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Assis dans un coin de sa cellule, Jeff Laraclure médite sur le triste sort qui l’attend. La prochaine fois qu’il verra le soleil, ce sera pour marcher vers l’échafaud. Le Juge Suprême en a décidé ainsi. Il a pris un énorme risque en pénétrant dans les appartements royaux pour tenter d’assassiner le Roi. Sans l’intervention de la Reine, il aurait réussi cette prouesse.
Dans un sinistre grincement, la porte du cachot s’ouvre. Trois gardes patibulaires s’avancent avec un luxe de précaution. Jeff n’est pas un amateur et sa fourberie est devenue légendaire. Sans un mot, les gardes lui lient les mains et les pieds avec de lourdes chaînes. Jeff ne réagit pas. Une profonde détermination se lit dans ses yeux sombres.
La clameur de la foule et la lumière éblouissante du soleil le sortent de sa rêverie. Il est dans la cour du château et devant lui se dresse la silhouette de l’échafaud. Encadré par les soudards du Roi, il s’avance lentement. Tout ce que le royaume compte de personnalités s’est rassemblé pour l’exécution d’un criminel de sa renommée. Sur le large balcon surplombant l’esplanade, Jeff peut apercevoir le Roi au visage sévère, la Reine aussi belle que séduisante, le Prince, frère du Roi, et, à la tête du Grand Conseil réuni au complet, le Juge Suprême aux yeux sages.
Enfin arrivé sur la plate-forme en bois, Jeff observe la populace avide de mort qui s’étend à ses pieds. Les cris hostiles et moqueurs se sont tus et, dans le silence, le Juge Suprême prend la parole.
- Jeff Laraclure, vous allez être exécuté ce jour par la volonté du Grand Conseil et celle du Roi. Telle est votre punition pour vos crimes innombrables. Bourreau, le condamné vous attend.
Jeff reprend son souffle. L’angoisse le submerge. Il tremble de tous ses membres. Il manque de s’évanouir quand l’homme cagoulé de rouge lui passe la corde autour du cou. Les larmes jaillissent de ses yeux et dans un ultime effort il pousse un grand cri.
- Roi ! Je vous supplie de m’épargner pour le moment ! J’ai d’importantes révélations à vous faire !
La voix tranchante du redouté monarque fait taire le brouhaha provoqué par les paroles du scélérat.
- Qu’as-tu à me dire, misérable ?
- J’accepte de vous révéler le nom de mon commanditaire.
- Par trois fois, tu as refusé de le faire.
- Je n’avais pas la corde au cou, Roi.
- Parle et je déciderai de t’épargner ou non.
- Non, mon seigneur. Je ne peux révéler ce nom qu’à vous et à vous seul.
Le Juge Suprême intervient et chacun de ses mots claque comme un coup de fouet.
- Insolent ! Comment oses-tu poser des conditions ? Tu as cent fois mérité la mort et la pendaison n’est que la plus douce d’entre elles !
Dans le même temps, la Reine se penche vers son époux et lui prononce quelques mots. Le visage de ce dernier reste un moment indécis puis une ferme résolution se dessine sur ses traits.
- J’accepte ta requête. Mais saches que cela ne signifie pas que ta vie est sauve.
Les cris de déception de la foule se sont évanouis derrière les portes de la salle du trône. Toujours encadré par les plus fidèles soldats du Roi, Jeff Laraclure fait maintenant face au couple souverain. Il est tendu et tous ses sens sont en alerte. Il joue sa vie et il va devoir se montrer convaincant. Il a souvent frôlé la mort mais il ne l’avait jamais contemplée d’aussi près.
- Bien. Je t’écoute et sois persuasif. Pour moi, tu es déjà mort.
- Mon commanditaire est le Prince, votre propre frère.
- Imbécile ! Et tu penses que je vais croire cette idiotie. Jamais mon frère n’oserait faire une telle chose. Il n’en a ni la volonté, ni le courage.
- Il est soumis à votre autorité… en apparence. Vous savez parfaitement que nombreux sont les nobles et membres du Grand Conseil à apprécier le Prince. Même le Juge Suprême n’a jamais caché sa sympathie pour lui. Il est plus facilement manipulable et a une image favorable auprès du peuple. Il n’a ni votre poigne, ni votre intelligence. Pour beaucoup, son accession au trône serait un compromis qui satisferait les nobles partisans de la royauté, le peuple, l’opposition républicaine, les philosophes et le Culte.
- Tout cela, je le sais déjà. Et je ne m’en soucie guère. Je suis inattaquable. Tu n’as aucune preuve.
- Avez-vous vu l’arme que je portais cette fameuse nuit où j’ai pénétré dans votre chambre ?
- Non.
- Faites-la amener ici et tout s’éclairera.
Après un moment d’hésitation, le Roi fait un signe à un de ses gardes. Quelques instants plus tard, ce dernier revient avec l’objet en question, une magnifique dague forgée du meilleur acier, incrustée d’or et de joyaux et portant le blason de la famille royale. Le Roi l’examine et son regard vacille d’incertitude.
- Cette dague…
- Est celle que votre défunt père a offerte à votre frère tandis qu’il vous remettait le sceptre royal. Le lot de consolation du Prince.
- C’est impossible ! Depuis tant d’années… jamais je n’aurai cru…
- Vos ennemis ont exploité votre seule et unique faiblesse : votre frère.
Le Roi reste un long moment prostré. Jeff transpire. Il danse sur la lame du rasoir et le moindre souffle peut provoquer l’inéluctable. Petit à petit la consternation du Roi laisse place à une rage froide. D’une voix grondante il s’adresse à ses gardes.
- Amenez-moi mon frère et si ses hommes opposent la moindre résistance, passez-les tous au fil de l’épée.
- Si vous me permettez, Roi, vos opposants n’attendent que ça. Tout ce que vous risquez en ne prenant pas de précautions est une révolte et une sanglante guerre civile. C’est pour cette raison qu’il m’a engagé. Un assassinat propre et net. Beaucoup de bruits, de suspicions mais sans aucunes preuves… aucunes conséquences.
- Je vois où tu veux en venir, ordure. Tu veux sauver ta peau ?
- Oui. Quelle que soit ma victime, je ne fais pas de différences.
Le Roi reste indécis. Il se penche vers son épouse et lui glisse quelques mots.
- Ma chère, toi qui sais lire dans le cœur des hommes à livre ouvert, que penses-tu de tout cela ?
La belle jeune femme au regard bleu acier sourit longuement en fixant Jeff. Elle se lève et s’approche de lui. Elle lui caresse le visage, hume son odeur, goûte la sueur qui coule le long du cou du maître assassin. Jeff reste pétrifié. La Reine revient à sa place, un sourire carnassier sur ses lèvres de sang.
- Mon amour, cet homme transpire la peur. Mais il dit la vérité. Il est prêt à tout pour sauver sa misérable peau. Il vous lècherai les pieds si ça pouvait l’aider.
- Ça pourrait être une idée… mais ce n’est pas le moment. Un assassinat… oui… pourquoi pas ? Finalement, ce n’est que justice. Bien. Ramène-moi la tête de mon frère et tu auras la vie sauve. Et pour m’assurer de ta fidélité, tu vas boire cette fiole de poison. Si au lever du soleil, tu ne reçois pas l’antidote, tu mourras.
- Comme vous voulez, Roi. Je n’échouerai pas. Cela sera fait cette nuit même.
Tandis que les soldats le libèrent de ses entraves, Jeff reprend son souffle. Il a su jouer cette partie avec talent mais il lui reste beaucoup à faire pour sauver son existence. Le poison coule maintenant dans ses veines et le temps lui est compté. Tandis qu’il recule sans quitter les gardes des yeux, le Roi le rappelle.
- Prends cette dague et tue-le avec.
- Je le ferai, Roi.
C’est une nuit sans lune. Une nuit parfaite pour un assassin. Sans un bruit, Jeff Laraclure s’avance dans les couloirs du palais du Prince. Les soldats du Roi lui ont rendu son précieux matériel et il porte sur lui de quoi donner la mort de cent manières différentes. Pénétrer à l’intérieur du bâtiment ne fut qu’une gageure. Maintenant qu’il s’approche des appartements princiers, les gardes se font plus nombreux et Jeff doit mettre à profit tout son savoir-faire. Se dissimuler est une seconde nature chez lui et, depuis son enfance, il est bien plus familier des ombres que de la lumière.
Il arrive enfin en vue du couloir passant devant la porte de la chambre du Prince. Il est brillamment éclairé et deux guerriers en armure montent la garde. La distance est de quatre mètres et Jeff n’a droit qu’à une seule chance. Il s’avance. Les deux hommes ouvrent la bouche… mais il est trop tard pour eux.
Les deux dagues lancées avec une précision diabolique se sont fichées dans leur gorge. Le venin de Gorgone agit à une vitesse fulgurante et leur peau prend la texture de la pierre. Ils restent figés sur place, statues sans vie. Pas un bruit. Si ce n’est le souffle de Jeff. Il s’approche de la lourde double porte en chêne massif. Elle est fermée à clé de l’intérieur et deux autres gardes se trouvent dans l’antichambre.
L’assassin sort de son sac une poire en cuir ciré se terminant par un long tube en boyau de porc. Il glisse délicatement l’extrémité sous la porte et, pressant la poire, casse la fiole de gaz qui se trouve à l’intérieur. Le poison mortel va s’infiltrer dans la salle et neutraliser les soldats. Jeff espère que ceux-ci seront assis quand ils sentiront l’effet du gaz. La chute de leur corps pourrait alerter le Prince. Il compte lentement jusqu’à cent. Toujours pas de bruit. La chance est avec lui.
Il s’attaque alors à la serrure qui ne résiste pas bien longtemps à ses mains expertes. Tous ses sens en alerte, il entrouvre les battants en prenant le soin de retenir sa respiration. Bien qu’il soit immunisé depuis longtemps au poison qu’il vient d’utiliser, il ressent toujours une légère appréhension. Les gardes sont bien là et ont succombé. Tout se passe comme prévu. La partie la plus facile reste à faire.
Il rentre dans la chambre à coucher du Prince. L’homme est allongé dans son lit, plongé dans un profond sommeil. Jeff sort la fameuse dague. Au moins, sa victime ne souffrira point. La lueur d’une chandelle fait jouer de sanglants reflets sur la lame et dans les yeux impassibles du tueur. Le sang écarlate gicle sur les draps blancs. Le Prince passe du sommeil à la mort en silence.
La nuit est bien entamée, quand Jeff est de nouveau accompagné par les fidèles soudards du Roi dans la salle du trône. L’impitoyable monarque est seul, penché en avant et plongé dans une profonde réflexion. Il lève la tête quand ses hommes encadrant l’assassin font irruption. Il leur adresse un bref signe de tête. Brutalement, ils désarment Jeff et le privent de son équipement. Le scélérat n’oppose aucune résistance. Il s’approche du trône et lance aux pieds du Roi un sac poisseux. La besace roule sur le marbre et délivre son sinistre contenu. Le souverain plonge son regard dans les yeux vides de son frère. Un sourire sans joie se dessine sur ses lèvres.
- Bien. Tu es un homme efficace Jeff Laraclure.
- Je ne fais que mon travail.
- Mais tu vas mourir.
- Vous m’avez promis l’antidote.
- Je n’ai rien promis. J’ai réfléchi et je préfère te regarder mourir à petit feu.
Jeff relève la tête et, pour la première fois, son regard se fixe dans celui du Roi. Il n’exprime rien si ce n’est un vide infini. Le monarque frissonne. Le condamné parle alors lentement.
- On ne joue pas avec un Maître Assassin, Roi. Dans le domaine de la mort, c’est moi qui mène la danse.
- Que dis-tu ?
A ce moment, des cris retentissent. Le Roi a à peine le temps de se lever et de se saisir de sa lame, que la lourde porte s’ouvre en grand, laissant la place au Juge Suprême entouré par les gardes du Grand Conseil. Les fidèles du Roi se saisissent de leurs armes. Le Juge pousse un cri.
- Roi ! Quel est donc cette trahison ?
Son regard tombe sur le macabre trophée gisant toujours aux pieds du Roi.
- C’était donc vrai ! Gardes ! Par ordre du Grand Conseil, saisissez-vous du Roi ! Il est coupable d’assassinat sur la personne du Prince.
Consterné, le Roi répond violemment.
- Quelle est donc cette mascarade ! Je suis le Roi et je règne en maître !
Les gardes s’avancent mais se heurtent aux fidèles. En un instant, la salle du trône est le théâtre d’un sanglant carnage. Mais les soldats consulaires sont de plus en plus nombreux et bientôt le Roi est emprisonné. Le visage tordu par la fureur, il est amené face au Juge Suprême.
- Vos accusations ne tiendront jamais ! Et je vous ferai alors torturer et écarteler.
- Vos menaces ne changeront rien. Nous avons le témoignage de votre épouse, la Reine.
- Quoi ?
La Reine apparaît alors sur le seuil de la grande salle. Son visage ruisselle de larmes et elle a l’air bouleversée.
- Traîtresse ! Mais qu’as-tu fait ?
- Mon amour… tu es allé trop loin… tuer son propre frère… je ne pouvais pas laisser faire cela… j’aurai pu être la prochaine…
- Mais tu étais là ! Tu n’as rien dit !
- Je suis désolée, mon amour…
Le Juge Suprême intervient.
- Tout est fini, Roi. Vous allez être jugé, destitué et condamné. C’est la fin de votre règne. La Reine assurera la régence. Gardes ! Amenez-le ! Et emparez-vous de son homme de main !
Mais les soldats ont beau chercher, Jeff Laraclure a disparu.
La Reine est dans ses appartements. Elle reste un moment assise sur le bord de son lit, un mince sourire de satisfaction sur ses lèvres. Elle profite du calme de sa chambre après le tumulte de cette nuit. Un courant d’air la fait frissonner. Elle sent une froide présence près d’elle. Levant le visage, ses yeux se fixent sur l’ombre qui se tient debout à ses côtés.
- Tu as tenu tes engagements, Jeff. Je te félicite. Grâce à toi, je peux enfin assouvir ma soif de pouvoir.
- Je respecte toujours mon contrat. Jusqu’au bout. Si vous voulez bien me donner l’antidote avant que nous ne réglions les détails de mon paiement.
- Oui, bien sûr, mon cher. Je sens que cette nuit marque le début d’une étroite collaboration.
Après avoir examiné le liquide contenu dans la petite fiole de cristal, Jeff l’avale d’un trait. La Reine s’approche et se colle à lui. A travers les vêtements, il sent la chaleur de son corps qui le brûle comme un brasier. La Reine lui parle dans un souffle.
- Je te propose un petit acompte. Laisse-moi te soulager de l’angoisse de cette journée…
Jeff fixe le plafond richement décoré de la chambre royale. Il a remis ses vêtements et s’est allongé sur le lit, près du corps sans vie de la Reine. Perdu dans ses pensées, il se redresse subitement quand la porte s’entrouvre. Reconnaissant le visiteur, il rassemble ses affaires et se dirige vers la fenêtre.
Le Juge Suprême s’approche du corps de la Reine.
- Quelle tristesse. Accablée de remords et de douleur, la Reine s’est donnée la mort. Nous observerons une semaine de deuil en son honneur et en celui du Prince. Le pauvre ! C’était le seul innocent dans cette macabre histoire.
Le vieil homme se retourne vers l’assassin.
- Vous pouvez être fier de vous, votre plan a parfaitement fonctionné. Grâce à votre intervention, la famille royale n’est plus. Le Grand Conseil va prendre la régence, faire durer en longueur le problème de la succession et mettre en place la République dans la douceur. Nous pourrons enfin nous consacrer au bien-être du peuple et au progrès social.
Jeff hausse les épaules.
- Epargnez-moi votre baratin de politicien. Je veux être payé.
Le Juge a un rire de mépris.
- Oui bien sûr. C’est tout ce qui compte pour vous. Tenez. Avec les joyaux contenus dans cette bourse vous pourrez vous acheter un petit royaume loin d’ici et prendre votre retraite.
L’assassin s’empare de l’escarcelle et en vérifie le contenu. Avant de disparaître, il se retourne vers le Juge et, d’une voix vide d’émotion, lui adresse quelques mots.
- Ma retraite ? Tant que des gens comme vous existeront, j’aurai toujours du travail.
bien bien
je n'ai pu m empêcher de pense à la scène dans Léon quand le flic arrive la 1ere fis pour reprendre la dope et renifle le gars pour voir si il ment, au moment où la reine renifle l'assassin.
Au fait Klian, est-ce que ça ne serait pas une bonne idée de mettre les textes de Dom, ceux de Ciryon/pccddvd (s'ils sont d'accord) et le mien (je suis d'accord) sur la partie création du site ?
ça permettrait d'étoffer cette partie et d'éviter que ces textes disparaissent au fin fond du forum.
Enfin bon, à toi de voir.