La Pierre de Tear fait peau neuve ! L'aventure continue sur www.pierredetear.fr !
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Le chat sauta lestement sur mes genoux, carda langoureusement mes cuisses heureusement protégées par des braies de laine épaisse, tourna quatre ou cinq fois en rond avant de trouver sa place, ouvrit sa petite gueule rose et, alors que je croyais qu'il allait se mettre à bâiller, me dit :
- M… Mmm… mmm !
Je lui jetai un regard interrogateur. Les yeux d’ambre de Hrieltsche étaient exorbités, ses joues gonflées, ses pattes s’agitaient nerveusement sous l’effort qu’il faisait, si bien que je craignis qu’il n’en vienne à me lacérer les cuisses. Repoussant dans un soupir le feuillet que j’étais en train d’étudier, je caressai les oreilles du minet :
- Eh bien ? Vas-y Hrieltsche !
- Mmmm… mm… MEUUUUUH !
Je bondis de ma chaise, et le chat rebondit sur les dalles de pierres, expulsé fort peu galamment de mon giron. Se redressant d’une secousse, il se gratta l’oreille d’un air anxieux, le regard accusateur :
- Meuuh ?
- AAAAAAAAH ! !
Je reculai plus encore, mais le mur m’arrêta, ce traître, et me repoussa d’un coup de pierre au derrière :
- Dis donc petit ! grogna t-il de sa voix rocailleuse. Te colle pas à moi comme ça, ça chatouille.
- Oups ! Désolé m’sieur Martel.
- Ouais, c’est ça. Il a quoi ton abruti de chat ? À toujours se glisser dans mes recoins poussiéreux, il a dû attraper une crevure, c’est sûr.
Je reportai mon regard sur l’animal, dont les tremblements stressés me semblaient véritablement inquiétants. Il marchait de long en large, ses petites pattes blanches parcourues de frissons terrifiés, et poussaient de temps à autre des « Meuuuh » retentissants. Je m’appuyai sur le bord de la table, sans doute très pâle, car le miroir sur le mur d’en face se voila la face comme face à un mort. Cette fois plus de doute, Hrieltsche beuglait. Il beuglait véritablement, non pas comme un chat qui imite une vache, chose aisée pour un Chamalin tel que lui, cette race, venue d’Orient, étant réputée particulièrement intelligente, ce qui en faisait le compagnon idéal pour tout apprenti magicien coupé du monde. Non. Il beuglait vraiment, bœuf miniature au museau pointu et aux pattes de velours. Il ne me fallut guère de temps pour me ressaisir :
- Martel ! Réveille le Grand Mage ! Dis-lui que je viens le voir en urgence !
- J’y cours.
Le mur eut un élan comme pour faire volte-face, mais fut retenu par ses propres bases. Un juron rocheux lui échappa, et je secouai la tête avec compassion. Pas facile, quand on avait été un brillant sorcier, de se retrouver bloqué dans les pierres de l'Académie, tout ça parce qu’on s’était transformé en mur pour espionner un jour le vestiaire des jeunes sorcières. Mais quel crétin aussi, ce Martel, de n’avoir pas pensé à préparer un contre-sort !
J’y songeai tout en m’emmêlant dans les lacets compliqués de ma robe d’apprenti, d’une couleur violette plutôt agressive, ou du moins électrique. Il me manquait un bouton à la manche gauche. Je jetai vivement un coup d’œil autour de moi, mais le foutraille de ma petite chambre me découragea de suite : le lit défait envahi de livres et parchemins dans un état plus que douteux semblait n’avoir plus servi depuis des mois –je dormais par terre depuis pas mal de temps pour ne pas déranger la fée installée sous l’oreiller-, quant au bureau…
- MEUUUH !
Je sursautai.
-Un peu de patience, Hrieltsche ! J’ai presque fini !
Tant pis pour le bouton ! Un coup d’œil dans le miroir, qui avait fini par retirer son voile de deuil, me révéla un adolescent roux, au gros nez épaté …et bien loin de ce à que je m’attendais à voir.
- Arrête de jouer, Psyché ! Laisse son reflet à Rodolphe et rends-moi le mien !
Avec un gloussement argentin, le miroir se troubla, et enfin apparut l’image, nettement plus habituelle, d’un blondinet mal peigné, long et mince, à l’allure de jeune premier d’après la Mage adjointe, l’une de mes plus ferventes admiratrices. J’arrangeai consciencieusement les mèches de mon front, d’un geste fat qui arracha à la surface argentée une contorsion sarcastique. Puis je saisis mon chat sous le bras comme un vulgaire paquet, ce qui me valut un « meuuuh » méprisant et un coup de patte réprobateur. Je m’engageai dans les couloirs sans en tenir compte.
Le Grand Mage avait une mine poussiéreuse quand nous arrivâmes dans son bureau, et sa robe bleue …ou verte ? Je n’ai jamais réussi à me décider, on dirait que les couleurs bougent. Bref, sa robe paraissait avoir traîner dans une vieille armoire d’alchimiste. Comme je m’enquerrais de sa santé, il marmonna un vague « Martel a voulu me secouer l’épaule. », avant de me foudroyer d’un regard orageux :
- Qu’est-ce qu’il vous arrive encore, Monsieur Rydis ?
- Pardonnez-moi de vous réveiller si tôt, Grand Mage, mais il s’est passé quelque chose de très grave ! Je… je crois que mon chat a été ensorcelé !
Une note d’angoisse vibrait dans ma voix. Perché sur mon épaule, Hrieltsche confirma d’un « meuh » énergique, qui fit bondir le Grand Mage comme moi-même précédemment. Se drapant dans sa cape avec une dignité comique, il posa sur le chat des yeux écarquillés, puis émit un bougonnement, parfaitement réveillé désormais :
- Hum… oui, en effet, il y a un problème. Mais enfin, il doit exister un contre-sort… je pense. Quel être infâme a bien pu se montrer assez maléfique pour ensorceler un Chamalin ? Car c’est bien un Chamalin, n’est-ce pas ?
Je confirmai, et il dodelina de la tête, pensif, tout en caressant sa longue barbe blanche :
- S’il avait été noir, j’aurais jugé qu’il était maudit, mais là non, non non non. Sa blancheur est le signe de la plus parfaite pureté. Mmm, ça me rappelle un ancien parchemin oriental, il faut que je retrouve ça… Enfin, tu ferais mieux d’y aller avec ton, hum, chat. Je te recontacterai si j’ai du nouveau.
Il disparut, et le bureau passa aussitôt en mode répondeur :
- Le Grand Mage n’est pas là pour le moment. Si vous souhaitez laisser un message…
…
Comme je le craignais, Martel avait déjà largement répandu la nouvelle pendant que je m’entretenais avec le Grand Mage. Quand on dit que les murs ont des oreilles… et des bouches aussi ! Ils peuvent, dit-on, mener une conversation différente avec chacun des membres d’un château en même temps, sans seulement se mélanger une fois. Et en l’occurrence, toute l’Académie, ça fait quand même du peuple.
Alors que je passais dans les jardins, des centaines d’yeux curieux me dévoraient avidement, ou plutôt dévoraient Hrieltsche, qui, nerveux, se cachait la tête dans la capuche de ma robe en émettant de temps à autre un petit « meuh » terrifié _lequel s’entendait à plusieurs mètres, mon mini bœuf n’était pas franchement discret. Même la statue d’Eros, occupée à conter fleurette à la limpide Psyché, l’entité miroir, se tut un long moment pour nous regarder passer. Un curieux climat d’anxiété, de curiosité et d’excitation pesait sur l’Académie.
Mais ce fut à la bibliothèque qu’advint la « catastrophe ».
J’essayai vainement d’étudier un lourd manuel De la transmutation des corps des Naïades vertes fourchues lors de la cérémonie de la crevette. , en faisant comme si d’innombrables regards affamés de nouvelles découvertes ne se tournaient pas dans ma direction, quand mon chat décida de se donner en spectacle. Bondissant sur mon livre, Hrieltsche serpenta longuement sur la grande table d’un pas distingué, le museau en l’air, ses yeux d’ambre dardés sur l’assemblée d’un air parfaitement méprisant. À son passage, une vague de murmures s’élevait de la foule des magiciens, dont la houle mouvementée révélait l’intérêt et la nervosité. Malgré moi, je ne me sentais pas peu fier de l’attention soulevée par mon Chamalin, et c’est d’un air bravache que je lui suivais, afin d’éviter qu’on me le vole pour en faire un sujet d’étude. Un chat qui fait meuh, c’est tout de même trop rare pour qu’on laisse passer une occasion de l’obtenir.
Mais Hrieltsche, cependant, ne se contenta pas d’un simple tour d’horizon. Aidé d’un portemanteau particulièrement courtois, il bondit sur l’étagère des antiquités orientales, à la grande horreur du conservateur, qui se couvrit les yeux en le voyant approcher d’une amulette bleue extrêmement fragile. Mais le chat, sans s’y intéresser, l’enjamba d’un petit bond gracieux, qui le conduisit juste devant une coiffe ancestrale d’une valeur inestimable. Le vieux magicien s’effondra, pris de malaise.
À cet instant, la grande porte s’ouvrit dans un grondement horrible, qui fit tressaillir tous les magiciens assemblés. Le Grand Mage entra alors en trombe, sa robe verte… ou bleue ? Raaaah. Sa robe froissée et couverte de toiles d’araignées. Un parchemin à la main, il tourna aussitôt ses yeux exorbités sur Hrieltsche, un air d’horreur inscrit sur sa face ridée de vieille pomme. Sa voix sifflante et angoissée me fustigea :
- Ne le laissez pas s’approcher de la coiffe ! ! !
Trop tard. Avec une sorte de petit meuglement moqueur, le Chamalin venait de glisser sa petite tête blanche sous l’étrange couvre-chef, qui s’ajusta étrangement sur son front. Fier, il s’assit bien droit sur ces pattes arrières, dans la position que prennent toujours les statues Orientales. Les deux pans de la coiffe, un assemblage complexe et magnifique de lapis bleus, tombaient gracieusement sur ses frêles épaules, et entre les deux oreilles, que de petites ouvertures laissaient dépasser, deux cornes de vaches en or massif grandissaient l’animal d’une bonne cinquantaine de centimètres, si pesantes d’aspect qu’il semblait impossible qu’un simple chat puisse les porter ainsi sans fléchir. D’autant plus qu’entre leur courbe, un disque d’or large comme une assiette miroitait outrageusement, au point d’aveugler toute l’assemblée. Mais son éclat ne pouvait seulement égaler celui, terrifiant et ambré, des yeux de Hrieltsche.
D’un même élan, tous les magiciens se jetèrent à ses pieds, tremblant respectueusement dans leurs robes colorées. Le Grand Mage, horrifié, tourna vers moi des yeux hagards, son parchemin crispé contre son cœur.
- C’est… c’est la Prophétie ! La métamorphose de la Déesse Vache et du Dieu Chat en une seule entité parfaite et Toute Puissante ! Ils l’avaient prédit, les prêtres d’Orient, ils l’avaient prédit ! Nous sommes leurs… leurs esclaves….
Il s’effondra de tout son long, inconscient, les yeux révulsés. Et ainsi commença le règne éternel du Dieu-Déesse Hrieltsche Vachat, quatre-vingt douze mille fois béni par la Lumière, grand’ protectrice de la Paresse animale, dont je suis désormais le Grand Prêtre. Puissiez-vous avancer dans la gloire de son meuglement divin, mes enfants.
In De l’avènement du Règne Eternel,
Monseigneur Rydis, Grand Prêtre du Dieu-Déesse Hrieltsche Vachat.
An 4 ap. H.V
Alors que dire...sinon que c'était mon texte préféré. Une histoire comme je les aime c'est à dire drôle jusque dans le choix des mots, inattendue, et où on ne s'ennuie pas une seconde. J'ai trouvé ce texte... comment dire... presque Pratchettien (), dans son débordement de magie qui pousse les objets à avoir des réactions surprenantes (j'ai adoré le Mur bavard, et bureau-répondeur )
Chapeau bas, mademoiselle Owyn, ta première place était méritée!
Contente que Martel vous plaise en tout cas ! Au début ce texte je l'ai surtout écrit par dépit devant le sujet, un peu au pif, puis finalement c'est devenu un véritable amusement. Je me suis bien éclatée, alors tant mieux si ça vous a fait sourire !
edit: ton "écriture aboutie" me touche d'autant plus qu'il vient de toi Aelghir, tes commentaires me sont précieux. Et les tiens aussi Pin'shae, surtout quand je vois la qualité de ton texte.
Pourquoi remettre à demain ce que l'on peut faire le sur-lendemain?
Je ne sais pas si mes commentaires -peu recherchés faute de temps- auront une dimension aussi importante que ceux de Ghighir, mais néanmoins je tenais à te féliciter pour ce texte, effectivement drôle et plaisant.
Je dois néanmoins avouer que tu commences amicalement à m'énerver Owyn! Quand je vois ce que tu arrives à écrire à ton âge, j'en reste tout simplement dégoûté!
[small]Jaloux?... Moi? Pffffff...[/small]
Un grand pour toi donc, et une p'tite au passage.
(Rendez-vous à la Joute 16 où j'espère bien pouvoir participer -étant donné que je ne pourrais rien rendre pour la 15- )