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Joute 6 : Retour de campagne [textes]
(Sujet créé par Neojah l 24/02/04 à 14:40)
Ce sujet n'a pour but que de présenter tous les textes écrits dans le cadre de la joute 6 ainsi que toutes les critiques, impressions ou conseils relatifs à ces mêmes textes.
Veuillez donc éviter tout détournement dans ce sujet (au moins jusqu'aux résultats s'il vous plaît).
Quant aux commentaires sur les textes, je préférerai qu'ils attendent également la fin de la joute pour être postés, afin de n'influencer personne, car le public peut lui-aussi voter.
Je rappelle que la date de remise limite est fixée au 14 mars. Et cette fois, il n'y aura pas de délai supplémentaire .
Pour toute question, le topic général de la joute en cours est vivement recommandé.
Le sondage et les votes sont ouverts : n'hésitez pas à voter pour votre texte préféré ici
L'air était froid et humide en cette fin d'après-midi. Ici et là, dans le ciel nuageux, se distinguaient les premiers charognards. Vautours et autres corbeaux étaient venus festoyer dans la plaine d'en bas, où s'étalaient à perte de vue les cadavres de soldats tombés lors de la bataille. L'odeur de sang et de chair avait fini par avoir raison de la terreur que leur inspirait l'immense créature tournoyant plus haut dans les airs.
Ses énormes ailes déployées, le dragon planait majestueusement dans le ciel crépusculaire. De temps en temps, un rare rayon du soleil couchant parvenait à percer à travers les nuages épais et venait caresser la peau sombre du monstre. Celle-ci, recouverte de solides écailles couleur d'ébène, luisait alors de mille éclats. Ses yeux pourpres scannaient sans cesse l'interminable champ de bataille. Une poignée de Guérisseurs, noyés dans un océan de cadavres, tentaient de sauver ceux qui pouvaient encore l'être... et de mettre fin aux souffrances des autres. Les soldats des armées victorieuses étaient massés au centre de la plaine. Là, sur une petite élévation de terrain, un pavillon de guerre avait été érigé. Des discussions y étaient en cours depuis un bon moment.
Loin des autres, sur une colline à l'extrémité Est de la plaine, le dragon pouvait discerner, bien cachée par une épaisse forêt de houx, une dernière armée.
Allons-y, Mid, il est temps, fit la voix de son compagnon, qu'il était le seul à pouvoir entendre.
Pivotant d'un mouvement fluide, il effectua une demi volte, replia ses ailes et piqua vers la colline. A quelques dizaines de mètres du sol, il se redressa et des ombres venues de nulle part l'enveloppèrent pour le plonger dans un brouillard noirâtre.
* * *
« ... subi le plus de pertes. Bien entendu, nous n'avons pas encore de chiffres exacts. Mais nous pouvons raisonnablement estimer que seul le quart de la Compagnie a survécu. Tous des vétérans, Capitaine, et la plupart des marines. C'est pourquoi nous suggérons qu'ils soient répartis dans les Quatrième, Septième et Neuvième Compagnies, lesquelles sont composées essentiellement de nouvelles recrues, et que la Seconde soit dissoute. D'autre part, Capitaine, concernant nos... euh... alliés, les estimations préliminaires indiquent ... »
Ne prêtant qu'une oreille distraite à son Lieutenant, Rob continua d'observer à l'aide de ses jumelles le déroulement des pourparlers dans l'immense pavillon au centre de la plaine. Les Seigneurs de Guerre ainsi que leurs conseillers Prêtres étaient maintenant rassemblés comme des rapaces autour d'une grande table en bois. Sur la table, des servants avaient déposé un corps meurtri d'une dizaine de blessures, fatales pour la plupart. Le corps du Tyran. Ou plutôt son dernier corps. Car il avait la fâcheuse habitude de s'emparer d'un nouveau corps dès lors qu'il était en difficulté.
Apparu nul ne sait d'où il y a de cela trois ans, le Tyran, comme il allait venir à être appelé, s'était proclamé ennemi de tout ce qui vit. Ses hordes de démons et morts-vivants tout droit sortis des pires cauchemars avaient semé la terreur sur ce continent durant deux longues années avant que les trois plus puissants royaumes ne se décidèrent à mettre de côté leurs éternelles guéguerres, le temps de s'unir contre un ennemi commun. Malheureusement, cette fragile alliance n'avait réussit qu'à retarder l'inévitable. Car il s'était avéré que les armes traditionnelles n'avaient que peu d'effet sur les légions démoniaques. Et il n'y avait pas assez de Prêtres pour Consacrer des millions d'épées et de flèches. Le Tyran quand à lui restait insensible à la magie, et se contentait une fois son corps devenu inutile de prendre possession d'un autre.
Tout semblait donc perdu d'avance... jusqu'à la bataille d'aujourd’hui. Sur le point d'annihiler les armées des hommes, le Tyran était subitement tombé inconscient en plein combat, sans raison apparente. Il s'était par la suite relevé étourdi, se contentant de bloquer les attaques des soldats, sans chercher à riposter. On aurait dit qu'il venait tout juste de débarquer, surpris de se voir attaqué. Il s'effondra alors de nouveau, cette fois-ci sous les coups des hommes. Ses démons avaient disparus dans des cris d'agonie, comme arrachés à ce monde par une force invisible. Les morts-vivants s'étaient écroulés sur place, inertes.
Les soldats avaient alors crié au miracle. Mais Rob n'arrivait toujours pas à croire à ce soudain retournement de situation. Trop facile pour être vrai, se dit-il pour la nième fois. Pourtant la preuve se trouvait devant lui à quelques centaines de mètres. Mais bien sur, il n'était qu'un mercenaire. Et les mercenaires n'avaient pas leur place aux côtés des puissants Seigneurs de Guerre. Le fait que la Bande ai participé à cette guerre volontairement et sans demander paiement n'avait pas l'air de changer quoi que ce soit pour ces « nobles »...
Quelque chose occulta les jumelles de Rob pendant un bref instant. Il se retourna à temps pour assister à l'écrasement d'une masse sombre dans la forêt à quelques mètres de sa position. Une légère secousse suivit, que le Lieutenant Ludwig ne ressentit nullement, ou choisit d'ignorer car il continua son morne monologue comme si de rien n'était.
« Sacré Leo ! Il était temps, » murmura le Capitaine, avant de se retourner à nouveau.
Dans l'imposante tente, les discussions s'étaient arrêtées. Les Seigneurs de Guerre avaient maintenant reculé, laissant les Prêtres et Prêtresses commencer leur rituel. Tous sauf un, habillé différemment des autres, qui était resté à l'écart. Une lumière verdâtre les entoura. A l'unisson, ils levèrent haut leur bras et le corps inerte se mit à tournoyer en s'élevant dans les airs. Brusquement, il retomba sur la table et les Prêtres furent projetés violemment de part et d'autre du pavillon. Ils atterrirent une vingtaine de pas plus loin. Des Guérisseurs accoururent s'occuper d'eux.
Quelques minutes plus tard, une épaisse fumée apparut à droite du Capitaine. Elle disparut en un instant, laissant place à la ravissante Blend, dont les formes généreuses étaient mises en valeur dans sa tunique de Mage. Son sourire énigmatique habituel devint amusé à la vue du Lieutenant.
Rob s'éclaircit la voix. « Merci beaucoup Lieutenant Lud, ce sera tout pour le moment. Nous tiendrons compte de vos suggestions. Je suis sûr que vous devez avoir des tas de choses importantes à régler. Je ne vous retarderais pas plus longtemps. Vous pouvez nous laisser à présent, et assurez vous que la Légion est prête à marcher à mon signal. »
Indigné de s'être fait interrompre en plein rapport, le Lieutenant salua son Capitaine, jeta un regard froid au Mage—qui la fit éclater de rire—et s'en alla sous un flot de jurons aussi interminable que ses comptes-rendus.
« Oh ! Regardez moi qui est là, » fit Blend de sa voix mélodieuse, une fois le Lieutenant hors de vue. Elle pointait de son doigt vers la forêt. Rob se retourna et ne put s'empêcher de sourire à la vue de la silhouette de Leo, titubant dans leur direction.
« Un petit pari, Blend ? » demanda-t-il.
« Ton grand coche pour la semaine contre mes services... hum... « spéciaux » gratuits pendant un mois. »
Le Capitaine réfléchit un moment avant d'acquiescer. « Ca marche. Je dis 15. »
« Toujours aussi optimiste ? 22. »
* * *
Leo atteignit la crête de la colline avec difficulté. Il souffrait d'un épouvantable mal de tête. Il n'était cependant pas déçu de sa performance. Ne t'inquiètes pas, Mid, on maîtrisera bientôt le mouvement, dit-il silencieusement à son compagnon. Il accepta le salut des deux soldats par un hochement de tête, puis alla s'appuyer contre un arbre pour reprendre son souffle.
« Arrivée... euh... fracassante, Commandant. Combien ? » voulut savoir le Capitaine.
Leo grimaça. « Une vingtaine de mètres, pas plus. Je t'avais bien dis que je progressais. »
Blend se pencha et tapota la joue de Rob, un grand sourire aux lèvres. « Je crois que notre Capitaine ici présent va bien déguster de la poussière cette semaine. »
Le Commandant laissa les deux officiers se chamailler comme à leur habitude et se tourna en direction de la plaine.
« Qu'est-ce qui se passe chez les grosses têtes ? » demanda-t-il au bout d'un moment.
C'est le Mage qui répondit. « Qu'est-ce que tu veux qu'il se passe ? Du bavardage comme d'habitude. Ils parlaient d'essayer un rituel K'Shan. Mais ils m'ont tellement ennuyé que je suis allé trouver un des ces nouveaux de la 7è, grand, musclé et tout mignon, et alors-- »
« Epargnes-nous les détails, merci, » grommela Rob. « Donc ils ont mis en exécution le rituel-- »
« Si seulement ils savaient ce qu'ils ont fait... » interrompit soudain Leo, l'air pensif.
Surpris, les deux officiers échangèrent un regard confus dans le dos du Commandant, puis Blend demanda : « De quoi tu parles ? »
« Ce n'est pas le Tyran qu'ils ont... le corps contient un autre esprit... »
Le Mage lui coupa de nouveau la parole. « Tu veux dire qu'ils ont utilisé un rituel K'Shan sur un esprit mortel ? Les abruti-- »
« Rituel qui a échoué. » ajouta Rob. Et il raconta tout ce qui s'était passé. Cette fois ce fut au tour du Commandant d'être surpris.
Blend se tourna alors vers lui et demanda : « Leo, tu es sûr que ce n'est pas le Tyran ? Un mortel ne peut résister à un rituel aussi puissant. »
« Tu sais très bien que Mid ne se trompe pas sur ce genre de choses, » affirma-t-il. « Jusqu'à présent, elle nous a toujours guidé jusqu'à lui. Elle connaît très bien l'essence du Tyran. Lorsqu'il s'est relevé la première fois au combat, c'était un autre esprit qui contrôlait le corps. »
« Ceci explique pourquoi il s'est laissé prendre, mais pas qui il est, ni où est passé le Tyran... » murmura le Capitaine.
Ils se retournèrent tous au bruit de pas d'un soldat qui se dirigeait vers eux. Il salua et se planta devant Blend, les joues rouges d’effort. Ou peut être pas. Le Mage avait cet effet sur les nouvelles recrues.
« Grand Mage, vous avez ordonné qu'on vous prévienne si quelque chose d'intéressant se produisait dans la tente. Eh bien, j'ai pensé que, enfin, je veux dire, peut-être-- »
« Accouches ! » ordonna Blend, gesticulant impatiemment.
« C'est le nouveau Prêtre, Grand Mage, celui en noir ? Il était contre le rituel de K'Shan. Maintenant il a proposé de Consacrer une dague spéciale, et de l'utiliser pour aspirer l'âme du Tyran--»
« Idiots, ils doivent très bien savoir qu'il va résister, » interrompit le Mage.
« Oui, ils le savent. Le Prêtre en noir, le nouveau ? Il a aussi proposé un Transfert vers... » Il hésita un moment, puis continua. « Vers un nouveau-né. »
« Nom d'un shlog ! Il faut l'arrêter. » s'exclama Blend.
« Je crois que c'est trop tard. Les Seigneurs de Guerre ont accepté. Les autres Prêtres n'ont pas eu leur mot à dire. Ils ont envoyé chercher un nouveau-né parmi les cantiniers. »
« Quelqu'un aurait-il la gentillesse de m'expliquer ce qui se passe ? » s'interposa le Capitaine.
Le Mage et son apprenti le regardèrent comme s'il avait demandé pourquoi l'eau était mouillée. Finalement Blend pris sa pose d'instructeur, dos droit, tête haute et index droit levé. « Sans rentrer dans des détails que ton pauvre petit cerveau aurait du mal à suivre, un Transfert consiste à déplacer une âme ou esprit d'un conteneur à un autre, dans notre cas entre deux corps humains. Ce type de Transfert est le plus difficile à réaliser, et même liés, et en supposant que cet inconnu en noir soit très puissant—ce qui est probablement le cas, le fait qu'il ait proposé un plan tel que celui-ci en dit long sur ses connaissances—ils n'y arriveraient sûrement pas sur un corps normal. D'où le choix d'un enfant, donc âme pure qui ne résistera pas. D'autre part, même un type aussi bête que toi doit savoir que les aptitudes magiques d'un individu ne se manifestent, sauf cas rares, qu'à l'adolescence. Le Tyran, où ce qu'ils croient être le Tyran, ne pourra donc pas se défendre et ils pourront utiliser la dague… »
Alors que le Mage donnait sa petite leçon, Leo s'était tourné en direction de la tente. Parmi les rangs désordonnés des soldats, deux Prêtres traînaient de force derrière eux une femme refusant de lâcher l'enfant qu'elle gardait serré contre elle. Arrivés au pavillon, un Seigneur de Guerre s'avança et lui arracha violemment le nouveau-né qu'il déposa sans cérémonie sur la grande table. Il se retourna ensuite, sortit sa dague et, attrapant la femme brutalement par les cheveux, lui ouvrit la gorge d'un geste économe et fluide.
La décision du Commandant était déjà prise, cet acte désolant de violence gratuite ne faisant que lui prouver une fois de plus la justesse de sa cause. « Assez bavardé, on a du boulot sur la planche, » commença-t-il d'une voix glaciale. Une fois qu'il eut leur attention, il continua sur un ton plus neutre. « Il est trop tard pour la mère, mais je ne laisserais pas un enfant mourir par la stupidité de gens qui se disent « nobles ». Rob, contacte Rhéa et Galford, je veux que les trois Légions se mettent en marche le plus tôt possible, ça risque de devenir chaud dans le coin. Point de jonction comme prévu à la sortie Nord du désert, je vous y rejoindrais dans quelques jours. Vois les détails avec eux, mais je veux absolument que vous soyez en route dans la demi heure. Blend, j'aurais besoin de tes amis cornus pour faire diversion. Assez pour nécessiter l'intervention des Prêtres. » Mid, je te couvrirais pendant la Transmutation mais je comptes sur toi pour nous tirer de là le plus vite possible, je suis presque à sec.
* * *
Elle ouvre ses yeux. Péniblement. Sa vue est aussi brumeuse que ses pensées. Elle ne sait pas où elle est. Elle ne sait pas qui elle est. Elle tente de se lever. Mais elle ne sent pas ses membres. Elle avance de quelques pas, se retourne. Vers l’endroit où elle s’est réveillée. Un corps gisant par terre. Le corps d’une jeune femme. Les cheveux longs. Le visage couvert de sang. Mon corps. Tout est flou et incolore, mais elle a la certitude que c’est son corps. Elle n’a plus de corps. Et elle peut bouger. Elle n’a plus d’oreilles. Et elle peut entendre. Des milliers de voix. Des millions de voix qui l’appellent, l’invitent à les rejoindre. Elle n’a plus d’yeux. Et elle peut voir. Un homme en robe noire. Les bras haut levés. Une dague dans les mains. Et sur la table, un enfant, qui regarde l’objet tranchant avec fascination. Un bébé. Une fille. Ma fille. La dague commence sa descente fatale. Une voix la bloque, l’immobilise. Une voix plus forte que toutes les autres. Une voix distante de cent lieues. « Je ne ferais pas cela si j’étais vous. »
Un autre homme s’avance. Grand, en armure de cuir, la peau sombre, les yeux étincelants. Un sabre de bois luit dans sa main.
« Et qui es-tu, soldat ? Oser m’interrompre ainsi, tu viens de signer ton arrêt de mort. » La voix de l’homme en noir. Méprisante. Hautaine. Il pose lentement la dague aux côtés de l’enfant.
Les deux hommes se font face. L’homme en noir agite ses doigts. La tente s’envole. Dehors, il fait nuit. Il pleut. Partout des cris de soldats résonnent. Des formes démoniaques se promènent parmi eux.
L’homme en armure continue d’avancer. L’homme en noir sourit. Un sourire sardonique. Il agite ses doigts. Des éclairs descendent du ciel nuageux. Ils s’abattent sur l’homme en armure. Un cratère fumant se trouve à l’endroit où il se tenait.
L’homme en armure est au dessus du corps inconscient de l’homme en noir. Il range son sabre. Il se penche et prend l’enfant dans ses bras. Il range la dague. Il s’élève dans les airs. Un tourbillon d’ombres l’ensevelit. D’où jaillit un dragon qui s’envole dans le firmament, l’enfant dans ses serres. Au loin, l’orage gronde.
Les voix se font plus pressantes, plus insistantes. Elle se laisse finalement guider par elles. Elle est contente. Les dieux ont entendu ses prières. Ils ont envoyé un ange protéger sa fille. Les voix la guident. Vers l’étreinte de la Mort.
Texte B : Clair de lune
Au moment où le Soleil se leva sur la plaine, il ne restait plus un soldat des troupes de Sûhl debout. Les brumes matinales s’accrochaient encore aux reliefs du champ de bataille, cachant pour quelques heures encore le massacre qui avait eut lieu ici la veille. Les combats avaient duré toute la nuit et on avait alors put assister à un ballet fantomatique, où les armures blanches, reflétant la douce lumière de la Lune, dansaient avec les mailles rouges des soldats de Sûhl. Une heure ou deux avant l’aube, les forces de Lonaria avaient fini par emporter la victoire, mais à quel prix ?
Ressassant encore tous les événements de la veille dans sa tête, Zalyn se releva sous l’arbre auprès duquel il avait dormi le reste de la nuit et commença à ramasser ses affaires. Rejoindre le rassemblement à l’autre bout de la plaine lui prendrait une bonne partie de la matinée et personne ne l’attendrait. Tout en mâchant lentement le dernier quignon de pain qu’il lui restait, il accrocha à sa ceinture sa vieille épée et se mit en route.
Au fur et à mesure qu’il avançait, les horreurs que la nuit avait cachées devenaient de plus en plus facilement distinguables. Par trois fois il trébucha sur un corps, les visages livides des soldats tournés vers le ciel, leurs yeux fixant pour toujours les étoiles. Ces visions d’horreurs lui soulevèrent le cœur tout cela s’ajoutant aux souvenirs sanglant de la veille. A sa droite il dépassa le cadavre d’un immense loup gris…
Depuis quelques heures déjà la bataille était engagée et le bruit du choc de l’acier contre l’acier emplissait tout autour de Zalyn ; de temps à autre un cri de douleur retentissait, puis encore ces chocs métalliques. Au loin il aperçut Geryl, un ami lui aussi enrôlé parce qu’il avait l’âge. Comme dans presque tous les combats qui l’entouraient, son ami semblait en mauvaise posture face à un des colosses de Sûhl. Lui aussi avait dut affronter plusieurs de ces géants du sud, mais sa petite taille lui procurait une agilité et une vitesse qui avait pour l’instant surpris tous ses adversaires. Mais il en allait autrement de son ami, celui qui l'avait toujours dépassé de deux têtes avait maintenant un genou à terre. Pourtant au lieu d‘en finir son adversaire restait le bras levé, son énorme épée au-dessus de la tête, et fixait un point au loin.
Soudain une sonnerie de trompette retentit dans la plaine, cette douce note d’airain semblait déplacée au milieu de toute cette boucherie, pourtant le cri qui la suivi redonna du courage à tous les porteurs de la lune blanche de Lonaria : " Les loups sont là! Les Näelys!"
Et alors il les vit, les chevaucheurs des grands loups, ceux qu'on appelait les Näelys.
C'était une race à part dont la légende disait qu'ils étaient enfants des dieux. De taille moyenne et avec un corps élancé on pouvait pourtant difficilement les confondre avec des hommes normaux. Leur peau avait la couleur de la Lune et semblait rayonner à la lumière des étoiles. Leurs cheveux, de la teinte des ciels d'été, cascadaient en longues tresses dans leurs dos, et puis il y avait leurs yeux, les yeux de quelqu'un qui a vu naître les étoiles et grandir tous les arbres poussant sur cette Terre. Pourtant ils semblaient aussi empli de tristesse, comme quelqu'un qui a perdu quelque chose et qui sait qu'il ne pourra jamais le récupérer.
La légende disait qu'ils avaient vécu sur la Lune autrefois, et bien des chants célébraient aujourd'hui encore la merveilleuse Alynia, la Cité de Nacre, dont les Milles Tours étaient même visibles de la Terre. Mais la légende parlait aussi de la grande guerre des Dieux, qui avait presque détruit le monde et avait expulsé les Näelys loin de chez eux. Depuis, ils vivaient dans des cités cachées aux hommes et bien peu nombreux était ceux qui les avaient vus en mille ans.
Bien peu nombreux jusqu'à ce jour de l'année dernière, ce jour où ils avaient enfin décidé de sortir de leur retraite et une fois encore de combattre l'Ombre. On dit qu'ils n'avaient pas repris les armes depuis la guerre des Dieux, quand ils avaient combattu les Maatys, chevaucheurs de dragons et enfants d'un autre Dieu. Enfants de celui dont le nom était maudit dans toutes les chaumières de Lonaria, enfants de celui qu'adoraient aujourd'hui les troupes de Sûhl, celui qu'on nommait Chaos. Les Maatys n'étaient plus à ce jour qu'une poignée, dispersés à travers le monde, et depuis bien longtemps les dragons avaient disparu.
En aurait-il été autrement peut être que le sort de la bataille aurait tourné différemment, mais sans ennemis à leur mesure les Näelys avançaient au milieu des lignes ennemies sans rencontrer de réelle résistance. Pour des êtres n'ayant pas combattu depuis plusieurs milliers d'année, ils semblaient pourtant particulièrement à l'aise avec leurs lances à longs fers dont la forme était une œuvre d'art à elle seule.
Les loups ne restaient pas inactifs non plus, et au fur et à mesure qu'ils avançaient au milieu des ennemis, ils attaquaient tous ceux qui passaient à leurs portées, les brisant en deux dans un puissant claquement de mâchoire.
On ne savait pas clairement pourquoi les Näelys avaient décidé de réapparaître et de reprendre les armes, et bien audacieux aurait été celui qui leur aurait demandé. Leur arrivée correspondait avec la proclamation du nouveau chef de Sûhl. Certaines rumeurs disaient que Sûlos, c'est ainsi qu'il se faisait appeler, était un Maatys et que c'était pour cette raison que les Fils des Loups étaient revenus. Ils étaient apparus lors de la seconde bataille, près de la frontière Est, surprenant tout le monde avec leur chant de guerre qu'on avait entendu plusieurs minutes avant qu'ils ne soient en vue.
Aujourd'hui peu importait la raison pour Zalyn, l'important était qu'ils soient là et qu'ils se battent de son coté. Les grands Loups le dépassèrent ne laissant dans le vent qui soulevait ses cheveux que les échos d'un chant où résonnaient vengeance et amertume. La bataille avait vite tourné en leur faveur à ce moment-là. Sous la lumière de la Lune, le jeune home pouvait voir des ombres filer à toute allure pour fondre sur leurs proies et repartir tout aussi vite.
Les quelques brasiers catapultés au milieu de la plaine au début des combats brûlaient encore et étaient devenus des points de ralliement pour les soldats en mailles rouges, mais le feu ne repoussait pas les Loups et fournissaient au contraire des cibles encore plus facile. Partout sur la plaine résonnaient des hurlements de douleurs et les cris de terreurs d'hommes qui se savaient déjà mort…
Le Soleil arrivait presque à son zénith quand le jeune homme atteint le campement principal. Une bonne partie des soldats étaient réunie au centre du camp, encerclant les dépouilles de ceux tombés au combat et dont on avait ramené les corps. Il lui vint soudain à l'esprit qu'il n'avait pas revu Geryl depuis l'arrivée des Näelys. Avec un pincement au cœur il se dit que peut être son ami faisait partie des corps allongés là.
Un attroupement en particulier attira son regard, les gens qui s'y trouvaient semblaient encore plus tristes et plus sombres que partout ailleurs, ils étaient aussi beaucoup plus nombreux. Il interpella n soldat pour savoir de qui il s'agissait mais n'obtint aucune réponse. En s'approchant il réussi à capter des brides de conversations:
"…Il aurait fait un bon roi, comme son père…"
"…Comment va-t-on faire sans héritier ?"
Il lui fallut peu de temps pour comprendre qu'il s'agissait du Prince héritier, mais fouillant ses souvenirs, il n'arrivait pas à mettre un nom et un visage sur celui qui serait devenu son roi. Grimpant maladroitement sur une table, il se hissa sur la pointe des pieds pour réveiller sa mémoire engourdit par une nuit de combat.
Il était là, allongé sur une civière, les bras croisés sur sa poitrine autour de la garde d'une vielle épée. Quelqu'un s'écarta, dévoilant à sa vue le visage de l'héritier de Lonaria, et le monde s'effondra sous les pieds de Zalyn. Ce visage il ne le connaissait que trop bien, pour l'avoir vu tous les matins depuis vingt et un ans dans son miroir. Comme si cette vision avait agit comme un déclencheur, tout se bouscula dans sa tête.
Les loups étaient arrivés et pendant un moment ça avait été la panique chez leurs ennemis, mais avant de rendre leur dernier souffle, ils avaient agis une dernière fois. Les archers s'étaient alignés et avaient fait tomber sur la plaine une pluie de flèches. Toutes leurs réserves avaient dû y passer, se sachant perdus, ils n'avaient pas rationné. Zalyn avait vu ses hommes, car ce n'étaient plus de simples soldats désormais mais des vies sous sa responsabilité, tombés par dizaines sous ce fléau invisible dans la nuit.
Des Näelys aussi avait été touchés, ce qui avait ajouté à la colère de leurs frères encore vivant. Puis un choc, Zalyn avait alors vu qu'une flèche dépassait de sa poitrine, puis deux, puis trois. Alors il avait tout juste put se traîner jusqu'à cet arbre, et puis la nuit l'avait envahie. Son dernier regard avait été pour la Lune, là où autrefois rayonnait la blanche Alynia.
Ce fut sa dernière pensée alors que le Soleil atteignait son apogée dans le ciel et que son âme partait rejoindre celle des autres guerriers tombés pour Lonaria.
Texte C : Le Vétéran
Le cri d’alarme !
Je me réveille en sursaut.
L’épée à la main. Se ruer hors de la tente.
Des cris, des hurlements.
Une folle sarabande de torches dans la nuit. Des ombres, la lueur du métal.
Où suis-je ?
Le camp ! On est attaqué !
Les salauds ! De nuit !
Où sont-ils ?
Les guerriers courent autour de moi.
Je les suis.
La clameur du combat. Le fracas des armes, les ordres vociférés, les mugissements des combattants, les plaintes des blessés.
Nous y sommes.
Une silhouette menaçante qui se précipite.
Une esquive. Un coup de taille. Un cri. Ma lame qui fouille les chairs. Le sang qui gicle, sa chaleur sur mes mains.
Un coup d’œil. C’est bien un ennemi.
Les corps emmêlés. Le chaos.
Repérer un autre ennemi. Vite.
Le tuer. Encore.
La rage. Le désespoir.
Survivre.
Ne plus réfléchir. Pas le temps. Pas important.
Les tuer. Encore. Tous. Eux ou moi.
Une blessure. Je survivrai. Je peux encore tuer. Je veux encore tuer.
Courir vers un autre de ces salauds.
Un cri !
Que dit-il ? Mon nom ?
Un autre !
D’où vient-il ?
- MARTIN !
J’essaye de me débattre. Je suis à terre. Des mains sur moi. Ils ne m’auront pas !
- MARTIN !
Un choc sur la joue. Le goût du sang dans ma bouche. Où est-il ?
- MARTIN !
Un visage se dessine. C’est…
Mon amour. Je me calme. Un cauchemar. Encore un. Je ne dis rien. Je sanglote. La serre dans mes bras. Sa chaleur. Ses mains dans mes cheveux. Je ne suis qu’un enfant. Un petit enfant terrifié. Sa voix douce qui me réconforte. Des mots doux. Toujours les mêmes. Je m’apaise.
Enfin mes yeux remplis de larmes se lèvent vers elle.
Son regard si tendre.
Si inquiet.
Si terrifié.
Une boule dans la gorge. Des mots que je balbutie.
- Désolé… je suis désolé mon amour…
- Ce n’est rien Martin. Ne dis rien. C’est terminé. Reste dans mes bras. Ne dis plus rien…
Le soleil s’est enfin levé. Je ne me suis pas rendormi. Je suis resté blotti dans les bras de ma femme. Je sais qu’elle non plus n’a pas su retrouver le sommeil. Elle m’offre la seule et unique chose capable de me maintenir en vie : son amour.
Je m’en veux de lui imposer tout cela. La séparation a été terrible et nous pensions tous les deux qu’à la fin de la guerre tout redeviendrait comme avant. Mais ce ne fut pas le cas. Le fracas des armes résonne encore et encore dans ma tête, hantant mes nuits et obscurcissant mes jours d’un voile de douleur.
- Allons-y, mon chéri ! Le devoir nous appelle.
Sa voie est enjouée mais dans ses yeux brille la lueur de l’inquiétude. D’un vague sourire, je la rassure et me dirige vers la forge. Tandis que je me mets au travail, la ritournelle revient comme depuis quelques temps.
« Je m’appelle Martin, de Lagnac, petit village à l’embouchure de la rivière Froide. J’ai vu trente-cinq hivers et je suis forgeron. Ma femme s’appelle Marie et je l’aime. Elle est blonde comme les blés et son sourire est la plus belle chose de cette terre. Je mène une vie sans histoire. Je me lève. J’embrasse ma femme. Je déjeune. Je travaille l’acier dans la forge. La vapeur. Le marteau sur l’enclume. Le rythme régulier. Frappe. Frappe. Je m’arrête le midi. Je partage le repas avec nos amis. Nous reprenons notre labeur. Le marteau sur l’enclume. Le rythme régulier. Frappe. Frappe. Le soir venu, nous dînons puis nous nous promenons main dans la main sur la plage au pied de la falaise. La nuit tombée, nous nous enlaçons, nous nous endormons.
Je m’appelle Martin, de Lagnac, petit village à l’embouchure de la rivière Froide. J’ai vu… »
La nuit. Je cours.
Pourquoi ?
Mes compagnons courent avec moi.
Il fait nuit. Il n’y a pas un bruit.
Suis-je devenu sourd ?
Des lueurs. Des feux de camp, des torches.
Le signal.
Un formidable hurlement poussé par des centaines de gorges.
Mes oreilles explosent
Un vacarme assourdissant.
Des corps tombent.
Une pluie de flèches enflammées s’abat sur le village fortifié.
C’est la mêlée. C’est l’heure de la vengeance.
Mon épée est déjà trempée du sang de nombreux guerriers pris par surprise et à peine réveillés.
Qu’importe.
Ils doivent mourir.
Tous.
Que tout cela finisse enfin.
Le combat fait rage.
Les masures s’embrasent. De longues flammes s’élèvent vers le ciel.
Des éclats sanglants. C’est l’enfer.
Le silence. Je n’entends plus rien. Je ne veux plus rien entendre. Ni les cris des blessés, ne les vociférations des guerriers, ni les lamentations des mourants, ni mes hurlements de dément.
Un nouvel adversaire. Encore un. Un de plus.
Qu’importe.
Un moulinet. Un ventre éventré.
Un coup d’œil indifférent.
Et des yeux bleus…
Des yeux surpris…
Des yeux qui ne comprennent pas…
Des yeux innocents…
Des yeux d’enfant…
- NON ! ! !
- Martin ! Calme-toi ! C’est fini ! Tu es réveillé ! Je t’en supplie, mon amour, calme-toi.
J’éclate en sanglots.
Mon dieu. Pourquoi. Pourquoi. Pourquoi.
Le soleil s’est levé. Enfin. Un jour de plus. Marie est assise près de la forge et des larmes coulent doucement le long de ce visage que j’aime tant. La pauvre. Pourquoi lui imposer cela ? Elle ne le mérite pas.
Il faut que je me remette au travail.
La ritournelle revient, tourne et retourne dans ma tête.
« Je m’appelle Martin, de Lagnac, petit village à l’embouchure de la rivière Froide. J’ai vu trente-cinq hivers et je suis forgeron. Ma femme s’appelle Marie et je l’aime. Elle est blonde comme les blés et son sourire est la plus belle chose de cette terre. Je mène une vie sans histoire. Je me lève. J’embrasse ma femme. Je déjeune. Je travaille l’acier dans la forge. La vapeur. Le marteau sur l’enclume. Le rythme régulier. Frappe. Frappe. Je m’arrête le midi. Je partage le repas avec nos amis. Nous reprenons notre labeur. Le marteau sur l’enclume. Le rythme régulier. Frappe. Frappe. Le soir venu, nous dînons puis nous nous promenons main dans la main sur la plage au pied de la falaise. La nuit tombée, nous nous enlaçons, nous nous endormons.
Je m’appelle Martin, de Lagnac, petit village à l’embouchure de la rivière Froide. J’ai vu… »
Ces yeux si innocents…
Ils ne comprennent pas. Ils ne peuvent pas comprendre. Ils ne comprendront jamais.
Je vous en supplie, ne vous fermez pas, restez ouverts.
Il y a tant de choses à voir, à découvrir. Vous ne pouvez pas vous fermer maintenant.
C’est trop tôt.
S’il vous plait, restez ouverts.
Je vous promets, je vous emmènerai voir la mer qui est près de chez moi.
Vous n’avez jamais vu la mer, hein ?
C’est un spectacle magnifique.
Vous ne pouvez pas vous fermer sans l’avoir vu.
Sans avoir vu les vagues éclater en diamants lumineux sur les rochers.
Sans avoir vu sa couleur aux nuances infinies.
Sans avoir vu les reflets du soleil couchant sur l’onde chatoyante.
Ne vous fermez pas.
Ne vous fermez pas.
Vous devez voir la mer. Au moins une fois.
Venez avec moi.
Oui.
Partons maintenant. Tout de suite.
Laissons cette folie derrière-nous.
Je vous porterai.
Vous ne pesez pas bien lourd.
Des yeux bleus. Des yeux innocents.
Partons. Fuyons.
Courrons vite.
De toutes nos forces.
Regardez, mes chers yeux bleus ! Ils essayent de nous en empêcher ! Ils se mettent sur notre chemin ! Ils nous interpellent !
Ce ne sont que des ombres, n’ayez pas peur.
Elles ne nous attraperont pas. Plus maintenant. Plus jamais.
Nous courons plus vite que le vent.
Ne nous retournons pas. Il n’y a plus rien à voir derrière nous. Plus rien.
Regardez !
Nous approchons !
Vous allez enfin contempler la mer !
Plus que quelques pas…
Vous la voyez maintenant ?
C’est beau, n’est-ce pas ?
Oui, je vois l’émerveillement briller en vous.
Vous voyez, j’ai tenu ma promesse. Je ne vous ai pas menti.
Non ! Restez ouverts ! Encore un peu !
Envolons-nous au dessus des flots, dans le ciel infini, dans le bleu de vos yeux.
Je me sens si léger. Enfin.
Mes os se brisent et ma chair éclate mais ce n’est pas si grave.
Les yeux innocents ont enfin vu la mer, comme je leur avais promis.
Pourquoi tous ces cris ? Je suis si bien maintenant.
- MARTIN ! Pourquoi ? Pourquoi ? Je t’en supplie, reste avec moi… mon amour… pourquoi as-tu fais ça ?
Marie. Elle est triste.
Mais où suis-je donc ?
Où sont passés les yeux bleus ?
Ça n’a plus d’importance. Ils ont vu la mer.
- Martin ! Je t’en prie, dis quelque chose…
Pourquoi est-elle si triste ?
Ça me revient maintenant. Je cours. La falaise. La chute.
Oh mon pauvre amour ! Qu’ai-je fait ?
- Marie. Je suis désolé. Tu n’y es pour rien. Je t’aime. Ne l’oublie jamais. Je t’aime…
Elle crie, elle pleure, mais je n’entends plus rien.
C’est mieux ainsi.
La ritournelle revient. La ritournelle d’une vie qui aurait pu être heureuse.
« Je m’appelle Martin, de Lagnac, petit village à l’embouchure de la rivière Froide. J’ai vu trente-cinq hivers et je suis forgeron. Ma femme s’appelle Marie et je l’aime. Elle est blonde comme les blés et son sourire est la plus belle chose de cette terre. Je mène une vie sans histoire. Je me lève. J’embrasse ma femme. Je déjeune. Je travaille l’acier dans la forge. La vapeur. Le marteau sur l’enclume. Le rythme régulier. Frappe. Frappe. Je m’arrête le midi. Je partage le repas avec nos amis. Nous reprenons notre labeur. Le marteau sur l’enclume. Le rythme régulier. Frappe. Frappe. Le soir venu, nous dînons puis nous nous promenons main dans la main sur la plage au pied de la falaise. La nuit tombée, nous nous enlaçons, nous nous endormons. »
Texte D : Le Dernier Rempart
Le Mont Arcana n’était plus qu’un amas de roches et de terre. Là où auparavant s’élevait le plus haut mont d’Evana, il n’y avait plus qu’une immense étendue d’un paysage dévasté, une forêt de gigantesques pierres, et là où hommes et bokans s’étaient affrontés ne restait plus que des morts par milliers. Que s’était-il passé ? Cette question hantait l’esprit de Lotar. Assis contre un de ces menhirs, témoins de la catastrophe, un mort transpercé par un carreau bokan à côté de lui, il ne cessait de regarder ses mains. Il aurait voulu pouvoir faire quelque chose… Si seulement il comprenait ce qui s’était passé !
Quelques heures plus tôt, le roi Aran et lui se tenaient côtes à côtes face à une armée de milliers de bokans aux longues dents. Son cheval, Erelal, n’était nullement effrayé par ce champs de créatures toutes plus hideuses les unes que les autres qui s’étaient rassemblées pour gagner le temps nécessaire aux neuf Prêtres de la Dévastation de briser le sceau placé par les Paladins du Changement sous le mont Arcana pour que jamais le Seigneur des Profondeurs ne revienne sur terre. Contrairement à sa vaillante monture, Lotar était terrifié. Mais le fait de chevaucher aux côtés du roi lui donnait un courage assez grand pour le suivre jusque dans la mort.
Il se souvenait encore des mots que son père, le Paladin Geodrem lui avait murmuré avant de s’éteindre… « Tu es le dernier Paladin du Changement à présent mon fils. Le dernier fin rempart qui sépare Celui-qui-fût-à-jamais-banni, de la nuit éternelle qu’il a juré d’instaurer. Plus que ton Royaume, c’est la destinée du monde qui dépendra de tes actes. Vit dans la droiture, reste dans la lumière même si l’ombre te séduit, et bats-toi pour ce en quoi tu crois. Car tu es le dernier… » C’est sur ces mots que son père avait trouver ce pourquoi il avait lutter toute sa vie : la Voie du Salut. Sur ce champ de bataille, ces mots prenaient tous leurs sens. Lotar semblait bien être si ce n’est l’un des seuls, le seul survivant de son royaume.
Il leva les yeux, laissant ses mains ouvertes et regarda alentours dans l’espoir vain de voir un mouvement amical. Mais mis à part une envolée de corbeaux, il ne distingua rien. Il reporta alors à nouveau les yeux sur ses paumes. C’était donc dans ces paumes que reposait le Destin du Monde ? Dans ses paumes. Sa vie durant on lui avait appris qu’il devait faire son devoir quelques soient les circonstances. Dès son plus jeune âge il avait été conditionné pour protéger son roi et son royaume avant même sa propre vie. Lorsqu’il était encore au berceau, son père lui avait donné l’épée qui gisait aujourd’hui près de lui et avait juré en son nom fidélité au roi alors qu’il ne connaissait que ce mot : « roi ».Plus que sa famille, plus que lui même, ce roi était sa raison d’être.
Il avait déjà combattu maintes fois avec Aran, jamais contre lui. Même quand celui-ci lui avait proposé un duel d’entraînement amical il avait refusé, disant qu’il ne pouvait s’opposer à son souverain. Et dans toutes les batailles qu’il avait mené, il avait toujours été aux côtés du roi pour le protéger.
Les batailles. Il en avait certainement vus autant que le plus vieux des soldats ces derniers mois. Les bokans avaient été de plus en plus menaçant. Leurs groupes, chose rare, dépassaient parfois les cinq cents lances. Certains combats avaient été impressionnants mais jamais comme celui qu’il venait de vivre. Il n’avait encore jamais vu autant de créatures de l’ombre réunis au même endroit.
Ca ne l’avait pas empêché d’éperonner Erelal lorsque le Cor de guerre avait retentit de son son clair et puissant. Tous avaient chargés, hommes comme bokans, se battant pour ce en quoi ils croyaient. La charge des hommes fût ralentie par une pluie de flèches ennemis, mais la vision des amis tombés sous cette averse mortelle en renforça l’efficacité… Le choc fut meurtrier. Des dizaines de bokans ne résistèrent pas à la puissance des chevaux lancés au galop, mais rapidement, les lances noires des suceurs de sangs eurent raison des cavaliers. Bien que ralentie la première ligne de combat continua à se battre férocement en attendant le renfort des lances. Des deux côtés, des slaves de flèches continuaient à assombrir le ciel déjà nuageux.
Dans cette mêlée, l’avancée des hommes fût inexorable. Lente, mais assurée. Pas à pas, les bokans reculaient. Mais la victoire avait un coût. Les hommes tombaient un par un aussitôt remplacés par un autre alors que les bokans, bien que reculant se battaient comme si pire que la mort les motivait. Ces monstres n’obéissaient que si leur maître les effrayait…
Plus son camp gagnait du terrain et plus Lotar se posait de questions. C’était trop facile.Oui. C’avait été bien trop facile. Un piège ! Voilà ce que ç’avait été. Un malheureux piège dans lequel ils étaient tombés… Ces satanés Hommes de la Nuit les avaient attirés où ils le souhaitaient et eux avaient accourus comme un chien à qui l’on offre une sucrerie.
Lotar revint au moment présent. Regardant toujours ses mains, il serra les poings.Il ne faut pas se laisser abattre. Il devait se lever et partir à la recherche de survivants. Il ne pouvait pas être la seul. Le roi était peut-être encore en vie. Ils avaient été séparés durant la bataille.
Les hordes de bokans toujours plus nombreuses commençaient à les déborder. Les guerriers avaient réussit à avancer jusqu’à mi-chemin du sommet. Mais depuis un bon moment, les Bokans ne reculaient plus. Erelal était grandement blessé. Une lance avait transpercé le flan de l’animal mais il continuait à combattre, repoussant les assaillants les plus proches à coups de sabots, se cabrant pour les impressionner et retombants lourdement sur les bokans assez fous pour s’approcher si près du cheval. Lotar, son épée en main, tranchait des têtes et des bras sans réfléchir. La rage que le combat lui procurait l’aveuglait. Son unique préoccupation était de tuer toujours plus de ses affreux ennemis. Aran en faisait autant. Les morts s’entassaient sous son épée à la poignée d’or. Les nobles armoiries de la famille royale – une moitié de tête de lion sur la gauche qui devenait un bouclier sur la droite, gravée sur la lame près de la garde étaient obscurcis par le sang noir des Bokans. Il hurlait, levant son arme majestueuse : « Soldats d’Evana ! A moi ! A moi ! ».Lotar était impressionné par son charisme. Ce roi était digne de son titre et il lui fallait le protéger.
Soudain, de puissants rugissements sortirent Lotar de cette vision glorieuse. Avec eux les mots « Iark ! » et « Uran !», prononcés par les combattants Bokans parvinrent à ses oreilles. La rumeur se répandit et les combats cessèrent rapidement. Aucun bruit ne se fit entendre pendant quelques instants. Bokans comme hommes redoutant le pire. Lotar aussi avait les yeux pointés sur la pente fortement accentuée de la montagne. Et ce qu’il redoutait arriva…
Il en vit tout d’abord un, sombrement majestueux, puis deux vinrent se joindre à lui, puis quatre, et bientôt, une vingtaine d’entre eux apparurent derrière les lignes ennemis. Iark et Uran… Félins et Nuit… Des Tigres Noires. D’immenses créatures de plus de deux fois la taille d’un cheval, au pelages noirs et aux dents de sabres aiguisés. Ils étaient chevauchés par des créatures non moins effrayante. Il s’agissait là ni d’hommes, ni de bokans mais de monstres à la peau verte et écaillée, armés de fouets qu’ils faisaient claquer pour éloigner les bokans devant eux. Lotar n’avait jamais vu un Tigre Noir dressé. Les bokans avaient coutume d’en lâcher durant la bataille. Ces énormes tueurs ne faisaient pas de cas entre hommes et bokans laissant derrière eux de véritables cercles de cadavres de toutes races.
Effrayés par ces nouveaux arrivants, les soldats restèrent immobile un long moment. Mais le roi veillait. « Reformez les lignes ! Soyez fier face à l’ennemi ! » hurla-t-il, déchirant le silence qui s’était installé sur le champ de bataille. Les soldats mirent un certain temps à assimiler l’ordre. Lotar lui-même eût du mal à détacher ses yeux des créatures qui arrivaient vers lui. Aran continuait à brandir son épée et ordonnait la reformation des lignes mais les soldats apeurés bougeaient trop lentement.
Lotar prit rapidement conscience que cet homme, seul face aux tigres était une cible très facile. Il tourna brusquement la tête. Un tigre noir gronda et chargea sur le roi qui, tourné vers son armée, appelait au rassemblement. Il tenta de l’avertir mais il était bien trop loin. Il enfonça ses talons dans les flancs d’Erelal en continuant de hurler : « Aran ! » mais rien n’y faisait, le roi restait dos aux attaquants. Encore vingt cinq mètres et le monstre pourrait bondir sur sa proie. Il n’arriverait pas à temps. Non ! il ne devait pas faillir. Personne n’avait failli dans sa lignée et il ne serait pas le premier. Il hurla un dernier « Aran ! » plus puissant que jamais...
Soulagement. Le roi se retourna et fit face au tigre noir… La scène qui suivie, Lotar ne réussit à la comprendre que plus tard. Le tigre s’arrêta à cinq mètres de sa cible posant ses yeux dorés sur lui… il eut à peine le temps de voir une immense silhouette noire sauter dans sa direction et…
Lève toi !.Tu es le dernier rempart, souviens-t-en !. Il saisit son épée noire de sang et dans un effort qui lui parut surhumain, il se redressa sur ses deux jambes. Cette posture apportait à Lotar un meilleur point de vue sur sa situation, mais cette dernière restait très limitée car il se trouvait au beau milieu d’un petit bassin dont les bords lui cachaient l’horizon. Il mit alors son épée au fourreau et prit une bonne bouffée d’air avant d’entamer sa sortie du cratère… Lentement. Il n’arrivait pas à marcher vite. Etait-ce la peur de ce qu’il allait découvrir au de-là des bords de ce creux ou le fait que son corps lui semblait totalement dépourvu d’énergie ? Il n’arrêtait pas de se répéter : « Le dernier rempart… le dernier. » pour se donner du courage mais il avait beau tenter de se convaincre de l’importance de rester en vie, ses muscles refusaient de le supporter. Lotar se força bien plus qu’autre chose à escalader la pente douce du bassin. Il était si épuisé qu’il réussit même à trébucher alors qu’il était à quatre pattes. La tête collée contre le sol, il repensa aux derniers instants de la bataille…
Les silhouettes bokanes et humaines filaient au dessus de lui. Une botte manqua même de lui écraser la face. Il l’évita de justesse en roulant sur le côté. Il se leva aussitôt. Cela faisait combien de temps qu’il était évanoui ?
Assez longtemps pour qu’il ne retrouva pas ses repères à son réveil. L’unique chose qui lui semblait familière était le cheval immobile sur le sol… Eralal. L’animal était mort cela ne faisait aucuns doutes. Un souffle glacé fit frémir son oreille droite. Une flèche venait de le manquer de près. Il se retourna immédiatement et fit face à un bokan qu’il n’hésita pas à transpercer avec son épée. La créature hurla avant de s’effondrer.
La bataille avait continué à bien se dérouler. Les troupes bokanes arrivaient à épuisement. Non. Etaient-elles réellement à épuisements où est-ce que les bokans fuyaient ? C’était bien ça. Ils fuyaient alors qu’ils pouvaient encore se battre et même retourner la situation en leur faveur.
Tant pis. Il avait une préoccupation sensiblement plus importante : Où pouvait être Aran ? Il ne le voyait nulle part. A gauche, à droite, aucun cavalier couronné n’apparaissait. Et si… Non ! Non ! Ce n’était pas possible.
Lotar attrapa un soldat qui venait de tuer un monstre et lui demanda s’il savait où se trouvait Aran. « Par là ! » lui répondit-il en lui montrant la direction de l’Est. Il n’attendit pas une seconde et fonça, n’hésitant pas renverser les hommes sur son passage, jouant des coudes pour se faufiler dans cette marée de soldats. Ces derniers n’hésitaient pas à critiquer son comportement avant de s’apercevoir qu’il s’agissait du Paladin du Changement, alors ils s’excusaient confusément et reprenaient leurs occupations. Lotar n’avait que faire de leurs reproches, il continua à avancer sans y prêter attention. « Le roi ! Où est Aran ? » ne cessait-il de demander à l’adresse de qui l’entendrait. Aucun ne lui répondaient, trop occupés à se relever après qu’il les ait poussés. Dans sa course à contre courant, le hennissement familier d’un cheval l’interpella. Il s’arrêta immédiatement, scrutant les alentours. Il devrait là, quelque part à l’Est…
Là ! Un cheval se cabrait, un homme à la couronne scintillante sur son dos. Il n’avait pas échoué, Aran était toujours vivant et exultait de joie. Ils avaient bien gagné. Lotar le constata en se retournant. Il n’y avait plus un seul bokan à noter dans les environs. Il reprit le cris de joie du roi en brandissant son épée et les soldats surenchérirent en frappant le sol de leur lance – trois fois avant de les lever en l’air en criant : « Le lion à jamais vivant ! » comme le voulait la tradition. Certains se donnaient de généreuses accolades dans le dos, d’autres lançaient leur casques en l’air, d’autres encore brandissaient fièrement des têtes de Bokans ensanglantés au bout de leurs lances mais tous étaient heureux et le montrait. Même lui se laissait aller à copiner avec les hommes qui l’entouraient. Un guerrier qu’il connaissait depuis bien longtemps était justement en train de le féliciter pour son action « héroïque » qui avait permis de préserver la vie d’Aran quand la terre se mit à trembler.
Au début, il s’agissait d’un doux tremblement. Si doux que la plupart des hommes ne s’en aperçurent pas. Mais très rapidement les tremblements s’intensifièrent, si bien que beaucoup tombèrent, déstabilisés. Lotar renifla l’air avec dégoût. Une odeur ou plutôt un pressentiment malsain vint lui irriter les narines. Ce sentiment grandit comme ce nuage de poussière ou plutôt cette énorme vague de poussière arrivaient sur l’armée. Elle s’abattit sur eux sans qu’aucun ne bouge. C’est à peine si certains se protégèrent les yeux. Lotar ne le fit même pas. C’était comme si ce vent pervers lui enlevait toute envie de résister. Il avait à peine la force de tenir sa lame du bout des doigts. La poussière voilà la montagne longtemps avant de retomber aussi soudainement qu’elle était apparue. La terre s’était arrêter de tremblait. Pas un bruit, pas un son ne vint troubler le silence parfait qui s’installa alors sur l’endroit, un calme parfait qui dura le temps d’un éternel battement de paupières, quelques secondes qui semblaient en valoir dix chacune.
Quelque chose, il ne savait quoi, força Lotar à lever les yeux vers le sommet du Mont, un pic qui apparaissait noir placé comme il l’était dans le disque solaire. L’odeur perverse n’avait pas disparue, elle était plus forte et plus irritante que jamais annonçant une catastrophe. La terre se remit à trembler, mais cette fois elle trembla puissamment et sans crescendo. Les dernières images, Lotar ne les oublieraient jamais.
Un pan de la montagne s’écrasant sur eux, un homme hurlant un « attention » qu’il n’entendrait jamais, la terre s’ouvrant littéralement sous ses pieds et ce bruit, ce grondement horrible comme une, non comme cents explosions toutes plus assourdissantes les unes que les autres. Et puis plus rien. Le néant. Une nuit à la chaleur du jour, une nuit infinie avant qu’il ne se relève comme il le faisait maintenant.
« Le dernier… » continua-t-il de murmurer. Le dernier. Quelques pas. Quelques pas et il saurait s’il était le seul ou si il y en avait d’autres, d’autres qui comme lui n’avaient pas compris, n’avaient pas eu le temps de comprendre ce qui s’était passée. Le dernier. Un pas. Le Dernier rempart. Deux pas. Il fallait avançait, ne pas s’arrêter si près du but. Trois. Le dernier. Quatre pas…
Sa bouche s’ouvrit et son visage changea totalement d’expression. Il devint pâle. Il le sentit. Là, devant ses yeux, là ou toujours il avait regardé pour voir le Mont Arcana, là où près de cinq mille ans auparavant avait été scellée la prison du prince du malin, là, se tenait une tour noire. La plus haute qu’il n’ait jamais vue. Une tour qui, on l’aurait deviné, avait appartenue à une forteresse bien plus impressionnante. Une tour qui s’enfonçait dans un ciel rougit par le couché de soleil comme un poignard dans un animal et qui, à son sommet était surmontée d’un dragon sculpté dans la même pierre que celle qui composait l’édifice.
Lotar tomba à genoux. La forteresse d’Arcana… La prison du Fléau... Il ne pouvait pas être libre, c’était même inenvisageable. Les bokans auraient donc réussi ? Après des centaines d’années où les hommes avaient tous oubliés cette ère sombre, cette nuis sans fin, le Seigneur des Profondeurs était libre ?
Lotar laissa vagabonder son regard sur les corps inanimés qui jonchaient là. Des centaines, des milliers de corps et au milieu un qui ne devait pas se trouver là. Un aux côtés duquel reposait une couronne retournée sur le côté. Un au visage ensanglanté et à l’épée brisée. Un qu’il aurait dû protéger…
Le protecteur du roi avait donc échoué, tout comme le Paladin de la Lumière. Le serment que lui avait prêté et la mission que son ordre avait juré d’accomplir… Ces deux promesses avaient été brisés. Le Dernier Rempart à présent n’était plus qu’un amas de ruines qui se laissa mourir aux pieds de la citadelle qu’il devait emprisonner entre ses murs.
Texte E : Le Petit Voleur de Morts
Il y avait un chemin boueux qui longeait la forêt. Un jeune garçon de douze ou treize ans essayait par tous les moyens de nettoyer ses vieilles bottes en râclant ses semelles sur le tapis de feuilles mortes qui bordait ce maudit sentier. Il enrageait tout en essayant de ne pas tomber. Puis au bout
de longues minutes de lutte contre la gravité, il se dit que finalement, il ferait beaucoup mieux de couper à travers bois. Il revoyait encore sa mère lui ressasser: "Ne passe jamais par la forêt! Il n'y a que des loups et des bandits!". Un petit sourire moqueur se dessina sur son visage fatigué...
Tout en cherchant des yeux quelques champignons pour le souper, il se dit que l'accueil ne serait pas des plus chaleureux, lors de son retour chez lui; il était parti deux jours sans donner de nouvelles, et il se doutait bien que tous les gens du village avaient passé des heures à le rechercher aux quatre coins du pays... ce pays si petit, si misérable, sale et corrompu qui était le sien.
Peu lui importait, ces deux journées loin des siens lui avaient été plus que bénéfiques; la solitude allait lui manquer. Il profitait de chacun de ses pas, en se rappelant que la règle de la maison était très stricte: le temps de retard sera le temps enfermé au cellier multiplié par cinq. Il eu un peu de mal à calculer combien de temps il resterait dans le noir, l'humidité et le froid... Dix jours? non, impossible; il ne retournerait pas chez lui. Sa décision était peut-être précipitée, mais il était sûr de lui, sûr de ce qu'il pouvait devenir à présent.
A la nuit tombée, notre fier et courageux jeune homme commençait à déchanter; où pourrait-il bien dormir? Il avait plu pendant des jours, et contrairement à la veille, il ne pourrait trouver une vieille étable abandonnée pour se mettre à l'abri du vent et de la pluie. Il fronça les sourcils et opta pour un pas décidé: non, il ne dormirait pas. Il prendrait la direction du sud pour s'éloigner le plus possible du village. Il ne verrrait pas grand chose, mais la lune commençait doucement à se montrer et éclairerait un peu son chemin.
Son sac lui pesait de plus en plus, et ses jambes le portaient de moins en moins; très vite il finit à genoux, refusant de croire qu'il mourrait de faim et de froid dans cette forêt un peu trop profonde à son goût. Il tentait de se relever, et s'encourageait à haute voix: "T'es un homme, bon sang!". Mais le pauvre petit garçon commença soudain à pleurer.
Cela était donc la récompense pour tous ses efforts? Il ne voulait pas y croire. Alors, sans réel espoir cependant, il se mit debout, et avança. Lentement, certes, mais après tout, cela vallait bien la peine d'essayer. Oh non, il n'avait pas fait tout cela pour rien. L' ambitieux titubait plus qu'il ne marchait, mais il gardait la tête haute. A son âge, on pouvait, tout comme les adultes, faire de grandes choses et être respecté; il fallait juste s'en donner les moyens, pensa-t-il. Son pas régulier le mena bien loin de la lisière, et il n'avait aucune idée de quelle distance il lui fallait encore parcourir pour sortir de cet endroit inquiétant. Mais notre fier jeune homme ne se laissait pas si facilement intimider par un simple amas d'arbres! Du moins il essayait de s'en convaincre.
Encore à genoux... Il pouvait voir le jour s'approcher tout doucement, mais au diable la boue, le froid et surtout la fierté, il se laissa tomber dans les feuilles et s'endormit avant même d'avoir touché le sol. Dans son sommeil, il se rappela ces deux journées, ces lieues parcourues, et surtout,
ces visages... Il entendit aussi des voix et des chevaux, mais cela, il s'en fichait bien; il voulait simplement dormir.
Il se réveilla. Il entendit les mêmes voix que dans son rêve, et puis des hennissements, et des bruits de casseroles, et l'odeur âcre de la vieille cendre. Est-ce qu'on l'avait ramené au village? est-ce qu'il rêvait encore?
Il ouvrit les yeux. Il se trouvait allongé sur une large fourrure, toujours dans la forêt. A la seule différence qu'il était entouré par des individus ... étranges. Oui, c'était bien le mot. De quelle race est-ce qu'ils pouvaient bien être? Trop de questions compliquées à se poser au réveil.
Mais ce qui était certain, c'est que ces "gens" n'avaient pas l'air très aimable et honnête. Oh non... à coup sûr, il s'agissait des fameux "bandits" de sa vieille mère. Il était tellement desespéré et incrédule face à sa malchance, que lorsque ce qui lui sembla être le chef de cette bande vint se pencher sur lui avec un sourire grimaçant, il n'eu aucune crainte.
Ils étaient assez brusques avec lui, mais il avait l'habitude, et cela ne pouvait être pire que les coups infligés par son père. Il remarqua que selon toute vraisemblance, les bandits ne parlaient pas la même langue que lui. En tout cas, ils étaients vraiment laids; presque ridicules de par leur laideur
et leur langue qui ressemblait à des petits cris surexcités. Mais il vallait mieux ne pas en rire ouvertement, car ils n'avaient pas l'air très commode.
Bien sûr, il ne pouvait en aucun cas répondre aux questions qu'on lui posait, mais quand le chef vint lui secouer son lourd sac devant la figure, il paniqua: "C'est à moi! N'y touchez pas bande de crasseux!". Tout ce qu'il avait s'y trouvait. Ce fardeau si dur à transporter était aussi le fardeau de sa mémoire. Il voudrait tellement oublié... Le grand "crasseux" renversa le vieux sac déchiré par endroit pour en voir le contenu, qui tomba lourdement sur le sol: une belle dague incrustée de pierres précieuses, un casque en or et une bourse pleine de pièces d'argent. Avec cela, il aurait pu racheter dix fois son village. Les bandits se jetèrent sur leur nouveau butin. Alors il se mit à pleurer comme un petit garçon.
Ce qu'il était... Il aurait voulu que sa mère soit là pour le prendre dans ses bras et lui dire que tout ce qu'il avait vu n'était qu'un mauvais rêve, que le lendemain il n'y penserait plus. Mais tous ces visages morts sur le champ de bataille, ces corps mutilés par les armes qui gisaient là depuis trois jours... Pourquoi y était-il allé? Il aurait dû rester avec ses frères et jouer à des jeux stupides, comme il le faisait d'habitude. Mais non, il avait préférer épier les onversations des grands à la taverne, qui parlaient de la bataille qui venait de s'achever par-delà les collines, et qui avait vu s'affronter les deux plus grandes armées de cette terre. Il voulait partir très loin et être comme les Hommes du Royaume de l'Ouest: riche, fort et respecté. Il n'a pas resisté une seule seconde à l'idée de tout ce qu'il pourrait ramasser comme fortune, là-bas.Et il est parti. Après des lieues et des lieues de marche, il vit ce dont les adultes parlaient à la taverne: des morts partout, des cadavres comme s'il en avait plu.
Relevant la tête, il s'adressa au chef en sanglottant: "Je ne suis qu'un charognard. Je voulais trop et j'en ai trop vu. Je voulais être un homme par mes actes mais ils m'ont trahi. Je n'en serai jamais un. Et je ne veux plus l'être". Le bandit s'avança, mais bien sûr, il n'avait pas compris. Ce petit
fermier lui avait beaucoup rapporté, mais maintenant il en avait assez de ses lamentations et de ses pleurs. Quand il sortit la vieille épée rouillée de son fourreau, le petit voleur de morts ne bougea pas et ne dit rien.
Enfin il pourrait oublier.
C'est tout pour aujourd'hui, mais je suis trés content qu'il y ait déjà autant de textes Bonne chance à tous, et bon courage pour ceux dont le texte n'est pas encore écrit.
Et voici encore trois nouveaux textes Texte F : Le monde lutinisé
Vertus, le roi des Lutins Verts, avait péri dans cette nouvelle guerre contre les Lutins Gris. Depuis toujours cette guerre perdurait. Le Roi Vertus avait espéré une paix possible, un accord, mais en vain, il en paya de sa vie. Il était très aimé dans les Bois, le domaine de son peuple. Les Lutins Verts avaient la faculté d’ être indissociable d’une branche de bois, s'ils se tenaient totalement immobile, et ils mesuraient environ 10 à 15 cm de haut ; de même que les Gris aux pierres, mais eux étaient plus petits, plutôt 10 cm.
*
Vititus, fils de Vertus, marchait solennellement sur la route pour les Bois. Il haïssait plus que tout le Roi Grimoufle, des Lutins Gris, et il lui nourrissait sans cesse une hargne intarissable tandis qu’une peine profonde le hantait aussi peu à peu, il souffrait de la mort de son père. Il avait mal au dos. Son bras avait été touché par une pierre étoile. C'est un projectile en forme d'étoile, avec des pics pointus de toutes parts, en pierre le plus souvent. Vititus continuait à marcher, il regardait la civière en bois qu'il portait, des larmes s'échappèrent difficilement de ses yeux noir profond en regardant son père, la face figée dans une expression d'incompréhension. Il le revoyait encore de temps en temps, s'avancer vers les troupes ennemies, fier et décidé, avec son porte bannière, et un autre homme qui portait le drapeau blanc des pourparlers. Il avait été tué injustement, alors qu'il tentait une dernière chance de traiter un marché équitable avec le Roi des Gris. Les Verts s'étaient alors rués sur eux et les deux camps n'avaient ni gagné ni perdu, ils avaient subi autant de pertes chez l'un et l'autre. Cette guerre était inutile.
*
L'Erudit des Bois vint couper les réflexions de Vititus. Il s'avançait à son encontre, ainsi que les survivants du front. C'était le Sage, il soignait, conseillait et dans de rares occasions, il prophétisait. Il définira l'avenir de ce monde avant sa fin, pensa-t-il.
- Je vois que bien peu d'entre vous ne reviennent, dis l'Erudit.
- Oui, mais notre nombre est peu important, nous avons perdu notre Roi.
Un silence.
- C'était un bon Roi, il avait beaucoup de volonté, nous l'inhumerons ce soir avec maintes souffrances et douleurs au coeur.
Il marqua une pause.
- Mais tu sais ce qui t'attend Vititus. Celui-ci soupira.
- Oui tout comme toi.
- Oui et ce depuis ta naissance.
Vititus s'emporta.
- Oh oui!! Monsieur le Sage sait toujours tout, seulement il ne dit que ce qui l'arrange et au moment ou ça l'arrange !!
- Tout à fait, répondit-il avec un sourire en coin. Il était un océan calme et paisible.
Le fils du Roi, furieux, fit claquer sa langue et les Archers des Bois le suivirent plus rapidement, il dépassa l'Erudit en lui jetant un regard furibond. Ce dernier ricana dans sa barbe.
*
Le soir, on fit une grande Cérémonie des Morts, le Roi fût pleuré presque autant que pour tous les autres réunis, le fils du Roi dit quelques mots, mais sa peine était bien trop récente pour qu’il en dise plus sans craquer devant tous le monde. L’Erudit par contre, fit un plus long récit, terminant ainsi :
- Mais nos pleurs ne feront pas renaître notre Roi, et aussi nous devons penser au prochain Roi qui règnera pour nous, et un parmi nous sait que son destin est arrivé, c’est tout simplement Vititus.
Un lourd silence s’abattit sur les Lutins. Ils ne savaient pas trop que penser en fait. Soudain le dit fils du Roi, s’avança et déclama :
- Est- ce vraiment moi qu’il vous faut comme souverain ?
- Bien évidemment, dit quelqu’un, avec une assurance évidente. C’était son Second, qui le conseillait depuis des années, c’était aussi son ami.
Une acclamation générale approuva celui ci. Il se résigna, et dit quelques mots pour dire qu’il acceptait d’être leur Roi, qu’il ferait de son mieux pour égaler son père dans tous les domaines, puis s’éclipsa pour réfléchir à tout cela, un peu en désarroi.
*
Vitmalu était un Archer des Bois quelconque, en fait assez banal pour ainsi dire et même un des Lutins des plus laids, mais aussi celui qui avait le plus grand cœur. Il était bien connu pour être un bon flemmard, il aimait beaucoup dormir, il se tenait toujours à l’écart des autres, somnolait si ce que vous disiez ne l’intéressait pas assez ; Pourtant il était assez habile comme archer, et contrairement à beaucoup de Verts, il savait manier « les armes Grises », c'est-à-dire, les armes de combats rapprochés. Il maniait l’épée courte presque aussi bien que l’arc. C’était un brave gaillard, assez petit, de longs cheveux verts avec des nuances fauves et brunes, c’était la caractéristique des Verts. Il n’avait aucune famille, il avait perdu à la guerre un cousin éloigné, qui fut le seul membre de sa famille qu’il connut. Nul ne connaissait vraiment son histoire, ni le pourquoi du comment de sa famille, c’était en fait un sujet de préoccupation, bien moindre.
Il était assit, parmi les grosses branches d’un arbre, lorsque son nom le réveilla de sa douce somnolence. Il se redressa, scruta les environ, ne vit rien, puis se rappela qu’il était en hauteur et baissa le regard. En contrebas il aperçut un Lutin, à premières vues, c’était un messager du Roi, ils avaient toujours, agrafé sur leurs poitrines, un ruban de la Couleur du Roi. Celle de Vititus était verte et or. Il descendit de son arbre en hâte, essayant de recoiffer un peu ses cheveux en bataille, comme la plupart du temps. Son nom fut répété encore deux fois avant qu’il arrive en bas de son arbre.
- Bien bien, je suis là ! dit-il d’un ton bourru.
- Le Roi vous convoque immédiatement. On ne fait pas attendre le Roi, répondit le messager d’un ton solennel.
- Le Roi, dites vous ? Par la vigne vierge qui grimpe aux arbres !! Euh... suis-je présentable ?
Le messager, habitué de ce genre de cas, sorti un peigne de sa ceinture et le lui donna.
- Hum, merci !
- Allons !! Dépêchez !! Le Roi attend !!
- Oui ! Je me hâte !! C’est bon, allons-y !
Très vite ils furent devant l’Arbre du Roi, sa demeure.
Ils entrèrent. Vitmalu commençait sérieusement à se poser des questions sur la raison de sa convocation. Il entra dans la salle où se trouvait leur Roi. Il s’inclina en même temps que le messager, celui-ci partit ensuite tandis que l’Archer s’avançait. Il dit :
- Mon Roi, vous m’avez mandé, je suis là.
Il était plongé dans ses réflexions. Il leva lentement la tête, il était fatigué, et soucieux.
- Oui... Vitmalu c’est cela ? Il acquiesça. Bien, j’ai une mission pour toi. Ecoute-moi bien et ne pose pas de question.
Le Roi se ressaisit et prit une allure plus digne, même fière, avec peut être une pointe de défi dans la lueur de ses yeux.
- Voilà en quoi cela consistera :
Tu vas prendre une ou deux affaires, aller quérir l’Erudit, et revenir ici, il est au courant. Je prends tout ce qu’il nous faut. Nous partirons deux heures avant le levé du jour alors faites vite. J’ai confié le Pouvoir à mon cousin pendant ma courte absence, en qui j’ai une totale confiance. Nous irons chez les Gris, sans être repérés bien sur, pendant la nuit, dans la chambre même de leur Roi, Grifape, oui le fils du précédent, j’ai appris que son père aussi était mort... Et nous lui parleront, nous avons sérieusement besoin d’une grande discussion.
Vitmalu le regarda avec des yeux ébahis, que le Roi le lui renvoya avec insistance et dureté, et il s’en alla bien vite s’enquérir de sa mission. Sur le chemin, il essaya de démêler les paroles du Roi, de comprendre, mais il n’y parvint pas.
Il revint peu après en compagnie de l’Erudit. Ils partirent tous trois à l’heure prévue, et commencèrent à cheminer silencieusement.
En chemin, Vitmalu demanda soudain :
- Pourquoi moi ??? A quoi tout cela nous mène t- il ?
Un silence. Le Roi jeta un regard en biais à l’Erudit, celui- ci répondit :
- Parce que vous êtes brave... et ... hum. Parce que vous êtes le seul des Verts qui ressemble un peu aux Gris et qui peux les combattre si vous possédez une de leurs armes. J’espère que nous n’aurons pas à combattre mais... on ne sait jamais.
Ils arrivèrent au repère des Gris, la Carrière. C’était un plat et vaste dôme de pierre, creusé de toutes parts par de profondes galeries. Ils pénétrèrent dans les lieux doucement, prudemment et ils finirent par se trouver devant la petite fenêtre qui donnait sur la chambre du Roi des Gris. Ils entrèrent. Le Roi ne se réveilla qu’au bout d’un certain temps, et il ne pouvait plus crier car Vitmalu avait placé sa main sur sa bouche. Le Roi des Verts prit la parole le premier.
- Bonjour Roi Grifape, je vous salue. Je suis le Roi des Verts, Vititus. Mon père est aussi mort dans la précédente bataille qui a eu lieu entre nos deux peuples. Je viens ici en espérant vous convaincre d’arrêter cette guerre inutile et meurtrière. Rendez vous compte combien de Lutins sont morts dans ces affronts strictement inutiles ! C’est aberrant ! Et cela doit finir !! Sinon à quoi sert de vivre ? Pour pouvoir tuer des Gris ? Non c’est absurde. Pour ma part j’ai commencé, chez mon peuple, à apaiser la haine qui nous tiraille chacun de notre côté, déjà un grand nombre des miens n’ont plus qu’un simple sentiment d’indifférence envers les votre. Qu’en pensez vous ?
Il fit signe à Vitmalu de lâcher le Roi pour lui permettre de parler. Il se redressa, s’assit dans son lit, et les examina. Vititus l’examina aussi en retour et remarqua qu’il était plus petit, les cheveux argentés aux nuances blanches, mais nullement à cause de l’âge, ce lutin était jeune. C’était juste une autre particularité propre à ce peuple. Il était aussi assez trapu, et ses yeux étaient d’un gris foncé, aussi profond que les siens en noir.
- Vous êtes bien audacieux de venir ainsi dans la nuit, là ou vous risquez la mort plus que nulle part ailleurs.
Il laissa un silence, puis repris, plus gentiment.
- Mais je dois admettre que ce que vous avez à dire est juste. Vous avez même entièrement raison. J’ai aussi, de mon côté, fait ce que je pouvais, sans grand espoir, les Gris sont les plus hargneux, mais j’ai réussit à en convaincre quelques-uns déjà et vous me redonnez courage, votre démarche est surprenante. Je ne sais pas si j’aurais eu ce courage. Merci.
Vititus inclina la tête. Un silence, puis Grifape repris encore.
- Nous allons conclure une alliance.
Les yeux de Vititus flambèrent devant la victoire évidente.
- Mais pas ouvertement, du moins pas maintenant. Nous allons d’abord apaiser les colères de nos côtés, puis quand nos deux peuples seront près, nous concluront une alliance ouverte.
Ils se serrèrent la main. Puis ils signèrent un pacte de paix. C’était gagné, plus jamais la Guerre ne surgirait dans ce monde de Lutins. Ils allaient enfin être heureux, cette guerre n’avait pas de début, mais une fin, elle était si absurde ! Comme toutes les guerres d’ailleurs ! Espérons que les Lutins, qu’ils soient Vert ou Gris, seront prospères !
Texte G : AVATAR
Aujourd’hui, elle est Célia, simple paysanne en fuite.
Elle rajuste son paquetage sur ses épaules, un lourd sac imposant qui écrase sa silhouette frêle.
En compagnie des autres réfugiés, elle s’apprête à franchir les portes de la ville d’Alvern. Voilà dix jours qu’ils ont fui la région d’Edorn, en proie à l’invasion des Orcs. Au fil de l’exil, leurs rangs apeurés ont grossi à chaque village traversé. Leur convoi pathétique compte maintenant plus de vingt mille âmes.
Célia observe tout autour d’elle les visages éreintés de son peuple. Où qu’elle regarde s’étendent à perte de vue des files de miséreux ayant tout perdu. Des familles entières déracinées qui ne possèdent plus que ce qu’elles ont pu emporter à la hâte dans leurs besaces. Les visages sont sales, les vêtements élimés, les corps fatigués. Tant de tristesse et de pauvreté meurtrissent son essence.
Un murmure de colère parcourt la foule. La ville d’Alvern avec ses remparts imposants a concentré tous les espoirs des réfugiés pendant leur difficile exode. Si près du but, ils ont hâte, maintenant, de passer les postes de contrôle pour se placer sous la protection de la ville. L’attente devient pénible.
C’est au tour de Célia. On lui demande son identité, on fouille son sac. Les gardes la dévisagent, elle sent leur regard scrutateur. Elle est entrée.
Elle se laisse porter par le flot des réfugiés qui investissent la ville et savoure cet instant. Sentir l’espoir renaître dans l’esprit de son peuple lui redonne des forces. Au cours de ces dernières semaines de guerre, ils l’ont tellement reniée. Il s’en est fallu de peu qu’elle ne se dématérialise.
Mais elle sent aussi une inquiétude sourde et tenace. Combien de temps la cité résistera-t-elle aux assauts des armées Orcs ? Ne devraient-ils pas fuir encore ? Plus loin ?
Celle qui se fait aujourd’hui appeler Célia doit agir vite, le temps presse. Elle quitte la rue principale et s’engage dans des ruelles moins fréquentées. Elle abandonne son sac, inutile artifice et se dirige vers le temple de la cité. C’est là qu’iront ces prêtres, elle doit les intercepter en chemin.
Ses prêtres … Elle est si fière d’eux. Pendant l’exode, ils ont su à merveille encadrer la population terrorisée. Empêchant la panique de gagner les esprits, ils ont gérer au mieux les maigres ressources. Malgré la perte de foi de son peuple, ils ont su garder la confiance des foules. Sans cela, sans ce sentiment de respect et de crainte qu’inspire encore ses serviteurs, elle n’aurait pas eu assez de puissance pour se matérialiser une dernière fois. Mais eux aussi vont bientôt la renier, ils vont demander la protection du clergé local, les adorateurs de Mélios. Bientôt se sera l’assimilation.
Elle les a repéré. S’assurant que personne ne la voit, elle lévite rapidement jusqu’au petit groupe, sans bruit. Anxieuse, elle joue sa dernière carte : elle les aborde.
KARMIAN ! Le groupe de prêtre se retourne précipitamment. Celui qui semble les conduire fixe intensément la jeune femme.
« Karmian, …, (d’une voix douce), Karmian, je t’ai entendu. »
Le grand prêtre reste silencieux. Ses traits, tirés, fatigués, se figent en une expression de stupeur craintive.
Depuis des semaines, accablé par le chagrin et les responsabilités, il doute de sa décision. Fallait-il fuir la terre de ses ancêtres après la grande bataille, celle qu’on nommera pour les siècles à venir « la grande désolation » ? Doit-il en arriver à renier son culte et à prêter allégeance aux adorateurs de Mélios ? Que deviendront les siens coupés de leurs racines ?
Voilà des jours que Karmian supplie désespérément dans ses prières sa déesse de lui envoyer un signe. Serait-elle venu en personne ?
Il tombe à genoux. Il l’a reconnu, malgré son apparence. Sa foi a su lui faire voir ce que personne d’autre n’a remarqué. Il lève vers elle des yeux mouillés de larmes et joint ses mains en un geste rituel. « Pardonne moi, pardonne moi, … ». Les sanglots étranglent sa voix.
Les autres membres du groupe sans vraiment avoir compris s’agenouillent à leur tour, trop abasourdis pour prononcer un mot.
« Karmian, toi qui ne m’a pas renié aux heures de gloire de notre peuple. Toi qui n’a pas oublié ta foi quand d’autres festoyaient, ni les exigences de mon culte quand d’autres s’abandonnaient à l’ivresse et à l’oisiveté. Malgré la corruption des dirigeants, malgré l’insouciance des petits gens, tu es resté fidèle quand tous oubliait leur déesse. »
« Karmian, toi qui ne m’a pas renié aux heures noires, quand le péril est venu, quand les Orcs ont frappé mon pays en pleine décadence. Les nobles rendus négligeants sous-estimant le danger, les troupes grasses incapables de résister à la violence de ces barbares et tous maudissant mon nom !
Karmian … J’allais pourtant te perdre toi aussi … »
« Relève toi et viens à moi. Vois moi ! Je me révèle à toi aujourd’hui pour renouer avec mon peuple l’ancienne alliance oubliée. Parle leur, je t’ai choisi comme représentant. Rassemble les ce soir sur la place principale. Qu’ils croient à nouveau et ils seront sauvé, qu’ils me renient encore une fois et je vous abandonnerai … tous ... »
Sur ces mots, la déesse disparaît, retournant au mon immatériel, attendant le jugement de ses fidèles. Son destin est désormais entre leurs mains, comme le leur est entre les siennes. Mais en fut-il un jour autrement ?
Karmian se relève. La stupeur passée, s’est un immense espoir qui s’empare de lui. Armé d’une foi que rien ne saurait ébranler, il reprend la tête de son cortège. La destination de petit groupe est inchangée, mais ses projets ne sont plus les mêmes. Karmian était venu placer son peuple sous la protection de Mélios. Désormais, il vient leur apporter la bonne parole au clergé de la ville !
Il s’annonce à l’entrée du temple et les gardes le conduisent bien vite à la salle de réception où l’attendent déjà les membres éminents du clergé local. Sans prendre le temps d’effectuer les salutations rituelles, Karmian prend la parole. Sa foi irradie de tout son être et s’impose à son auditoire.
« Mes frères, je vous suis infiniment reconnaissant de votre hospitalité. J’ai une grande nouvelle à vous annoncer ! Kal D’Irn, notre déesse à tous, se révélera ce soir pour sceller à nouveau l’Alliance divine. Croyez mes frères et vous serez sauver ! ». Ses yeux brillent d’une telle lueur, sa voix vibre d’une telle passion, que les prêtres de Mélios restent abasourdis. Avant qu’ils n’aient pu réagir, celui-ci a déjà tourné les talons.
A la sortie du temple, Karmian s’adresse à ses prêtres : « Mes frères, allez annoncer à notre peuple la grande nouvelle ».
Son enthousiasme est communicatif. Toute la journée, les prêtres rassemblent leurs frères dispersés aux 4 coins de la ville, comme des bergers rassemblant leurs troupeaux. Au fil des heures, prêches après prêches, la peur n’est plus le sentiment qui domine Alvern. Le nom de la déesse Kal D’Irn est sur toute les lèvres. Même la population locale, intriguée par ses prêtres exaltés, se laissent bercer par les promesses rassurantes. Elle les sauvera tous, elle détruira les armées Orcs, elle reconstruira les villes en ruines, redonnera leur fertilité aux champs brûlés. L’imagination des prêtres est sans limite pour vanter les futurs miracles de la déesse.
Lorsque le clocher de la place principale sonne 19h00 se sont des dizaines de milliers de personnes qui s’entassent sur la place et dans toutes les ruelles adjacentes. Les autorités d’Alvern, dépassées par la rapidité des événements et par l’ampleur du mouvement populaire, assistent impuissantes au rassemblement.
Karmian se hisse sur une estrade de fortune. « Célia ! Voit ton peuple rassemblé à ton appel ! Si tu nous en juges digne, permet nous de renouer l’ancienne alliance ! ». Plus un bruit n’est perceptible. C’est tout Alvern qui retient son souffle.
L’essence de Kal D’Irn plane au dessus de la ville. Elle goûte au pouvoir retrouvé. Elle sait que le prix à payer pour sa trahison sera élevé. En se révélant aux mortels, en prenant corps dans le plan matériel, elle a violé les lois les plus sacrés des siens. Elle s’est bannie à jamais du Panthéon.
Et bien soit ! Elle vivra désormais parmi les hommes, mais au moins elle sera ! Née de leur foi, être immatériel, si puissant mais finalement si fragile, elle les traitera comme il se doit, comme ils devraient tous le faire, avec respect et amour. Oui, elle souffrira ! Oui, elle ne goûtera plus aux plaisirs de l’Olympe ! Mais elle sera vivante comme aucun dieu ne l’a jamais été. Elle connaîtra les jouissances et les douleurs de la chair. Elle se nourrira de la foi de ses fidèles, puisant sa force dans leurs âmes et en échange elles les protégera : l’ancienne alliance ENFIN respectée !
Pour son entrée en scène, Kal D’Irn a préparé ses effets.
D’abord un éclair aveuglant, issu d’un ciel sans nuage, traverse la place.
Puis une lumière vive teintée de reflets dorés se matérialise près de Karmian.
Celui-ci se prosterne immédiatement et les premiers rangs en font de même.
Dans un bruit de tonnerre, Kal D’Irn apparaît alors, silhouette d’un blanc immaculée, superbe, pure, projetant autour d’elle une aura de lumière flamboyante. Elle lève la main dans un geste de bénédiction et la foule se retrouve baignée d’une douce lueur dorée.
Un immense murmure respectueux s’empare des « fidèles » et bientôt s’est près de cent mille personnes qui s’agenouillent devant elle.
Au loin les puissants cors des Orcs font entendre leur mélopée sinistre. Mais la foule est trop émerveillée par le miracle qui vient de se produire pour s’en inquiéter.
Texte H : Après la bataille
Milan se rencoigna dans l' inestimable pénombre que la flamme médiocre de la chandelle lui octroyait. Il immobilisa le tremblement de ses mains sous ses cuisses moulées dans des chausses de peau maculées d' éclaboussures brunâtres.
Il y avait peu de risques pourtant qu' on le reconnut. Ceux qui fréquentaient les tavernes des faubourgs se trouvaient rarement, sinon jamais, dans les lieux que sa naissance lui valait de parcourir d' un pas assuré et où il aurait dû être en ce moment. La montée soudaine des rires avinés des soldats attablés non loin de lui, dans un crescendo digne des braiements des baudets d' Arillan, le fustigea, comme s' ils le moquaient et dévoilaient à tous sa honte. Les hommes, dont plusieurs arboraient des bandages souillés, aussi glorieusement que des décorations, célébraient la victoire avec de larges libations d' un vin bon marché que ne leur avait sans doute pas plaint l' aubergiste, soulagé comme tous les Clermontiens, de ne pas avoir à subir le joug cruel du Giganais.Dans les rues pavoisées, les bourgeois et les petites gens s'unissaient, pour une fois, dans la liesse et l' ivresse.
Un torrent glacé lui coula des omoplates jusqu' au bas du dos. Ses paumes ardaient du cuisant souvenir laissé par le poids de l' épée brandie tout au long de cette effroyable journée. Elle reposait maintenant dans le fourreau de cuir éraflé attaché à son côté et lui semblait lui reprocher qu'il eût d'abord usé d'elle avec un orgueil plus que puéril, stupide et ensuite ne la manier que pour se défendre aussi malhabilement que le plus ignare des épéistes.
Un sanglot nerveux meurtrit soudain sa gorge, inaudible par chance dans le brouhaha ambiant. Naïvement, il avait cru pouvoir égaler ses frères, peut-être même son père et opposer à ce dernier la preuve éclatante de sa valeur . Son père , qui après avoir fait la sourde oreille à ses supplications, avait balayé d'un geste agacé les arguments circonstanciés que le jeune homme n'avait eu de cesse d'aligner pour le convaincre de le prendre à sa droite dans la bataille ,ne pourrait que s'incliner devant le fait accompli !
Malade de ressentiment, humilié par le refus paternel et la commissération hypocrite de ses frères, Milan Das Akundéra, le plus jeune mais non le moindre de sa Maison, avait décidé de se battre sous le masque d'un mercenaire. Il lui avait été aisé de déjouer la surveillance des vieux prètres commis à sa garde et de s'esquiver hors du Sanctuaire pour rallier un point de recrutement. Le sous-officier assis derrière une table où voisinaient une bouteille presque vide et un cahier écorné dans lequel il inscrivait les noms à l'aide d'une plume crachotante, n' avait pas caché son mépris :
" Bien jeune et pas trop costaud! Où crois-tu aller, mon garçon ? A un carroussel pour les dames de la cour ? Va les trouver pour t' engager comme page, ton joli minois te servira d' introduction ! "
Le sergent avait ri puis s' était essuyé la moustache d' un revers de sa large main velue avant de marquer dans son registre le nom, faux évidemment, que Milan lui avait donné .
" Baste ! Tu feras nombre . On dit que les Giganais sont pas loin de dix mille . Ton épée ne sera pas de trop ! "
C' est ainsi qu' il s' était retrouvé dans les rangs de la soldatesque que son propre père recrutait à prix d' or, regrettant presque par moment d' avoir fui le Sanctuaire mais plus souvent exalté par la rude camaraderie de ses frères d' armes et par la perspective de la proche bataille au cours de laquelle il pourrait enfin s' illustrer .Les Bardes , lors des fêtes au Château, chantaient si bellement les exploits des héros Finric l' Aigle, Dion le Chasseur ou Aelghir le Chevalier Fou ! Et lui, sous prétexte qu' il était le benjamin et avait hérité du Don, son père l' avait cloîtré dans le Sanctuaire pour qu'il apprenne à utiliser l' Art ,loin de la vraie vie et de la gloire dont ses frères cueillaient à foison les lauriers .
Il ne voulait pas devenir un rat de bibliothèque comme l' Archiviste Royal, ni même un Visionnaire . Il voulait connaître la fureur des batailles, la saveur de la victoire et que son nom claque comme une bannière .
Milan avait déchanté lorsqu' il avait fallu monter en première ligne dans le froid et la boue visqueuse qui semblait vouloir aspirer les bottes à chaque pas tandis que les rumeurs grossissaient à mesure qu' ils approchaient du front , décrivant avec un luxe de détails démoralisants les créatures non-humaines qui formaient, disait-on, la terrifiante avant-garde giganaise .
Milan avait alors regretté de ne pas avoir un bon cheval entre les jambes, mais c' était Farlan , l' ainé de ses frères qui commandait la cavalerie et il avait jugé peu sage de s'y engager, quand bien même on y eût voulu de lui . Au moins , il n' aurait pas eu à piétiner jusqu' à l' épuisement dans cette boue grasse qui salissait tout , nourriture comprise .Mais celà s' était avéré un infime désagrément au regard de ce qui attendait les fantassins sur le plateau de Sémone .
Pour lui, la bataille de Sémone s' était réduite à une ruée désordonnée, hurlante sous les braillements inarticulés des sergents , se transformant bientôt en une fuite en avant , car pour leur donner du coeur au ventre , on n' hésitait pas par derrière à taillader les retardataires ! Et du coeur au ventre , il en fallait pour affronter les faces de cauchemar que les Giganais bien à l' abri en seconde ligne opposaient à l' armée du Clermont .
Milan avait été à peu de souiller ses chausses ; aucune de ses Visions ne l' avait préparé à l'horreur d' un champ de bataille, multipliée par le fait que, rompant un pacte millénaire , l' ennemi avait jeté dans le combat des non-humains .Qu' il fût un Visionnaire, le plus prometteur depuis des siècles selon ses maîtres, ne lui avait été d' aucun secours .
Mal à l'aise , il remua sur son banc et s'enfonça un peu plus dans l' ombre . S' il avait pû disparaître dans le mur ...
Ce n' était pas vrai ... Lui seul, de toute sa compagnie, avait survécu parce que , maintenant seulement il en prenait conscience, il avait anticipé sans trop savoir comment les attaques de ses monstrueux adversaires . Et il ne s' était pas enfui uniquement parce qu' il avait conservé suffisamment de présence d' esprit pour comprendre que, s' il tournait le dos , un de ces innommables l'embrocherait sur sa longue épée comme un vulgaire poulet. Alors il avait ferraillé , se souvenant à peine des figures si élégantes apprises auprès du maître d' armes du Château .
Pour défendre sa vie, uniquement pour défendre sa vie ... Les grands mots qu'il avait cru universels et éternels, ceux qu'il avait jetés à la face marmoréenne de son père pour tenter de le convaincre, s' étaient effacés, dans la fureur du combat, de son esprit et de sa langue.
Tous ces bruits ! Fracas des armes , cris de guerre et rugissements issus de gorges quasi animales , hurlements de souffrance , plaintes des blessés et pleurs des mourants ... Tout ce sang ! Du sang partout , coulant si rouge , presque noir, des membres tranchés , des ventres béants ,des têtes arrachées pour une atroce libation !
Et la puanteur, si tôt venue ! Milan avait le coeur constamment au bord des lèvres . Oh! il avait sans doute restitué son rustique déjeuner à en croire les traces sur ses habits, mélées aux stigmates de la boue et du sang .
Enfin, les Giganais et leurs créatures malfaisantes avaient reflué sous les assauts de la cavalerie brillamment menée par le Prince-Héritier .Celui-ci avait attendu pour charger que les mercenaires eussent abattu une bonne part des monstres, puis les régiments réguliers avaient achevé de nettoyer le terrain des dernières poches de résistance .Cette tactique , les piétons l' avaient payée cher , très cher .
Milan était tombé à genoux, sanglotant de soulagement . Rejetant son épée , il avait essuyé convulsivement ses mains poisseuses sur ses cuisses . Alors seulement , il s' était rendu compte qu'il était seul vivant à cent pas à la ronde . Une sanglante fauchaison de corps enchevétrés sur lesquels bourdonnaient dèjà les mouches le cernait, terrifiante marée immobile .
Il se servit à boire, versant lentement dans un gobelet de terre cuite le vin auquel il n' avait pas encore touché . Sa main tremblante ajouta quelques taches à la collection rassemblée sur ses vêtements. Un sanglot sec déchira sa gorge et il ne put avaler l' âpre piquette . Le pire était encore à venir et pas seulement parce qu'une victoire ne suffisait pas à gagner une guerre.
Pourquoi Farlan ,galopant fièrement sur le champ de bataille acquis aux Clermontiens, avait-il dirigé son cheval caparaçonné de pourpre vers le jeune soldat solitaire, perdu au milieu d' une mer de cadavres ? Bien évidemment , l' ainé des Princes eut bientôt identifié sous la défroque de mercenaire le plus jeune de ses frères qu' il croyait à l' abri derrière les hauts murs du Sanctuaire .Les yeux écarquillés par la stupeur et la colère tordant sa bouche, Farlan avait sauté à bas de son cheval moreau . Et tandis que la large main gantée se levait pour s' abattre sur sa joue, Milan avait été la proie d' une Vision . Le jeune homme haïssait ces manifestations de son Don ( sa malédiction , ainsi en jugeait-il en secret ) . Heureusement étaient-elles suffisamment rares pour ne pas lui empoisonner totalement l' existence quoique leurs manifestations aléatoires fussent passablement handicapantes ! De fait , l' honneur de devenir l' un des Visionnaires les plus puissants de l ' histoire des Royaumes de la Mer Intérieure ne lui chalait pas vraiment.
Soudain, la main qui allait le frapper lui présentait l'épée royale dont la garde et non la lame était ointe de sang. Il avait levé les yeux de l' acier luisant et s' était vu confronté au masque mortuaire de l 'héritier de la couronne . Mais la couronne à l' Epervier pesait sur son front à lui, tandis que Farlan lui soufflait des mots terrifiants éclatant en bulles de sang sur ses lèvres :
" Gerfaut, entre tes mains tu tiendras la sauvegarde. Giboie , Gerfaut , sans relàche, car tu seras le dernier ! "
Hurlant de terreur, la joue cuisante d'une gifle qu' il n' avait pas même sentie, Milan s' était enfui du champ de bataille . Farlan n' avait pas tenté de le retenir .
Mais sans doute , en ce moment même, des gardes royaux étaient- ils à sa recherche pour le ramener à la maison, sinon à la raison . Il tenta de se persuader que les Visions étaient sujettes à interprétation mais savait au fond de lui-même que le sens de celle-ci n' était que trop clair . Or , plus encore que l' affection qu' il portait aux siens, le refus d' être celui sur qui reposerait le sort du Royaume , lui qui n' avait cessé de crever de trouille pendant et après la bataille, le poussait à renier sa Vision .
Esprits! Il est impossible que je sois le dernier, c'est absurde! Mon père et mes frères sont les colonnes du Clermont . Mon père ,un roc ,bâti pour vivre longtemps , et quatre fils avant moi , robustes et glorieux ! Esprits, ayez pitié ! Considérez-moi , insignifiant et làche . Je retournerai au Sanctuaire , je n' en sortirai plus , je vous servirai selon mes capacités ! Ecoutez ma prière !
Milan n' aperçut l' officier royal que lorsque ce dernier se pencha au dessus de la table crasseuse pour s' adresser à lui avec une déférence nuancée d 'agacement :
sans doute n' était-ce pas la première taverne qu' il visitait avec ses hommes à la recherche du prince fugueur . Le soldat se racla la gorge avant de délivrer son message :
" Monseigneur , son Altesse le Prince Héritier vous demande de nous accompagner sur le champ au Château.
Il hésita avant de poursuivre et Milan sut , horrifié, ce qu' il allait lui annoncer :
Votre père, sa Majesté , a eu une attaque ; les médecins sont très inquiets ."
Non !
J'ai le plaisir de vous annoncer que cela faisait longtemps que les Joutes n'avaient pas susciter un engouement tel de la part des jouteurs eux-même (depuis la deuxième joute plus exactement, au mois de mai dernier !)
Je les en remercie, surtout qu'il reste encore prés de dix jours avant la date limite de remise, ce qui laisse supposer quelques textes supplémentaires.
C’était le milieu de la nuit, la lune baignait la forêt de sa froide lumière. Rien ne troublait le silence hormis le martèlement des sabots d’un cheval au galop. L’animal était à bout de force, sa robe grise couverte d’écume. Son cavalier, un homme en cotte de maille et surcot noir, avait l’air aussi mal en point.
Il avait encore du mal à réaliser ce qui venait de ce passer. L’attaque avait été soudaine, ils avaient été trahis. Comment un membre de l’ordre avait-il pu faire une chose pareille. Toujours est-il que les portes avaient été ouvertes de l’intérieure et les gardes assassinés. En un instant l’ennemi avait été sur eux. La bataille avait durée des heures, bien que pris par surprise et inférieur en nombre, les chevaliers de la citadelle c’étaient défendu jusqu’au bout. Un à un ils étaient tombés en emportant avec eux un nombre cinq fois plus important d’ennemis, malgré cela ces derniers étaient sans cesse plus nombreux.
Toutes ces images se bousculaient dans sa tête, ses compagnons en train de mourir, la citadelle en flamme… Mais il les repoussa, l’heure n’était pas aux questions ni aux regrets. Quand il fut évident que tout espoir était perdu, le commandeur avait fait appel à lui pour lui confier une mission de la plus haute importance. Et il avait bien l’intention de s’en acquitter.
Il poussait sa monture toujours plus avant vers le cœur de la forêt en serrant contre lui un objet enveloppé d’une couverture.
Il regardait sans cesse en arrière quand des bruits se firent entendre. En dépit de ses efforts, il n’avait pu distancer ses poursuivants. Encore quelques instants et ils seraient sur lui. Il fit volter sa monture et dégaina son épée d’un mouvement fluide, il était prêt à affronter la charge. Il fut rejoint par une bande d’orques et de gobelins, les premiers étaient des créatures féroces à la peau vertes, des brutes sauvages ne vivant que pour se battre, les seconds bien que de plus petites taille étaient tout aussi dangereux car beaucoup plus intelligents. Tous chevauchaient des sangliers aussi grands que des chevaux. En arrière un individu vêtu de noir, monté sur un étalon noir, semblait diriger l’assaut. La vue de cette horde aurait glacé d’effroi la plupart des gens, mais le chevalier faisait face avec détermination.
Le sanglier de l’orque de tête chargea l’étalon gris, essayant de l’éventrer de ses défenses. Le cavalier fit faire un écart à sa monture pour éviter l’attaque. Quand son adversaire fut à sa hauteur il abattit sa lame, l’orque roula sur le sol le crâne fendu. Pendant ce temps le reste de la horde n’était pas resté inactif, ils encerclaient leur proie qui ne put éviter une nouvelle charge. Le cheval s’effondra manquant écraser son cavalier, celui-ci roula sur lui-même avant de se redresser. Bien campé sur ses jambes, il affronta une nouvelle attaque, mais s’il parvint à éviter les défenses de la bête, il reçut une terrible entaille à l’épaule droite puis un carreau tiré par un archer gobelin se ficha dans sa jambe suivi d’un autre qui vint se loger dans son flan droit. Le chevalier s’effondra sur le sol en serrant désespérément son paquet toujours enveloppé dans la couverture. Les orques et les gobelins poussèrent des cris de victoire. Sur un ordre muet du cavalier noir, l’un d’entre eux s’approcha pour porter le coup de grâce. Mais alors qu’il levait sa terrible hache afin d’achever sa victime, il fut plaqué au sol par un énorme loup qui lui planta ses croc dans la gorge. Des hurlements montèrent de partout au alentours. Les orques et les gobelins scrutaient terrifiés les bois environnants. Les loups se jetèrent sur eux, les bruits du carnage retentissaient dans la forêt, les grognements des fauves se mêlaient aux cris d’agonie des peaux vertes. Ceux qui se trouvaient près du chevalier furent rapidement mis en pièces, les autres rompirent les rangs et s’enfuirent à toutes jambes. Les orques étaient par nature des êtres sanguinaires mais les loups dont les yeux flamboyaient de colère les dépassaient en sauvagerie. Le cavalier noir talonna sa monture et s’approcha du mourrant mais la meute s’interposa en découvrant de longs crocs acérés, offrant sa protection au blessé et obligeant le cavalier à reculer. Celui-ci fini par battre en retraite.
Le chef de la meute, un énorme animal au pelage gris argenté, s’approcha du chevalier, renifla la couverture avant de la pousser avec son museau. Elle contenait un bébé, malgré son jeune age il ne pleurait pas, ses yeux gris bleu étaient dures et froids comme la glace. Mais le plus étrange était ses oreilles. Elles étaient trop pointues pour être celles d’un humain et trop courtes pour être celles d’un elfe.
Des bruits indiquèrent clairement que des cavaliers étaient en approche, il s’agissait d’éclaireurs elfes attirés par le vacarme. Les loups poussèrent un long hurlement avant de partir.
Arrivée sur les lieux ils mirent pieds à terre. Ils étaient cinq, grands, élancés, vêtus de brun et de vert. Leurs oreilles étaient longues et pointues et leurs chevelures encadraient des visages aux traits fins. Leur chef donna ses ordres, deux d’entre eux s’en allèrent inspecter les alentours alors que les deux autres le suivirent tandis qu’il s’approchait du blessé. « Qui êtes vous et que venez vous faire sur notre territoire ? » demanda-t-il sans montrer la moindre compassion pour l’état du chevalier « je dois voir Gildraën » parvint à articuler celui-ci. « Rien que ça » ironisa l’elfe « Tu viole nos frontières avec des peaux vertes à tes trousses et tu voudrais que nous te conduisions au cœur de notre cité, tu as perdu la raison humain. Commence donc par nous dire ce qui c’est passé ici. » C’est à ce moment là que revinrent les éclaireurs « Seigneur Morandion » s’écrièrent-ils visiblement troublés « il y a des corps d’orques et de gobelins partout dans la forêt, d’après les empreintes ce sont les loups qui sont responsables de ce massacre » expliqua l’un d’eux. « Ce n’est pas tout .Il y avait un autre cavalier avec les peaux vertes et mon cheval a refusé d’avancer sur ses traces » ajouta l’autre. « Qu’est ce que tout cela signifie ?» demanda le seigneur elfe en se tournant vers le chevalier. Malgré ses blessures ce dernier parvint à dégager le haut de la couverture « vous devez me conduire auprès de Gildraën c’est important. Sa fille est morte, Galadorm est tombé. L’enfant…, protégez l’enfant. » Il ferma les yeux et perdit connaissance.
Les elfes échangèrent des regards dans lesquels la surprise se mêlait à la consternation. « Préparez une litière nous repartons pour Asuria et nous l’emmenons avec nous » s’écria Morandion. Son ton était sans réplique aussi aucun de ses hommes ne fit de commentaires. De toute manière ils étaient bien trop abasourdis par les derniers événements pour émettre la moindre objection.
Peu de temps après, le groupe se mis en route. Le voyage s’accomplit dans le silence et une heure plus tard ils arrivèrent en vue de grandes portes de bois bardées de fer. Ils les évitèrent cependant, pour pénétrer dans la cité ; le seigneur Morandion leur fit emprunter une porte dérobée réservée aux éclaireurs.
A l’intérieur des murailles la forêt se poursuivait et ne faisait qu’une avec la ville. Il y avait de nombreuses habitations dans les arbres et des bâtiments de pierres sur le sol. Une grande avenue remontait en ligne droite jusqu’au palais du seigneur de la cité à peine visible au loin sous la lumière de la lune et des étoiles. Le groupe emprunta un autre chemin qui le conduisit jusqu’à une tour située à l’écart des autres habitations. La lumière à une fenêtre indiquait que son propriétaire ne dormait pas.
Les cavaliers mirent pied à terre et leur chef alla frapper à la porte. Un elfe aux cheveux gris argent lui ouvrit. Quelques rides parcouraient son visage et ses yeux trahissaient son âge, il portait une grande robe grise et tenait un bâton dans la main droite. « Je suis désolé de vous déranger à cette heure de la nuit, mais j’ai de graves nouvelles pour vous » lui dit l’éclaireur. Il fit un résumé détaillé des évènements. Le vieil elfe se précipita vers la litière sur laquelle reposait le chevalier toujours inconscient et les yeux embués de larmes il prit le nourrisson dans ses bras.
Il donna des ordres, le blessé fut conduit à l’intérieur de la tour et allongé sur un lit. Le vieux sorcier s’enferma avec lui et lui fit avaler plusieurs potions. Quand il eu repris connaissance ils parlèrent un long moment, puis il ferma de nouveau les yeux pour cette fois ne plus jamais les ouvrir.
Le vieux sorcier rejoignit les éclaireurs. « Ma fille et son époux ont été tué par une horde de peaux vertes en maraude. Avant de mourir ils ont confié leur enfant à un de leur chevalier qui l’a conduit jusqu’ici. Vous l’avez trouvé blessé dans la forêt et emmené chez moi où il a succombé à ses blessures. Rien de plus. »
« Mais maître Gildraën… et les loups ? Et pourquoi les orques auraient-ils osés violer nos frontières pour poursuivre un chevalier blessé et un enfant ? De plus, ils n’étaient pas seuls, il y avait un étrange cavalier avec eux, Eladhril a repéré des traces … » voulu rétorquer le chef des éclaireurs. « Silence » l’interrompit le vieil elfe « vous vous en tiendrez à ma version, je veux que vous prêtiez serment, tout les cinq ». Pas un seul éclaireur ne pu soutenir son regard et même le seigneur Morandion baissa les yeux. «Faites moi confiance, c’est important » ajouta le sorcier sur un ton plus doux et comme ils avaient pour lui le plus grand respect tous prêtèrent serment avant de s’en retourner.
Gildraën s’approcha alors de l’enfant qui était resté dans un fauteuil. Il avait les yeux grands ouverts, durs et froids comme la glace. Le vieil elfe le pris dans ses bras « c’est peut-être toi… peut-être »
Texte J : Après la bataille ...
Enfin le silence retomba, au loin on entendit les derniers coups de canons, même les cris avaient cessé. Les cadavres jonchés le sol, impossible de dire quel camp avait perdu le plus d’hommes. Puis peu à peu se relevèrent ceux qui le pouvaient, et se mirent à crier, à appeler au secours, ceux qui ne le pouvaient pas. La bataille était bel et bien terminée, aucun n’en était sorti indemne, ni de sa chaire, ni de son âme, une guerre vous enlève toujours un peu de vous, cette partie d’humanité qui durant la bataille ne peut que vous perdre. Impossible de faire des sentiments, impossible de penser que le soldat en face de vous est aussi un homme, qu’il y a quelque part une femme et un enfant qui l’attendent. Pensez cela et vous êtes mort.
Les secours s’organisèrent rapidement, et je fut, comme tous ceux qui n’y entendaient rien à la médecine, chargé de ramassé les corps des vivants, et de les amener sous les quelques tentes sauvées du carnage, et qui pour l’occasion servaient d’infirmeries. Passant d’un corps à l’autre, je sentais monter en moi une vague de dégoût, et je cru bien que j’allais vomir, quand soudain, j’entendis une voie ; une toute petite voie. Je tendis l’oreille, elle provenait de tout prêt. M’approchant d’un tas de cadavre, la voie se fit plus forte, quelqu’un était prisonnier là dessous. Ecartant les corps, je trouva bientôt le soldat, il était gravement blessé. Je m’apprétait à le soulever pour le ramener au camp, mais je me rendis compte que ce soldat ne portait pas les armes de mon camp, c’était un ennemi. Mais c’était aussi un être humain, je ne pouvais pas le laisser là, à moitié mort, sans aucun secours, et dans un état si lamentable. Mes pensées tourbillonnaient, et je ne compris jamais ce que je fis alors. Regardant autour de moi, je me vis seul. Je me jetais alors sur le premier cadavre que je trouvais, le dénudais, et revenant à mon moribond j’entrepris de le dénuder également afin de lui enfiler les habits de mon camp. Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir que le soldat que je tentais désespérément de sauver était non pas un homme, mais une femme ! Mon dégoût de la mort, et surtout de celle d’une femme, me permis de ne pas perdre tout mon esprit, et de redoubler mes efforts. Cependant la tache n’était pas aisée, la jeune femme perdait beaucoup de sang, et je craignais de n’aggraver ses blessures à chacun de mes mouvements. Lorsque enfin j’eus fini, je soulevais doucement le corps, elle était d’une légèreté étonnante, et pressant le pas je la ramenais dans une tente à l’écart où je savais trouver un ami médecin. Déposant le corps sur un lit de camp vide, je priais Galéo, de tenir sa langue, et de soigner la jeune femme. Prenant ma requête pour un désir de discrétion à l’égard de cette femme, et non comme une peur terrible que l’on ne découvre la vérité sur ses origines, mon ami accepta.
Douze jours passèrent. Peu à peu, les morts avaient étaient enterré, les blessaient guéri, et chacun reprenait lentement le chemin de son pays. Je ne sais comment je parvint à cacher à tous mon lourd secret, mais lorsque la jeune femme se réveilla, je décidais qu’il était temps pour moi de l’emmener au loin, en sécurité. Galéo, m’assurait qu’elle ne courait plus de danger, et mon cheval, par miracle était toujours vivant, aussi, je ramenais chez moi l’inconnue, à qui je n’avais jusque là, pu soutirer un mot. Impossible qu’elle ne retourne chez elle pour l’instant, les frontières étaient plus que gardées, elle le savait et l’accepté, je crois. Nous fîmes donc en trois jours le chemin qui nous séparait de mon village. En route, je lui achetais une robe afin qu’on ne posa trop de questions. Lorsque je la vis pour la première fois en femme, j’en eut le souffle coupé. Elle était tout simplement magnifique. Ses cheveux noirs, qu’elle n’avait pas même pris la peine de couper, tombaient en grosses boucles sur ses épaules, ses yeux était verts, elle n’était pas très grande, mais avait la taille bien prise, et une attitude altière qui lui allait à ravir. Enfin nous arrivâmes chez moi. Je présentais ma compagne comme une la fille d’un vieil ami à qui j’avais juré de prendre soin de son enfant au cas ou il viendrait à mourir. L’on fêta dignement mon retour.
Pas à pas j’appris à connaître ma rescapée, mais toujours pas un mot ne sortait de sa bouche, il m’était impossible de lui soutirer la moindre information, ni son nom, ni ou elle habitait, si elle avait des parents, des amis. Je la voyais souvent mélancolique, et lorsque la paix revint un peu, je lui proposais de l’aider à passer la frontière, à rentrer chez elle.
Ainsi vers le mois de novembre, soit sept mois après la fin de la guerre, nous partions pour Fériléa, une ville à la frontière de nos deux pays.
J’avais tout organisé. Cela devait se passer de nuit, nous avions choisi un morceau de la frontière proche d’une forêt. Là des postes de gardes étaient implantés tous les deux ou trois cent mètres. J’en avais choisis un, et avait repérais les heures de changements des gardes. A ce moment, les hommes bavardaient toujours quelques minutes, et une personne suffisamment jeune et en bonne santé, avait aisément le temps de parcourir les quelques mettre qui séparaient les premiers arbres de la rivière qui coulait tranquille, vers le sud. Il lui suffisait après de se laisser porter par le courant, sans faire de bruit.
Ainsi fut fait. Hélas, il est dit que ce genre d’entreprise ne réussisse jamais. La jeune femme était presque arrivait à la rivière, et j’avais pour mission de faire diversion si les gardes venaient à se doutait de quelque chose. Mais alors surgit un cavalier, qui apercevant un être courir, brandit son épée, sauta à bas son cheval, et avant que je n’ai rien pu faire quoi que ce soit, retiré la vie du corps de celle pour qui j’avais tout risqué. Je sentit mon cœur se serrer, et dans un accès de fureur, de douleur, je dégainais moi aussi mon épée, et m’élancé sur le cavalier. Surpris, il ne pu parer ma première attaque, et je le blessais violemment. Notre duel dura quelque instant encore puis, je le tuais. Arrivèrent alors les garde qui n’avait pu rester sourd aux bruits des lames s’entrechoquant. Je ne pouvais me battre contre tant d’hommes, il ne me restait plus qu’à fuir. Empoignant le corps de mon amie, je courait jusqu’à la lisière de la forêt, où je retrouvais mon cheval et m’enfui Le cœur meurtri, haïssant le monde tout entier, qui ne permettait pas même qu’une jeune femme retrouva les siens, je passa la nuit à pleurer sur ce corps, sur cette femme que sans le savoir j’avais aimé. Je ne pouvais me résoudre à la laisser s’en aller, je ne pouvais accepter sa mort. Je revoyais les images de mes amis tombant durant nos batailles, je hurlais de douleur. Mais rien ne peut guérir de la mort, rien pas même l’amour de ceux qui reste. A l’aube, pleurant toujours, j’enterrais mon petit soldat, et avec elle mon amour pour la vie, et ma haine pour les hommes.
Aujourd’hui, je vis avec cette blessure, et je ne comprends toujours pas les hommes, qui se livrent des guerres incessantes, laissent mourir des innocents, et séparent des familles, mais j’ai appris à vivre avec, et à ne pas vouloir changer ce qui ne le peut. Je n’ai plus jamais fait la guerre, je n’ai plus jamais tué, mais pour cela il m’a fallut voir mourir une femme, une femme que j’aimais. Je n’ai plus jamais aimé non plus.
Texte K : La clémence de Frigg
Je ne savais pas depuis combien de temps j’étais étendu là, dans la neige : j’avais l’impression que je venais juste de tomber, et cependant il me semblait que j’étais dans cette position depuis une éternité. Etrangement, je n’avais pas envie de bouger. Je me sentais tout simplement… bien. Je contemplais avec calme le ciel au-dessus de moi et laissais les flocons de neige tomber sur mon visage. Il me semblait que le temps s’était arrêté et j’aimais cela.
Au loin, il me sembla entendre des gémissements. Innombrables. Bizarre que je ne les ai pas entendus auparavant… Je m’arrachai difficilement à ma contemplation béate du ciel blanc et tournai péniblement la tête. Ma vision était floue, quelque chose coulait dans mes yeux ; c’était probablement la neige. Je vis cependant quelques corps sur le sol blanc, étendus comme je l’étais. Des guerriers, visiblement. J’émis un faible ricanement : Par Thor, dans quel stupide rêve suis-je donc en train de me promener ?.
Garder les yeux ouverts m’était douloureux : tout ce blanc, c’était insupportable. Je me forçai cependant à regarder un peu plus intensément ces guerriers étendus dans la neige. Je me rendis compte qu’il y en avait des dizaines, puis des centaines. Les gémissements que j’entendais provenaient de leurs bouches, et je compris qu’ils agonisaient. Je me dis que mon rêve n’était pas si amusant que ça, finalement. Mon regard fut attiré par une grande tâche de couleur parmi cet amas de corps : une bannière. Elle semblait avoir été abandonnée là, gisant sur le sol. Elle représentait un majestueux drakkar rouge et noir sur fond vert. Mais… c’est ma bannière !!! Où est donc passé ce vaurien de Hiérulf ? C’est lui qui était supposé porter haut notre bannière lors de cette bat…. Le choc. Tout me revint subitement en mémoire.
Moi, Bjorn Ivarson, chef des Vikings du Northland, fils et petit-fils de chef, j’avais mené mes hommes à la bataille contre le clan Viking adverse. Je me souvins de la rage qui m’avait animé lorsque nous avions chargé en hurlant « ODIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIINNNNNNNNNN !!! ». Je me souvins également de tous ces guerriers que j’avais tués. Je me souvins enfin de la douleur que je ressentis quand Ingmar, ce fier et robuste Viking, m’assena un violent coup d’épée sur le crâne.
Je tentai vainement de redresser la tête pour regarder à nouveau le champ de bataille. Je n’y voyais décidément pas grand-chose. Ce que c’était agaçant d’avoir la vue brouillée par tout ce rouge, à la fin ! Rouge ?!?!? Je compris enfin. Ce n’était pas la neige qui coulait dans mes yeux, c’était du sang. Mon sang. Je tentai de lever le bras pour essuyer mon visage, mais fus arrêté par une violente douleur. Je me rendis alors compte que mon abdomen avait été déchiré par un coup d’épée. Mes intestins se déversaient sur le sol.
J’attendis qu’on vienne me porter secours. J’attendis, encore et encore. La douleur s’estompait. Elle finit par disparaître. Je me sentais à nouveau bien. Je ne sentais plus rien, n’entendais plus rien. J’avais simplement envie de dormir. Je compris que mon heure approchait. Je ne peux pas partir comme ça, c’est impossible! Un Viking doit mourir en Viking, l’épée à la main, sinon il ne peut pas accéder à la demeure d’Odin aux cinq cent quarante portes! Mon épée, vite !. Lentement, très lentement, je tendis la main vers ma fidèle épée. C’était un effort très pénible. Lorsque je parvins enfin à la toucher, je m’agrippai à son pommeau de toutes mes forces. Je fermai alors les yeux et n’eus plus qu’une pensée : Maintenant.
*****
Lorsque je rouvris les yeux, j’étais toujours étendu sur le sol. Mais beaucoup de choses avaient changé : le ciel était d’un bleu pur et doux, et le sol n’était plus enneigé, il était recouvert par un épais et moelleux tapis d’herbe verte. Je ne ressentais aucune douleur. Eberlué, je me rendis compte que mon corps ne portait plus aucune blessure. Mes vêtements de guerre étaient propres et ne montraient plus aucun signe de la terrible bataille qui venait de se dérouler. Une seule explication s’imposa très vite à mon esprit : j’étais mort.
En me redressant, j’eus le souffle coupé par la beauté du spectacle qui s’offrait à moi. Je me trouvais au pied d’une colline verdoyante qui donnait envie de s’allonger dans l’herbe et de se laisser caresser par les doux rayons du soleil pour l’éternité. En haut de la colline, une demeure. Non, mieux : un palais. Mêlant avec grande harmonie la pierre et le bois, l’architecture de ce palais était d’une complexité déconcertante. Vu d’en bas, ce palais semblait avoir plus de dix façades, donnant au bâtiment une forme générale biseautée. Sur chaque facette du palais, à des hauteurs différentes, comme surgissant de la pierre elle-même, plusieurs proues de fiers drakkars semblaient défier les cieux en un arrogant mouvement vertical. On aurait pu se sentir intimidé par l’imposante et fière demeure, mais d’innombrables portes invitaient le voyageur à entrer. De multiples statues et gargouilles en or paraient le tout et réfléchissaient avec vigueur les rayons d’un soleil ardent. J’étais véritablement fasciné. Par les cent mille démons glacés du Niflheim ! Cela ne peut être que… le Palais d’Odin ! Machinalement, je regardai ma main. Elle s’agrippait toujours à l’épée.
Toujours fasciné, je gravis lentement cette verte colline. Plus j’avançais, plus je découvrais les beautés subtiles du palais. Ici, une délicate source d’eau claire et fraîche. Là, une imposante statue d’Aegir, dieu des océans. Un peu plus loin, une statue de Thor, terrifiant dieu de la foudre. Plus près du palais, une roseraie, véritable oasis de douceur et de simplicité au milieu de l’incroyable arrogance de ce palais. Je m’arrêtai soudain devant la roseraie : j’avais cru voir quelque chose bouger. Une volée de papillons, semblant surgir de nulle part, virevolta gaiement autour de moi, comme si les papillons… me sondaient. Un papillon jaune fut assez taquin pour se poser sur mon nez. Délicatement, je le pris au creux de ma main et, enivré par tant de fraîcheur, de beauté et d’innocence, me mis à rire.
Sans doute alertée de ma présence par mon rire, une femme se dressa au milieu des roses, une pince de jardinier à la main. Si j’avais été fasciné par le palais, ce n’était rien comparé à ce que je ressentis quand je découvris la jeune femme. Jamais je n’avais vu telle beauté. Sa robe semblait faite de nacre, animée par de troublants reflets mouvants. Ses cheveux blonds descendaient en une cascade enchanteresse jusqu’à sa taille, négligemment retenus par un diadème orné d’une simple perle en forme de larme. Ses yeux étaient… ah… ses yeux… ils exprimaient à la fois noblesse et humilité, douceur et force.
L’enchanteresse me sourit. Je sentis mon cœur fondre. Je m’apprêtais à m’agenouiller devant tant de grâce, lorsqu’elle me parla. Sa voix était calme et claire, telle une rivière qui doucement murmure : « Bienvenue au Walhalla, Bjorn Ivarson, chef des Vikings du Northland, fils et petit-fils de chef. » Ma langue refusait de s’animer. J’étais paralysé. Elle me connaissait donc ? Elle émit un petit rire : « Allons bon, vous m’avez surprise en train de m’occuper de mes roses. J’avoue que c’est ma passion secrète, n’en déplaise à mon mari. S’il savait que je fais le travail du jardinier ! ». De nouveau, son rire clair emplit l’espace et le temps. Elle était… divine.
Je m’apprêtais à lui répondre galamment, lorsque je m’aperçus qu’elle n’était pas seule. Des chats ! Il devait y en avoir six ou sept autour d’elle. En y regardant d’un peu plus près, je m’aperçus avec stupéfaction que ces chats… avaient des ailes ! Des chats ailés ?!?!? Mon sang ne fit qu’un tour : tous les Vikings connaissaient la légende des chats ailés pour leur attachement à une déesse bien connue. Je réalisai ainsi que je me trouvais en face de la déesse Frigg, épouse du grand Odin. Mon émotion fut telle que je tombai à genoux devant elle. Indigne de poser le regard sur elle, je baissai la tête et portai ma main sur mon cœur.
En un geste d’infinie douceur, elle posa la main sur ma nuque. Ce contact était chaud, apaisant et… enivrant. J’aurais voulu qu’elle laisse sa main sur ma nuque pour l’éternité qu’il me restait à passer au Walhalla. Mais un petit être vint troubler ma béatitude : un chat ailé vint se frotter à moi, tout ronronnant. Je fus immédiatement séduit par cette approche inattendue et n’eus alors qu’une envie : serrer contre moi ce félin qu’il me semblait alors connaître depuis toujours. Le tenant dans mes bras comme j’aurais tenu un enfant, je plongeai mon regard dans celui du chat céleste. Je me trouvais dans l’incapacité de me détacher de son regard inquisiteur. Dans ses yeux bleus je vis défiler ma vie : mes friponneries d’enfant, mon premier combat, mon premier baiser… ma mort.
Notre mutuelle contemplation fut soudain interrompue par un léger « Oh ! » de surprise, émis par une douce voix féminine. Quand je relevai la tête, je me rendis compte que j’avais occulté la présence de Frigg. Comment avais-je pu l’oublier, Elle ? En la regardant, je me dis qu’elle avait l’air médusée, puis je chassai bien vite cette pensée : une déesse ne pouvait pas avoir l’air médusée, par Thor ! C’est cependant d’une voix hésitante qu’elle me parla pour la dernière fois : « Bjorn Ivarson, chef des Vikings du Northland, relève-toi. Le caractère exceptionnel de ce que je viens de voir de la part de l’un de mes familiers envers toi m’incite à… ». Elle tourna un regard interrogateur, presque inquiet, vers l’imposant Palais d’Odin. En tournant à mon tour la tête vers le palais, je me rendis compte que, au bout d’un moment, les cinq cent quarante portes s’étaient transformées en miroirs. Visiblement satisfaite, Frigg poursuivit : « Odin t’accorde une seconde chance, fier Viking. Prends-la et mérite-la. » Ne comprenant pas un traître mot de ce qu’elle venait de dire, je baissai la tête en signe de dévouement et sentis qu’une main légère déposait délicatement quelque chose autour de mon cou.
*****
Lorsque je relevai la tête, ce fut l’ébahissement le plus total : j’étais au beau milieu d’un champ de bataille. Pas n’importe quelle bataille : celle qui nous avait opposés au clan d’Ingmar… celle où j’avais rencontré la mort sur mon chemin. ODIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIINNNNNNNNNNNNNNN !!!! Ce cri empli de l’orgueil de mon clan sonna le début de la charge. Je connaissais tout ça. Je l’avais déjà vécu. L’air hagard, je regardai ma bannière flotter au-dessus de nos têtes, fièrement arborée par Hiérulf, qui semblait être hautement excité par le feu de l’action. Ce n’est pas possible, Hiérulf est mort, nous avons déjà perdu cette bataille !!! Que les dieux de l’Asgard m’assistent, je suis déjà mort ! Je fus vite sorti de ma torpeur par l’arrivée brutale d’une ombre massive : Ingmar. Il se ruait sur moi en hurlant. J’avais déjà vu cette scène. Je savais ce qu’il allait faire. Il allait lever son épée. Il allait me fracasser le crâne.
En mouvements lents, comme dans un rêve, j’esquivai le violent coup d’épée… et plongeai la mienne dans la poitrine d’Ingmar. Tout ce qui suivit sembla irréel. Je me battais, je frappais, je tuais.
C’était fini. Mon clan sortait vainqueur de cette terrible bataille.
Hagard, je regardais mes amis exulter et se partager les biens de l’armée vaincue. Mon regard erra tout autour de moi. Tout semblait bien réel, je ne rêvais pas.
« Bjorn Ivarson, mon chef ! C’est un grand jour pour les Vikings du Northland ! Mais dis-moi, croyais-tu donc que nous allions à quelque rendez-vous galant? Quelle est donc cette fantaisie que tu portes ? » Je ne comprenais absolument rien aux propos railleurs de Hiérulf. Mais de quoi parlait-il ? Je regardai ce que son doigt pointait : autour de mon cou, j’aperçus une fine chaîne d’or pur, au bout de laquelle pendait une magnifique perle en forme de larme. Je tentai de me remémorer d’où pouvait provenir ce bijou… en vain. Tout ce que cette larme me rappelait, c’était… un regard bleu qui avait plongé dans mon âme.
*****
Note de l’auteur : Certains l’auront sans doute compris, ceci n’est qu’un modeste hommage à l’immense talent de Rosinski et Van Hamme.
Et encore trois nouveaux textes !
Il ne reste plus que trois jours avant la date limite de clotûre.
Bon courage à ceux qui sont encore sur leur texte.
A mon réveil, je n’avais plus aucune idée de l’endroit où je pouvais être. Des bruits diffus, des paroles s’élevaient autour de moi, mais j’avais trop peur pour ouvrir les yeux.
Au fur et à mesure que les douleurs faisaient leur réapparition, des souvenirs confus me revinrent à l’esprit : le sang tout d’abord, coulant à flot, puis les cris, les pleurs, le son du métal et des éclairs foudroyant le sol …
A la mémoire de la bataille qui venait d’avoir lieu, mes doigts se contractèrent de rage et de colère.
Lorsque sa main se posa sur mon épaule, une violente douleur me fit perdre conscience …
*
« Le soleil brille … »
Mes oreilles frémirent au doux murmure qui me tira de mon sommeil. Une main me caressait tendrement les cheveux et je sentis que ma jambe gauche avait été plâtrée.
Cependant, mes douleurs avaient disparu.
« Le soleil brille …»
La voix se fit un brin plus vigoureuse. J’ouvris les yeux et une lumière chaude et réconfortante m’aveugla. Dans un mouvement de recul, ma tête se tourna et j’aperçut son visage auréolé d’une lueur angélique. La vue de ses grands yeux clairs et de sa bouche pulpeuse me ragaillardirent l’esprit et finirent de me tirer de ma torpeur.
- Qui êtes-vous ?
- Je m’appelle Grisel. Je m’occupe de toi depuis un petit moment maintenant.
- Cela signifie donc que nous avons vaincu.
- Exactement. Tu es un héros !
Curieusement, je ne ressentis aucune joie particulière à l’annonce de notre victoire, et encore moins au fait de prétendre être « un héros ». J’avais du mal à me rappeler la bataille.
J’examinais davantage la silhouette qui se dessinait en contre-jour. Elle n’avait aucune blessure visible, ses vêtements étaient propres et ses mains semblaient n’avoir subi aucun dommage. Pas de trace d’ampoule, ni la moindre coupure : Grisel n’avait pas participé au combat.
- Pourquoi n’avez-vous pas combattu ?
A mon ton lourd de reproches, Grisel sourit.
- « Lâche qui fuit devient ennemi », c’est cela, pas vrai ?
Sa main se dégagea de mes cheveux pour me caresser la joue.
- Hier soir, juste avant la bataille, le Grand Commandeur m’a donné l’ordre de porter un message urgent à Baerk-Thull. A mon retour, tout n’était que mort et désolation. J’ai cherché des survivants, soignant les uns, abrégeant les souffrances des autres. Au milieu de dizaines de corps, j’ai vu une main bouger. Me rapprochant, j’entendis ta respiration. Et quand je te pris dans mes bras, tu sombra dans l’inconscience. J’appelai au secours, car je n’arrivais pas à te sortir de cet amas de corps. Des paysans me sont venus en aide pour t’extirper de cette montagne de corps et j’ai dés lors passé tout mon temps à te soigner.
- Merci.
Son nouveau sourire illumina mon cœur. Je sentais naître en moi un sentiment fort et puissant. Un ange venait de veiller sur ma personne durant de longues heures, et il ne s’était pas envolé à mon réveil. Je lui souris en retour et perçus une lueur palpiter dans son regard. Lorsque, cédant à la fatigue, mes yeux se fermèrent, je sentis ses lèvres glissaient sur les miennes. Je lui rendis son baiser tandis que les ténèbres m’engloutissaient de nouveau.
*
Nous passâmes quelques jours sur place afin de me laisser le temps de guérir quelque peu. Les paysans nous apportaient de quoi se nourrir et dormir, et Grisel s’occupait de moi. D’autres vinrent se rejoindre à nous, mais nous étions tous pressés de rentrer à Baerk-Thull et aucun d’entre eux n’eut la patience de rester parmi les morts.
Je pus rapidement constater l’ampleur du massacre auquel j’avais échappé. Les paysans brûlaient les corps par centaines, ce qui répandait une odeur qui ne manqua pas de me faire vomir plusieurs fois.
Heureusement, Grisel cuisinait admirablement bien, et cela améliora de manière notable mon moral et ma santé.
Nous nous habituâmes facilement l’un à l’autre, et notre amour réciproque grandit de jour en jour.
Peu à peu, la bataille m’était revenue en mémoire, mais cela ne servait à rien : elle ne différait pas des autres …
*
Depuis quelques années, des hordes de pillards s’abattaient régulièrement sur nos terres. Ils brûlaient nos villes, volaient les récoltes et ne laissaient derrière eux qu’un sillage de sang. Devant ce fléau qui menaçait la stabilité même que notre société, le gouvernement décréta le retour de la conscription, tant pour les hommes que pour les femmes, et ce, de manière rétroactive.
Chaque individu vivant de plus de quinze ans avait pour obligation de servir l’armée pour une période minimum de trois ans. Nombreuses furent les protestations, mais la gravité de la situation poussa nos dirigeants à une extrême fermeté : tout ceux qui se refusaient ouvertement à intégrer l’armée furent recherchés, et tués. Cela étant, les Grands Commandeurs instaurèrent la loi qui me poussa à tuer plusieurs fois l’un des miens : « Lâche qui fuit devient ennemi ».
Le régime répressif qui avait gagné notre société poussa de nombreux conscrits à déserter lors des premières batailles contre les pillards. Ceux-ci les intégrèrent dans leur armée, et ils n’eurent aucun mal à obtenir d’eux des informations essentielles à qui veut gagner une guerre. Un déserteur pouvait faire plus de dommage qu’une horde toute entière.
Avec cette loi, les éventuels déserteurs savaient que le pire n’était pas en face d’eux, mais derrière eux, et cela réduisit de manière considérable les défections.
Cela instaura également un climat détestable entre soldats, chacun épiant l’autre alors même que le combat était engagé, mais cette loi était bonne.
Mon premier mort fut mon meilleur ami. Nous venions juste d’intégrer l’armée et cet idiot me proposa de partir avec lui, de traverser la Grande Mer pour ne pas être poursuivis. A peine eut-il terminé que j’allais prévenir mon Grand Commandeur. Celui-ci fit immédiatement mettre Jörson aux arrêts et il l’attacha au milieu de la cour, en guise d’exemple. Il me tendit son épée, et, avec tout l’honneur que pouvait me conférer cette lame, je tranchait la gorge du traître qui se tenait en face de moi. Je me souviens encore des gargouillis de Jörson tandis que la foule m’acclamait …
*
Nous étions désormais sur le chemin du retour Mais plus nous nous approchions de Baerk-Thull, plus je sentais Grisel se renfrogner.
- Qu'as-tu ? Je pensais que tu te réjouissais de revenir chez nous ...
Grisel releva la tête et me sourit.
- C'est seulement que ... Nous avons été seuls durants ces quelques jours et la perspective de perdre cette intimité ne me rejouit pas particulièrement.
- Je t'aime, et rien ne peut nous séparer. Une fois que nous aurons terminé de servir l'armée, j'espére bien que nous trouverons un petit coin tranquille pour vivre notre amour.
Grisel hôcha la tête, mais je sentis son sourire se figer.
Au détour d'une colline, nous arrivâmes en vue de Baerk-Thull. La cité avait été dévastée. Les grands portes massives gisaient à terre, et l'on distinguait des corps attachés le long du mur d'enceinte dont le sang avait coulé en de longues traînées rougeâtre jusqu'au sol. Il n'y avait plus la moindre trace de fumée, signe que le désastre avait déjà quelques jours.
Je sentis mon coeur se serrer et les larmes me montèrent aux yeux. Notre vitoire n'avait donc servi à rien ?
Soudain, une voix nous héla.
- Triste spectacle, n'est-ce pas ?
Un viel homme se tenait assis sous un chêne. Il fumait une pipe, l'air de rien, mais je vis dans ces yeux que son coeur s'était éteint.
- Que s'est-il passé ?
Ma voix était tremblante.
- Les pillards ont été les plus malins, comme ils en ont malheureusement l'habitude. Tandis qu'une colonne affrontait le gros des troupes à quelques jours de marche d'ici, une escouade d'une centaine de leur meilleurs sorciers a réussit à percer nos défenses et s'est abattu sur Baerk-Thull. Nous avons été décimés, sans la moindre pitié. Seule mon inconscience m'a permis d'avoir le vie sauve : accumulé sur le mur d'enceinte, j'ai préféré sauté dans le vide que de mourir inutilement. Je survécu à la chute. Depuis, je n'ai de cesse de retrouver celui qui nous a trahi ...
Une sensation de vertige m'envahit et mon sang s'épaissit.
- Comment cela ?
- Le messager. Je recherche le messager qu'a envoyé un Grand Commandeur pour avertir Baerk-Thull de l'arrivée imminente des pillards. Il avait compris que la bataille dans laquelle il se lançait n'était qu'un leurre, mais ce maudit messager n'est jamais parvenu jusqu'à nous ...
Mes mains tremblaient. Je me retourna vers Grisel en pointant un doigt accusateur sur sa personne.
-Mais le voici ce messager.
Sa voix se fit hésitante.
- Ce n'est pas ce que tu crois. J'ai vu le messager partir, mais j'avais tellement peur, c'était ma première bataille. Je n'ai pas donner ce message puisque je n'étais pas le messager. Si j'ai dit cela, c'est juste que ...
- Juste que quoi ?
Mes temps résonnaient violemment dans ma tête.
- J'ai fui la bataille. A la vue de tout ce sang, de toute cette violence, j'ai ressentit un irrésistible besoin de fuir. J'ai eu tort, je le sais, mais tu m'as dit que tu m'aimais, que tu avais envie de vivre avec ...
Mon sang n'avait fait qu'un tour, et je sortis ma lame si vite que Grisel ne put esquiver le coup fatal que je lui portais.
Sa voix chevrotante murmura avec regret « Lâche qui fuit devient ennemi »
La lame encore présente dans son corps, je souris à la pensée que notre armée comptait désormais un traître de moi. De plus, Grisel s'était occupé de moi, certes, mais je n'aurai jamais accepté qu'un lâche devienne le père de mes enfants.
Texte M : Le serment des Ducs de Ghant
Le jour se lève. Comme d’habitude, je suis aux côtés de mon seigneur et maître, le Duc de Ghant.
Son duché se situe aux marches du Grand Royaume, au nord, à la limite des terres connues. Plus haut, un désert de glaces, réputé infranchissable. Les légendes les plus invraisemblables courent sur ce territoire. Ce qui est sûr, c’est qu’il constitue l’unique raison de l’existence du duché.
Il y a des lustres, quand le Roi Harold rassembla sous sa bannière ce qui allait s’appeler le Grand Royaume, il créa sur toute sa périphérie des duchés destinés à assurer la sécurité de ses frontières. A leur tête, il nomma ses plus fidèles lieutenants.
Pendant toutes ces années, ces duchés remplirent pleinement leur rôle de protection du royaume. A sud, ils repoussèrent les attaques des nomades du désert. A l’ouest, sur la façade océanique, ils résistèrent aux pillages incessants des pirates. A l’est, ils constituèrent un rempart sûr et inflexible face aux invasions barbares.
Mais, le Duché de Ghant ne subit aucune attaque, aucun assaut. Pas une invasion ne vint des terres glacées du nord. Les rumeurs qui circulaient faisaient pourtant état de trolls des glaces, de géants, et autres sorcières.
Je me souviens quand j’étais encore un enfant, de ma grand-mère qui me racontait des histoires affreuses sur leur compte, lorsque je n’étais pas assez obéissant : elles me terrifiaient. J’imaginais des hordes de ces créatures prenant d’assaut le château, le rasant, puis envahissant le Grand Royaume. Je rêvais de ces sorcières qui de leurs doigts faisaient jaillir des geysers de feu sur nos soldats. Je faisais de sombres cauchemars où des géants lançaient des rochers monstrueux sur les murailles de notre forteresse.
Plus tard, lorsque je devins père, je me mis à mon tour à raconter ces histoires à mes enfants.
Chacun des Ducs de Ghant tenait ses troupes dans une main de fer. Toujours en alerte, prêtes à défendre le royaume. Entraînements, sorties d’éclaireur … Chaque jour les fantassins manœuvraient dans la cour du château. Chaque jour, les archers s’entraînaient au tir à l’arc. Des foyers étaient entretenus afin de faire bouillir de l’huile destinée à des assaillants éventuels. Le tocsin était toujours prêt à fonctionner pour signaler une attaque, un homme veillant jour et nuit, prêt à le faire sonner.
Même si le Duché avait des moyens importants pour assurer sa subsistance, la nourriture était en permanence rationnée en vue de constituer des stocks de nourriture pour un siège éventuel. Chaque soir, le couvre feu était instauré afin de ne donner aucune indication à un ennemi éventuel.
Bien sûr, ce régime de fer avait généré par moments chez les habitants du duché un sentiment d’injustice : pourquoi être soumis à un tel joug, alors même qu’aucun danger n’existait ? Le charisme des ducs avait en général suffi à éteindre les envies de rébellion, leur rappelant la mission dévolue au Duché de Ghant et ranimant chez tous la flamme du devoir.
Combien de temps s’est écoulé depuis l’instauration des duchés ? Combien de générations de ducs avait fait régner cet ordre ? Je n’en sais rien.
Hier soir, après une rude journée, le Duc et moi étions seuls. Je ne sais pas pour quelle raison j’osais enfin ce qu’après 30 ans de service, pour ne pas dire de complicité, je n’avais jamais osé faire. J’interrogeai mon Duc sur le sens de cet état de siège permanent. Pourquoi se préparer à combattre un ennemi qui visiblement n’existait pas ?
Sa réponse fut tout d’abord cinglante :
« Lorsque le Roi Harold confia à mon aïeul l’immense tâche de veiller sur les frontières du Grand Royaume, celui-ci lui jura que, jusqu’à la fin du monde, lui et ses descendants seront prêts en cas d’attaque à défendre le sud, quoi qu’ils leur en coûtent. C’est donc aujourd’hui notre devoir, notre sacerdoce. Et quand mon fils me succèdera, il en sera de même. »
Il reprit ensuite plus doucement :
« Mais, je dois te l’avouer. Il m’arrive moi aussi de douter. Ce serment prêté il y a des siècles, dois-je encore m’y attacher ? Mon peuple doit-il encore attendre cet envahisseur, qui ne viendra peut-être jamais ? Et souffrir du régime que je lui impose ? Ces questions, chaque jour, je me les pose. Et, avant moi, tous mes ancêtres se sont, sans doute, posé ces mêmes questions. Et, comme moi, aucun n’a osé rompre ce serment fondateur. Il serait tellement simple d’arrêter tout cela. Je rêve de mon duché qui pourrait enfin respirer, où les enfants ne craindraient plus ce danger latent. »
Après une courte pause, sa voix devint moins assurée :
« L’honneur ? Respecter ce serment ? Et pourtant, ai-je le choix ? Mon aïeul a prononcé ce vœu d’homme lige au service du Grand Royaume. Même si je suis conscient de la possible vacuité de ce serment, des siècles après, je ne peux trahir la mémoire de mon ancêtre. Donc, nous, Duché de Ghant, resterons à jamais debout, prêt à défendre le Grand Royaume. Enfin, je l’espère … »
Soudain, le tocsin se mit à sonner.
Cette alarme sonore tant attendue, et tant crainte, résonnait dans le château.
Entraîné et conditionné depuis des siècles, en vue de ce moment, tout le château se mit en mouvement : archers aux meurtrières, sapeurs prêts à repousser des tours de siège, femmes mettant des marmites d’huile à chauffer, enfants commençant à faire la navette entre l’armurerie et les postes de combat …
Nous nous précipitâmes au sommet de la plus haute tour. Dans le soleil couchant, couvrant toute la ligne d’horizon, une armée s’avançait.
Nous commencions déjà à deviner de hautes silhouettes humanoïdes. Au fur et à mesure de leur approche, nous vîmes aux avants-postes ce qui ressemblait à des hommes, mais deux fois plus grands. Ces créatures brillaient sous les derniers rayons du soleil. Il nous parut très vite évident qu’elles étaient couvertes de glace : des trolls ! Derrière eux, des géants, et encore une multitude de créatures !
Toutes les légendes étaient donc vraies, tristement vraies ! Chacun sur les murailles en prenait conscience avec horreur.
La nuit qui suivit fut pire que le pire de mes cauchemars.
Après nous avoir pilonné par leurs jets de rochers, après avoir créé des brèches dans les murailles de notre château, ils chargèrent. Nos fantassins paraissaient bien fragiles face à la puissance des trolls. Nous les repoussâmes pourtant à deux reprises. La troisième fois, les sorcières se mirent à lancer des jets de flamme sur nos défenseurs. Bientôt le feu gagna dans toute la première couronne de nos défenses.
Nous nous repliâmes dans le cœur du château. Le Duc et moi étions partout au début pour tenter de coordonner nos défenses, mais très rapidement pour lutter aux côtés de nos soldats.
Les ennemis semblaient innombrables : chaque troll qui tombait était aussitôt remplacé.
Les lourdes portes du donjon, qui, pensions-nous, nous assureraient un peu de répit furent balayées par les géants. Les trolls se ruèrent à l’intérieur, et les combats reprirent.
Fatigue et lassitude s’emparaient de nous. Couverts de sang, nous portions des coups de moins en moins puissants, de moins en moins en moins précis. Nous sentions notre fin proche.
Bientôt, nous ne fûmes plus qu’une poignée, encerclés par cette marée sans fin.
Le jour se lève. Comme d’habitude, je suis aux côtés de mon seigneur et maître, le Duc de Ghant.
Nous gisons sur le sol du donjon, au milieu de nos soldats, de nos frères d’armes. Je sens la mort qui s’empare de moi.
J’entends au loin une armée en marche vers le sud.
Dans un dernier effort, je tourne la tête vers mon Duc. Nos regards se croisent. Malgré son état mourrant, je le devine rayonnant, il semble empli d’une joie profonde.
« Même vaincus, les Ducs de Ghant auront respecté leur serment. L’honneur ! »
Texte N : Retour de campagne
Ce soir, un soldat rentre enfin chez lui et il pleure.
Il est tard, la nuit est déjà bien avancée et a jeté son manteau de noirceur sur la Ville. Il n’éprouve cependant aucune difficulté à trouver son chemin. Cette ville, il la connaît presque aussi bien que le corps de sa femme. Il en connaît le moindre recoin, les parties les plus vivantes comme les zones les plus sombres. Cette ville, il la porte en lui depuis sa naissance et chacun de ses quartiers a un droit sur sa mémoire. Depuis la colline du palais ducal d’où il vient en passant par la Place des Lunes et son quartier marchand, du quartier Ouest si tranquille jusqu’aux Docks où il est né. Il a grandi avec elle, changé avec elle, aimé ses filles, bu à ses tavernes, s’est battu avec elle pour finalement se battre pour elle.
Cette ville c’est la sienne. Cette ville, c’est lui.
Qui est il ? Pourquoi pleure-t-il ? Qui ou que pleure-t-il ?
Les Lunes qui sortent enfin de derrière leur voile de nuages le savent elles ? Elles l’éclairent soudain et dévoilent l’uniforme, l’épée et la marque au front tatouée d’un soldat de la Ville.
L’homme s’arrête alors dans la lueur des deux Sœurs et laissant couler ses larmes, se met à prier. La prière du soldat.
« Domina la Bleue, écoute ma prière
Et toi Gelba la Jaune, exauce la.
Que votre lueur guide mon fer,
Que votre foi guide mon bras. » Les sanglots qui secouent cet homme imposant l’empêchent de continuer. Il tombe à genoux, frappe la terre des deux poings et lève un visage hagard au ciel.
Un rayon de Lune bleu se pose alors sur lui, balaye la garde de son épée usée par la sueur et la peur, effleure la marque à son front, glisse sur les trois nœuds à ses épaules de capitaine, s’attarde un moment sur les médailles accrochées à sa veste d’uniforme pour se fixer enfin comme à regret sur ses mains vides et tremblantes.
L’homme se fige sous le regard de Domina la Bleue et seules ses larmes qui continuent de couler empêcheraient de le prendre pour une statue.
La lueur de la Lune Bleue l’embrasse doucement. Elle le soustrait aux regards et le guide parmi ses souvenirs. Il revit le départ à la tête de son régiment, le métal des cuirasses qui brille au soleil, les épées qui soupirent déjà dans leurs fourreaux, les pas qui battent le sol en rythme à la prière aux Lunes qui monte de la Ville toute entière.
Il assiste à l’embarquement au port, ressent à nouveau la fierté qu’il éprouve à commander cette mission et la peur de faillir. Viennent ensuite la traversée et la tension qui monte, le débarquement en terre ennemie. Il ordonne une fois encore les premières reconnaissances et les premiers raids, attend impatiemment le retour de ses cavaliers et leur rapport. L’ennemi s’est retranché dans sa Ville ? Bien, il l’assiégera donc.
Les tranchées se creusent à nouveau dans son souvenir ; les engins de siége sont érigés, brûlés puis reconstruits ; les sapeurs reprennent inlassablement leur travail de taupes ; les assauts se brisent les uns après les autres sur les murailles ennemies.
Des mois passent ainsi en l’espace d’un souffle sous le regard de Domina la Lune bleue.
Il revit la frustration, la colère, la rage de les voir lui résister. Il entend les hommes qui murmurent, les râles des blessés, le silence des morts.
Il revit enfin l’assaut ultime que ne peuvent arrêter les défenseurs ennemis, l’entrée dans l’autre Ville, le massacre, le pillage.
Il revit la folie qui s’empare alors de ses hommes après tant de mois de combats, la fureur qui le gagne. Il redevient une bête sauvage et tue ; tue jusqu’à ne plus sentir son bras, tue jusqu’à perdre toute notion du temps, tue encore et encore.
Vient alors le moment où il ne reste plus rien à tuer, où il reste seul au milieu des ruines fumantes, où seule l’odeur de la mort reste maîtresse des lieux.
Domina le berce toujours de sa lueur bleutée quand vient le moment où il redevient un homme. Où est il alors le fringant officier, parti au combat il y a si longtemps ? Où est il le commandant adulé de ses hommes dont l’aura semblait impossible à ternir ? Où est il l’homme qui croyait en sa mission ? Qu’est il devenu ? La bête aurait elle gagné ?
Un rayon de Lune jaune rejoint alors l’autre rayon bleu et le baigne tout entier d’une douce lueur. Son chemin en sa mémoire n’est pas terminé, il lui faut revenir et se retrouver.
C’est maintenant Gelba qui le guide et tout s’accélère. Il revoit le retour en sa Ville, la procession jusqu’au palais ducal, le titre et les honneurs qui lui sont conférés, les ovations, les visages rayonnants, la joie et la liesse. Il revoit tout cela mais ses yeux ne distinguent plus désormais que la mort. Ce qu’il est devenu lui fait horreur, sa mission le révulse.
Sous le regard des Sœurs il renaît peu à peu absous par Domina, accouché par Gelba jusqu’à ce que ses larmes se tarissent et que la vérité se fasse jour : il n’est et ne fût jamais qu’un homme. Imparfait et faillible mais capable de changer.
Il se relève alors et termine sa prière :
« Domina la Bleue, écoute ma prière
Et toi Gelba la Jaune, exauce la.
Qu’à votre lueur cesse la guerre,
Que votre foi me change moi. »
Ce soir, un soldat meurt mais un homme rentre chez lui.
Demain la Ville elle aussi changera, et les conquêtes s’arrêteront.
Texte O : Blessé
Tout comme les saisons, les guerres et les trêves se succèdent. Depuis la nuit des temps il en est ainsi.
Celle-ci n’aura duré que quelques semaines, mais fut d’une rare violence. De nombreuses victimes sont à déplorer dans les deux camps. Mais pourquoi ces guerres ? Si vous le demandiez aux partisans du roi, la réponse était : « pour la liberté du peuple ! ». La même question posée au camp adverse, celui du frère cadet du roi, engendrait la même réponse. Vous conviendrez donc qu’à part apporter la tristesse et la désolation, ces batailles n’avaient aucun sens.
L’hiver laissa la place au printemps comme tous les ans. En contraste avec le champ de bataille recouvert de corps sans vie, la nature se réveille d’un long sommeil.
Comme partout, la vie recommence dans le massif des Hauts pics. Les lapins sortent de leurs terriers gambadant dans la neige en train de fondre sous le doux soleil de printemps. Les oiseaux jouent leurs plus belles mélodies emplissant le cœur de quiconque les écoute de joie.
Les premières fleurs aux couleurs vives se fraient un passage à travers la neige à la recherche de la lumière.
Quelques jours plus tard, la végétation règne en maître sur le massif montagneux.
Blanche profite de la fraîcheur de cette belle matinée ensoleillée. C’est à cette saison qu’elle peut ramasser certaines plantes et racines qui lui serviront dans la préparation d’onguents et de potions.
Un bâton à la main, elle marche à tâtons au milieu des rochers et des fougères qui tapissent le sol. Cette forêt elle la connaît de long en large. En aucun cas sa cécité ne saurait être un handicape ici.
Malgré cela, son fidèle ami, un faucon, lui indique les zones où des plantes intéressantes se situent. Il lui sert également de guide lorsqu’elle voyage hors des contrées qu’elle connaît.
- Devant toi à 10 pas environ tu trouveras du chèvrefeuille, lui dit son faucon posé sur un rocher.
La distance parcourue, elle s’accroupit et tâtonne devant elle avec sa main à la recherche de la plante. Rencontrant des feuilles, elle les examine. « Une tige centrale d’où partent de nombreuses feuilles longues et fines. Non ce n’est pas ça ». Après plusieurs essais, elle trouve enfin le chèvrefeuille au milieu des fougères. Elle range la récolte dans sa besace de cuir qu’elle porte en bandoulière.
Reprenant son ascension vers le sommet où elle trouvera plus de variétés, des gémissements attirent son attention.
- Tu as entendu ? demande-elle à son faucon.
- Ne bouge surtout pas je vais voir ce que c’est.
Quelques instants plus tard, le rapace se pose délicatement sur le bâton de Blanche.
- Alors qu’as tu vu ?
- Hélas rien ! Le bruit provient d’une caverne à une centaine de pas d’ici.
- Indique moi le chemin je vais aller voir.
- Fait un quart de tour sur ta droite et c’est tout droit. Fait attention le terrain est très accidenté.
D’un pas prudent, se guidant avec son bâton, elle franchit les obstacles avec aisance.
« On dirait qu’il y a quelqu’un de blessé ».
- C’est encore loin ?
- Encore une dizaine de pas et tu y es. Que comptes-tu faire maintenant ?
- Il faut que j’aille aider cette personne !
- Soit prudente ! Je ne te serais d’aucune utilité dans cette grotte sombre.
- Attends moi ici je reviens vite.
Malgré sa vue perçante, sa maîtresse disparaît rapidement enveloppée par le manteau noir de la grotte.
La jeune femme sent la fraîcheur humide remontant des entrailles de la terre lui caresser le visage. Elle marche lentement, son bâton en avant afin de ne pas glisser sur la roche humide. Après une marche assez longue, elle entend la respiration saccadée d’une personne souffrante.
- Qui est là ! grogne la personne blessée.
- Je m’appelle Blanche, lui répond-t-elle d’une voix douce. Je suis venue pour vous porter secours.
N’ayant aucune réponse, elle localise le blessé grâce à sa respiration bruyante. Sans mouvements brusques, elle s’approche de la victime. Une fois accroupie, elle prend la parole avant d’entreprendre des soins.
- Ne craignez rien. Je vais essayer de vous soigner. Pouvez-vous me dire où se situe votre blessure ?
Sans dire un mot, il saisit le poigné de Blanche en douceur de sa main large et forte.
- C’est à l’épaule gauche, lui précise-t-il avec sa voix rocailleuse. Attention de ne pas vous couper car je n’ai pas réussit à extraire la pointe de la lance qui y est plantée.
- Je vais remonter doucement le long de votre bras jusqu’à votre épaule, lui explique Blanche. N’hésitez pas à me dire si je vous fais mal.
Elle promène sa main le long du bras qu’elle juge très musclé pour un être ordinaire. Quand elle arrive près de la zone blessée, la victime à un mouvement de recul. Sans se soucier de la réaction du blessé, elle évalue délicatement l’ampleur de la blessure.
- Ca a l’air très profond ! heureusement que vous n’avez pas réussit à enlever la pointe de métal car autrement vous seriez certainement mort. Je n’ai pas tout ce qu’il faut pour vous soigner sous la main. Je vais vous donner quelque chose pour calmer un peu la douleur le temps d’aller chercher ce qu’il me manque.
Blanche ouvre sa besace de cuir afin y prendre une potion.
« La fiole à bouchon rond ! non elle est pour les brûlures... Celle à bouchon carré non plus… là c’est la boite contenant le chèvrefeuille… mais qu’est-ce que j’ai bien pu faire de cette potion ? Ah ! la voilà… la fiole a bouchon triangle »
- Que faites-vous ? lui demande le blessé n’y voyant rien dans cette obscurité.
- Je ne trouvais plus cette fichue potion ! tenez buvez le contenu de cette fiole.
- Merci, dit-il en saisissant le flacon de verre pour le porter à sa bouche.
- Maintenant il va falloir que je sorte chercher de l’eau pour préparer un onguent qui stoppera l’hémorragie et favorisera la cicatrisation. Vous allez tenir le coup.
- Ne vous inquiétez pas pour moi ça va aller. Merci encore pour votre aide.
Blanche reprend son bâton et se dirige vers la sortie de la caverne. La chaleur extérieure ainsi que les rayons du soleil, lui procurent une sensation de bien être. Son faucon, quant à lui, n’a pas bougé d’une plume.
- Tu en as mis du temps ! qu’as tu trouvé ?
- Il y a quelqu’un de blessé dans la grotte. Conduit moi au torrent le plus proche ! j’ai besoin d’eau pour préparer un remède et le blessé a sûrement soif.
Le faucon guide Blanche, lui signalant les obstacles afin d’aller plus vite jusqu’au point d’eau le plus proche. Alors qu’elle remplit sa gourde en peau, des bruits de pas et de métal s’approchent rapidement.
- Qui va là ! dit-elle en se redressant pour faire face au bruit.
- N’ayez crainte madame ! nous sommes des soldats du roi. Nous cherchons un homme blessé qui s’est échappé de notre prison. Avez-vous vu quelque chose ?
- Je suis aveugle monsieur, dit-elle en s’inclinant légèrement. Par contre je puis vous assurer de n’avoir rencontré aucun homme qu’il soit valide ou blessé.
- Merci pour votre aide, conclut le soldat avant de reprendre leur chemin.
Maintenant qu’elle savait que c’était des soldats, elle réalisa que le bruit métallique devait être dû aux cottes de maille.
- Pourquoi ne leur as-tu pas parlé de l’homme dans la grotte ? lui demanda son faucon.
Si un de soldats avait été présent, il n’aurait entendu que le cri aigu d’un rapace.
- Parce que ce n’est pas la personne qu’ils recherchent.
De retour dans la grotte, Blanche prend des nouvelles du blessé toujours aussi faible, mais dont la douleur s’est atténuée.
- Tenez ! buvez un peu d’eau, dit-elle en lui approchant la gourde de la bouche.
- Merci ça fait du bien ! Allez-vous pouvoir m’aider ?
- Laissez-moi juste le temps de préparer mon remède puis je m’occupe de cette vilaine blessure.
Elle pose sa besace sur le sol en terre, puis prend les ustensiles et ingrédients dont elle a besoin. D’une main experte, elle dose les différents produits avec une cuillère en corne avant de les verser dans un mortier en bois.
Avec son pilon, elle fait des mouvements circulaires réduisant les ingrédients en poudre. Régulièrement, elle s’arrête et contrôle la finesse du mélange. Quand il a la texture d’une farine très fluide, elle verse de l’eau et malaxe de ses mains délicates jusqu’à obtenir une pommade homogène.
- Très bien, lui dit-elle en s’essuyant les mains dans un morceau de tissus. Je vais pouvoir extraire la lame. Etes vous prêt ?
- Faites vite car la douleur commence à redevenir dure à supporter.
Prenant une position dans laquelle elle serait la plus stable et aurait le plus de force, elle tâtonne le long du bras de la victime jusqu’à localiser la lame.
Elle pose sa main gauche à plat à côté de la plaie puis saisit la lame de l’autre. D’un mouvement sec, elle extrait l’objet métallique et le jette à terre. Elle déplace rapidement sa main gauche et la plaque sur la plaie de façon à réduire l’hémorragie. Pendant ce temps, sa main droite plonge dans le mortier et prend de l’onguent.
Une fois l’opération terminée, le blessé se décrispe lentement.
- Merci, lui dit-il une nouvelle fois. Je vous suis très reconnaissant de m’avoir sauvé la vie.
- Comment vous sentez-vous ?
- La douleur est toujours vive, mais je ne sens plus le gène dû à la lame.
- Très bien ! Je vais vous aider à sortir d’ici. Le soleil vous fera le plus grand bien.
Sans soutien, le blessé se remet sur ses pattes. C’est en boitant qu’il sort de la caverne accompagnée de Blanche. Dans un premier temps, il est éblouit par le soleil. Quand ses yeux arrivent enfin à accommoder, c’est avec un grand bonheur qu’il redécouvre la forêt qu’il connaît depuis sa tendre enfance.
- Voilà vous êtes libre maintenant, lui dit Blanche.
- Je vous suis redevable pour la vie, lui dit-il en inclinant la tête. Mon nom est Borek. Si un jour vous avez besoin de mon aide, vous me trouverez dans les parages.
Sans attendre de réplique de la part de sa bienfaitrice, il part en courant sur trois pattes.
- Cet ours va pouvoir retrouver sa famille maintenant, dit Blanche à son faucon. Allez rentrons ! je suis épuisée.
Voici donc les quatre derniers textes, ce qui porte le nombre total de textes à 15 !
Avant même que les résultats ne soient donnés, je dois dire que je suis trés agréablement surpris de cette participation.
Je remercie tous ceux qui ont fait l'effort (ou non) de participer à cette joute.