La Pierre de Tear fait peau neuve ! L'aventure continue sur www.pierredetear.fr !

L'ancien site est a présent archivé pour la postérité et en mode "lecture seule". Vous pouvez consulter l'ensemble du contenu et des anciennes discussions du forum, mais plus créer de nouveaux topics ni écrire de nouvelles réponses.

Rendez-vous sur les nouveaux forums ici: www.pierredetear.fr/forum

N'hésitez pas à rejoindre le Discord de la Pierre de Tear en cliquant ici: Discord Pierre de Tear

- L'équipe des Admins: Klian, Owyn et DS

Joute 16 - Texte C
(Sujet créé par Klian l 15/12/06 à 20:01)
non favori





Aller en bas de page
Klian
15/12/2006 20:01
Frère Loup, d'une maison d'Andor, webmaster

Texte C: la Loi du Silence


La nuit était tombée, amenant avec elle le froid du désert voisin. Drapée dans un manteau de laine épaisse, je me dirigeai vers le temple d’Athorn. Les rues étaient désertes et balayées par le vent glacial et chargé de poussière. En m’approchant du lieu sacré, j’aperçus quelques ombres furtives et encapuchonnées, marchant d’un pas hâtif dans la même direction que moi. J’arrivai aux marches du temple en même temps qu’une dizaine d’autre personnes.

Sans un mot, nous pénétrâmes sous les colonnes. Je heurtai légèrement une femme qui se retourna vers moi. Son visage semblait rongé par le souci et la crainte, mais son port était altier. Son regard à la fois fier et résigné détailla dédaigneusement ma tenue. Je sentis des années de mépris et de préjugés percer à travers son désespoir, mais la détresse et l’angoisse qui étaient gravées dans ses yeux m’étreignirent le cœur. Les miens trahissaient-ils autant de peine ? Je lui cédai le pas, puis pénétrai à sa suite dans le sanctuaire.
L’habituel recueillement silencieux du temple d’Athorn avait cédé la place à un assourdissant mutisme, porteur d’un lourd vacarme de terreur pieuse. Une foule compacte et muette se massait sur les gradins circulaires qui descendaient vers l’autel. Ils étaient si nombreux. Pourquoi ? Pourquoi ? Venaient-ils eux aussi attendre le verdict de la justice divine ? Etait ce une foule d’époux, d’amantes, de mères, de fils, ou d’amis venus assister à la mort ou au salut d’un être cher? Jornaï n’aurait que moi…Puis je me souvins que les prévenus n’étaient que trois. Mes yeux s’agrandirent d’effroi. La sinistre réalité me déchira le cœur. Cette populace n’était qu’une nuée de vautours, venus se repaître du spectacle de la douleur des autres et attendant avec impatience l’exécution des blasphémateurs.
Ecoeurée, je me frayai un passage vers le premier rang. Le simple contact de ces charognards me dégoûtait, mais je devais trouver une place le plus près possible de l’arène, afin de soutenir mon aimé. Jornaï. Comment en était-il arrivé là ? Tout en bas des marches, je bousculai une femme, afin de me faire un espace au bord du cercle rituel. Elle me toisa de toute sa hauteur, me lançant un regard féroce et un rictus empreint de mépris se dessina sur ses lèvres. Je reconnus alors la femme que j’avais déjà heurtée quelques instants plus tôt. Elle épousseta son manteau de soie noire avec une moue dégoûtée. Il était vrai que mon habit de toile brute n’était guère reluisant, rapiécé et encore couvert de la poussière du désert. Puis, la femme détourna son regard vers la droite. Machinalement je regardai dans la même direction.

Mon cœur ne fit qu’un bond. Ils étaient là, alignés en une courte file. La tradition voulait que les accusés fussent jugés dans l’ordre décroissant de leur noblesse.
Le premier était un homme entre deux ages, vêtu d’un pourpoint sombre richement brodé de motifs dorés. Il arborait un air arrogant et suffisant et semblait fixer l’autel avec une farouche détermination, proche du défi. La femme en noir près de moi semblait ne pouvoir en détacher les yeux, mais il ne lui adressa pas le moindre regard. Il me sembla distinguer un mouvement rapide, entre la poche de l’homme et celle du prêtre sacrificateur, comme si un objet changeait de propriétaire.
Derrière lui se tenait un très jeune homme au visage sombre et agité de tics nerveux. Il paraissait prêt à fondre en larmes.
Puis enfin, je le vis. Jornaï. Nos regards se croisèrent. Ses yeux noirs semblaient vouloir me convaincre de son innocence. J’y lisais toute la franchise et tout l’amour qu’il me portait. Un dialogue silencieux s’installa. Je voulais tellement qu’il sache que même malgré son crime, je lui conservais toute mon affection et mon soutien. Il n’était pas utile d’essayer de me persuader. Une convocation au jugement d’Athorn ne pouvait signifier qu’une chose : Jornaï avait profané le silence sacré du temple. Son seul espoir de salut était de convaincre le Dieu qu’il s’agissait d’une erreur. Telle était la version qu’il avait défendue devant moi, mais je n’y croyais guère. Un Dieu se trompe rarement. Son regard semblait plein de désespoir, mais il me semblait que la peine la plus lourde pour lui ne serait pas la mort, mais de mourir alors que je le pensais coupable. Mon cœur se glaça à cette pensée, et je tentai d’effacer de mes yeux toute trace de reproche. Ce regard serait le dernier souvenir de moi qu’il emporterait avec lui, il ne devait y voir que l’amour que je lui portais.

La foule commençait à s’agiter. En ces lieux, nul n’oserait proférer ne serait ce qu’un grommellement, sous peine de se retrouver à son tour au centre du cercle rituel, mais le silence sacré s’emplissait d’une tension presque palpable. Le public attendait des coupables et surtout du sang. Puis, l’un des prêtres qui gardaient les prisonniers s’avança vers l’autel et y brûla les herbes sacrées nécessaires à l’invocation d’Athorn. Des lourds volutes de fumée bleue s’élevèrent, attirant irrésistiblement le regard des spectateurs vers la voûte du toit. Je parvins enfin à m’arracher à la contemplation de mon aimé, et fixai mon attention sur le centre de l’arène. Au cœur du nuage une lueur apparut, d’abord faible, puis de plus en plus soutenue jusqu’à devenir aveuglante. La fumée prit la forme d’un corps, immense, azuréen et transparent comme de la glace. Athorn. La terreur et le respect envers notre Dieu se mit à gronder dans le recueillement muet du public.

Sans attendre, le Dieu appela le premier accusé. Le noble arrogant avança vers Athorn d’un pas conquérant et sur de lui. Après avoir gravit les marches menant à l’autel, il leva les yeux sans hésitation vers son Juge. Son visage, baigné de l’aura bleue divine, ne trahissait aucun signe d’angoisse ; au contraire, on pouvait y lire une singulière confiance en l’avenir. La femme qui se tenait à coté de moi était livide. Celui qui semblait être son mari ne lui avait pas adressé un seul regard. Athorn détaillait l’homme, comme s’il sondait son âme. Le regard habituellement impassible du Dieu se durcit. L’accusé pâlit légèrement, puis se ressaisit, le rose d’une colère naissante lui montant aux joues.
« Kern Asthellin, tu es doublement coupable, de profanation de la Loi du Silence et de corruption. »
Immédiatement, l’un des prêtres saisit le condamné, et le mit à genou, sa tête reposant sur l’autel. Le second prêtre, celui qui portait le couteau rituel, fit tinter la bourse que l’homme lui avait donnée, et sourit d’un air mauvais. Le noble Seigneur Asthellin, n’eut pas le temps de se débattre, et la lame sacrée entra et ressortit prestement de sa gorge, inondant le marbre de l’autel d’un flot noir qui s’interrompit rapidement comme la vie quittait son propriétaire. Contre moi, je sentis son épouse défaillir. Elle s’accrocha désespérément à mon cou et cacha son visage dans les plis de mon manteau. Finalement, la promiscuité avec une pauvre femme de mon espèce ne paraissait plus la gêner. Elle finit par se redresser, et quitter précipitamment la salle visiblement plus accablée par la honte que le chagrin, en se frayant un passage dans la foule des vautours qui tendaient le cou, avides d’images du châtiment mortel.

« Varhem Leyollin, approchez ! » reprit la voix grave d’Athorn. Déjà, le corps du Seigneur Asthellin avait été évacué. Le jeune homme qui paraissait si nerveux à mon arrivée, semblait être sur le point de se décomposer. Il se mit en marche, sous la traction imprimée sur chaînes par les prêtres. Au bout de quelques pas, ses jambes déjà tremblantes se dérobèrent sous lui et il s’effondra sur la pierre lisse et froide de l’arène. Le mépris de toute la foule se fit sentir dans l’atmosphère déjà tendue. Le peuple avait porté son propre jugement. Cet effondrement était un aveu de culpabilité. Cependant, Athorn le Juste ne se contentait pas de ce type de spéculations. Les prêtres traînèrent le malheureux face contre terre jusqu’à l’autel, puis le redressèrent. Son visage apparut, couvert de larmes qui reflétaient la lumière bleutée. Lorsqu’il leva la tête vers le Juge, ses traits se tordirent en une grimace douloureuse de désespoir. Avant même de croiser le regard d’Athorn, un long sanglot lui échappa. « Noooooon » croassa t-il d’une voix étranglée.
Le mépris du public se changea en dégoût. Cet homme venait de profaner le silence du temple une seconde fois, devant eux. J’éprouvai pourtant une étrange compassion pour ce pauvre garçon, si jeune et si désespéré qu’il avait préféré signer ainsi son arrêt de mort plutôt que d’affronter le jugement.
La sentence tomba aussitôt : « Varhem Leyollin, tu es coupable d’avoir profané par deux fois la Loi du Silence».
Je détournai le regard, incapable de supporter la vue de l’exécution de ce Varhem. C’était presque un enfant. Pourtant, je ne manquai rien de sa mort. Accablé par le désespoir, le jeune homme se débattit avec force, sanglotant et appelant à l’aide. Personne ne viendrait. J’entendis ses chaînes tinter, puis sa tête heurter violemment l’autel. Ses cris cessèrent au milieu d’un gargouillis sinistre. Je me retournai au moment où sa dépouille était enlevée par deux clercs.

Quoiqu’il en soit, toute compassion que j’avais ressentie pour ce pauvre garçon fut oubliée lorsque Athorn convoqua mon aimé.
« Jornai Tel’Estan, approchez ! »
Jornaï se mit en marche vers l’autel au centre de cette arène de mort. Ma vision commença à se brouiller et je sentis une larme rouler le long de ma joue, puis une autre. A chacun des pas de mon aimé, des morceaux entiers de mon coeur me semblaient éclater en poussière. Pourtant, je ne pouvais détacher mon regard de sa progression. Malgré la détresse de mon âme, j’éprouvais une immense admiration, peut être même un peu de fierté devant le courage de celui que j’aimais. Comment arrivait-il à ne pas s’effondrer comme son malheureux prédécesseur ? Le regard inquisiteur et méprisant de la foule aurait déjà suffi à me faire trébucher de honte, sans même parler d’avancer vers la justice d’un Dieu et une mort presque certaine. Et Jornaï marchait, sans courber le dos, mais sans arrogance, à la fois digne et pénitent. Soudain, la vérité m’apparut comme une évidence. Jornaï était innocent. Nul ne pouvait marcher avec autant d’assurance vers le jugement d’Athorn s’il était coupable. Le blasphème de mon aimé ne pouvait être du qu’à un accident. Puis la honte m’accabla. Comment avais-je pu douter de lui ainsi ? Jornaï avait toujours été droit et respectueux de nos Dieux. Un nouvel espoir naquit dans mon cœur, telle la première fleur d’avril, éclose après un long hiver. Athorn était un Dieu impitoyable, mais juste. Si seulement Il pouvait comprendre l’innocence de Jornaï, il n’y aurait plus de sang versé ce soir. Je me redressai. Je devais me montrer fière de la dignité et du courage de celui qui m’avait accordé son cœur. Je séchai mes larmes d’un revers de manche encore couvert de la poussière des rues.
Mon aimé gravit les marches de l’autel, encadré par deux prêtres, l’un tenant l’extrémité de la chaîne qui lui enserrait les poignets, l’autre portant le couteau rituel, outil béni et consacré, qui reflétait d’un éclat sinistre l’aura bleutée du Dieu. Une secousse imprimée par le prêtre sur la chaîne indiqua qu’il était temps pour le condamné d’affronter le regard d’Athorn.

Lentement, Jornaï leva les yeux et fit face au visage glacial et sévère de son juge. Les prunelles du Dieu, graves et transparentes, rencontrèrent celles de l’homme. L’échange muet commença, emplissant tout l’espace du temple, du fond de l’arène aux confins de la haute voûte, attirant les regards de la foule de façon presque magnétique. Nul ne pouvait détacher les yeux du lien invisible reliant le modeste Jornaï au tout puissant Athorn. Je tentai désespérément de déchiffrer l’expression du Dieu, tentant d’y déceler un indice de son jugement. C’était bien évidemment futile. Quel mortel aurait pu deviner les pensées d’Athorn, sous ce visage impassible ? Et pourtant, à chaque seconde qui passait, Il sondait l’âme de mon aimé, et se forgeait petit à petit l’opinion qui lui permettrait de décider de l’innocence ou de la culpabilité de Jornaï. Une autre certitude m’envahit alors. Nul être coupable, si puissant soit-il, ne pourrait soutenir un tel regard bien longtemps. Cependant, il était reconnu qu’Athorn le Juste décelait rapidement l’innocence. Je compris alors comment s’opérait le jugement. Si le dieu doutait de l’innocence d’un homme, Il maintenait son regard inquisiteur, amplifiant la crainte et l’angoisse de l’accusé. Ainsi, la culpabilité commençait à le ronger, et les traîtres et les blasphémateurs finissaient par se condamner eux mêmes, avouant leur faute en détournant le regard. Seul un homme certain de son innocence pourrait supporter le regard dur et sévère du Dieu.
Les secondes s’égrenaient, lentement, et le lien était toujours là. Jornaï tenait bon, s’accrochant à son innocence comme à une planche d’espoir flottant sur l’océan déchaîné par la tempête silencieuse du jugement. Le Dieu devait douter de la sincérité du regard de mon aimé, puisqu’il le mettait à l’épreuve. La petite flamme d’espoir qui subsistait encore dans mon cœur, née de la dignité de Jornaï, vacilla un moment. Le temps semblait s’étirer interminablement. Depuis combien de temps Jornaï soutenait-il ce regard terrible ?
Les battements de mon cœur résonnaient si fort entre mes tempes, que leur vacarme me semblait emplir la salle entière et profaner ainsi le silence sacré. Soudain, le visage d’Athorn s’anima d’un mouvement presque imperceptible. Puis le verdict divin tomba.
« Jornaï Tel’Estan, je te déclare innocent. »

Je restai figée un instant, écoutant l’écho de ces mots se répercuter sur les larges colonnes de marbre, comme pour m’assurer de leur véracité, puis je m’élançai vers le centre du cercle, le cœur débordant de joie. La foule retenait son souffle, donnant à cet instant une dimension d’éternité.
Blottie dans la chaleur des bras de mon aimé, je plongeai mon regard avec passion au plus profond du sien. Notre destin se scella en l’espace d’un soupir, le temps d’un cri de joie.
« Jornaï ! »
Ses yeux noirs s’emplirent d’effroi…


Lan
17/12/2006 12:15
VCR

Bon ben là c'est un peu le contraire du texte A, j'aime la forme mais moins le fond.

J'aime bien comme l'ambiance est posée, la description de l'échange muet entre Jornaï et le Dieu. Il y a des scènes, des tableaux comme celui-ci que j'aime bien ; par exemple l'accorchage avec la femme noble, puis l'effondrement de celle-ci plus tard.

Par contre je dois avouer que l'on s'attend un peu à la fin. C'est le truc que je trouve un peu dommage ; sinon j'aime bien le style d'écriture qui est prenant.
Aelghir
27/12/2006 23:22
Chevalier un jour, Chevalier toujours ! Montjoie Saint Denis et Tutti Quanti !

Bon, au niveau de l'écriture et du scénario, c'est bien dans l'ensemble. La fin n'est pas des plus surprenantes, à mon avis. Je m'y attendais un peu, elle est dans la logique du texte.
Au niveau de l'histoire, j'aurais aimé plus de précisions sur :
- Le pourquoi de cette loi du silence
- Le Dieu lui-même, et sa "justice"
- Le monde
- Le crime présumé de Jornaï

Quelques phrases à revoir ( trop longues [Et c'est moi qui dit ça ! Ha ha ha])
Exemple : Elle finit par se redresser, et quitter précipitamment la salle visiblement plus accablée par la honte que le chagrin, en se frayant un passage dans la foule des vautours qui tendaient le cou, avides d’images du châtiment mortel.

Nayla
29/12/2006 15:24
Jadis, Aes Sedai de l'Ajah Verte.
Gniéhéhé

Voilà un beau texte ! Le suspens et la tension montent au fur et à mesure, on ne détache pas les yeux du texte ! C’est un des points forts du texte. Ensuite l’écriture est fluide, charmante, avec quelques expressions assez mignonnes. J’ai cru croiser une faute au début… Sinon, eh bien, que dire de plus ? Au niveau de l’histoire, c’est pas mal trouvé je trouve. Le silence divin, tout ça… Enfin on se demande comment un dieu qui a l’air « juste » impose de telles règles. C’est assez réducteur dans les libertés disons, et ça puni un peu pour rien. Où se trouve la justice finalement ? Je ne sais pas si c’est voulu, mais cela peut être intéressant de le rapprocher à notre monde, et de s’interroger sur la justice chez nous. Le dernier rebondissement final est superbe ! Le contexte d’angoisse qui se relâche enfin et là tout retombe… wouaw.
G.Melioniska
12/01/2007 22:15


Ben moi j'aime bien! Certes, on peut dire que la fin est "prévisible", mais n'est-ce pas aussi le but? Se laisser prendre par l'histoire, en deviner la fin, et vivre la sentence finale avec la narratrice...
Ca me donne envie de terminer d'écrire mon texte sur le silence. Tant pis s'il arrive en retard et si il est très prévisible!
Aller en haut de page

Ce sujet a été fermé par un modérateur - il n'est plus possible d'y répondre.