en référer à son supérieur. Lutanéa préparait quelque chose, et Razielk voulait savoir ce que c’était.
Un bruit dans les arbres, le murmure léger du vent sur son visage…et Laèrio vit apparaître la manticore. Il la connaissait, pour l’avoir aperçu maintes fois déposer sa maîtresse dans la capitale, pourtant il ne pouvait s’empêcher d’être impressionné chaque fois qu’il la voyait. Il retint son souffle devant la magnificence de la créature qui secouait sa crinière aux reflets dorés en guise d’accueil pour sa maîtresse.
Il n’eut cependant pas le temps de l’observer d’avantage. Il sentit un déclic dans son crâne, et entendit l’Appel de Razielk. Il s’impatientait. Tandis qu’il s’apprêtait à s’éloigner afin d’établir le contact, il jeta un dernier regard dans la direction des deux femmes. Assises ensemble près d’un arbre, elles partageaient un repas qui semblait avoir été préparé pour une seule personne. Cela confirmait ses soupçons : Nayda n’avait pas prévu l’arrivée de la dame aux cheveux blonds. Pourtant, elle n’avait pas été aussi terrifiée que les habitants de Diurne, et semblait avoir été peu surprise par l’apparition de cette étrange sphère au-dessus de la ville. Il voyait encore les larmes couler sur sa joue, et cette tristesse sur son visage lorsque son regard se posait sur les habitants paniqués. Avait elle réellement été touchée par leur mort, ou n’était ce qu’une feinte pour faire croire à la compassion ? Elle avait su, d’une façon ou d’une autre, ce qu’il se passerait là-bas ; et elle n’avait rien tenté pour l’en empêcher. Il ne pouvait comprendre pareil acte.
Et c’était une raison supplémentaire pour traquer Nayda, il devait bien l’avouer.
Il se décida finalement à ranger sa dague dans sa botte, et se leva discrètement pour répondre à Razielk quand il remarqua l’absence de la manticore près des deux femmes. La peur le prit soudain, et il voulut courir vers le nord quand les buissons s’écartèrent pour laisser place à la créature. Le rugissement qui s’échappa de sa gorge lui blessa les tympans. A terre, il n’osait plus bouger de peur que la bête se précipite sur lui.
« Tyanis ! Ne le tue pas ! »
La voix de Nayda résonna dans la clairière, cette voix qu’il haïssait par-dessus tout. Il comprit en voyant la femme avancer lentement vers lui qu’elle l’avait repéré depuis un bon moment, et que sa rencontre avec la manticore n’était en rien le fruit du hasard. Il se maudit pour sa maladresse, toujours immobile dans les buissons, la tête courbée en signe de reddition.
« S’il bouge, interviens » fit-elle à la manticore. Elle pencha la tête un instant, et il devina qu’elle conversait avec la bête. Cela lui donna la nausée.
« Non, on ne le mutilera pas, Tyanis. Tu as parfois des idées qui me dépassent. Tu devrais te contrôler tu sais. »
Se tournant vers lui, elle sourit faiblement, mais ce sourire ne se reflétait pas dans son regard de glace. Elle était belle, il devait en convenir. Ses longs cheveux bruns luisaient à la lueur du soleil, dans lesquels il pouvait discerner quelques reflets violets.
Elle semblait avoir la trentaine, mais il n’aurait pas été étonné d’apprendre qu’elle modifiait ses traits par magie pour paraître plus jeune. De nombreuses femmes de la cour recouraient à ce genre d’artifice, horrifiées par les ravages du temps. Il avait toujours trouvé cela futile.
Quoiqu’il en soit, Nayda Faraï le toisait maintenant de ses grands yeux verts, visiblement mécontente de le trouver ici. Ce qui, somme toute, n’aurait rien pour lui déplaire si l’énorme crâne de la manticore ne se tenait pas à deux mètres de lui.
« Je suis Laèrio Kemandra, fils de Lodel Kemandra, mag… »
« Cessons là les politesses, Laèrio. Je vous ai aperçu à Diurne, et vous le savez très bien. Il est inutile de le nier. Nous perdrions du temps, vous comme moi. Et je n’aime pas perdre mon temps… », fit-elle en faisant un geste vers la manticore. Cette dernière déploya ses ailes, laissant échapper un feulement qui n’avait rien d’apaisant.
Il ne put empêcher son estomac de se nouer tandis qu’il observait les muscles impressionnants de la créature. Derrière Nayda, la jeune femme aux cheveux blonds semblait perdue dans ses propres pensées, comme inconsciente de la scène qui se jouait devant elle.
« Vous n’oseriez pas menacer un magicien répertorié par le Conseil Restreint. »
Son ton ne laissait aucun doute sur la réponse qu’il attendait. Néanmoins, celle que la jeune femme lui donna le prit au dépourvu.
« Moi non, cela va sans dire. Mais par ordre de la Dirigeante, quiconque tentera d’espionner ou d’interférer avec ma mission devra être mis au silence. Et vous savez comment Lutanéa peut être persuasive… »
Il déglutit péniblement. Il ne doutait pas que Nayda attraperait au vol une pareille occasion de l’éliminer, lui qui avait ouvertement demandé sa disgrâce et l’abandon de son siège au Conseil. Mais quelque chose dans son regard lui faisait penser qu’elle avait d’autres projets en tête.
« Vous allez m’écouter attentivement à présent, Laèrio. Votre présence ici gène mes projets. Néanmoins, vous avez choisi de me suivre, pour des raisons qui devront m’être expliquées, en temps et en heure. Ainsi qu’à la Dirigeante, une fois que nous l’aurons rejoint. »
Cette perspective ne l’enchantait guère ; Lutanéa était connue pour sa rigueur et sa patience, mais on disait aussi qu’elle faisait preuve de peu de clémence à l’égard des traîtres. Et elle le verrait comme tel, même si sa loyauté était dévouée toute entière au Conseil. Razielk lui avait narré maints exploits concernant Lutanéa Kesalnot, insistant sur le fait qu’elle restait un atout de poids au sein du Conseil. Oh, bien sûr, il entendait bien l’évincer un jour ou l’autre. Il n’était guère patient, en vérité. Mais il respectait cette femme quand bien même elle représentait un obstacle à son accession au pouvoir. Et ceux que Razielk tenaient en haute estime, mieux valait ne pas les sous-estimer.
« Cela étant, je vais dès à présent placer des gardes dans votre esprit. Si vous tentez quoi que ce soit, Tyanis saura venger cet affront. Souvenez-vous en. »
Laèrio n’eut guère le choix, en vérité. Les yeux de la manticore étaient toujours tournés vers lui, attentifs au moindre de ses gestes, à la moindre expression de son visage qui trahirait son recours à la magie. Il ne tenta donc rien, laissant à Nayda le loisir de fermer son esprit aux magiciens et à l’éther.
Les gardes empêcheraient que quiconque puisse communiquer avec lui par l’intermédiaire de quelque sortilège. Il avait su Nayda Faraï relativement douée pour la magie, sa réputation l’avait précédée ; mais il n’était pas préparé à la mise en place des sceaux dans son esprit, et la puissance de cette femme dépassait de loin ce qu’il avait imaginé.
Elle n’était pas seulement plus forte que lui. Elle était au-delà de ce qu’il pensait pouvoir atteindre un jour en matière de puissance spirituelle.
Déjà, il ne distinguait plus le martèlement sourd dans sa tête qui lui indiquait que Razielk cherchait à le joindre.
Les gardes furent vite placées, à tel point qu’il ne put en deviner le fonctionnement. Mais après tout, l’aurait-il pu, jamais il ne serait assez puissant pour user d’un tel sort. C’était un privilège des membres du Conseil, son apprentissage était laborieux, et très encadré. Razielk lui-même avait refusé de le lui enseigner, peut être par peur de lui offrir un trop grand avantage dans leur relation. L’apposition des sceaux pouvait être mortelle pour qui maniait le pouvoir sans y être préparé, mais visiblement cela n’affectait pas Nayda.
Penchée sur lui comme elle l’était, il pouvait sentir son parfum, un étrange mélange de rose et de lavande. Curieusement, cela le remua. Plus qu’il ne voulut l’admettre du moins.
Il détourna la tête, réfléchissant à la façon dont il s’y prendrait pour s’enfuir. Après tout, il s’était déjà sorti de situation plus délicate. Même face à une magicienne aussi puissante, il restait un maître de l’évasion, l’une des raisons pour lesquelles Razielk l’avait choisi. Il trouverait forcement une solution à la situation actuelle…
Mais c’était sans compter sur la légendaire prudence de Nayda. Non contente de placer des gardes dans son esprit, elle lui ligota les poignets à l’aide de chiffons prélevés sur sa tunique. Ses yeux lançaient encore des éclairs lorsqu’elle termina sa tâche.
« Ces vêtements valent très chers, et je compte bien récupérer l’argent pour les remplacer sur vos deniers personnels. » Elle ne sembla pas apprécier le sourire moqueur qu’il arborait.
« L’on vous disait prêt de vos sous, mais j’ignorais que vous étiez à ce point dans le besoin. Les vieux dictons se vérifient après tout : plus on est riche, moins on partage ».
Soudain, le monde vacilla. Il sentit un contact, un instant, quelque chose de ténu, mais bien présent. Razielk. Il s’écroula devant elle, tâtant sa joue meurtrie par le poing de Nayda. Pour une femme, elle avait une sacrée poigne !
« Votre arrogance vous perdra, Laèrio. Vous pensez peut être tout connaître de moi ? Vous ne savez rien. »
Sa voix était emplie d’une colère dont Laèrio ne s’attendait pas le moins du monde. Cette femme n’en finissait pas de l’étonner. Cette fois, il ne sourit pas malgré son amusement. Elle avait laissé libre court à sa colère. Elle était donc capable de sentiments, il devrait s’en souvenir. Il avait finalement réussi à la déstabiliser, même si à présent elle affichait de nouveau un visage impassible.
Il savait maintenant de quelle façon il pourrait rejoindre Razielk. Les gardes devaient être maintenues régulièrement par la magicienne, sans quoi elles s’effondreraient. Et les dons de Nayda étaient directement reliés à son âme. Sa colère avait fait vaciller les sceaux une fois, elle pourrait recommencer. Et cette fois, il serait fin prêt. Il abandonna cette idée lorsque Tyanis abattit son énorme patte sur son crâne, le faisant plonger dans les ténèbres…
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Lutanéa Kesalnot n’était pas femme à hésiter. Pourtant, face au problème de taille auquel elle était confrontée, elle ne pouvait s’empêcher de tourner en rond. Elle connaissait pourtant la solution. Mais elle redoutait cette décision, compte tenu de l’impact qu’elle pourrait avoir.
Cela faisait maintenant cinq heures qu’elle avait quitté la Salle des Débats, accablée par l’inutilité des députés. Ceux-ci, loin d’avoir avancé dans leurs recherches, avaient au contraire soulevé de nouvelles questions sans y apporter de réponse. Pourquoi s’intéressaient-il tant aux Portes ? Après tout, certains mystères de la nature ne devaient-ils pas être acceptés comme tels ? Elle avait fini par écourter les monologues de ces vieillards en quête de vérité lorsque l’un d’eux avait osé l’interroger sur son voyage à travers les Portes.
Le privilège des dirigeants d’Alldrian ne pouvait être discuté. A eux seuls était échu le droit de traverser l’immense monument qu’était les Portes, pour y chercher l’Ego qui serait leur compagnon jusqu’à leur mort. Quand tous les autres mages faisaient couler leur sang sur les dalles qui marquaient le seuil des Portes et attendaient sagement qu’un Ego se décide à répondre à l’appel, les dirigeants quant à eux pénétraient dans leur monde pour y dénicher leurs frères d’âme. La tradition voulait qu’on ne parle pas de ce que l’on avait vu de l’autre coté des Portes, et jusqu’ici la coutume avait été respectée par tous. C’est pourquoi Lu avait coupé court aux débats, suggérant aux membres de déléguer leurs recherches à différents experts, pour se consacrer essentiellement à leur fonction : la politique. La proposition n’avait certes pas été accueillie avec le sourire, mais du moins était-elle parvenue à les convaincre pour un temps d’abandonner cette voie.
Lutanéa se souvenait fort bien de l’épreuve qu’elle avait du subir pour devenir dirigeante, le passage dans le monde des Ego restait après tout le dernier stade de son accession au trône, et le plus difficile. Pour rien au monde elle ne souhaitait parler de ce qu’elle avait pu voir lors de sa traversée.
Les débats clos, les députés s’en étaient allés vaquer à leurs occupations, et elle-même avait rejoint son bureau, toujours obsédée par sa brève discussion avec Nayda. Dans quel bourbier s’était-elle donc encore enterrée ? Ses ordres étaient pourtant simples ! Pour une fois dans sa vie, Nayda ne pouvait-elle pas accomplir une mission sans que cela ne se transforme en désastre ?
Après toutes ces années, elle se surprit à s’interroger sur le bien-fondé de sa décision : avait-elle vraiment fait le bon choix en accordant à son amie une place au sein du Conseil ? Elle s’en voulut d’avoir eu pareille pensée. Durant ces neuf années, Nayda avait été la seule à réellement croire en elle, à la soutenir dans les moments difficiles qu’elles avaient partagé. Devait-elle à présent douter de ses capacités uniquement parce que son amie ne correspondait pas au profil du parfait magicien ? Non, hésiter ne servait à rien, surtout maintenant. Nayda était spéciale, et c’était aussi pour cela qu’elle l’avait choisie pour la seconder. Dans un monde où Lu se sentait de moins en moins humaine, Nayda laissait libre cours à ses pensées, et osait encore affronter sa colère, ce que les autres redoutaient.
Elle se souvenait du temps où elle aussi, elle n’avait pas à avoir peur d’exprimer ses opinions. Beaucoup de choses avaient changé depuis. Elle avait désormais le sort de millions de personnes entre les mains, et elle avait perdu ses illusions. Elle sentait presque le poids de ces vies sur ses épaules.
Dissipant un sourire triste, elle s’obligea à revenir au problème actuel. Le duc de Viagys était à présent un hyraban, alors même que jadis son grand-père avait soutenu leur cause et les avait aidé à mettre fin au génocide des mages. Depuis ce temps, Viagys avait toujours été un des piliers sur lesquels reposait le pouvoir politique des mages. Jusqu’ici, elle avait toujours considéré son soutien comme acquis.
Elle ne pouvait s’empêcher de penser qu’Alkarwyn n’était pas en cause. Elle se souvenait encore du jour où le garçon s’était présenté à Alldrian pour être répertorié en tant qu’apprenti. Elle avait sondé son esprit pour y découvrir un potentiel remarquable, bien qu’encore trop mal maîtrisé pour être d’une quelconque utilité. Contre toute attente, le gamin avait baissé sa garde, lui ouvrant les portes de son âme. Elle avait hésité à entrer dans son esprit, consciente de l’immoralité d’un tel acte, mais le garçon la regardait avec insistance, l’invitant à poursuivre. Sa vision magique lui avait alors révélé une âme d’une incroyable pureté, et un amour profond pour ses proches, dont sa mère. Qui à présent était morte, assassinée par un sortilège dont Lu ignorait jusqu’à l’existence. Le travail de Zarai, enfin revenu de son long voyage, avait certes été fructueux. La marque laissée par le tueur était nette, pourtant Lutanéa ne se souvenait pas avoir jamais vu pareille trace. Les cicatrices sur le corps de la défunte laissaient supposer qu’elle avait été attaquée par une créature immense, qui disposait de griffes et d’une puissance considérable. Certains rapports anciens contenus dans les archives d’Alldrian faisaient état de personnes capables de se métamorphoser selon leur volonté, les Arnéas, mais ni Lu ni aucun membre du Conseil n’en avait jamais constaté l’existence. Pour autant qu’elle le sache, les Arnéas auraient pu avoir disparu il y a des siècles.
Se pouvait-il qu’elle se soit méprise sur le compte d’Alkarwyn ? Elle n’avait pas discerné chez lui un quelconque talent particulier, hormis le don accordé à tous les mages, qui leur permettait d’apprendre leur art. Malgré cela, avait-elle pu négliger son travail au point de ne pas s’apercevoir des véritables aptitudes du garçon ?
Non. Je l’ai examiné trois fois en tout, comme la coutume l’exige. S’il avait possédé un tel talent, je le saurais. Galldrenn lui répétait souvent qu’elle devait avoir confiance en elle. De façon indéniable, le doute mène à l’inefficacité. Lutter contre sa peur de l’erreur, c’est s’élever au-dessus des sentiments humains. Toute erreur peut se réparer, mais l’inaction, elle, est irrémédiable. Elle abandonna dons cette possibilité, et utilisa sa logique au détriment de ses dons, comme le lui avait enseigné son prédécesseur.
Somme toute, Alkarwyn n’avait pas de raisons particulières au meurtre de sa mère. La succession au règne du duc lui était assurée, à moins que ce dernier n’ait finalement désigné Salkiar, son fils illégitime, ce qu’aucun des espions de Lu n’avait pu lui affirmer. Et ils étaient bien placés pour le savoir.
Après des années de surveillance du garçon, elle avait réussi à placer des mouchards dans l’entourage proche du jeune homme. Le Premier Conseiller du duc lui-même lui envoyait ses rapports, et selon la tradition, à lui revenait la charge de rédiger le testament ducal. Si un changement était intervenu, cela n’aurait pu lui échapper. Alkarwyn, en assassinant sa mère, n’aurait donc rien eu à gagner.
Contrairement à Salkiar. Le bâtard du duc n’aurait pu avoir meilleure place dans la succession, à présent qu’Alkarwyn n’était plus l’héritier officiel. Néanmoins, jamais Salkiar n’avait eu une quelconque disposition en matière de magie. Les rapports affirmaient qu’il ne pouvait pas apprendre. Avait-il pu engager un mercenaire versé dans les sortilèges afin d’éliminer la femme et ainsi écarter Alkarwyn du pouvoir ?
Elle en doutait. Un adepte de cette puissance serait automatiquement répertorié dans les archives, et ses capacités auraient été listées. A moins que l’administration n’ait négligé son travail.
Elle s’apprêtait à se rendre au service des registres lorsqu’un coup à la porte l’interrompit.
« Entrez. »
Llyane passa le seuil de l’entrée, le visage fermé. Elle avait passé à la hâte une tunique d’un vert très clair, qui rehaussait sa beauté. Elle portait un anneau à sa main droite, un objet sans pouvoir qu’elle gardait constamment sur elle, et dont elle refusait de parler. Lu soupçonnait que celui-ci était un cadeau de Luis, l’ami d’enfance de Llyane. Enfin, plus qu’un ami pour la jeune femme, à ce qu’elle avait pu deviner dans la voix de la jeune fille. Elle parlait rarement du capitaine de la garde, mais quand il lui arrivait d’y faire allusion son regard semblait absorber la lumière. Elle était amoureuse, ou Lu n’y connaissait rien. Cela la fit sourire. Sa petite protégée n’en démordrait jamais, après tout. Luis aurait du souci à se faire s’il ne se décidait pas à se déclarer.
« J’allais justement consulter les registres, tu arrives juste à temps. »
La jeune femme hésita un instant, inquiète. Puis elle avança vers elle, lui demandant la permission de s’asseoir. Lu acquiesça en silence, avant d’aller elle-même rejoindre son fauteuil.
« Bien, laisse-moi deviner. Tu es déjà aller consulter les archives, n’est ce pas ? »
Ce n’était pas une question. L’anticipation avait toujours été l’une des qualités de Llyane, ce qui la rendait plus efficace que n’importe quel membre du Conseil.
« Qu’as-tu découvert ? »
Elle se leva pour aller servir un peu de thé, un rituel propre à l’annonce de mauvaises nouvelles. Llyane prit la tasse d’un air reconnaissant, avant de déposer sur le bureau plusieurs croquis dessinés à la hâte.
« Voici la marque que Zarai a rapporté du Furkaild, comme vous le savez déjà. Et voici ce que le gardien des archives a pu trouver de plus ressemblant avec les croquis que je lui ai montrés. »
Elle désigna de la main la deuxième feuille, que Lu examina minutieusement. Il y était fait mention des Arnéas, qui restait une possibilité, mais le responsable des rapports avait souligné un mot, un mot qu’elle n’avait pas entendu depuis bien des années… Melignias. Lu reposa la tasse d’un geste sec.
« Qui d’autre a lu ces écrits ? »
Llyane n’eut pas l’air surprise de la question. Bien. Elle était heureuse de constater que la jeune femme y avait déjà réfléchi.
« Personne. J’ai ordonné à l’archiviste de garder le silence sur ma requête, et l’ai chargé de vous m’informer immédiatement si une quelconque requête était faite concernant ces informations. Il a semblé étonné, mais il m’a promis d’être discret. Néanmoins je ne doute pas que vous recevrez très bientôt un rapport concernant ma visite. Il vous est dévoué, je dois dire. J’ai souligné le caractère privé de ma demande, afin que Razielk ne puisse se sentir concerné. Bien que je doute que cela l’arrête. Jusqu’ici, vos ordres ont été suivis à la lettre. Personne n’a de près ou de loin entendu parler de ce nom, et l’archiviste lui-même n’a pu m’en dire plus. Néanmoins, cela reste ce qui était inscrit sur la marque. A propos, oserais-je vous demander de m’expliquer la raison pour laquelle vous protégez cet homme ? »
Soudain, elle aurait aimé que Nayda soit ici. La présence de son amie aurait pu l’aider à surmonter le chagrin qui montait en elle et lui nouait la gorge. Elle refoula ses sentiments, consciente des questions que Llyane soulèverait indéniablement.
« Il reste donc des choses que tu ignores, mon enfant. Melignias n’est pas un homme, Llyane. C’est une cité. »
La peur lui nouait l’estomac, elle avait soudain envie de crier sa peine, sa colère. Des visions l’assaillirent, des scènes qu’elle avait pensé oubliées. La souffrance infligée par le contact du tison sur sa chair, les larmes roulant sur ses joues sans qu’elle n’en ait conscience…Et les ténèbres, toujours plus proches, toujours plus insistantes… « Lutanéa, est ce que ça va ? Etes vous souffrante ? »
Elle baissa les yeux sur les restes de la tasse à ses pieds. Elle n’avait pas eu conscience de l’avoir renversée.
« Je vais bien, merci. Je suis fatiguée, c’est tout. Il faut… il faut que je réfléchisse à tout ceci. Nous en rediscuterons plus tard, je dois me reposer. Préviens Luis que je veux le voir dès demain avant l’aube. Et tâche de ne pas éveiller l’attention. Jusqu’à nouvel ordre, tu ne sais rien de Melignias. »
Llyane acquiesça. Ses yeux lançaient pourtant des éclairs lorsqu’elle se dirigea vers la sortie.
« N’est ce pas la vérité, d’ailleurs ? Je ne connais rien, si ce n’est un nom. Vous refusez de m’en parler, et vous devez avoir vos raisons, je n’en doute pas. Mais réfléchissez-y, Lutanéa. Sans votre confiance, je ne peux vous aider. Et c’est pourtant mon souhait le plus cher. »
Elle franchit la porte, dispensant Lu d’une réponse qui n’aurait été qu’une excuse de plus.
Melignias. Si le Furkaild avait été en contact de quelque manière que ce soit avec cet endroit, Alldrian elle-même serait peut-être bientôt menacée. Une question restait sans réponse : qui à Melignias aurait intérêt au meurtre de la sœur du duc, et pourquoi ? Une fois de plus, la froide logique de Lu vint à sa rescousse, et elle ne put s’empêcher de frissonner malgré la chaleur ambiante.
Le duc de Viagys devenu hyraban, et la signature de Melignias sur le corps de la défunte. La cible de ses ennemis n’était pas le Furkaild. Bien au contraire, Melignias cherchait à supprimer les fondations du pouvoir du Conseil. Alldrian…
D’une main, elle écarta les pans de sa robe coupée latéralement, révélant la cicatrice bien visible sur sa cuisse droite : un serpent au corps enroulé autour d’un poignard. La marque de Melignias…
Déesse Mère, protégez-nous !
Miranda gardait ses yeux fixés sur la surface de l’eau, admirant sa beauté. Elle n’avait certes aucune raison de complexer sur son physique. Bien au contraire.
Elle était de loin la plus belle femme de Melignias. Sans cela, elle n’aurait pas réussi à accéder au statut de maîtresse du T’seba, le maître de la cité. De même, elle n’aurait pu évincer les autres prétendantes. Raphil, le T’seba, avait fait d’elle son unique amante, ce qui allait à l’encontre de toutes les traditions. Elle le savait sous sa coupe, à présent. Pendant des années, elle avait usé de ses charmes, corrompant le cœur des puissants du royaume, dans le seul but d’accéder à cette place. Et elle avait finalement été désignée comme l’élue qui partagerait la couche du T’seba. L’honneur qui lui était fait ne la touchait guère, cependant.
Si le titre de Première Epouse –et unique, depuis la décision de Raphil- était convoitée par toutes les femmes de Mélignias, il n’était pour elle qu’une formalité de plus, destinée à lui permettre d’accomplir l’objectif qu’elle s’était fixé, il y a quinze ans de cela.
Elle se demanda quelle serait la réaction de Raphil si elle devait lui annoncer la vérité. Il serait furieux, probablement. Néanmoins, lui révéler sa véritable identité n’entrait pas dans les plans de Miranda. En ces lieux, elle restait la noble Shayleigh, celle qui avait conquis le cœur du T’seba.
Elle sourit. Elle n’avait pas choisi ce nom au hasard, bien au contraire. Si elle avait volé l’identité de sa propre sœur, ce n’était que justice. Après tout, celle-ci n’avait-elle pas tenté de brider ses pouvoirs ? A Mélignias, cet acte était considéré comme un crime qui méritait la mort. A Alldrian, cela avait semblé le plus sage aux yeux du Conseil Restreint. Les vieillards grisonnants de l’assemblée avaient tenté de réduire son potentiel à néant, effrayés par sa puissance. Galldrenn lui-même, qu’elle avait considéré comme un allié, sinon un ami, avait donné son accord à l’abomination que le Conseil voulait lui faire subir.
Et bien, cela ne s’était finalement pas déroulé comme ils l’avaient décidé. Elle n’était pas un pantin que l’on pouvait manipuler à sa guise. Elle était une personne, un être de chair et de sang. Jusqu’alors, brider les pouvoirs d’un mage n’avait jamais été tenté. Quand l’assemblée ignorait jusqu’aux conséquences même de sa décision, comment avaient-ils pu s’attendre à ce qu’elle se soumette à leur volonté ?
Qui sait même si la perte de ses pouvoirs n’aurait pas entraîné des séquelles dans son esprit, directement relié à eux ?
Après toutes ces années, la colère la submergeait encore. Elle haïssait ces hommes qui, drapés dans leur orgueil, lui avait refusé une place parmi eux, arguant de l’importance de ses dons. Telle avait été leur erreur. Plutôt que de la considérer comme une alliée, ils avaient fait d’elle un ennemi mortel.
Et à présent, leur chute était si proche… Le duc de Viagys, le principal soutien de leur précieux Conseil, était désormais hyraban. Tremen avait fait du bon travail là-bas. Elle lui en était reconnaissante, néanmoins la confiance était un luxe qu’elle ne pouvait s’accorder. Et Tremen restait fidèle au T’seba, et uniquement à lui. Même si Raphil suivait ses conseils, elle savait qu’il découvrirait un jour la vérité. Déjà, il avait fait preuve de suspicion, exigeant qu’elle s’explique sur l’étendue de ses connaissances de la politique d’Alldrian. Elle avait du user de tous ses talents pour qu’il admette finalement son erreur. Elle détestait lui mentir. D’une certaine façon, elle l’aimait. Dans d’autres circonstances, l’idée d’une vie à deux ne lui aurait pas semblé si fade.
Néanmoins, le destin en avait décidé autrement, et sa vengeance était à présent sa seule source de joie. Justice serait faite, et si pour l’obtenir elle devait tuer cet homme, elle le ferait sans hésitation. Le Conseil qui avait désiré la mettre en cage serait réduit à néant. Elle en avait fait le serment, lors de son évasion quinze ans auparavant. Et pour rien au monde elle ne manquerait à sa promesse.
« Tu ne devrais pas être là, lai’kesha. Si les majeurs apprenaient ta présence ici, ils organiseraient probablement la rébellion. Et tu sais que nous devons garder leur appui. »
La voix de Raphil était grave, pourtant elle pouvait y déceler l’amour sincère qu’il lui portait.Lai’kesha. Aucun mot de la langue commune ne pouvait donner pleine mesure à cette appellation. Le plus approchant signifiait « déesse », et cela encore restait un euphémisme.
« Les serviteurs ne parleront jamais contre toi, et tu sais bien que l’accès au lac d’argent est refusé même aux majeurs. »
Elle avait pris un risque énorme en demandant à Raphil de la laisser accéder au lac. La politique milégnienne était fondée sur son pouvoir, alimenté par le sacrifice de milliers d’adeptes. Elle avait été surprise d’apprendre son existence, et plus surprise encore lorsqu’on lui avait expliqué que les adeptes acceptaient avec honneur de donner leur vie au lac. Comment un homme pouvait-il de plein gré accepter sa mort ?
Quoiqu’il en soit, le lac était vivant des milliers d’esprits qu’il avait aspiré. Leurs pensées le baignaient d’une lumière éclatante, qui rendait les lieux plus beaux que n’importe quel autre endroit du monde.
Quel dommage que seul le T’seba puisse contempler ce fabuleux spectacle ! Par mesure de précaution, aucune femme n’était autorisée à passer les portes de l’immense forteresse que les majeurs avaient construite autour du lac. On racontait que si une femme plongeait dans les eaux, le lac serait à jamais corrompu, et les esprits des adeptes réduits à néant, emportant avec eux le pouvoir qu’ils offraient au T’seba.
Encore une croyance fondée sur des mensonges. Raphil, aveuglée par son amour pour elle, lui avait permis d’entrer dans les lieux, lui interdisant néanmoins tout contact avec l’eau aux reflets argentés.
Elle lui avait promis d’être prudente, bien sûr. Mais certains serments avaient plus de valeur que d’autres, et elle était entrée dans le lac.
Ce jour-là, elle avait goûté à la véritable puissance des eaux, et ses pouvoirs avaient alors pris une ampleur qui l’effrayait elle-même. Une fois encore, elle avait misé gros, mais cela en avait valu la peine.
Lai’kesha. Son admirable époux n’aurait pu trouver de nom plus approprié. Car chaque jour qu’elle passait près du lac la rendait plus puissante, remplissant son âme des incroyables talents des défunts adeptes.
Cela n’avait pas été facile, cependant. Les eaux avaient oté leurs pouvoirs aux morts, et réduit leurs âmes à néant. Néanmoins, le processus n’avait pas fonctionné aussi bien pour tous les esprits défunts, et certaines capacités qu’elle avait acquises étaient imprégnées des pensées des adeptes disparus.
Chaque nouvelle aube était un nouveau combat pour Miranda, qui luttait contre les voix désincarnées de ces hommes et ces femmes qui avaient sacrifié l’essence même de leur humanité pour le T’seba.
La religion mélignienne ne faisait pas référence à une telle ignominie, et Raphil lui-même ne semblait pas affecté par leurs murmures incessants. Pourtant, tout comme elle, il avait plongé dans le lac, suivant les strictes lois de la coutume. Mais après tout, elle était une femme, et cela sûrement changeait tout. De plus, n’étant pas originaire de Mélignias, elle disposait de prédispositions dont les autochtones ne bénéficiaient pas. Ici, les femmes étaient dénués de pouvoirs. La politique seule leur était accessible, sous la domination ultime du T’seba. Elle-même avait du s’adapter, et cacher coûte que coûte ses dons aux autres. Cela n’avait pas été simple, il y avait eu des morts, parfois celles de personnes qui lui étaient chères. Malgré tout, elle ne regrettait rien de ce qu’elle avait pu faire. Elle n’avait pas eu le choix. Personne ne devait apprendre sa véritable identité. Sur cela reposait l’ensemble de son entreprise. Et rien ne pourrait faire obstacle à sa vengeance.
Parfois, la nostalgie s’emparait d’elle, du temps où tout était différent, où elle n’était contrainte ni aux intrigues, ni aux assassinats. La tristesse monta en elle, irrésistiblement…Et le monde vacilla autour d’elle.
Le son lointain d’une cascade, le chant entêtant dans sa tête, la souffrance transperçant son corps de part en part. Elle dérivait au gré de la musique, se laissant porter par les courants de la douleur, toujours plus aiguë... « Shayleigh ! »
Sa joue était encore brûlante de la gifle que venait de lui asséner Raphil. Allongée sur l’herbe bleuâtre, elle reprit son souffle. L’air dans ses poumons était un véritable supplice, mais elle le subit avec joie. Raphil prit ses mains qui tremblaient dans les siennes, ses yeux verts scrutant son visage. L’inquiétude déformait ses traits. Elle avait peur, elle aussi, mais elle connaissait l’origine de son mal, ce que Raphil ne devait pas apprendre. Elle se détestait de lui dissimuler ainsi sa dépendance au lac, mais elle n’avait guère le choix. Tant qu’elle ne serait pas en mesure de maîtriser les pouvoirs du T’seba, elle ne pourrait lui faire confiance.
Elle passa un bras autour du cou de Raphil, déposant sur ses lèvres un baiser plein de reconnaissance. Il l’avait sauvé, elle n’en doutait pas. Sans lui, Azeroth savait ce qu’elle serait devenue. Une ombre, probablement, au même titre que les vestiges des adeptes, dont la colère aujourd’hui avait bien failli la tuer.
Une larme coula sur sa joue, qu’elle essuya sans y penser. Elle ne pouvait pleurer. Ni ici, ni même ailleurs. Elle avait fait un choix. Elle accomplirait ce pour quoi elle avait tant sacrifié. Et rien, rien ne compterait plus alors…
Merci Aelghir!! A vrai dire, je n'espérais plus que quelqu'un qui ait déjà lu le début de la nouvelle ait le courage de s'y remettre après tout ce temps! (Larve honteuse).
Du coup ça me fait vachement plaisir que tu ais pris la peine de lire!
Pour les "individus", je trouvais aussi que ça clochait, mais à force d'écrire le mot "femmes" j'en viens à devenir mysogine lol. Un conseil ?
Ps : réincarnée, comme le dragon c'est la super classe! Plus sérieusement, j'ai ressorti les vieux dossiers et comme en ce moment j'ai rien à faire (traduire "rien envie de faire" ) en rentrant du boulot (tous mes amis s'étant exilés et moi seul fidèle au poste)je me suis remis à écrire, vu que finalement, c'est la seule chose qui ne me donne pas la migraine en rentrant du boulot (mode chochotte on* ). J'ai commencé entre temps une nouvelle histoire (le Requiem du feu), mais vu le temps que je mets pour écrire la suite à chaque fois j'ai décidé de ne pas la poster avant de l'avoir terminée. D'ailleurs, je m'embourbe un peu dedans vu que j'ai voulu l'écrire au présent et que finalement, ça me perturbe vachement dans les temps (oui, j'aime la concordance des temps, c'est elle qui ne m'aime pas la charogne! ).
Merci encore pour ta loyauté, chevalier ami des causes perdues lol.
Puluche!