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Sang Mêlé, texte fleuri et pas simple à lire
(Sujet créé par Aelghir l 27/10/05 à 17:57)
non favori


POUR LEWS afin de lui montrer que je peux faire encore plus compliqué à lire
Ceci dit, j'ai pris mon pied à l'écrire... et à le relire



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Aelghir
27/10/2005 17:57
Chevalier un jour, Chevalier toujours ! Montjoie Saint Denis et Tutti Quanti !

L'ost s'ouvrit, telle l'eau marine devant l'étrave peinte d'un vaisseau de haut bord pour accueillir la troupe nombreuse qui, sans ralentir l'allure, dévalait la croupe herbue de la colline au galop sonore des grands chevaux d' Eret Gadan.
Des vivats enthousiastes honorèrent les bannières claquant au vent de la course démentielle, des acclamations saluèrent le Soleil de gueules sur champ de sable des Darmar, Féaux des rois d' Escalhon.
En tête, venait Tandor de Darmar, digne héritier de l'antique lignée, loyal et brave au combat, arme bien trempée dans la main de son souverain. Il montait un géantin cheval à la robe neigeuse scellée d'une marque noire en tête.
Par privilège royal, les seuls seigneurs au Soleil sanglant jouissaient du droit d'élever et d'enfourcher au combat ces remarquables descendants d'un étalon offert par un ancêtre de Robart le Preux.

Or, les guerriers rassemblés par la convocation royale dans la Vallée-plaine de Beth remarquèrent que non pas un mais deux destriers au front étoilé de noir menaient les lances de Darmar.
Qui était ce cavalier en harnois de guerre frappé lui aussi du Soleil rouge, au botte à botte avec le seigneur Tandor ? Aussi grand que lui, plus fin de ligne quoique avec des épaules aussi larges sous la cotte de mailles étincelantes, l'inconnu intriguait, irritait aussi ceux qui déjà comprenaient.

Sous le dai d'or, Robart le Preux, convocateur de l'armée massée pour la bataille, la gloire et le butin, regardait venir à lui les hommes bien équipés d'un vassal parmi les plus fidèles. Tandor de Darmar honorait sa réputation et son nom, superbe et imposant. L'épigone d' Esaviel, mort pour l'apothéose d'une victoire, ne faillirait pas non plus dans la fureur des champs ouverts.
Mais ne venait-il pas de manquer à son roi, à sa race, à sa lignée, en exhumant le droit désuet de l'affranchissement ?
Et se pouvait-il que le mystérieux cavalier à la gauche de Tandor fût ce Dayân, le sang-mêlé, l'absurde demi-frère pour lequel Darmar avait osé le risque de déplaire à son souverain ? Parmi les rumeurs décrues et moquées à la cour de Ret-Escalhon, la plus invraisemblable prétendait que Tandor apprenait le maniement des armes à l' affranchi. Un Shankar aux yeux changeants, délicat, timoré, pacifique jusqu'à la couardise, s'entraîner à guerroyer, voilà ce qui avait fort amusé !

Les deux cavaliers, fervêtus à l'identique de mailles d'acier blasonnés du fier emblème, mirent ensemble pied à terre et d'un commun accord plièrent le genou devant leur souverain. D'un geste, lent dans le silence accru, celui-ci leur signifia de se relever, acceptant l'hommage. Tandor, le premier, se désheauma mais le roi avait déjà la confirmation de son indignation. Si les yeux du second guerrier restaient dans l'ombre, le peu que le nasal et les joues d'acier luisant révélaient ne pouvait tromper.
La couleur de la peau n'était pas humaine.
En un geste jumeau moins prompt, retenu sans doute par une appréhension bien compréhensible, le demi frère métis du seigneur de Darmar se désempara de la protection du casque.
On le disait d'une beauté inhumaine et troublante.
On était en dessous de la vérité.
Les longs cheveux d'un bleu lazuli intense, liés en une lourde tresse nattée de cuir fauve, dégageaient la splendeur saisissante d'un visage d'archange aux reflets argentins.
Dayân souriait, indéfinissablement, à ce roi auquel il devait désormais, à l'instar de son ainé, l'allégeance du Féal. Il jouissait de la pleine conscience de sa nature composite, mi Humain mi Shankar, ni Humain, ni Shankar et du pouvoir qu'elle lui octroyait comme du prix élevé qu'elle exigerait.
Dans un salut antique ignoré des Humains, le radieux sang-mêlé rendit l'hommage, posant sa dextre sur son coeur avant de joindre les mains et de les élever lentement devant son visage dans l'unicité duquel les yeux passant de l'indigo à l'or jetaient un éclat troublant.

Robart le Preux, cinquième du nom, sût alors que l'improbable métis était prince parmi les siens.
"Certes, voilà un magnifique cavalier, mais qui l'a vu sur un champ de bataille ?" se convainquit-il.

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La rumeur présageait l'étonnement, voire la terreur de l'armée accordée pour l'affrontement. Car la toile adornée du tref royal n'avait pu garder secrète la teneur des serments sur l'honneur qu'avaient portés les Féaux rivalisant de promesses de prouesses devant le souverain.
On avait su que le métis , sa main aux reflets d'argent épousant la coupe du serment, avait osé enchérir sur les jurements des grands seigneurs de pur sang. Il s'était révélé, se récriait-on, d'une brève arrogance :
" Je combattrai tête nue."
Tandor de Darmar, le responsable de cette mascarade , avait à son tour proclamé sa gloire :
" Nous serons deux lions dans la bataille. Les fils d' Esaviel au Soleil de Sang combattront épaule contre épaule en flèche des guerriers d' Escalhon. "
Les Féaux certifiés de leur native suprématie avaient opposé leur mépris jusqu'à la dérision, déniant au métis de mener la bataille . Alors il avait ri et un vert nouveau avait habité son regard, une nuance sublime et déquiétante. Clair, musical, le rire était impitoyable.
Et Robart le Preux avait pris le gage, la coupe précieuse vide du vin sanglant, et avait agréé les jurements d'honneur - tous...

Les soldats désommeillés dès le petit matin piétinaient dans l'expectative.
Une rancoeur acide empesait les reins, enflait les gorges pour des huées qui voulaient reprocher la provocation et soudain avortèrent.
Le seigneur régnant de Darmar et son frère à demi Shankar montés sur leurs immenses chevaux s'ouvraient un sillon dans la tourbe des Escalhoniens en armes et en courroux. Tandor avait un regard calme sous sa visière relevée. Son assurance s'étoilait d'un léger sourire. A son côté, l'inadmissible sang-mêlé paradait tête nue, proclamant son orgueil insane d'impensable bâtard !
L'ennemi ne pourrait que moquer ses ridicules prétentions à égaler les Humains, lui si évidemment Shankar dans sa précieuse beauté que soulignait la bleuité nette de sa somptueuse chevelure. Vent pailleté d'or, le regard vert s'accordait à un sourire subtil qui , peut-être, narguait les voyeurs.

L'avant-garde formait le fer de lance d'une stratégie séculaire et routinière. Sur elle reposait souvent la victoire.
A une distance de trente lams des deux frères, hiératiques dans leur témérité, les phalanges ennemies attendaient à l'identique d'engager l'action.
La torpeur d'un sortilège semblait engluer les mains protégées par les mailles et les voix dans les gorges nouées.
Dans les rangs d' Escalhon, la frayeur consternait les guerriers. Dayân de Darmar acquérait l'ampleur d'un maléfice.

Le métis méprisé libéra la fureur de l'assaut en extirpant la terreur des reins ployés.
Il dénuda son bras gauche.
Il l'entailla profondément.
Il recueillit le sang dans sa main.
Il oignit son visage de quatre marques écarlate, étendart et emblème de son impossible nature.
Dégainant sa longue lame, il pivota à demi sur sa selle et exposa la véhémence de sa face balafrée de sang, écrin d'un regard d'abîme, aux Escalhoniens stupéfaits. Sa bouche s'ouvrit sur un cri puissant :
" Jamais ne plierai ! Escalhon et Darmar ! "
La fière devise préluda à la charge.
Les grands destriers fauchaient de leurs sabots fourchus l'herbe sacrifiée, prémices des victimes offertes à la déesse létale qui n'aurait de cesse de les coucher parmi les tiges brisées.Et les armées se heurtèrent en une étreinte passionnée et mortelle.
Les deux Darmar couronnaient la mélée de leurs vaillances jumelles. Les yeux écarquillés des guerriers de Mordrach l' Insulteur reflétaient la peur de l'inacceptable juste avant que l'épée du métis ne tranchât dans les chairs exposées.
L' avant-garde ennemie s'ouvrit comme un fruit trop mûr. Faille tellurique lézardant jusqu'à l'effondrement les certitudes, s'imposait l' incroyable chevauchée d'un Shankar en tête d' Escalhon. Et chaque éclat de rire de sa belle bouche cruelle accompagnait l'envol infaillible de l'acier rougeoyant.
Une terreur indicible liait les bras plus sûrement que les coups portés sans dépréciation. Pas un seul ne songeait à railler une présomption qui s'avérait fondée, parmi ceux que l'infortune affrontait à un cavalier, visage au clair barré de lignes de sang, qui n'avait de Shankar plus que l'apparence.
Le poison humain irriguait les mains sous les mailles baptisées au vin sournois de sa fureur et nourrissait la mortifère précision de ses gestes. Inconciliables aux yeux humains, l'angélisme de l'antique race et la martiale vigueur qui décimait leurs rangs dérouta irrémissiblement les batailleurs de Mordrach l' Insulteur.
Ils cédèrent.

Bataille gagnée, Dayân se contempla à travers son oeuvre de mort. Bouche entrouverte sur un souffle trop court, il écoutait hurler en lui le sang shankar réprouvant l'horreur commise, acceptée, réclamée. Discord...
Le blâme mortifia sa conscience, dilacéra ses neuves certitudes. Atroce, la souffrance du désaccord vrilla son crâne. Vaine, sa main lâcha l'épée laquée d'un vernis soudain odieux, au remugle de charnier, et avorta un geste dérisoire vers Tandor.
L'aîné, contraint, ne put empêcher la chute imposée à celui qui venait de profaner l'ingénuité du vieux peuple par une hideuse contamination. Heurtant durement le sol ivre du sang trop volontiers répandu, Dayân se pénétra de la malédiction qui désormais le poursuivrait. Echouant à concilier les deux pans de son être, il lui faudrait s'ajuster sans toutefois pouvoir s'accorder aux déportements et excès humains que certains qualifiaient de prouesses.
Acide, fermentation, mutilation, le désenchantement rendit non advenue toute absolution. Bouche dans la terre assouvie, nourrie de l'atroce vendange, il accepta la paix provisoire du néant.

*******************************

Il ne mourut pas, bien qu'il l'eût rêvé.
L'inconscience avait été un refuge fragile où terrer sa sensibilité outragée par la trop facile concession à la violence et à la tyrannie du sang d' Esaviel dans ses veines. Il sut, à peine revenu, qu'il lui faudrait subir, à chaque randon dans le labour des batailles, la douleur du Shankar en lui. Il connut avec la même évidence qu'il ne renoncerait pas au poison ardant ses tempes et noircissant ses yeux. Cela impliquait qu'il sacralisât l'agonie expiatoire.
" Je jouis de ce sang qui me fait à demi semblable à toi, mon frère bien aimé. Pour autant , je ne renierai pas, si même je le pouvais, cette blessure qu' ouvre en moi mon héritage shankar. L 'épée que j'ai brandie m'a coupé en deux.
- C'était ta première bataille. Avec le temps, espère en la rédemption, tenta, inconvaincu, Tandor de Darmar.
- Je suis ce que je suis, étant devenu celui que je voulais devenir. Il me revient d'assumer mon désir et sa réalisation. Il te faudra me relever ainsi à l'achèvement des batailles.
Acerbe, acéré, le ton inusité se conjuguait à la métallescence du regard qui s'arrogeait la prescience :
Instrument désaccordé, je ne suis intérieurement que discordante rumeur des deux sangs antagonistes dont je suis le réceptacle. Ton roi - mon roi - m'a agréé comme Féal. Ce que je suis l'effraie et le merveille. Nous nous accorderons. Peut-être."

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