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"La Horde" : une revisite collective
(Sujet créé par Dom l 02/03/04 à 11:49)
Il y quelques temps déjà j'avais posté un texte "La Horde". Au sein de la Communauté des Ménestrels (à laquelle sont venus se joindre pour l'occasion quelques "associés" ), le projet est né de le réécrire à travers le prisme du regard des différents protagonistes.
Rien que l’évocation de ce nom faisait taire les conversations, frémir les plus courageux, blêmir les plus téméraires.
La horde.
Les parents n’avaient qu’à prononcer ce nom pour qu’aussitôt les enfants obéissent, finissent leur soupe ou aillent se coucher.
La horde.
Combien de taverniers, de commerçants avaient utilisé cette menace pour obtenir le remboursement d’une ardoise, ou d’une créance ?
Aussi loin que les plus anciens se souvenaient, la horde avait été là. Certes, certains de ses membres, comme Hurmph Brise-Crânes ou Vérolé l’Ignoble, avaient disparu. Mais, elle avait continué son long périple, elle s’était renouvelé, attirant sans relâche les pires vermines.
Composée aujourd’hui de plus de deux cent cavaliers, elle avançait inexorablement razziant, pillant, violant, tuant tout sur son passage. Le dernier village qu’elle avait traversé n’était plus dorénavant qu’un tas de cendres fumantes.
Le jeune Tazlek n’avait survécu à cette apocalypse qu’en se réfugiant dans la cave du forgeron. Quand je l’avais rencontré un mois plus tard, il en tremblait encore. Il me rapporta la violence de l’attaque, la sauvagerie de l’assaut, la brutalité de la horde. Il raconta comment les cavaliers équipés de lance avaient chargé les villageois au moment du marché, comment ensuite armés de haches ou d’épées, ils avaient massacré consciencieusement homme, femmes et enfants, et comment ils avaient enfin embrasé le village.
On disait d’eux qu’ils ne descendaient de cheval que pour tuer et brûler. Ils faisaient corps avec leur monture, des chevaux aussi sauvages qu’eux. On racontait même que leurs fers en frappant le sol faisaient jaillir des gerbes d’étincelle, qu’ils étaient environnés de flammes … Mais, çà, j’avais quand même du mal à y croire.
Leur chef était Agfiel l’Aïeul. Les vieux disaient qu’il l’avait toujours été. Son âge était inconnu. Cinquante auparavant, il menait déjà la horde, ses cheveux déjà gris au vent, sa méchanceté charismatique déjà renommée.
Ses lieutenants se nommaient Molosse à cause des chiens qu’ils l’entouraient, Kolar le Maître pour sa maîtrise de l’épée, Delp le Lion à cause de sa pelisse, Johlik, parce qu’il lui fallait bien un nom, et le Terrible Gogol dit le Premier.
Autour d’eux, un ramassis de reîtres, sicaires et assassins de tout poil.
Comment ils s’étaient d’abord assemblés, puis rassemblés ?
Les plus folles rumeurs circulaient. On parlait d’enlèvements d’enfants élevés ensuite au milieu d’eux, de prisonniers qu’ils allaient chercher au plus profond des geôles des plus terribles des prisons. La vérité ? A vrai dire, je n’en savais rien.
Mais, la horde était une réalité, terrible et légendaire.
Cela ne pouvait plus durer !
Je devais m’opposer à elle.
Quand, plus jeune, j’avais choisi le métier des armes, mon but était de défendre la veuve et l’orphelin, et les autres aussi.
Mon serment devant mon suzerain, je l’avais fait en ce sens.
C’est dans ce but que j’avais tué le Dragon sur la Montagne Noire, défait les barbares de l’Ouest, maté la rébellion des tribus des îles.
Toute ma vie, je n’avait eu que cela comme objectif : rétablir la justice. Avec la reconnaissance de mes hauts faits, et de mon sens du devoir, était venue la renommée, la gloire.
Et j’y avais pris goût.
Des chansons courraient sur mon nom, elles louaient ma bravoure, mon ardeur, ma maîtrise du combat. Au fur et à mesure de mes prouesses, des bardes de plus en plus nombreux s’étaient mis à me suivre, pour ne pas rater un épisode de mon épopée, des peintres en tiraient des dessins, qui ensuite étaient montrés à tous, des érudits transcrivaient fidèlement mes exploits.
Mais, il manquait à ma gloire, un haut fait, le plus haut jamais accompli : vaincre un mythe !
L’étude des déplacements de la horde me montrait clairement vers où elle se dirigeait. Je connaissais bien ce qui était forcément l’un de ses points de passage obligés : la Passe de Gloj.
Je décidais de me mettre en route seul, enfin avec la suite de ménestrels, dessinateurs et autres rapporteurs.
J’imaginais déjà les paroles des chants qui magnifieraient cette bataille, les croquis qui glorifieraient la fin de la horde, et les légendes qui ne manqueraient pas de fleurir.
La journée était bien belle. Les futurs reporteurs de mes exploits avaient pris place sur les coteaux de la passe, pour n’en pas manquer une miette.
Devant moi, j’avais planté mes flèches et mon fidèle espadon. A mon côté droit pendait une masse, au gauche un poignard. A la main, je tenais cet arc avec lequel je me sentais invincible.
Au long, je vis d’abord un grand panache de poussière. J’entendis la rumeur de la galopade, un grondement sourd qui allait en s’accentuant. Je commençais à entrevoir les silhouettes des cavaliers qui s’avançaient au galop, tels un vol de sauterelles sur un champ de blé.
Bientôt, la horde ne fut plus qu’à une centaine de mètres. Je voyais nettement leurs postures insolentes de force brutale. Cinquante mètres. Je discernais maintenant leurs visages grimaçants de haine.
Comme si je les avais déjà rencontrés, je les reconnaissais tous : la crinière grise d’Agfiel, la pelisse de Delp … Les légendes qui courraient sur eux me revinrent d’un seul coup. Je revoyais les cadavres déchiquetés qu’ils laissaient derrière eux, les monceaux de cendres fumantes. Je revivais les massacres qu’ils avaient perpétrés, la brutalité dont ils avaient usée.
La fureur sauvage qui se dégageait d’eux vint sur moi comme l’eau sur le feu : je sentais la peur m’emplir. Mes flèches face à leur puissance me semblaient dorénavant dérisoires, mon espadon une épée en bois, et mon poignard un ridicule cure dent.
Mes genoux commençaient à s’entrechoquer, des sueurs brouillaient ma vision, l’effroi me paralysait complètement.
Ce qu’il est advenu ensuite, je n’en ai plus de souvenirs nets. J’eus l’impression que le brouillard qui troublait ma vue commença à m’envelopper, que ma peur s’était matérialisée en une brume, un cocon, qui m’enveloppa, jusqu’à me soustraire aux regards. Je les vis passer autour de moi au grand galop, charger, hacher mes artistes, puis s’éloigner. Leurs chevaux m’avaient frôlé, j’avais senti leur haleine, entendu leurs hennissements. Les regards de leurs cavaliers m’avaient comme glissé dessus ou évité, je ne saurais dire.
Bref, tout c’était passé comme si l’espace d’un instant je n’existais plus.
Quand je repris pleinement conscience, j’étais seul. Sur les coteaux, les corps inertes des artistes gisaient éventrés, décapités, broyés.
La horde était passée.
Comment et pourquoi je survécus ? Je n’en sais rien.
Aujourd’hui, rongé par la honte, je vis en haut d’une montagne en ermite, essayant de ne me rappeler uniquement que ma gloire, priant pour que me survivent les chansons contant mes hauts faits, et que personne n’ait jamais vent de cette histoire.
Point de vue de l’Espadon ou l’amertume d’un objet rouillé
Seul…
Inutile…
Abandonné, je rouille … contre ce mur … comme un vieux clou.
Issu de la terre, j’y retourne doucement mais sûrement à mesure que les intempéries m’usent. La pluie et le vent ont eu raison de mon tranchant. Ma garde est salie, ma pointe émoussée, le cuir qui recouvrait mon pommeau tombe en lambeau.
A quoi bon résister. Tout cela n’a plus d’importance. J’ai cessé d’être le jour où il a cessé de me brandir. Sans sa force pour me mouvoir, je ne suis rien. Sans son courage pour me faire fendre l’air, un vieux bout de métal encombrant. Sans son âme pour animer la mienne, un objet mort.
Avant …
Avant …
C’était différent.
Avant nous étions un, unis dans le combat comme dans la parade.
Sa force en moi, je m’abattais sur nos ennemis : tranchant les membres, broyant les os, perforant les armures.
Le sang, toujours, sur ma lame. Le sang, mon trophée, ma gloire. Il glissait sur moi, chaud, épais, sans pouvoir me salir, sans m’atteindre. Et lui, mon maître, toujours vaillant, insolent, téméraire, adroit, rapide, si fier. Je vibrais de son excitation, je suivais sa danse infernale. Les corps tombaient autour de nous. J’étais, fidèle serviteur de son ambition, comme une partie de son corps, la continuité de sa main, obéissant à son instinct.
Oui, nous étions un… Et la gloire rayonnait sur nos exploits. Et toujours il me gardait auprès de lui. Je fus sur le premier tableau que l’on peint de lui. Dans les paroles de la première ode que l’on composa à son honneur. Il me portait dans les bals comme à la ville. Le long de son flanc droit, je découvrais le monde. Les cours des plus grands royaume nous ouvraient leur bras.
Mais il lui fallu toujours plus. Nous étions si forts, qu’il nous cru indestructibles. Si renommés, qu’ils nous cru les plus puissants.
Alors …
Alors, un jour …
La terre, humide et froide, dans laquelle je suis enfoncé. La terre, dont me parvient d’étranges vibrations. Des bruits lourds, puissants. Ils se rapprochent. Les pulsations traversent le sol et rencontrent ma lame de plus en plus vite. Peut-être une dizaine de chevaux, menés à un rythme infernal.
La respiration de mon maître s’accélère. Au loin, on entend la clameur des guerriers. Les chevaux seront bientôt sur nous.
« Brandis moi ! Brandis moi ! » Je hurle intérieurement. Que fais-tu ? Je ne puis rien sans ton bras. Attrape mon pommeau ! Propulse ma lame ! Je ferais le reste. Je nous sauverais. Je les pourfendrais. Pour le sang, pour ta gloire, pour nous !
Les vibrations sont devenues tonnerre. La clameur, des hurlements et des cris. L’air est chargée de l’odeur des chevaux, des cavaliers et du sang. Du sang des innocents qui périssent derrière nous sans que tu ne réagisses, mon maître. Pour la première fois je sens ta peur. Ta main s’est avancée dans ma direction, dans un geste mécanique, mais sans m’atteindre. Déjà la horde s’en va, laissant derrière elle l’horreur de ta lâcheté.
Tu ne m’as plus jamais porté. M’attachant avec le reste de ton équipement à ton cheval, tu nous menas en ce lieu reclus. Puis tu m’abandonnas contre le mur de ta nouvelle demeure. Une vieille masure en ruine, où personne ne vient jamais.
Je ne suis plus que le fantôme d’une gloire passée. Parfois, en se levant, le soleil joue sur ma lame et lui redonne l’éclat d’un temps qui n’est plus. Tu me regardes alors, te souvenant de mon existence mais tu détournes bien vite les yeux. Objet de gloire hier, de honte aujourd’hui, je n’ai qu’une interrogation. Pourquoi ne me jettes-tu pas ?
point de vue du paysage
Silence
Que s’élève un conte de mon enfance
Terre calme intouchée
Offerte aux douceurs du soleil
Collines pareilles à des baisers
Jonchées de grains vierges d’humanité
Un silence de sable
Frissonne sous le vent
Se tisse une fable
Couleur de l’air d’un temps
S’étiolent cristaux intemporels
Des promesses de gloire lointaine
Pour ces hommes en moi assemblés
Pas à pas sur le sable foulé
Une ombre plane, soif et désir
Insaisissable présage
Une ombre plane, aveu d’un soupir
Imprévisible image
Juste vos yeux pour m’aimer
Juste vos chants sérénité
En caresses légères mon corps a dansé
De reflets en grains d’œil dorés
Silence
Au loin s’élève une cadence
Claquent leurs attaques calme calciné
Grincent leurs cris la peur meurtrissures
Sang sifflent contre moi leurs lames d’acier
Coulent les corps qui pleurent encore
Chair à vif désolée
Par leur cavalcade affolée
A fleur de terre Peau de sang
Je on crie crissements
Sable en éclats de mortalité
Corps en sang au cœur violé
J’aspire du sang comme des ombres
Je n’aspire qu’à mourir étouffée
Pour ne plus sentir contre moi en nombre
Cent cadavres mille regrets
Pour ne plus sentir déferler
Que les semences de l’oubli
Silence
Qui à présent contemplera ma danse ?
Rondes fracassées par l’ardeur du soleil
Miroitant en mille éclats vermeils
Morsures de baisers en grains de sanglots
Sur mon corps violé, mère de vos tombeaux
Sur mon corps violé, qui attend leurs sanglots
Et qui un jour, quand le soleil sera haut
Créera de lui-même une nouvelle béance
Pour faire oublier leur infernale cadence.
point de vue de Kolar
Ha ! Quelle puissance ! La Horde ! Quelle image magnifique ! Quelle notoriété ! Chevauchant libre comme libre l’air avec comme seul but : détruire ! Razziant, pillant, brûlant, découpant, tranchant …
Je suis fier de moi et de ce que j’ai réalisé.
Pour ce que j’en sais, jamais nous n’avons paru aussi puissants ! Aussi horribles ! Aussi effrayants ! Mais quel travail pour en arriver là …
Je me souviens jeune dans mon petit village.
Déjà à cette époque, j’avais la volonté d’écraser les autres. Déjà, à cette époque, ne pouvant être ni le plus beau, ni le plus fort, j’avais décidé d’être le plus terrible. Mon gabarit, ma faiblesse physique, tout me destinait à être toujours le Petit, le Ti. Ce que par grandeur, c’est-à-dire par ma taille et ma hauteur de sentiments, je ne pouvais obtenir, j’avais décidé de l’atteindre par méchanceté, sadisme : le Grand Méchant par essence même.
Mon surnom date de là, quoi qu’aujourd’hui on puisse en dire. Mon habileté à utiliser des barreaux de chaise vicieusement, traîtreusement était connue et reconnue. Et c’est comme çà que le Ti Kolar a été surnommé le Maître du Barreau. Certes en vieillissant, mes outils habituels de jeunesse m’apparurent bien futiles : dagues, couteaux, haches, épées, fléaux, toutes ces armes étaient bien plus redoutables. Surtout l’épée, arme habituelle des héros. Faire de grands moulinets, tailler, piquer … Quel style ! Mes premières tentatives furent douloureuses. Rapidement, j’en vins à la conclusion que jamais je ne serais un maître d’épée.
Réfléchissant, je devins persuadé (et je le suis toujours) que plus qu’une réelle habileté au combat, ce qui comptait c’était la réputation de l’habileté qui importait.
La reconnaissance précède la connaissance.
J’avais conscience que quelques coups d’éclat, mais surtout de bons compagnons (enfin surtout bêtes, manipulables, et très forts) assiéraient ma renommée dans la province. Je m’y attachais donc. Louant la loyauté de quelques brutes de mon âge (j’avais quinze ans), je fis assez rapidement régner la terreur dans les campagnes avoisinantes. Afin de parfaire ma réputation, je fis assassiner quelques voyageurs que j’attiffais ensuite d’armes et d’armures. Bientôt, l’on raconta que j’avais provoqué en duel singulier des chevaliers de passage et que loyalement, je les avais mis à mort.
Enfin la renommée !
Mais je voyais plus grand. Ce que j’avais réussi sur ma réputation, je rêvais de le faire à une autre échelle
Le passage de La Horde a été ma chance.
Par une belle journée printanière, la Horde comme un nuage de sauterelles tomba sur notre comté. Je pris bien soin de rester discret, de me cacher. Je les observais.
Très techniques, très brutaux, mais quelle absence de style ! La brutalité mérité d’être mise en scène pour atteindre sa perfection. Point ne suffit d’être fort, et de tuer pour être craint ! Il faut que çà se sache ! Le massacre systématique est une stratégie idiote : laisser de temps en temps des témoins suffisamment traumatisés qui conserveront, puis véhiculeront votre image déformée, est certainement plus payant.
Je repérais celui qui paraissait être le chef. Assez classe, je dois l’avouer. Bien typé. Beaucoup de charisme.
Je me décidais à tenter le tout pour le tout. Je sautais à l’arrière de son cheval, et lui mis ma dague en travers de la gorge.
« Ne craignez rien ! je veux juste vous parler. »
Par quel miracle, il décida d’obéir, aujourd’hui encore je n’en sais rien. Je lui exposa mes théories sur la reconnaissance, sur la mise en scène. D’abord tendu, notre échange devint très rapidement constructif. Il dura des heures. Ses dogues autour de nous tournaient tels des bêtes enragées.
Soudain, de sa voix de stentor, il déclama :
« Voici Kolar, Maître d’épée ! Il chevauchera désormais à mes côtés ! »
Depuis, je fais partie de la Horde. Chargé de communication, si je puis dire.
Nos déplacements paraissent toujours chaotiques nos razzias aléatoires. En réalité, il n’en est rien.
Ce qui fait le succès d’une bonne attaque : une cible facile (surtout ne pas prendre de risques), mais pas trop isolée (pour que la rumeur se propage vite), une sauvagerie très stylée (la sauvagerie était là, il n’y eut qu’à la scénographier).
Le gros de mon travail fut de mettre de l’ordre dans tout çà. Vingt après, j’en suis assez fier.
Je ne serais sans doute jamais le chef de la Horde. Peu m’importe : elle est mon œuvre.
Cette chevauchée me remplit de fierté.
Mon seul souci est comment faire plus, comment paraître encore plus sauvages, brutaux, affreux …
J’ai entendu parler d’un type, quasiment auto proclamé héros, qui se fait suivre par bardes et autres écrivains : ils relatent ensuite ses exploits. Peut-être est-ce la bonne solution ? Je devrais …
Tiens, c’est quoi çà ? Un type seul, accompagné de quelques autres. Aucun intérêt à en laisser un derrière nous. Laissons nos chiens se déchaîner :
« Pas de quartiers ! »
Quelques coups d’épée plus tard, je peux enfin reprendre le cours de mes réflexions.
Avoir toujours sous la main des peintres qui nous dessineraient, des ménestrels qui mettraient en chanson nos sanglants exploits … Oui c’est çà !
Bon, faudra que j’essaye de rencontrer ce "héros" pour lui demander conseil.
point de vue d'Agfiel
Le vieil Agfiel chevauche l’air morose et renfrogné. Il marmonne dans sa barbe.
Ca va bien faire deux semaines qu’on chevauche sans rien faire, non ? Ce que je peux m’emmerder. Pas un village digne de ce nom, pas un petit château isolé, pas même une petite abbaye ! Pffffff, mais c’est quoi ce pays ?!
Pourvu qu’on trouve de quoi se dégourdir bien vite, parce que sinon je sens que je vais devenir mauvais !
Faut dire…j’ai toujours pas compris pourquoi Gogol et Kolar ont décidé de nous « faire voir du pays ». On était bien dans l’Ouest après tout. On manquait de rien : bonne bouffe, bonne bagarre, des pucelles à foison et la meilleure bière du pays.
Je me fais vieux moi, les voyages c’est plus de mon âge. Et puis j’aime pas changer, c’est pas des manières d’homme simple ça. Si Kolar n’est pas content ça le regarde, mais qu’il vienne pas me pourrir la vie avec ses pulsions de bohémien !
Je sais pas ce que les autres en pensent mais il commence sérieusement à me les briser avec ses rêves de grandeur.
Au début il était bien pourtant, il a vite pris le pli et on s’est bien marrés ensemble. Je me rappelle encore comment il nous a rejoint. Fallait du culot ! Un ptit gars intéressant, pas trouillard et pas bégueule. Il s’est bien intégré et a fait sa part du boulot sans rechigner.
Faut dire qu’il avait des progrès à faire avec son épée... « Maître d’épée », m’a bien fait rire celle là quand je l’ai vu s’en servir pour la première fois !
On va dire qu’il s’en sert mieux mais bon, c’est toujours pas Dharthanian non plus.
Ouais, il promettait bien le petit.
Plongé dans ses pensées, Agfiel chevauche en silence un moment mais reprend de plus belle sa diatribe.
Là je sais pas ce qu’il a depuis quelque temps, on dirait qu’il a un truc qui le démange en permanence. Faut qu’il bouge.
Et comme Gogol fait ce qu’il lui dit sans rechigner, nous voilà partis je ne sais où. Depuis qu’il lui a monté la tête et promis la lune, je m’y perd moi. C’est d’un compliqué la guerre psychologique... Donnez moi un bon petit massacre bien simple et ça me suffit largement.
Paraît qu’on est partis pour devenir une légende et se couvrir de gloire.
La gloire. Mais qu’est ce qu’on en a à foutre de la gloire ? Si j’avais voulu la gloire, je me serais engagé dans l’armée !
Une légende. Il veut faire de nous une légende. Comme si j’avais une tête de légende moi. M’a pas bien regardé faut croire.
Ouais, je crois bien que – mais c’est quoi ça là bas ? J’ai la vue qui baisse, j’y vois plus à cette distance.
Ho ! Delp ! C’est quoi ces gens là bas ?
Des peintres ? Non, tu rigoles ?
Ahhhhhhhh, enfin un peu d’action ! Ca va être comme qui dirait mon quatre heures !
La Horde approche et se déploie. Elle se jette sans une hésitation sur les artistes assemblés. La poussière masque pudiquement le carnage qui s’ensuit. On entend parfois la voix éraillée d’Agfiel qui semble enfin retrouver un peu d’allant.
Hé ! Reste là grassouillet ! Viens te battre si t’es un homme ! Non ? Bon, tant pis pour toi !
Le bruit des armes couvre le râle des mourants.
Quoi ça y est, c’est fini ? Déjà ? Purée, j’ai même pas eu le temps de transpirer... Attendez ! Il en reste un là bas, je le sens d’ici il s’est fait dessus.
Hein ? Quoi ?! On s’en va ? On le laisse ?
Quelque temps plus tard, Agfiel marmonne toujours
Ouais, décidément je comprend pas. Mais bon, paraît que je suis un primaire, alors…
La Horde est passée
point de vue d'un reporteur
Tous les jours j’entendais parler de la Passe de Golj. Les rapporteurs qui suivaient le Héros depuis des années n’avaient que ce nom à la bouche. C’était le lieu où il devait affronter la Horde.
Durant le voyage j’ai beaucoup parlé avec mes confrères plus expérimentés que moi. De longues conversations en marchant et le soir au coin du feu. C’est ainsi que j’ai appris tous les exploits de Paedric.
Mon maître, l’un des plus grands ménestrels de notre ère, m’a dit :
- Robin, maintenant je n’ai plus rien à t’apprendre. Tu dois voler de tes propres ailes. Parcours le monde et divertis les gens.
C’est au cours d’un de mes nombreux voyages, que mon chemin a croisé celui de Paedric. Depuis, je suis devenu un de ses rapporteurs.
Arrivé à la Passe de Golj, tous les ménestrels s’installèrent sur les coteaux cherchant les meilleures places. Dans un premier temps je restais là, immobile tandis que Paedric prenait place au milieu de ce qui allait devenir une arène.
A mon tour, je choisis un coteau en retrait les autres étant occupés. Ce paysage était extraordinaire. Une vaste plaine couverte de sable et d’herbe grillée par le soleil ardant. Quelques arbres éparpillés avaient encore quelques feuilles vertes ; seul signe de vie à des lieues a la ronde. Pendant la saison des pluies, il en était tout autrement. L’herbe était bien verte, les arbres avaient des fruits et les animaux venaient paître dans cet endroit paisible.
Je n’avais qu’assez perdu de temps à contempler ce spectacle. Il était grand temps que je me prépare avant l’affrontement.
Assis confortablement, je déballais mon matériel. Je devais réaliser de nombreux croquis afin de pouvoir peindre un grand tableau de cet événement dont on parlerait encore dans un siècle.
Le soleil commençait à descendre vert l’ouest ce qui donna une lumière parfaite pour commencer les dessins.
Ma première esquisse fut celle de notre héros. Il planta grand nombre de flèches devant lui ainsi que son espadon dont on disait qu’il ne se séparait jamais. Ses gestes étaient lents et assurés. Cet homme soyez en sur ne devait pas connaître la peur. Ses préparatifs terminés, il empoigna son arc de sa main gauche. Tel un prédateur, il attendait sa proie prêt à attaquer.
Je profitais de ce moment de calme avant la tempête pour figer le paysage sur papier.
Soudain, au loin, un nuage de poussière commençait à s’élever. L’affrontement était imminent.
Paedric à cette vue ne changea pas de position. Le moment n’était pas encore venu.
Les secondes s’écoulèrent et les cavaliers approchaient rapidement. Mon cœur commençait à battre de plus en plus vite, mes mains à trembler. Pourtant je continuais mes croquis de la horde. Comment cet homme seul au milieu de l’arène pouvait-il rester calme ?
Maintenant, je pouvais voir les montures et leurs cavaliers. Les vibrations provoquées par les chevaux au galop, faisaient vibrer le sol, tandis que les cris des barbares saturaient mes oreilles.
Sans m’en rendre compte, je m’étais levé et avais reculé de plusieurs pas. Je n’avais plus l’impression d’assister à un combat, mes plutôt d’être chargé par cette Horde effrayante.
Tous les cavaliers, arme à la main arrivèrent comme un ras de marée sur Paedric qui n’avait toujours pas bougé d’un pouce.
Notre héros se retrouva rapidement englouti par cette vague de haine. Je vis un à un mes confrères se faire massacrer. Paralysé par la peur, je fus incapable de prendre la fuite.
Derrière elle, la horde laissa les corps des rapporteurs sans vie. La terre asséchée bue avidement ce breuvage qui lui avait été offert ne laissant que des taches rouges à sa surface.
Quant à Paedric, par miracle il fût épargné. Seul parmi les cadavres, il ne pouvait que contempler ce spectacle de désolation.
La horde était passée.
Un vent se leva, dispersant les poèmes, chants et dessins qui racontaient comment un seul homme avait vaincu la Horde.
Le Terrible Gogol dit le Premier.
Je suis passé tout près de lui au grand galop, ma hache l’a effleuré et j’ai senti l’odeur de sa sueur. Pendant une fraction de seconde, j’ai plongé mon regard dans le sien.
Pur moment de jouissance.
Bien mieux que de dévorer de la chair humaine, que de violer une femme ou de démembrer un enfant.
Pendant ce fugace instant, j’ai senti toute la terreur de cette pathétique créature.
J’ai senti toutes ses certitudes et croyances s'écroulant comme un fragile château de cartes.
J’ai senti qu’il réalisait enfin toute la futilité de son existence.
J’ai senti qu’il comprenait à cet instant que sa fragile destinée était régentée par l’unique loi vraie et immuable : la loi de la Force.
Les hommes vivent dans l’illusion de la société.
Pour se rassurer, pour se protéger de la crainte qui leur ronge le cœur dès la naissance, ils élaborent de belles théories politiques, religieuses, mystiques et que sais-je encore.
Tout cela est ridicule et n’a aucun sens.
Ils refusent d’accepter que, malgré leurs rêves, ils sont et seront toujours soumis à la loi du plus fort.
Et cela quelque soit le système social qu’ils peuvent élaborer. Tous ceux qui ont été mis en place jusqu’ici ne sont que des moyens pour masquer maladroitement la réalité.
Le résultat reste toujours le même : la domination du fort sur le faible.
La seule différence est que toute cette mascarade a rendu la loi encore plus injuste. Ce n’est plus le plus fort physiquement ou le plus féroce qui impose sa supériorité, mais le plus intelligent, le plus riche, celui qui a été favorisé par sa naissance ou celui qui sait profiter au mieux du système. Pour cela, vous avez multiplié de manière étonnante les moyens et les degrés de domination.
Pourquoi cette hiérarchie, car il ne s’agit de rien d’autre que cela, a quasiment été développée à l’infini ? Mais tout simplement pour vous faire croire qu’un jour vous pourrez accéder à un plus haut niveau de domination, pour satisfaire ceux qui pourraient menacer le plus haut échelon en le casant à un niveau où il pourra assouvir sa soif de pouvoir.
Les lois, la morale, les idéaux et tout le tremblement ne sont là que pour brouiller la réalité aux yeux du troupeau, pour la rendre moins cruelle mais aussi pour s’assurer la servilité de chacun.
Ceux qui vous dominent prétendent le faire au mieux de vos intérêts ? Quelle stupidité ! Ils ne font que le strict minimum selon un principe simple : rester le dominant et veiller à ce que nul ne soit en mesure de prendre leur place.
Mais votre endoctrinement est tel qu’il vous pousse à défendre cette illusion qui vous donne envie de vivre un jour de plus, qui vous fait croire que vous valez quelque chose alors que vous n’êtes rien, rien de plus qu’un faible soumit à la volonté du plus fort.
Moi, je suis une grosse brute et je peux plier en deux d’un simple mouvement n’importe lequel de vos souverains. Mais votre système le protège. Beaucoup seront prêts à sacrifier leur vie pour le sauvegarder de ma fureur. Mais, lui, serait-il prêt à en faire de même pour vous ? Bien sûr que non !
Je trouve cela parfaitement injuste.
D’autant que ne pouvant m’attaquer à ceux qui vous dominent, je suis obligé de me rabattre sur vous, les faibles. C’est quand même dommage !
Enfin surtout pour vous…
Je me demande bien pourquoi je vous raconte tout cela…
Après tout, je m’en fous. Je ne suis qu’une immonde brute et je me contente d’assurer ma domination grâce à ma force. Je ne suis pas assez malin pour utiliser les méthodes subtiles de votre système social pour le faire. Chacun son truc.
Bon, ce n’est pas tout ça, mais il y a un prisonnier bien dodu qui m’attend et j’ai hâte de le dévorer en savourant la douce musique de ses cris de douleur.
Mais ça m’a fait du bien de m’exprimer un peu sur tout cela.
Pour une fois qu’on demande son avis à un Ogre…
Les miens m’appellent Delph Le Lion.
La vie que je mène n’est qu’une succession sans saveur de morts et de rapines. Ma famille, la Horde, m’entoure et me protège, mais c’est elle qui cause également mon tourment et mes remords.
Avant qu’elle ne m’adopte, j’avais pourtant une vie saine et droite. Ma mère étant morte en me mettant au jour, mon père, un petit seigneur bon et loyal, s’occupa de moi toute mon enfance. J’étais son seul enfant, son seul souvenir de ma mère, la femme qu’il aimait plus que tout au monde, et ses sacrifices étaient sans limite pour mon bien-être.
Son intégrité, sa loyauté et son honnêteté en avait fait à mes yeux un exemple à suivre coûte que coûte.
Mon enthousiasme sans borne nourrissait ma soif d’apprendre, et lui, fier de mon intérêt pour ses sciences, m’enseignait sans relâche les arts dus à notre rang.
L’escrime, les bonnes manières, la gestion du domaine … Chaque aspect de la vie de mon père suscitait en moi respect et admiration.
Si la notion de succession m’apparut plus tard comme une suite logique à nos existences, comme un lien qui défiait la mort elle-même, ma principale ambition juvénile était tout simplement de devenir lui.
J’étais heureux.
Lors de ma quinzième année, je découvris l’existence de la Horde. Sa réputation avait précédé son arrivée et mon père, fidèle à ses principes, avait décidé de faire face à cette menace, malgré tous les avertissements que prodiguait ses conseillers.
De mon côté, je ne doutais à aucun instant du sort que réservait mon père à ses mécréants sanguinaires.
D’ailleurs, je ne pense pas qu’il envisageait lui-même sa défaite : quand il organisa la défense du château, il n’évoqua à aucun moment sa succession, alors qu’elle était l’essence même de sa vie.
Et lorsque la Horde se présenta aux portes du château, lorsque que mon père me jeta un dernier regard, je n’y lu que confiance et détermination.
La bataille débuta. J’étais calfeutré dans le donjon, de telle sorte que je pouvais voir à travers la fenêtre les épées s’entrecroiser et les hommes tomber les uns après les autres.
Mon père se trouvait sur le mur d’enceinte, organisant une défense qui cédait aux coups de butoirs d’une Horde qui semblait enragée.
Leurs noms, je ne les connaissais pas encore, mais au premier regard, leurs visages se gravèrent en moi. Malgré la violence dont ils faisaient preuve, malgré la mort qu’ils semaient autour d’eux, je ne pus réprimer un sentiment d’admiration naissant à leur encontre. Lorsque mon regard parvint à se détacher d’eux, je cherchai mon père, mais il avait disparu.
La défense du château fut rapidement taillée en pièce. Cela ne prit que quelques minutes durant lesquelles je ne pus que constater la puissance sans limite de la Horde. Alors qu’il ne restait plus qu’une douzaine de soldats cherchant vainement à fuir leur macabre destinée, la porte de ma cachette s’ouvrit.
Mon père, ensanglanté, la respiration sifflante et la démarche mal assurée, tendit les bras vers moi.
« Suis-moi : il nous faut fuir ! »
Quand il prononça ces mots, je compris que mon père avait failli.
Quand j’entendis ces paroles, l’homme mourant qui se tenait à quelques mètres de moi, implorant ma venue, cet être misérable, qui n’avait eu de cesse de me servir d’exemple durant toutes ces année, cessa d’être mon seigneur.
Mon père aurait combattu jusqu’à la mort, par honneur et par fierté pour son rang. La pitoyable demande qu’il formulait à mon encontre fit naître en moi une haine et une violence dont je ne me savais pas capable.
L’homme qui avait cessé d’être mon père tomba à terre en pleurant. Il avait vu dans mon regard la naissance des émotions qui allaient nourrir la suite de mon existence.
La Horde pénétra dans la pièce. Elle m’aperçut et reconnut dans mon regard les sentiments qui nous unissaient. Je lus dans leur yeux compréhension, reconnaissance et acceptation. Mais il fallait que j’accomplisse moi-même ma destinée.
L’homme avait cessé de pleurer. Il me regardait avec une horreur grandissante, m’appelant par des noms auxquels j’avais désormais renoncé.
La Horde nous entoura et l’un d’entre eux me tendit son épée. Je la saisis, me retourna vers l‘homme qui avait sacrifié sa vie pour moi et lui plongea la lame dans le cœur.
J’avais honte de moi, honte d’avoir cru cet homme, honte de l’avoir pris comme modèle. Dès lors, je n’eus de cesse de me venger.
La Horde me fit sien. A son contact, la haine et la violence qui m’animaient s’en trouvèrent exaltées. Elle me permit tant d’exprimer ma vengeance que je finis par oublier l’existence même d’une cause à celle-ci.
Mais un jour, alors que nous passions la Passe de Golj, mon regard rencontra celui d’un homme qui allait changer le cours de mon existence.
Il se trouvait à l’orée d’un bois, arc à la main, entouré d’un ribambelles de fieffés ménestrels qui semblaient attendre quelque chose avec excitation.
Comme à son habitude, la Horde fondit sur ces malheureux. J’étais en première ligne, ma vengeance pour seule compagnie.
Plus je m’approchais, plus je sentais que l’archer était au centre des préoccupations.
Je venais de dégainer mon épée, lorsque je plongea mon regard dans le sien.
Fierté, courage, vaillance, détermination … Jamais un homme n’avait osé me regarder avec autant de défiance.
Soudain je pris conscience des obscures motivations de mon existence.
L’archer disparut, et je vis mon père, cet homme si fier et courageux, faire face à son destin, m’affrontant, moi, son fils, dont l’admiration n’avait jamais tari.
J’étais redevenu un enfant, je me souvins de ma destinée et de mon renoncement. La vengeance céda la place aux regrets et à l’amertume.
Devant mon incertitude, mon cheval percuta l’archer et poursuivit sa route vers les ménestrels. Mais je n’avais plus envie de tuer.
Ma famille, la Horde, m’entoure et me protège, mais je me sens responsable de ses agissements.
Je dois payer ma dette et mes erreurs passées, et faire preuve du même courage que cet archer en affrontant une deuxième fois ma famille.
Le jour viendra …
Signé: collectif "Ménestrels & Associés"
Autrement dit:
Honneur aux dames:
Méliane
Ysandell
Les hommes:
JB
DL
Neojah
Zacharias
Dom
(noms donnés sans aucun ordre: charge à vous de retrouver qui a écrit quoi )