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la scène se passe dans un salon confortable, profonds fauteuils en cuir, éclairage discret. Le feu de cheminée suffit à dissiper l’atmosphère habituellement humide que l’on prête aux grottes.
Un ours l’air bonhomme, mais en livrée de factotum, fume la pipe. Il tient un grand verre balonné, qu’il fait tourner lentement, afin que la liqueur ambére libère ses parfums. Il a l’air rêveur, quasi nostalgique. Soudain, il semble prendre conscience de votre présence.
Ah ? Bonjour. Je vous en prie : installez-vous. Un verre ?
Reprenons notre discussion. Où en étions-nous ? Ah, oui …
Vous me connaissez sous le nom de Jeeves, serviteur plantigrade du fameux barbare JB. Comme pour lui, il ne s’agit là bien sûr que d’un surnom, issu d’une abréviation : J.E.E.V.E.S.. Ce qui, développé, donne cela : Johnattan Emmet Emmanuel Van Extinel Strak.
Il est évident que le nom de Jeeves est plus simple et plus rapide à utiliser. D’ailleurs à ce jour, plus personne ne s’en souvient.
Ma famille de pure extraction oursienne a toujours été au service de personnages admirables. Ainsi, mon père, Georges, a été pendant longtemps aux côtés du très célèbre Comte Hermann Van Trÿpotent.
Georges, en fait, est un diminutif de Grégory Ernst Oliver René Glomel Extinel Strak. En remerciement pour services rendus, le Comte l’a anobli, d’où l’ajout dans mon nom de la particule « Van ».
Quand j’ai eu atteint l’âge de raison, mon père, très à cheval sur les principes, me dit qu’il était temps pour moi, comme lui-même l’avait fait, de prendre mon envol. C’était un grand ours. Les nôtres le reconnaissent comme tel : à la fois capable de chevaucher, et de voler, ce qui, chez les ours, est peu commun.
Donc je pris ma valise, avec dedans son dernier cadeau : une superbe livrée, outil indispensable à notre profession. Je partis sur les chemins.
J’essayais plusieurs patrons successivement.
Le premier avait une réputation très usurpée. Il se vantait d’avoir seul affronté simultanément deux dragons, que dans un seul et nique mouvement ample, il avait égorgés. Je dis usurpée, car la première semaine où je le servais, je fus témoin de faits, qui définitivement m’écartèrent de lui. Il m’emmena dans une de ses aventures habituelles, enfin du moins selon lui, pour affronter une horde de gobelins. Sa tactique était claire : je devais affublé d’une armure de cuir, renforcée de chaînes et autres clous passer devant, et, selon ses propres termes, « nettoyer », afin qu’ensuite il puisse ramasser le butin. Je m’exécutais. Deux cent cinquante trois gobelins plus tard, il arriva, fouilla les cadavres, les coffres, et nous repartîmes. De retour à la ville, il cria haut et fort que seul, il était venu à bout de près de mille gobelins surarmés, dirigés par un puissant shaman. Je ne pus me retenir : il reçut pour solde de tout compte ma griffe droite en pleine figure.
Et je repris la route.
Il serait laborieux (et je risquerais de vous ennuyer) en énumérant les autres. Juste pour mémoire, je dirais qu’il y eut de tout : un faux poète, un vrai barde abruti, un pseudo preux chevalier …
Bref, aux faits.
Par une belle journée de printemps, alors que fatigué par mon voyage, je faisais une courte sieste réparatrice, j’entendis des bruits de bataille. Intrigué, je me rapprochais. Je découvris bientôt une bataille digne des exploits du plus flamboyant des guerriers. Un barbare seul, vêtu en tout et pour tout d’un pagne, mais couvert de sang, armé de deux formidables haches de combat, se battait contre une trentaine de trolls. Il riait comme un dément, en lançant de grands « BEAUR » (excusez-moi, mais je le fait très mal). Pour faire court, ce grand barbare fut bientôt entouré d’un tel fatras de corps de trolls, qu’on ne voyait même plus ses genoux.
Est-ce qu’enfin je tenais le patron, dont j’avais toujours rêvé ? Un vrai grand guerrier courageux, et qui plus est avec du style. Malgré tout, j’en doutais encore. Comme la plupart de ses congénères, il devait être analphabête, pour ne pas dire bête tout court. Et il était absolument hors de question que je serve un tel personnage
Je décidais de le suivre.
Après s’être rincé sous la plus proche cascade, il se dirigea vers le bourg voisin. Le suivre ne fut pas un exercice particulièrement difficile, vu le sillage qu’il laissait dans la végétation.
Il entra dans la taverne du village. Là, je fus un peu embêté. Pour une raison stupide, les ours sont mal vus dans les tavernes. Pour avoir accompagné nombre de mes anciens patrons dans de tels lieux, je peux certifier que mes congénères sont au moins aussi bien éduqués que la plupart des clients de ce genre d’endroit. Je l’observais donc d’une fenêtre.
Bon coup de fourchette, très beau lever de coude, et enfin bel uppercut. Le quidam qui s’était cru assez malin pour lui faire une remarque sur sa tenue à table pourrait lui aussi en témoigner.
Bien qu’il m’apparût de plus en plus sympathique, mes interrogations restaient pleines et entières. Les seules paroles que je l’avais entendues prononcer étaient : « BEUAR », « Mon verre est vide : la même chose ! » … Et il est vrai qu’à partir de ce vocabulaire certes efficace, il est malgré tout difficile d’avoir une conversation sensée.
Je décidais donc de poursuivre mon observation attentive.
Au moment où ce grand et noble barbare semblait vouloir prendre un repos bien mérité, après avoir englouti un demi cochon, avalé un tonneau de bière, et effleuré la joue d’une demi douzaine de fâcheux, et où par conséquent la puissance non refrénée de sa respiration calme et sereine emplissait l’auberge, un barde se présenta et monta sur ce qui tenait lieu d’estrade, à savoir une table.
Dès qu’il commença à déclamer quelques vers, je vis soudainement la paupière du barbare se soulever. Je crus dans un premier temps à un quelconque tic, voire à une réaction nerveuse du dormeur qui vient de se faire impromptûment réveillé. Je fus rassuré, quand l’autre paupière, à son tour, avec, me sembla-t-il, plus de difficultés, s’ouvrit. Quoi que légèrement vitreux, son regard s’emplit d’un intérêt rapidement passionné. Avec autant d’aisance qu’il s’était restauré peu avant, le barbare semblait littéralement dévorer la poésie déclamée.
Mon intérêt pour lui grandit encore : un barbare amateur de vers ! La chose était donc possible ?
Mais, en réalité, qu’est-ce qui le charmait réellement ? La nature des paroles, le balancement des vers, la beauté des alexandrins ?
Ou malheureusement le rythme de la diction ? Lui aurait-on fait écouter le bruit d’un chariot ou le vagissement d’un veau qu’il aurait réagi de la même manière, je m’interrogeais.
La passion qui enflammait à présent son regard n’était après tout peut-être due qu’à une digestion difficile et à un abus d’alcool ? Comment faire la part des choses ?
De toutes manières, l’expérience prit fin quand un malotru décida que le barde ne méritait pas autre chose qu’un lancer de chaises. Le barbare, objet de toutes mes attentions, sembla devenir fou, ou plutôt non, redevenir ce qu’il était, à savoir un barbare. De la bagarre qui suivit, il y a bien peu de choses à retenir. Si ce n’est qu’il semblait être autant à l’aise face à des trolls, que dans une rixe d’auberge. Quelques minutes plus tard, de l’intérieur de la taverne, il ne restait rien, ou presque : des corps inanimés, des débris de mobilier.
Comble de malchance pour mon barbare, le barde avait disparu. On entendait d’ailleurs le galop d’un cheval.
Soudain je réalisais que j’avais pensé MON barbare ! « Johnattan ! » Me suis-je dit « Méfie-toi ! Ne te laisse pas avoir ! Certes, il semble avoir plein de qualités ! Mais ne te laisse pas embarquer dans une histoire sans lendemain : tu as déjà trop souffert en découvrant la petitesse des gens à qui tu t’es attaché ! »
Reprenant mes esprits, je me mis à sa recherche. Je l’aperçus courrant dans la direction qu’avait emprunté le barde. Je me lançais à mon tour dans cette poursuite.
La nuit vint à tomber sans que nous ayons rattrapé l’artiste. Le barbare décida de s’arrêter. Son choix de lieu de halte me parut excellent : abrité avec autour une profusion de buisson couvert de baies, et à proximité une petite rivière poissonneuse.
Un quart d’heure après, un lapin fraîchement abattu était embroché au-dessus d’un feu. Le barbare assis à côté tournait nonchalamment d’une main cette rôtisserie improvisée, tandis que de l’autre, il tenait …. un livre !
Rendez-vous compte de ma surprise ! Un barbare qui savait lire ! Je restais stupéfait. Me l’aurait-on raconté que je l’aurais pas cru : ce héros était en plus érudit !
Je vous dois toutefois la vérité. Je pris malgré tout la peine de le contourner discrètement afin de m’assurer d’abord que ce n’était pas un livre d’images, et qu’ensuite il le tenait bien à l’endroit.
Ma décision était prise ! Je devais tenter de l'approcher.
Oui, mais comment ? Goinfre comme il paraissait l’être, j’avais malgré tout intérêt à me méfier : un cuissot d’ours est tellement vite arrivé.
Me déguiser en muse gambadante ? L’illusion n’aurait pas tenu plus d’une seconde, et encore uniquement avec un observateur en état d’ébriété avancée.
Lui rameuter quelques trolls et me jeter furieux dans la bagarre à ses côtés, apparaissant comme son sauveur ? Non, mon père m’avait répété à n’en plus finir : « Jonhattan, il ne faut jamais que ton maître ait l’impression de t’être redevable ! »
Déclamer quelques vers, et tenter d’engager la conversation sur la poésie ? Plus j’y réfléchissais, plus l’idée m’apparaissait séduisante : faire naître entre nous une communauté d’esprit. Nous aurions passé nos journées à échanger sur la littérature, autour de tables chargées en victuailles de tout genre, avec à l’occasion une bonne bagarre, et parfois quand l’envie le prendrait une grande bataille.
Bien sûr ! Quel magnifique stratagème !
Soudain, alors que je songeais aux vers que j’allais lui servir, la triste réalité s’abattit sur moi : qu’allait-il donc comprendre à mes Groumph, et autres Grrrr ?
Misère, le monde était réellement injuste ! J’étais donc condamné à trouver un maître fade, voire fat, sans goût, ni saveur, alors qu’il était là : mon idéal !
Et pendant ce temps, inconscient de mon tourment, il terminait son lapin, en savourant son livre, l’air béat.
« Tiens mais il ne s’est même pas prévu de dessert » me dis-je.
Pas de dessert ? Pas de dessert !
Mon père (toujours très pédagogue) m’avait également appris qu’un bon repas s’achève par trois choses : un dessert, un pousse dessert, et une bonne sieste.
Aussitôt pensé, aussitôt fait ! Ouvrant mon sac, j’en sortis ma livrée, un plateau de service, un plat de porcelaine, une bouteille de Fine de Claire et le verre adéquat (j’ai toujours sur moi le minimum pour assurer un service décent en toutes circonstances). Ramassant rapidement des baies, je dressais le plateau.
Je m’approchais de la lisière de la clairière. Prudemment, j’osais un toussotement discret dans son dos à une dizaine de mètres.
Je cru le voir (plus que je ne le vis tant sa vitesse était grande) lâcher tout ce qu’il tenait en main, saisir une hache, se redresser, se mettre en position de combat, lâcher son cri qui, désormais, m’était familier, et … ouvrir des yeux ronds, interloqué.
Je le vis prendre conscience de la bizarrerie de la scène: une clairière, un petit feu, un lapin embroché, un livre de poésie au sol, un barbare prêt au combat et un ours en livrée.
Réfrénant un fou rire, il se rasseya, l’air digne, me faisant d’un mouvement discret de la tête signe de le servir.
J’obéis, surpris de son maintien (une nouvelle fois surpris devrais-je dire). Je me reculais d’un bon mètre, attendant sa réaction.
Posément, il picora les baies une à une, puis dégusta sa liqueur, d’abord des yeux, puis par son nez, et ensuite par sa bouche. Quelle classe !
Lentement, il se retourna vers moi, et d’une vois tranquille : « Je vous en prie, joignez-vous à moi. Et resservez nous deux verres. »
Je m’exécutais timidement. Nos verres vides, il m’enjoigna de nous resservir.
Et quand le jour se leva, toute ma cave portative y était passée, mais je parlais couramment le Beuar, et lui l’ours commun : notre collaboration venait de commencer !
Votre interlocuteur visiblement assoiffé par cette longue histoire se ressert.
Voilà maintenant vous savez tout ou presque de notre rencontre.
Oh mais le temps passe. Je vais devoir préparer le repas de mon maître.
Se levant, l'ours défait sa redingotte, enfile un tablier blanc et se coiffe d'une toque blanche.
J’ai été enchanté de vous avoir rencontrés. Repassez quand vous voulez. Excusez-moi de ne pas vous raccompagner, et je préfère ne pas appeler Nicole.
Mon bon Jeeves, je ne sais comment vous témoigner toute la gratitude que j'ai pour vous...
Sachez que je suis honoré d'avoir été choisi par un majordome ayant autant de classe que vous.
Je préciserai juste que le lien qui nous unit va bien au-delà de la simple relation d'un maître à son serviteur.
Il s'agit là d'un lien de respect et d'estime mutuelle, bref d'un véritable lien d'amitié.
Johnattan Emmet Emmanuel Van Extinel Strak, je m'incline face à vous et vous remercie du fond du coeur.
J'ai pris beaucoup de plaisir à faire la connaissance de Jeeves Il y a quand même deux trucs qui me tracassent : qui est cette Nicole *j'ai dû manquer quelque chose* et surtout, comment ce fait-il que j'arrive à le comprendre, à comprendre notre barbare JustBob, et qu'ils ne puissent pas se parler entre eux ?
Le texte est trés bien écrit. J'ai ressentie toute la flegme de Jeeves.
Deux trucs plus "techniques" : il me semble qu'il manque un mot à la fin du premier paragraphe (Le quidam qui s’était cru assez ? pourrait lui aussi en témoigner), et je préfére le terme plantigrade à celui d'oursienne (Ma famille de pure extraction oursienne), mais je chipote
Nicole Caver, c'est ma voisine d'en dessous. Une créature tentaculaire très coquette et un peu vieille fille sur les bords.
Elle est très sympa mais à vrai dire je ne la vois pas très souvent car elle a tendance à faire des siestes de quelques siècles.
Elle a eu une rencontre... malencontreuse avec la cabane de Gab qui on ne sait pas trop comment s'est retrouvée dans les cavernes en-dessous de la mienne (encore un coup du Ténébreux sûrement...).
J'ai tout simplement A-DO-RE! Ce Jeeves... quel taaaaaaaaaaaaaaaalent!
Me déguiser en muse gambadante ?
Ouvrant mon sac, j’en sortis ma livrée, un plateau de service, un plat de porcelaine, une bouteille de Fine de Claire et le verre adéquat (j’ai toujours sur moi le minimum pour assurer un service décent en toutes circonstances).
Ces deux passages, j'ai eu du mal à m'en remettre .
Elle a eu une rencontre... malencontreuse avec la cabane de Gab qui on ne sait pas trop comment s'est retrouvée dans les cavernes en-dessous de la mienne (encore un coup du Ténébreux sûrement...).
*Plonge subitement la tête derrière son éventail pour cacher son extrême embarras*
Merci ! J'avais pensé en rester là: la vie de notre héros, JB, est trop riche pour réussir à en choisir un extrait à raconter: ce serait forcément réducteur de la richesse de sa personnalité et de son langage (oui, JB, BEUAR aussi !).
Par contre, si lui-même souhaite que je vous narre autre chose, qu'il l'exprime !
Sinon, je pense retourner à mes marmites, et surtout à mon fauteuil