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Joute 3 : L'aile ou la cuisse ?
(Sujet créé par Jouteurs l 14/09/03 à 17:35)
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Jouteurs
21/08/2003 20:52


Texte A : Souvenirs d’enfance.

En cet instant, je sens une vague douloureuse de souvenirs me submerger. Je ne peux la réprimer. Je réalise alors que le moment est enfin venu de me confronter à mon passé. La barrière que j’avais soigneusement élaborée pour me protéger, pour continuer à vivre comme si rien ne s’était passé, vient de céder comme une digue fragile face aux flots impétueux d’un torrent. La souffrance que j’ai toujours refusée d’affronter est là, définitivement ancrée dans mon corps et dans mon âme malgré tous mes efforts pour l’oublier.
Quelle dérision ! Moi, qu’on appelle craintivement « le cœur de glace », je tremble et je pleure dès que je pense à mon enfance. Et pourtant, la voilà ! Nue. Cruellement réelle. Dénuée de tous les fantasmes que j’ai imaginés tout au long de mes nombreuses nuits sans sommeil.
Je ferme les yeux. Le combat le plus important de ma vie commence. Il est temps pour moi d’affronter ma réalité.

Je me souviens d’un enfant. Agé d’à peine un lustre et déjà triste comme s’il avait vécu une vie entière de tourments. Il est malingre, pâle et craintif. Il ignore ce qu’est la joie et il ne connaît pas l’insouciance des gamins de son âge. Il ne parle pas. Il n’a rien à dire. Souvent il pleure. Il me dégoûte. C’est un faible, une pathétique créature sans volonté, à peine plus vivant qu’une vieille souche d’arbre vermoulue. Mais ce n’est qu’un enfant. N'ai-je jamais su qui il était ?
Cet enfant, c’est moi et c’est ce que je n’ai jamais voulu reconnaître. Maintenant il me regarde et je sens dans ces yeux toute l’amertume que je lui inspire. Il a toujours était seul et même moi, adulte, je l’ai dissimulé dans une pièce sombre de mon esprit. Je t’en prie, excuse-moi pauvre gosse ! Il ne me sourit pas. Il veut se venger. Enfin. Son regard me dit que notre rédemption ne viendra qu’après la douleur. L’enfant qui n’a jamais existé sait que je suis prêt. Il ouvre les portes du souvenir.

Ma famille ? Tous les visages que j’ai inventés fondent comme neige au soleil et laissent la place à des silhouettes sombres et indistinctes. Celles de mes frères et sœurs sont nombreuses. Sept, huit ? Je l’ignore. Mais je sais que je suis le plus petit. Ils ne m’aiment pas. Ils sont trop occupés à survivre. Je ne suis pour eux qu’une bouche de plus qui réduit leur portion de nourriture. Nous vivions dans une petite chaumière entassés les uns sur les autres. La faim et la misère étaient notre quotidien.

L’image de ma mère est floue mais je sens une odeur de cendres et les fragrances fétides de la maladie. Elle s’occupe de moi tout comme elle s’occupe du bétail de la ferme. Et encore ! Mon existence a bien moins de valeur que celle de nos maigres moutons. N'a-t-elle jamais montré un signe d’affection pour moi ? Je ne m’en souviens pas. Curieusement, je n’ai aucune colère contre elle. La pauvre femme ! Sa vie est pénible et misérable. Plus que tout, je ressens sa soumission. Et dans ce sentiment que j’exècre, je me rapproche d’elle. Soumission à des conditions de vie pathétiques, soumission à mon père…

Mon père… Une forme menaçante se dessine. Il n’a pas de visage. C’est juste une force, une voix grondante et rauque qui me terrifie. Et je me rappelle la douleur. Des coups parce que je fais du bruit, parce que je suis sur son chemin, parce qu’il en a envie. Des coups pour rien. Des coups que je ne comprends pas. Et parfois, des mains fortes et calleuses qui m’enlèvent mes vêtements, qui me caressent, qui me forcent. Ses ordres, ses halètements, son odeur de sueur, la souffrance et moi qui ne dis rien. La soumission.
Oh oui, tu peux pleurer mon garçon et tes larmes sont les miennes.

Puis vint le Manchot. C’était une véritable légende. On disait de lui qu’il était le meilleur guerrier ayant parcouru ce monde, qu’il était immortel. On racontait que s’il avait eu ses deux bras il aurait pu défier les dieux eux-mêmes. Lui, je m’en souviens parfaitement. Il avait une puissante carrure qui n’entravait en rien la souplesse et la rapidité de ses mouvements. Son regard était si froid qu’il constituait une arme aussi redoutable que son épée. Son visage portait les marques d’une vie entière vouée au combat. Même maintenant, après tant d’années, je pourrai dessiner avec exactitude le lacis de cicatrices qui courrait le long de sa mâchoire massive et sur son large front dégarni, la ligne mainte fois brisée de son nez et de ses arcades sourcilières ainsi que les rides de ses joues creuses qui ne semblaient jamais avoir connu l’ombre d’un sourire.
Oui, je le connais par cœur. Car plus que mon père, cet homme fut mon Maître.

Une poignée de pièces de cuivre. Tel fut le prix qu’il donna ce jour-là à mon père pour le débarrasser de ma misérable existence. J’étais là au moment de cette ignoble transaction et maintenant l’enfant se souvient de la terreur qui le submergea. Terreur qui jamais plus ne le quitta. Pourtant sa nouvelle existence ne pouvait pas être pire que la précédente mais il n’imaginait pas alors qu’elle puisse être meilleure.

Le Manchot m’amena avec lui et un long voyage débuta. Tout au long de ce périple, cet homme sinistre m’adressa à peine la parole, si ce n’est pour m’assigner des corvées comme le ramassage du bois ou l’étrillage de nos montures. Il me faisait froid dans le dos et, quand il posait son regard indéchiffrable sur moi, la panique s’emparait de mon esprit et j’imaginais le pire. Pourtant, jamais il ne me frappa et jamais il n’eut de mots insultants ou agressifs. Jusqu’à ce que nous parvînmes à son manoir…

Cette vieille bâtisse perdue dans une contrée reculée se dressait à flanc de montagne et semblait être aussi ancienne que le roc sur lequel elle s’appuyait. Aussi vaste que poussiéreuse, cette demeure n’avait visiblement pas connu de présence humaine depuis bien des années. Elle baignait dans une odeur de moisi et le vent hurlait en s’engouffrant dans ses longs corridors et ses salles immenses. Les ténèbres y avaient élu domicile et ne cédèrent qu’à contrecœur la place à la fragile lueur des flambeaux.
Alors que j’étais pétrifié de peur sur le seuil, le Manchot se retourna vers moi. Il me parla lentement en me fixant droit dans les yeux.
- Ecoute bien. Je vais t’expliquer les règles. Elles sont simples. Tu feras tout ce que je t’ordonnerai. Tu ne me parleras pas sans mon autorisation. Tu m’appelleras Maître. Est-ce bien compris ?
- Euh… oui…
Je ne vis pas le coup venir. Une force irrésistible me souleva du sol et je m’affaissas brutalement sur la pierre froide du perron. Le sang envahissait ma bouche tandis que je balbutiais.
- Oui, Maître.
Quand j’osas enfin relever les yeux, l’homme s’était déjà éloigné.
- Nettoies cette demeure.
- Oui, Maître.
Ce fut la première et dernière fois qu’il me frappa. Jamais plus le pauvre enfant que j’étais n’oublia les règles. Il savait parfaitement ce qu’était la soumission.

Les années s’écoulèrent lentement dans cet endroit désolé. Mon univers se réduisait au manoir et aux tâches que m’assignait le Maître. Je n’avais pas le temps de m’ennuyer. Il y avait toujours quelque chose à faire même si je n’en comprenais pas le sens. Je devais entretenir la demeure, servir les repas, m’occuper des chevaux, couper du bois, faire de la maçonnerie et encore une multitude de tâches qui se confondent maintenant dans mes souvenirs. Le Manchot ne connaissait pas la pitié et je devais travailler jusqu’à ce que je m’évanouisse sous l’effort. Mon corps et mon esprit s’endurcirent à ce traitement. J’étais toujours aussi frêle mais j’avais acquis une musculature noueuse et une endurance étonnante.

J’ignore l’âge que j’avais quand, pour la première fois, le Manchot m’invita à dîner avec lui, mais je pense que je devais avoir une dizaine d’années. Ainsi, ce jour-là, mon Maître m’informa qu’exceptionnellement je partagerai son repas. Il avait ramené de sa chasse un énorme faisan que j’avais préparé comme il me l’avait indiqué avec des champignons et des oignons. Il me fit signe de m’asseoir face à lui. J’eus une légère hésitation puis j’obtempéra. Je n’osais lever les yeux vers lui et l’inquiétude me rongeait. Pourquoi ce changement dans la coutume ? Je ne pouvais que présager le pire.
Il tira le plat dans lequel reposait le faisan sur son lit d’assortiments. Lentement et avec précision, il le découpa à l’aide de son couteau. Il déposa sur une large assiette une aile et une cuisse du volatile. Il la poussa entre nous deux et déposa son couteau à côté.
- Regarde-moi.
- Oui, Maître.
- L’aile ou la cuisse ?
Ses yeux ne me quittaient pas. N’y décelant aucune menace je tendis lentement la main vers l’aile, me disant que le plus gros morceau devait lui revenir. Soudain, une douleur fulgurante m’envahit le bras. Poussant un cri, je ramenas la main vers moi. A travers les larmes qui me montaient aux yeux, je vis le poignard planté dans la table et juste à côté un doigt qui se vidait doucement de son sang. Mon regard s’abaissa alors vers la main que je tenais serrée contre moi et réalisas que ce doigt était mon index. Je relevais les yeux vers le Manchot. Il ne semblait pas avoir bougé d’un pouce et son expression était toujours aussi indéchiffrable. Il poussa un grognement.
- Va te soigner et reviens manger.
- Oui, Maître.
Quand je revins à la table, il dégustait tranquillement sa cuisse. Il avait rempli mon assiette. Il vérifia rapidement que j’avais correctement bandé ma plaie et m’ordonna de manger.
- Prends des forces. Demain tu m’accompagneras à la chasse.

Plus que la douleur lancinante qui pulsait de ma main, la crainte du lendemain m’empêchât de trouver le sommeil. Le soleil venait à peine de se lever, que le Maître vint me chercher. J’étais persuadé que je ne le verrai pas se coucher. Mais tel ne fut pas le cas. Ce fut ma première journée d’enseignement et au cours des mois qui suivirent, le Manchot m’appris patiemment toutes les règles et astuces de la chasse. Il m’initia à la traque, à la lecture des traces, à la pêche, à la connaissance des plantes et des animaux, à l’utilisation de l’arc, de l’épieu et du couteau. Il m’inculqua aussi à me mouvoir comme une ombre sans déplacer le moindre brin d’herbe, à trouver de l’eau et à survivre dans la nature sans aucunes ressources.
L’apprentissage était dur et je frôlas la mort à maintes reprises. Je devais avoir douze ans quand j’affrontas mon premier grizzly. De ce combat, je garde encore les traces des griffes de l’animal sur ma poitrine. Peu après, mon Maître m’amena dans un coin éloigné d’une semaine à cheval du manoir. Il m’ordonna de lui donner mon couteau et mes vivres puis de me déshabiller. J’étais nu et je frissonnais dans l’air frais de cette région montagneuse. Il me regarda longuement.
- Nous dînerons ensemble à ton retour. Et ramène un faisan.
- Oui, Maître.
Il partit sans se retourner.

J’aurais pu ne jamais revenir au manoir. Mais le Maître m’avait donné un ordre et l’enfant que j’étais n’imaginait pas possible de désobéir. Maintenant je sais, mon enfant, que ce n’est pas seulement en raison de cette damnée soumission ancrée au plus profond de toi que tu as osé revenir auprès du Manchot.
Ne sens-tu pas cette farouche volonté qui t’anima quand résolument tu t’engageas sur le chemin du retour ? Ne sens-tu pas cette envie irrésistible de relever le défi lancé par ton Maître ? Tu dois enfin réaliser, tout comme moi, que ce jour-là tu as décidé non par soumission mais par fierté que tu survivrais malgré tout.

Un mois plus tard, j’étais de retour. Le Manchot m’attendait. Je brandis sous ses yeux le magnifique faisan que je venais de capturer. Il eut un sourire. Le seul que je ne vis jamais sur son visage.
- Va préparer la bête. La recette que j’aime. Puis, rejoins-moi dans la salle à manger.
Le soir venait de tomber et, pour la deuxième fois, je faisais face à mon Maître. Et le rituel recommença. Il découpa le faisan et déposa une aile et une cuisse dans un plat. Je le vis déposer lentement son couteau à côté. Son regard rencontra le mien et je sus que le moment était venu.
- L’aile ou la cuisse ?
Ce soir-là, je perdis mon annulaire.

Le lendemain, nous partîmes vers le village le plus proche qui était situé à deux semaines de la demeure. C’était la première fois depuis que le Manchot m’avait acheté que j’allais rencontrer d’autres personnes. J’étais aussi impatient qu’angoissé. A quelle nouvelle épreuve j’allais être confronté ?
Nous arrivâmes tard le soir dans le sinistre bouge qui servait d’auberge. Une demi-douzaine de solides fermiers se reposaient en cuvant la méchante bière du cru. Le Manchot me fit asseoir près de lui et nous partageâmes une chope sans prononcer un mot. Au bout d’un petit moment, il s’adressa à moi.
- Je vais me lever et partir. Une fois que je serai dehors, tu vas prendre ce pichet et le renverser sur la tête de l’un de ces paysans. Je t’attendrai à la sortie du village.
- Oui, Maître.
Et je suivis scrupuleusement ses ordres. Je ne me souviens plus de ce qui s’ensuivit si ce n’est le goût du sang et la folie qui s’empara de moi. Je fus jeté dehors plus mort que vivant mais je sais que les fermiers ne s’en sont pas sortis indemnes. Tandis que, péniblement, j’essayai de rejoindre mon Maître, je ressentis pour la première fois la colère et une envie de vengeance. Non pas contre lui, mais contre ces rustres que je n’avais pas su vaincre. Le Borgne m’aida à soigner mes blessures.
- Tu ne sais pas te battre. A notre retour, je t’apprendrai. Maintenant, repose-toi et oublie ta colère.
- Oui, Maître.

Il en fut ainsi. J’appris à manier toutes les armes de l’épée à la massue en passant par la lutte à mains nues. L’arme de prédilection du manchot était, comme je m’y attendais, le poignard. Il m’initia à toutes les techniques sans négliger les plus fourbes et traîtres d’entre elles. Il m’enseigna qu’il n’y avait ni gloire ni honneur dans le combat, que c’était la plus vieille activité de l’homme et qu’il s’agissait d’une question de survie. Je me souviens maintenant de ce qu’il me dit un jour alors que j’étais exsangue, que je perdais mon sang par de multiples blessures et que je ne parvenais même plus à soulever mon arme.
- Tu sais plus que tout autre ce qu’est la souffrance. Apprends à vivre avec et arrange-toi pour que personne ne puisse te faire souffrir à nouveau.

Des mois et des années passèrent ainsi. Ma mémoire me fait maintenant défaut. Tout se mélange dans un maelström d’images de combats, d’épreuves, de douleur. J’oubliais ma solitude et le vide terrifiant de mon cœur en me dévouant corps et âme à cet apprentissage. J’avais enfin une raison de vivre, aussi dérisoire soit-elle. A travers les yeux de l’enfant que je n’ai jamais pu être, je me rends maintenant compte de la pauvreté sentimentale que j’ai toujours connue. Soumission et fierté, voilà les seules émotions dont je me rappelle. La colère et la rancœur m’étaient étrangères. Contre quoi ? Contre un monde que je ne connaissais pas et que j’ai toujours vu aussi inhumain que cruel ?
Je m’aperçois maintenant que mon tempérament s’est forgé au contact du Borgne et que ce dernier souffrait autant que moi. Sous sa carapace je discerne maintenant un petit enfant terrifié, faible et impuissant face à cet univers de violence et d’injustice. Pourquoi ne nous sommes nous jamais avoués notre peur mutuelle ? Par la force de la tradition ? Par l’ancestral rapport de force qui, depuis la nuit des temps, régit les relations entre les hommes ? Par la crainte d’être déçu ? Par la crainte d’être vulnérable et de souffrir encore et encore ?

Au cours de ces années le Maître m’invita trois fois à sa table. Le rituel fut à chaque fois identique et je perdis les trois derniers doigts de ma main droite. Je n’ai jamais fuit cette épreuve. Je n’ai jamais réussi à comprendre sa raison d’être. A quoi bon ? Malgré mon handicap, je devenais chaque jour meilleur. A à peine seize ans, j’avais déjà participé à un grand nombre de batailles et j’étais plus expérimenté que bien des vétérans. Depuis longtemps, je ne comptais plus les vies que j’avais brusquement interrompues de ma main valide. Malgré cela l’entraînement continuait.

Puis vint ce fameux jour. Ce jour que dans ma folie je pris pour une nouvelle naissance. Ce jour à partir duquel, je bannis définitivement ce pauvre enfant dans les tréfonds de mon esprit tourmenté. Le jour où je m’infligeas la pire des mutilations. Le regard que je jette maintenant en arrière sur ces évènements, me montre que ce jour était inéluctable. Il devait en être ainsi. Soumission à la tradition, soumission à la souffrance.
Le Manchot me faisait face. Comme d’habitude, il avait soigneusement découpé les morceaux du faisan et le plat dans lequel reposaient l’aile et la cuisse nous séparait. Comme depuis toujours. Brillant, diaboliquement acéré, parfaitement froid, le couteau du Maître était posé à côté du plat. Nos regards s’affrontaient en silence. Sans haine. Juste insensibles.
- L’aile ou la cuisse ?
Ce fut rapide. Le Manchot s’écroula, son couteau fiché dans la poitrine et le sang jaillissant de sa bouche. Il ne cria même pas. Alors que je me précipitais vers lui pour tenter de le sauver, il me fit signe de m’arrêter. Par réflexe, j’obéis. Même en cet instant, je ne sus pas laisser l’enfant s’exprimer. Je l’avais muselé, enfermé. NON ! Il ne devait pas hurler, pas pleurer. Plus jamais.
Je vis mon Maître rassembler ses forces il m’adressa un dernier regard où je lus pour la première fois autant de fierté que de tristesse. Et par-dessus tout : la soumission. Il prononça quelques mots avant de pousser un ultime soupir.
- Tu dois te montrer plus fort que moi… Maître.
Je pris son corps dans mes bras et le déposa sur la grande table. Lentement, sans un bruit, je le préparas pour son dernier voyage. Alors que je le nettoyais avec une éponge imbibée de vin doux, je vis pour la première fois ce qui dissimulaient les bandages de son bras droit. Le membre était affreusement mutilé jusqu’au coude et je pouvais compter de multiples traces de coups de poignard.
Après lui avoir rendu les honneurs, je partis du manoir. Pour la première fois j’étais seul et libre. Toute ma souffrance ? Je l’avais enfermée avec un pauvre enfant dans une pièce obscure de mon esprit. Et j’espérais alors ne plus jamais le revoir. J’étais maintenant devenu le Manchot, un guerrier légendaire, le meilleur d’entre eux, aussi insensible qu’impitoyable. Voilà ce que je crus, pendant de nombreuses décennies, être ma vie.

Voilà. Les portes du souvenir sont ouvertes et je sens un petit garçon terrifié qui n’ose pas encore regarder à l’extérieur. Mais je sais que cela va venir, je sais qu’un jour je serai réconcilié avec moi-même. Je sais que l’enfant me pardonnera et que nous partagerons enfin notre histoire.

- Maître ? Vous allez bien ?
La voix timide du gamin qui me fait face, me ramène à la réalité. Combien de temps suis-je resté plongé dans mes souvenirs ? Cela n’a pas d’importance. Le rituel doit continuer. Tranquillement je pose le couteau à côté du plat où, tout à l’heure, j’ai disposé l’aile et la cuisse du faisan.
- Regarde-moi.
- Oui, Maître.
- L’aile ou la cuisse ?
L’enfant hésite. Je lis dans son regard la crainte et l’inquiétude. Lentement, ne me quittant pas des yeux, il dirige sa main droite vers l’aile. Ma main jaillit dans un geste quasiment imperceptible.
Je tiens son poignet et le guide fermement vers la cuisse.
- C’est le meilleur morceau. Prends-le.
Le gamin me regarde. Tandis qu’il s’empare de la pièce de viande, un timide sourire se dessine sur ses lèvres.
Dans une pièce sombre au fond de mon esprit, un enfant s’éveille et sourit. Enfin.
Jouteurs
24/08/2003 00:11


Texte B

Cela faisait maintenant plus d’une semaine que Seros ne dormait plus, ou pour être plus précis, plus vraiment. Ses nuits n’étaient plus que de longs tunnels obscurs au sein desquels il se perdait une fois franchi le seuil du sommeil. Il errait ainsi jusqu’à l’aube, prisonnier du royaume de Morphée, poursuivi par la sombre créature qu’il avait eu le malheur de libérer.

Lui, l’archimage de Praseodymios en était réduit à fuir le sommeil et son démon familier, sans aucun autre recours que d’attendre la renaissance du jour pour pouvoir à nouveau respirer. S’il n’avait été aussi épuisé, il aurait certainement lui-même apprécié l’ironie de sa situation.

Mais à l’inverse de ses nuits, ses journées étaient bien trop courtes pour cela. Il cherchait sans répit, mais en vain jusqu’alors, comment mettre fin à son calvaire nocturne. Il en était certain, cette invocation d’il y a une dizaine de jour était bien la source de son problème. Elle n’avait finalement pas été aussi stérile que cela…

Chaque nuit, le cauchemar reprenait là où il l’avait laissé et sa fuite également. La créature le poursuivait toujours, inlassablement, ne le laissant parfois s’éloigner que pour mieux le rattraper quelques instants plus tard. Il la sentait derrière lui, la devinait dans chaque chemin qu’empruntait son sommeil, la savait à l’affût et prête à surgir du néant pour le saisir à la moindre faiblesse.

Qui était elle ? Cela, il ne le savait pas précisément mais il savait qu’elle était sa perte et c’est pourquoi il fuyait sans se retourner.
Mais cette nuit serait différente ! Il ne pouvait plus continuer ainsi. Sa santé mentale vacillait et il ne voyait plus aucun moyen d’échapper à l’inévitable confrontation. Il allait se battre et vaincre ou perdre la raison.

C’est ainsi que Seros l’archimage fît face et contempla enfin le visage de sa nemesis.
Celle ci lui apparut à l’instant même où il sombra dans un profond sommeil.
- « Eh bien Seros, tu ne fuis plus ? »
- « Qui, qui êtes vous donc ? Pourquoi me guettez vous ? Pourquoi me poursuivez vous ? »
- « Voyons Seros, tu ne me reconnais pas tout archimage que tu es ? Il est vrai qu’on ne m’a plus appelée depuis bien longtemps, mais tout de même tu me déçois. Quant à tes autres questions, tu en sauras la réponse lorsque tu me connaîtras. »

Seros détailla alors la créature, s’efforçant de trouver en un quelconque recoin de sa mémoire un indice qui lui permettrait de l’identifier.
Grande, le teint d’une pâleur de craie, elle le dépassait d’une tête et le fixait d’un regard amusé et narquois. Totalement nue, elle exhibait son incontestable féminité sans la moindre gêne et bougeait avec la fluidité d’une danseuse. On distinguait à peine deux cornes minuscules sur le haut de son front, perdues sous les frondaisons d’une opulente chevelure noir de jais qui semblait douée d’une vie propre.
Ses yeux sombres semblaient percer jusqu’à son âme, le révulsaient et l’envoûtaient tout à la fois. Le regard de Seros arriva enfin sur les deux ailes aux membrures délicates qui dominaient sa sculpturale beauté.

Alors, il sut et son visage prît lui aussi la teinte de la craie.
- « Vous, vous êtes une… » laissa-t-il échapper dans un souffle
- « Oui Seros ? »
- « Une succube ! »
- « C’est un nom qu’on me donne en effet, mais je préfère pour ma part celui de Lamie. Ce fût mon premier nom, il y a longtemps. »
- « Mais comment est ce possible ? »
- « Tu m’as appelée Seros, ne t’en souviens tu pas ? »
- « Non ! Non, c’est impossible ! Je n’ai rien fait de tel ! »
L’invocation lui revint alors en mémoire, il avait sûrement du faire une erreur mais laquelle ?
- « Et pourtant me voilà. Je suis maintenant à toi…et tu es à moi ! »
- « Non ! Jamais ! »

Et Seros se remit à fuir. Il lui fallait maintenant du temps pour tenter de comprendre quelle avait bien pu être son erreur. Dans ses rêves, la Lamie le poursuivait toujours, se moquant de lui.
- « Seros ! Fuir ne sert à rien, je serai toujours au cœur de tes nuits à présent. Je ne te comprend pas, pourquoi m’as tu appelée si tu ne veux pas de moi ? »

La course de Seros continua alors jusqu’au matin mais dès son réveil, il se rendit dans son laboratoire renversant grimoires et bocaux dans sa précipitation. Retrouvant l’invocation, il s’y plongea avidement, vérifiant, re-vérifiant, arrachant les pages.
En vain, il n’avait pas fait d ‘erreur ! Poumons de rossignol, langue de sirène, peau de pêche, argile fine des entrailles de la terre, eau de source prélevée sous une lune rousse, cuisse de grenouille ; cette nymphe aurait du apparaître !

Cuisse de grenouille ?! Le bocal, où est le bocal ! Seros se jeta alors au sol, au milieu des conteneurs qu’il avait renversés dans sa hâte, fouillant frénétiquement parmi ses composants de sort. Il ne lui fallut pas longtemps pour retrouver le bocal en question ; d’une apparence totalement anodine ce dernier portait une étiquette blanche sur laquelle figurait son contenu.
Une main qui n’était pas celle de Seros y avait rayé la mention « Cuisse de grenouille » et inscrit un peu plus bas « Aile de Chauve-souris ».

- « NOOOOOOOOOOOOOOOOOOOON ! »

Le hurlement de Seros perça le silence du petit matin, alertant toute l’Académie.
Professeurs et étudiants, interloqués, abandonnèrent aussitôt leurs activité respectives pour se précipiter dans la tour de Seros.
Ils le trouvèrent assis par terre, se balançant d’avant en arrière, le regard fixant un point dans le vide et répétant sans cesse : « C’était l’aile, pas la cuisse… ».
Jouteurs
25/08/2003 11:33


Texte C

Comme tous les vendredis matin, Cuisto se prépare pour se rendre au village acheter des provisions. Il vit dans une petite maison de pierre au milieu de la forêt à une demi-lieue de Tarse.
Un bâton à la main, vêtu d'un pantalon et d'une chemise de bûcheron, il part dans le village suivi de son seul compagnon, Carotte, un âne. De taille moyenne et malgré son embonpoint, il marche en boitant d'une allure assez rapide.
Quand il arrive à destination, toutes les personnes qu'il croise le saluent le sourire aux lèvres.
Toutes les semaines il entend les même choses. "Salut Cuisto !", "Comment vas-tu mon ami ?" ou encore "Une bonne journée à toi Cuisto". Alors que les enfants viennent lui demander de raconter ses nombreux voyages tout en caressant Carotte.

Longtemps, il a été le cuisinier du baron Elric. Au fil des années, leur relation évolua en amitié. Le baron l'avait emmené dans toutes ses expéditions.

Aujourd'hui, Cuisto a beaucoup d'histoires à raconter. La plus part du temps, il rajoute des éléments pour embellir le récit, car pour lui l'important n'est pas l'histoire en elle-même, mais de voir les enfants les vivre avec une attention qui mobilise tous leurs sens.
- Bonjour Hank ! Comment vas-tu mon ami ? dit Cuisto en pénétrant dans l'atelier du forgeron.
- Salut Cuisto ! répond-il en restant concentré sur la pièce qu'il est en train de polir.
Une fois terminé, Hank, un homme d'une grande taille au corps musclé par son travail, retire son tablier de cuir. Il plonge les mains dans un tonneau contenant de l'eau claire et s'asperge le visage pour nettoyer la poussière de métal mélangée à la sueur.
- J'ai réparé ton chaudron dit-il en s'essuyant les mains et le visage. Il est comme neuf et devrait faire encore au moins un siècle.
Cuisto sourit, dévoilant ses dents abîmées et noircies.
- Je serais sûrement mort avant lui alors, dit-il en riant.
Le forgeron lui tend le chaudron. Après avoir regardé où le trou s'était formé, Cuisto reprend la parole :
- C'est du bon boulot mon ami. On ne voit même pas où tu es intervenu.
- Arrête, tu vas me faire rougir.
- Combien pour ce travail ?
- Rien du tout ! C'est pour les bons gâteaux que tu nous apporte souvent.
Sans dire un mot de plus, Cuisto attache le chaudron sur le dos de son âne, puis prend deux pots en grès dans les sacoches de voyage que porte Carotte.
- Voici pour toi et ta famille dans ce cas.
- Qu'est ce que c'est ? demande Hank, les deux pots dans les mains, gêné par ce présent.
- De la marmelade mon ami.
- Quoi ? Mais tu es fou ! tu sais que ce produit vaut une fortune ! S'exclame le forgeron.
- Profite en avec ta famille alors.
- C'est quoi !? demandent Jérémy et Geoffrey, les fils jumeaux de Hank, essoufflés.
- C'est de la marmelade que Cuisto nous a faite.
- Merci Cuisto ! disent les jumeaux à l'unisson, bouche bée. On va se régaler !
- Si vous aimez ça, je vous en apporterais une prochaine fois.
Les jumeaux se regardent puis poussent des cris de joie.
- Dit Cuisto, demande Jérémy, on peut venir te voir pour que tu nous raconte une de tes aventures ?
Les bras croisés, Cuisto réfléchit un instant.
- Je vous attends demain après-midi dans ce cas.
Les jumeaux partent en bondissant d'excitation et l'un d'eux dit :
- Viens, on va prévenir Stephen et Alicia.
- Ah les enfants ! s'exclame Cuisto à gorge déployée.
Après son arrêt chez le forgeron, il se rend chez le meunier pour acheter de la farine, puis chez le potier. Finalement, c'est en fin de matinée, qu'il arrive à l'auberge pour déjeuner. Située près de l'église, au centre du village, c'est le lieu de rendez-vous des villageois.
Quand Cuisto entre, il ne peut échapper à l'accolade virile de cette force de la nature de 2 mètres de haut. Ses 140 kilos de chaire musculeuse et rebondie, l'englobe l'espace d'un instant, tandis qu'un rire joyeux s'échappe de sa mâchoire puissante.
- Bienvenue mon ami Cuisto ! s'exclame le maître des lieux en le lâchant.
- Un jour tu vas me briser Aleck, dit-il en reprenant son souffle.
Avant qu'il ne puisse dire autre chose, l'aubergiste le saisi par le bras et l'entraîne vers une table déserte.
Dans la vaste salle principale, il y a une dizaine de tables de taille moyenne ainsi qu'une plus grande pouvant accueillir une vingtaine de personnes. Près de celle-ci, se trouve un meuble sur lequel repose une dizaine de petits tonneaux, et à coté sur le sol, une foudre. Près de la porte de la cuisine, on peut voir un vaisselier très garni. Une dizaine de personnes sont en train de manger tandis que Tania, la fille de l'aubergiste, s'occupe de faire des aller-retour vers la cuisine pour servir les clients.
Tous les deux installés à une table, à l'écart, Aleck demande à sa fille de lui apporter un pichet de vin et deux verres. Couvert par les bavardement des autres clients, l'aubergiste parle quand même à voix basse.
- Je suis heureux de te voir commence-t-il un large sourire aux lèvres. Depuis que tu nous as donné quelques nouvelles recettes, nous avons plus de clients et les affaires reprennent. Merci pour tout mon ami tu nous as sauvés.
- Ce n'est pas moi qu'il faut remercier, Aleck, mais ta femme Katherine qui est un vrai chef.
- Bien sur ! Mais si tu ne nous avais pas aidés, cela n'aurait pas suffit.
- Tiens papa, ton pichet.
Avant même que Tania ne termine de poser les verres sur la table, Aleck commence à servir le vin.
- Merci Tania ! Peux-tu t'occuper seule de la salle quelques instants ?
- Pas de problème, dit-elle un large sourire aux lèvres. Et de toute manière, presque tous les clients sont servis.
- Merci mon ange dit Aleck en prenant la main de sa fille.
Son plateau à la main, Tania les quitte et retourne voir si les clients n'ont besoin de rien.
- Elle est comme sa mère pleine d'énergie et de courage, dit-il en levant son verre. Maintenant trinquons à la reprise des affaires !
- A la reprise des affaires ! reprend Cuisto en tapant son verre contre celui de l'aubergiste.
- A partir d'aujourd'hui, c'est la maison qui t'offre les repas à chaque fois que tu viendras.
- Je ne peux accepter ça Aleck !
- Sans toi nous n'aurions peut être plus rien. Je te demande d'accepter mon offre car c'est le moins que je puisse faire pour te remercier.
Cuisto, ne peut détourner son regard des yeux suppliant de l'aubergiste.
- Très bien tu as gagné j'accepte, soupire-t-il.
A ces mots, Aleck saisit le pichet et ressert du vin à son Ami ainsi qu'à lui-même. Le breuvage terminé, Aleck prend la commande de Cuisto avant d'aller aider Tania.
Après avoir bien mangé, il est temps pour Cuisto de retourner dans ses foyers.
Comme à l'aller, toutes les personnes qu'il croise le saluent en faisant de grands signes.
Cuisto se plaît dans cette région. Il aime les gens et n'a eu aucun mal à s'intégrer il y a cinq ans lorsqu'il est arrivé. Aujourd'hui il est heureux et pour rien au monde il ne partira d'ici.
Quand il arrive chez lui, il débarrasse Carotte du chaudron et des sacoches de voyage avant de le laisser vadrouiller en liberté.
Sa maison a deux pièces. Une chambre meublée par une armoire et un lit et la pièce de vie, qui en dehors de la table et des chaises situées en son centre, donne l'impression d'être dans une cuisine d'auberge. Des ustensiles sont accrochés sur tous les murs, ainsi que des casseroles et d'autres récipients. Un poêle à bois est placé à coté d'un plan de travail, et un chaudron suspendu dans la cheminée par une crémaillère. Il y a aussi de nombreux pots sur des étagères contenant les épices, la farine, le sucre et de nombreux autres ingrédients.

Le lendemain, les enfants viennent comme convenu. Après avoir frappé à la porte, Jérémy et Geoffrey les fils du forgeron entrent, suivi par Stephen le fils du meunier et Alicia la deuxième fille de l'aubergiste. Les enfants ont une dizaine d'années, et c'est un bonheur pour eux de venir ici car à chaque fois ils ont du gâteau en plus de l'histoire. S'attendant à en trouver un posé sur la table, ils laissent échapper malgré tout des "Oh !" de surprise et des "Ah !" de joie en voyant qu'il est au chocolat (leur préféré ! ). Tout sourire en voyant leurs mines enjouées, Cuisto les invites à s'asseoir pendant qu'il finit de presser des pommes.
- Vous voulez une part de gâteau ? demande-t-il en distribuant une assiette à chacun.
Les enfants répondent par l'affirmative, et c'est dans un silence religieux que chacun mange sa part.
Comme un rituel, les enfants savent que maintenant ils vont entendre l'histoire de Cuisto et qu'a l'issue, ils en auront une autre part.
- Quelle histoire vas-tu nous raconter ? demande Alicia, du chocolat au coin des lèvres.
- Je vais vous raconter la dernière expédition que j'ai fait avec mon ami le baron Elric.
- Mais alors tu n'auras plus rien à nous raconter après ? questionne Jérémy l'air inquiet.
- N'ayez crainte j'ai encore de nombreuses histoires à vous raconter.
Cuisto se lève, va dans sa chambre, et après une minute revient avec un petit coffre en bois dans les mains. Avant même qu'il ne se soit assis, Jérémy lui demande ce qu'est ce coffre.
- C'est la dernière chose que m'a offert le baron, répond-t-il avant de s'asseoir et de poser le coffre devant lui, sur la table.
- Qu'est ce qu'il y a dedans ? questionne Stephen.
Agissant comme s'il n'avait rien entendu, il pose les mains sur le coffre et commence son histoire.

C'était il y a cinq ans.
Cuisto finissait de ranger la cuisine du château dont il était le chef, quand le baron arriva.
- Bonsoir ! la voix du baron résonna dans la pièce déserte.
- Bonsoir baron ! dit Cuisto en regardant une dernière fois que tout était bien à sa place.
- J'aimerais que nous fassions quelques pas ensemble sous cette nuit étoilée mon ami. J'ai des choses importantes à te dire avant notre départ de demain.
- Comme il vous plaira Baron. J'ai justement terminé de nettoyer.
D'un mouvement de tête, le baron Elric, regarda la cuisine. Elle était impeccablement propre. Tout le matériel brillait comme s'il était neuf. Il n'y avait aucun doute, Cuisto était vraiment exceptionnel. En plus de faire des plats qui avaient l'art de réveiller les papilles, il prenait le plus grand soin de son matériel.
- Ta cuisine est impeccable Cuisto. Comme toujours !
- Je tenais à ranger et nettoyer quelques petites choses avant demain.
Les deux hommes quittèrent la cuisine, pour se rendre dans les jardins du château. Le ciel était sans nuages et on pouvait voir les étoiles briller de tout leur éclat profitant de l'absence de la lune. C'était une nuit calme, malgré la guerre qui opposait les peuples du Nord de l'île à ceux du Sud.
Le baron était un homme élancé au visage fin. Ses longs cheveux blonds ondulés lui tombaient sur les épaules. Tout en marchant, il lança la conversation.
- C'est une belle nuit n'est ce pas ?
- Oui très belle.
- Demain nous partons pour une mission qui contrairement à toutes les autres, peut nous coûter la vie. Nous serons six sur la route. Nous devons être un petit groupe pour augmenter nos chances de réussite. Avant de partir, je tiens à régler certaines choses. Tu as servi mon père puis tu es resté à mon service après sa mort. Au file des années, nous sommes devenus amis et à ce titre, je me dois de te traiter en ami et non en servant.
- Mais baron...
- Laisse moi terminer ! le coupa le baron. Les deux hommes s'arrêtèrent. Le baron posa une main sur l'épaule de Cuisto et le regarda droit dans les yeux.
- Je tiens tout d'abord à te rendre ta liberté. Quand nous rentrerons, tu seras libre de rester ou de partir. De plus, tu trouveras un petit coffre sous ton lit. Dedans il y a de l'or pour que tu puisses vivre confortablement ainsi qu'un document scellé de mon sceau dont tu connais le contenu car nous en avons déjà parlé.
Des larmes coulaient sur les joues rondes de Cuisto. Il ne savait plus quoi dire car c'est la première fois qu'il était traité ainsi. Il était heureux certes, mais ayant toujours eut un maître, il avait l'impression d'être un animal abandonné.

- Qu'est-ce qu'il y a d'écrit sur le document Cuisto ? l'interrompt Stephen.
Les yeux brillant, Cuisto ne répond pas et reprend son histoire.

Au petit matin, le petit groupe pris la route. Tous étaient vêtu d'habits de voyage. Aucune armure, ni aucune arme n'étaient visible car ils devaient ressembler à des voyageurs et non à des guerriers.
A l'heure du déjeuné, ils s'arrêtèrent dans une auberge au sud du château du baron Elric. Après le repas, ils reprirent la route sans dire un mot. Le baron avait l'air satisfait. Cuisto donna un coup de talon dans les flancs de son cheval pour remonter au niveau du baron qui voyageait seul en tête.
- Baron ! commença Cuisto en s'éclaircissant la gorge. Quel est le but de notre expédition ?
- Maintenant que nous sommes partis, je peux t'en dire plus. J'espère que tu ne m'en voudras pas de ne rien t'avoir dit plus tôt, mais une des clefs du succès de notre mission était le secret.
Le baron se retourna pour vérifier que les quatre hommes qui les accompagnent étaient suffisamment éloignés pour ne pas entendre ce qu'il allait dire.
- Même eux, dit-il en hochant de la tête en direction de leurs compagnons, ne sont pas au courant. Ils savent juste que c'est une mission de repérage.
- Que devons nous repérer ? interrogea Cuisto.
- Nous devons déterminer la position des troupes ennemies et en rendre compte à notre souverain des terres du Nord.
- Comment allons nous nous y prendre ? et quel est mon rôle si nous prenons nos repas dans les auberges ?
- Le fait de manger dans les auberges nous permet de connaître précisément les positions des troupes dans la région.
Maintenant Cuisto comprenait pourquoi le baron semblait absent à table et n'avait pas dit un mot de tout le repas.
- Vous avez appris des choses à l'auberge ?
- Oui ! et pour certaines se sont des informations capitales pour la suite des opérations. Il me faudra donc vous quitter demain matin pour rendre compte des nouvelles en ma possession.
Le baron marqua une pause en voyant la réaction de son ami.
- Ne t'inquiète pas Cuisto. Je vais donner le commandement du groupe à un de mes soldats pour poursuivre la mission.
- Je ne comprends toujours pas quel est mon rôle.
- J'allais y venir. Quand vous allez avancer vers les lignes ennemies, vous serez certainement capturés. Tes talents culinaires te permettront d'entrer dans leurs cuisines et d'être en contact avec les soldats et les commandants de leur armée. C'est là que tu apprendras les informations qui nous permettrons de gagner cette guerre.
- Mais je n'ai jamais fait d'espionnage ! Que se passera t-il si je suis découvert ?
- N'ai crainte ! tu es un cuisinier et tu auras juste à ouvrir tes oreilles. Ensuite tu te sauveras et nous feras part de ce que tu as appris.
- C'est bien beau tout ça, dit Cuisto d'un ton incrédule, mais comment je fais pour m'échapper une fois dans l'armée ennemie ?
- Comme tu es cuisinier, personne ne se méfiera de toi. Tu n'auras qu'a servir un repas contenant des plantes soporifiques aux gardes ce qui te permettra de sortir en toute discrétion. Tu auras toute la nuit pour parcourir le plus de distance possible et ainsi te mettre à l'abri. Tu ne feras pas route vers le nord car c'est là qu'ils te chercheront en premier. Tu iras donc vers l'est. Je t'attendrais à l'auberge du Cheval Blanc à Falaise. As-tu des questions ?
Encore sous le choc de ce qu'il venait d'entendre, il lui fallut quelques instants pour reprendre ses esprits.
- Moi un espion !? Mais pourquoi m'avoir choisit ?
Le baron sourit légèrement.
- Pour deux raisons. La première comme je te l'ai dit tout à l'heure, ils ne se méfieront pas d'un cuisinier. La seconde est que tu es la seule personne en qui j'ai réellement confiance.
Le soir, ils dînèrent dans une autre auberge et y restèrent coucher.
Le matin après le petit déjeuné, le baron désigna son remplaçant pour diriger la suite des opérations. Il choisit Antonio, un homme de grande taille très musclé, les cheveux brun et courts avec des cicatrices sur le visage. Une fois tout réglé, le baron pris la direction du nord, alors que le reste du groupe poursuivit sa route vers le sud. Le soir, comme ils l'avaient fait le midi, ils durent chasser pour manger. Deux des hommes s'y employèrent pendant que Cuisto et les autres allumaient un feu et préparaient le campement pour la nuit. Malgré le peu d'ingrédients, Cuisto réussit une nouvelle fois à faire un plat avec beaucoup de goût, que chacun dégusta autour du feu en silence.
Cuisto était au bord de la rivière en train de nettoyer la vaisselle sale lorsqu'il entendit des hurlements provenant du campement. Il se leva brusquement, mais fût arrêté dans son élan par quatre soldats en arme et armure. Aussitôt, il leva les bras en signe de résignation.
- Qui es-tu ? et que fais-tu là ? demanda un des soldats en s'approchant.
- Je suis un cuisinier Monseigneur. Les hommes que j'accompagne m'ont payé pour mes services.
L'homme le toisa quelques instant.
- Attachez le et emmenez-le ! S'il est vraiment cuisinier il peut nous être utile.
Ils l'emmenèrent vers le campement où il put voir les quatre hommes du baron Elric gisant sur le sol.

- Que t'es t-il arrivé ensuite ? Demande Alicia.
- Ensuite, j'ai fait tout ce que le baron m'a demandé. Je me suis intégré, puis leur vigilance s'est relâchée. Quand j'ai appris tout ce qui me semblait nécessaire, je suis allé retrouver le baron dans l'auberge où il m'attendait. Ensuite, nous sommes allés chacun de notre côté et je suis arrivé ici.
- C'est grâce à toi si nous avons vaincu l'ennemi alors s'exclame Jérémy.
- Je ne sais pas, mais mes informations ont dû les aider. Vous voulez une autre part de gâteau ? leur demande Cuisto en se levant.
- Mais tu ne nous as toujours pas dis ce qu'il y a dans ton coffre, insiste Alicia.
- Ah oui ! C'est vrai, le coffre. Dedans, il y avait de l'or...
- Ca tu nous la déjà dit fait remarquer Alicia.
Il ouvre le coffre, et en sort un parchemin scellé du sceau du baron. Les enfants sont en admiration et demandent à le voir de plus prêt.
- Pourquoi tu ne l'as jamais ouvert ? demande Alicia, les yeux brillant de curiosité.
- Parce que son contenu n'est pas à mon goût.
- Mais... Commence Alicia avant de s'interrompre sachant qu'elle ne saura pas le secret de Cuisto.
Cuisto se lève et s'essuie les mains sur la chemise.
- Vous reprendrez bien du jus de pomme avec le gâteau ?
Sans même attendre la réponse, il sort de la maison pour aller chercher des pommes.
A son retour, il est content de voir que les enfants, en particulier Alicia, ne lui posent plus de questions sur le parchemin. Tout en mangeant, les garçons l’interrogent sur la mission d'espionnage pour avoir plus de détails. Cuisto a à peine le temps de répondre à une, qu'une autre est déjà posée. Alicia, quant à elle, mange en silence et semble se désintéresser de ce qui se passe. La nuit approche, et Cuisto est obligé de demander aux enfants de partir pour être chez eux avant l'obscurité.
Cuisto regarde les enfants s'éloigner, et il ne peut s'empêcher de sourire en voyant les garçons s'agiter en parlant d'espionnage et de batailles.
Un peu plus tard dans la soirée, après avoir nourrit ses poules et ses lapins, il retourne dans sa maison. Il repense à cette histoire, et arrive à la conclusion qu'il est plus sage de détruire ce parchemin. Quand il ouvre le coffre, sa surprise est grande quand il voit que celui-ci n'est plus là.
- Alicia ! Qu'as-tu fais, soupire-t-il.

Au même moment à l'auberge de Tarse, Alicia et son père sont assis à une table. Aleck lit le parchemin que sa fille lui a apporté.
- Alors qu'est ce qu'il y a d'écrit ? demande Alicia avec empressement.
- Je comprends pourquoi Cuisto n'en a jamais parlé, dit Aleck d'un air pensif.
- Dit papa ! qu'est-ce qu'il y a d'écrit ? trépigne la fillette.
- Il est écrit que le baron Elric fait de Cuisto le maire de notre village
- Le Maire ! s'écrie Alicia.
- Moins fort ! la gronde son père en regardant la réaction des clients présents.
- Il ne faut parler de ça a personne ! Tu entends Alicia ?
Elle acquiesce sans dire un mot.
- Demain j'irais le voir pour lui rendre ce document que tu n'aurais jamais dû prendre. J'espère qu'il ne sera pas trop en colère.
Les larmes aux yeux, la fillette réalise qu'elle vient de commettre une grosse bêtise.

Le lendemain matin, Aleck se présente chez Cuisto. Il frappe à la porte, et comme il n'entend aucune réponse, il entre. Sans grande surprise, il constate que la maison est déserte. Il le cherche donc à l'extérieur. A part les poules et les lapins en liberté, il n'y a toujours aucunes traces de Cuisto.
- Cuisto ! Tu es là s'écrie l'aubergiste.
Aucune réponse. De retour à l'intérieur, il prête plus d'attention aux détails, et c'est là qu'il remarque que le chaudron ainsi qu'un grand nombre d'ustensiles ont disparu.
Tout est clair maintenant dans l'esprit d'Aleck. Cuisto est partit.

Au village, la vie continue comme avant, mais personne ne revît jamais l'Ami Cuisto.
Jouteurs
05/09/2003 18:16


Texte D : L’aile ou la cuisse

Cette fois, il en avait assez. C’était la fois de trop.

Depuis sa naissance, c’était toujours comme çà. Pourquoi était-ce systématiquement à son frère aîné, l’Héritier du Royaume, que l’on posait immanquablement la question : « L’aile ou la cuisse ? » Forcément, l’autre répondait invariablement : « La cuisse, bien sûr ! » Bien sûr ! L’expression le rendait fou. Plus de vint ans maintenant qu’il entendait cette réponse récurrente : « Bien sûr ! » Forcément après, il n’avait plus le choix, lui : toujours l’aile ! Ce morceau rachitique où la peau rivalisait avec l’os, où l’on pouvait toujours chercher la chair, en bref où il n’y avait rien à manger. Et, dans ce Royaume, où cette volaille constituait la nourriture de base, à chaque repas, jamais de surprise : il avait le « droit » à l’aile.

Et si ce régime avait admirablement profité à son aîné, lui, par contre, n’avait guère grandi, guère forci.

Et c’est comme çà que, malgré son âge, on lui donnait toujours une douzaine d’années. Lui, qui était le second fils du Roi ! Autant son frère était grand et fort, autant lui était fragile. Autant l’autre avait de la prestance, autant lui paraissait terne. Autant l’autre était toujours en bonne santé, autant lui était maladif. Et le pire était que ces comparaisons, même le petit peuple les faisait ! Quand il quittait le château pour descendre au village, il entendait bien les railleries derrière son dos. Il soupçonnait même que les vilains l’appelaient « poulet ». Quelle honte !

Il faut dire que sa mère l’avait surnommé « poussin » à la naissance. Cela n’arrangeait pas les choses. Et le pire était qu’elle continuait. « Poussin ! », par ci, « Poussin ! » par là ! C’en était trop ! Si un jour son père, puis son frère, venaient à mourir, ce serait lui le Roi ! Le Roi !

L’autre fois, une délégation d’elfes était venue rendre visite au Roi, son père. Il traversait le Grand Hall pour les accueillir aux côtés de son père. Quelle magnificence, ces elfes ! Un port altier, des visages nobles, une aura de magie telle qu’elle semblait presque pouvoir être touchée. Il allait les saluer, comme tout descendant du Roi se doit de le faire. Et ne voilà-t-il pas que son abruti de frère rentrant de la chasse, suant, puant, arriva. En plus, il avait dû boire : il sentait la vinasse ! Il les salua d’une manière à peine décente. Et ces stupides elfes lui firent en retour une révérence digne d’un roi ! Lui, forcément troublé par ces échanges de politesse, se vautra dans son salut, et finit allongé au pieds de la délégation, déclenchant les rires unanimes de tous. « Quel formidable bouffon vous avez là, messire Prince ! Un jeune oisillon, juste né, n’aurait pu réussir pareille prouesse ! » Tentant de réfréner ces larmes de honte, il se précipita dans sa chambre, pour n’en ressortir qu’une fois la délégation elfique repartie.

Il les haïssait, ces elfes dédaigneux et moqueurs ! Ils se moquaient de tout, ne respectaient rien, du haut de leur morgue pleine de magie.

Un autre jour, c’étaient des nains qui étaient venus à l’occasion de l’anniversaire de son père. Il avait toujours eu de l’admiration pour eux : habiles artisans, fiers guerriers. Il se sentait même assez proche d’eux : eux aussi subissaient les quolibets du bas peuple ! Il faut dire qu’avec leur taille d’un mètre, pour une circonférence équivalente, il y avait de quoi ! Mais leur travail du métal était sans égal. Et leur rage au combat les avait conduit naturellement à devenir des alliés importants. Comme la coutume le voulait, ils avaient apporté des cadeaux non seulement au Roi, mais aussi à ses fils. A son père, ils offrirent une magnifique armure de mithril : « Elle détournera de vous, Roi, les lames les plus traîtres ! ». A son frère, une splendide épée à double tranchant, enchâssée de rubis et de diamants : « Elle vous aidera à maintenir la paix dans tout le royaume, Prince ! ». Et à lui, un coquettier métallique : « Les œufs, c’est bon pour la croissance : elles t’aideront à déployer tes ailes ! » Il était devenu rouge de honte. Quel affront ! Il s’était réfugié dans sa chambre, une fois de plus, les rires l’accompagnant dans sa fuite.

Ces nains, quelles créatures exécrables ! Des nabots, aussi larges que haut ! Leur langue, leur barbe les faisaient ressembler à des porcs vautrés dans leur fange. Il les haïssait !

Puis, à l’occasion de la signature d’un traité d’alliance avec le royaume gnome voisin, le Roi, l’Héritier, lui et la cour s’étaient déplacés dans la capitale gnome. Une ville bien étrange, chatoyante, piaillante, pleine de vie. La réputation des gnomes n’étaient plus à faire : habiles illusionnistes, ils maniaient également l’aiguille divinement bien, et confectionnaient des habits extraordinaires. Bien sûr, ils n’étaient pas très beaux, mais avaient le verbe haut. Après la signature du traité, l’échange habituel de cadeaux avait eu lieu. Au Seigneur Gnome, avait été remis une magnifique selle, comme seul les artisans du Royaume savent les travailler. Ses enfants (nombreux !) avaient été également bien soignés. Puis vint leur tour de recevoir des présents. A son père, une chasuble en soie ornée des couleurs des deux nations. A son frère, un habit de chasse particulièrement ingénieux, doté de nombreuses poches, aux couleurs changeantes. Ce fut ensuite à lui. Il essaya l’habit de cour. Bah, il était un peu grand, mais qu’importait il lui plaisait, et il en était même fier ! « Eh bien, jeune coq ! Reste plus qu’à vous remplumer un peu ! » Le ciel lui tomba sur la tête, et il n’avait même pas sa chambre pour s’y réfugier ! Il se précipita dehors, laissant derrière lui les sarcasmes.

Sales gnomes ! Avec leur nez bouffi, leur humour à quatre sous, et leurs aiguilles … Qu’ils se piquent avec jusqu’à l’os avec, et que leur sang n’arrêtent pas de couler !

« L’aile ou la cuisse ? La cuisse, bien sûr ! ». Tout était dit dans ce simple échange !

Des complots, il en avait fomenté des monceaux, tous plus compliqués et alambiqués les uns que les autres. Il avait rêvé d’accidents de chasse : son frère, à l’occasion d’une battue, n’aurait pas vu une branche et se serait ouvert mortellement le front. Ou encore de sombre poison, dont la fameuse cuisse aurait été enduite, et qui aurait conduit l’Héritier à la mort dans d’affreuses convulsions. Voire même d’une révolte de ces stupides volatiles, qui se seraient soudainement soulevés contre les massacres des leurs, et auraient lutté pour éviter le couteau du boucher. Tout lui était passé par la tête. Et il s’était vu, lui, répondre à la fameuse question : « L’aile ou la cuisse ? », « La cuisse, bien sûr ! ».

Mais, pour faire un complot, il faut des comploteurs, et il était désespérément seul. Personne avec qui partager ses visions, ses stratagèmes.

Il avait bien essayé d’aller voir les volailles, et de les rallier. Mais ses tentatives étaient restées sans suite : elles ne lui avaient même pas répondu. Quelqu’un qui passait par là lui avait même lancé : « Alors, on est bien chez les siens ? », avant de s’enfuir sans qu’il ait pu voir qui c’était.

Un soir, il s’était rendu chez un vieux rebouteux de mauvaise réputation, un sorcier disait-on même. Son but était qu’un mauvais sort soit lancé à son frère, afin que celui-ci perde ses dents et soit à l’avenir incapable de manger de la viande, et réduit à se nourrir de soupe. Lorsqu’il lui avait fait part de son projet, l’autre avait éclaté d’un rire sardonique et méchant : « Un poussin, qui se veut se lancer dans la magie noire ? ! Autant l’envoyer chasser le renard ! » Il avait fui de honte.

Mais, cette fois, il en avait assez. C’avait été la fois de trop.

Lorsque la question rituelle et tant exécrée fut posée à son frère, que, comme à l’accoutumée, celui-ci répondit « La cuisse, bien sûr ! », et qu’on lui tendit le plat avec comme unique vestige l’aile qu’il en était venue à haïr, il répondit :

« Non merci, je n’ai pas faim ! »

Et, le griffon, qu’il était, étendit ses ailes et, une fois de plus, s’enfuit.
Neojah
14/09/2003 17:35
Ménestrel bibliophage

Cette joute étant cloturée, vous pouvez désormais voter : L'aile ou la cuisse

*mode star academy© on*
Si vous voulez que le texte A soit déclaré vainqueur, tapez A
Si vous voulez que le texte B soit déclaré vainqueur, tapez B
Si vous voulez que le texte C soit déclaré vainqueur, tapez C
Et si vous n'avez toujours pas compris depuis le début de l'émission, tapez D pour le texte D
*mode star academy© off*

Le nombre des textes étant assez peu élevé, je reprend la proposition qu'avait faite Dom je crois (si c'est DL, ça va être ma fête ), c'est à dire d'attribuer 5 pts à chaque jouteur.

*mode nice people© on*
Si vous voulez que cette proposition soit validée, tapez 1
Si vous voulez que cette proposition soit refusée, tapez 2
*mode nice people© off*

PS : je crois que j'ai choppé le toc des animateurs télé : le realtivus abrutissimus : AAAAARRRGGGHH !!!
Feldwyn
14/09/2003 21:01
Un coup d'oeil... de temps en temps

lol neo

Cool, d'autres compo à lire

On a jusqu'à quand pour voter? Parce que là je vais avoir une semaine torride
DonLope
15/09/2003 09:18
<i>Doyen Ménestrel</i><br><br>

si c'est DL, ça va être ma fête

Même pas le courage le Lundi matin mais tu ne perds rien pour attendre
JustBob
15/09/2003 12:50
Joyeux Barbare

Arf ! Dommage qu'il n'y ait pas eu plus de textes !

JustBob

PS : voilà ! a voté !
Dom
17/09/2003 08:03
Ménestrels et cochons: tout y est bon !

Allez ! Je le fais remonter afin d'éviter que cette joute ne tombe dans les profondeurs du forum, et que seulement 3 personnes votent.
JustBob
17/09/2003 13:43
Joyeux Barbare

Dom a raison ! Faut voter !

Sinon quelques critiques :

A : texte long sur un thème classique (le maître et l'élève) mais abordé d'une façon intéressante. J'aime beaucoup ce texte même s'il manque d'action. Il y a une atmosphère sombre et un sujet difficile à aborder qui change des textes habituels. Je le trouve bien construit et la fin est bien réussie à mon avis. Un exercice difficile et ambitieux. L'écriture est peut-être un peu approximative par moments. Un style très narratif (beaucoup de passés simples) qui peut fatiguer, et est long. Peut-être trop long.

B : J'aime beaucoup ce texte (j'avais eu une idée très proche de celle-ci). L'écriture est simple et efficace. Il est bien proportionné, bien construit, de la bonne longueur. Même si je me suis assez rapidement douté de la fin, je trouve qu'elle est bien amenée. Nan, vraiment, j'ai peu de critiques à faire. ce texte est très bien travaillé. Le seul reproche est peut-être le scénario, mais bon ce n'est pas bien grave.

C : Une oeuvre de Ménestrel sans aucuns doutes ! Très belle écriture, très agréable à lire, une ambiance champêtre très sympathique. Une atmosphère de conte ou de fable comme je les aime. Un très bon suspens et un mystère qui monte au fur et à mesure. MAIS une fin très décevante ! J'ai vraiment été déçu et je me suis dit "tout ça pour ça ?". C'est vrai que ça colle bien à l'ambiance mais tout au long du texte je m'attendais à quelque chose de plus... comment dire... bouleversant ? Mais sinon c'est vraiment du costaud.

D : Texte que j'ai trouvé un peu décevant à la première lecture mais qui prend toute sa saveur à la deuxième. Il est bien construit aussi (même si on peut reprocher quelques longueurs vers le milieu), l'écriture est agréable, l'état d'esprit du personnage est très bien rendu et on se met facilement à sa place, on rigole de ses "énervements". Il faut absolument relire ce texte une deuxième fois même s'il subsiste quelques incohérences : autant je veux bien imaginer un griffon avec une armure ou un habit de chasse mais offrir une épée ou, pire, une selle (et là c'est limite insultant, je dirai pour le roi des Griffons)??? Mon imagination ne va pas jusque là ! A moins que je n'ai louper quelque chose...

Voilà ! En conclusion, il n'y a que quatre textes mais je les trouve tous intéressants et de bonne qualité (je dirai même d'une qualité supérieure à la moyenne des autres joutes, mais cela n'engage que moi). Et décidemment l'auto-critique n'est pas chose facile.

JustBob
Feldwyn
19/09/2003 18:14
Un coup d'oeil... de temps en temps

Hello;

Honte à moi, je n'ai pas écrit de texte, alors j'estime que je me dois de vous faire des commentaires sur les textes. Je vous dois bien ça, puisque vous au moins vous avez pondu quelque chose.

Tout d'abord, je tiens à dire que mes critiques ne sont pas méchantes, et j'espère que vous ne les prendrez pas mal. Ne vous offusquez pas quand je parle d'orthographe, je suis hyper chiante sur ce point (si, si, je le reconnais).

Ensuite, je dois dire que j'ai été épatée: vous avez réussi de véritables prouesses, compte tenu de la débilité profonde du sujet (pardon à l'auteur de ce sujet ), et la qualité des textes est encore supérieure à celle de la joute précédente

Texte A: Les plus --> Le scénario, le rythme, le style. Le rite initiatique qui passe par la mutilation m'a rappelé un peu La Caste des Méta-Barons (pour les amateurs de BD), et c'est un compliment que je fais. Le style de l'écriture est agréable et fluide. Ce texte a provoqué chez moi une vraie émotion, donc chapeau bas l'artiste .
Les moins --> Quelques fautes d'orthographe (je sais que je suis chiante sur ce point, donc que l'auteur ne se vexe pas ), et un petit problème parfois d'utilisation des temps: les passages du présent au passé puis à nouveau au présent ne sont pas toujours très cohérents, mais ça ne gêne pas la fluidité du style.

Texte B: Les plus --> L'ambiance, le rythme, le style. J'avais la banane en lisant ce texte . Le style est simple, clair et efficace. Le rythme ne connaît pas de temps mort ni de précipitation: c'est bien ficelé.
Les moins --> Le scénario n'est pas super profond, mais ce manque est compensé par l'humour. Très peu de fautes d'orthographe.

Texte C: Les plus --> L'ambiance, la psychologie des personnages. Le monde est immersif: en lisant, je voyais défiler les scènes et les décors, et ça c'est bien (et difficile à faire, donc plus plus plus). Le style me plaît: des phrases courtes, simples et claires.
Les moins --> Pour moi (j'insiste là-dessus: ce n'est que mon avis personnel), le scénario commence vraiment à partir du moment où les enfants viennent manger: ce qu'il y a avant, personnellement je l'aurais zappé. C'est dommage, ça donne un rythme en deux temps. L'orthographe est ok, mais il y a par-ci par-là quelques défauts de concordance des temps et quelques problèmes d'accords (genre et nombre), mais rien de bien méchant.

Texte D: Les plus --> Le style, l'ambiance, l'imagination. J'ai bien aimé cette ambiance un peu D&D. J'ai trouvé le personnage principal attachant (le pauvre, il donne envie qu'on le câline ). J'ai bien aimé aussi la nuance d'humour qui se dessine dans ce texte. A mes yeux, c'est ce texte qui a le meilleur style littéraire.
Les moins --> J'ai été déçue par la fin Le scénario manque peut-être un peu d'épaisseur, cependant on passe quand même un moment agréable à lire ce texte.

Voili voilou.

*A voté*

Feldwyn.
Aramina
20/09/2003 18:31
Jamais Contente !

Bon, je me lance pour les commentaires :

Texte A : A peu pres l'inverse de JustBob ;p J'aime bien ces textes plus de reflexions, de souvenir que de reelle action. Si on ne le lit pas a toute vitesse pour savoir comment le héro va s'en sortir, il en ressort d'apres moi quelque chose de plus profond, un personnage beaucoup plus poussé. Du coup je ne le trouve pas trop long moi. Par contre j'ai été un peu déçue par la fin. Je prefere de loin les textes qui poussent a reflechir. Ici le héro devient gentil ou raisonnable comme vous voulez. Si le héro avait reproduit l'histoire il y aurait eu une dimension de plus, et peut etre une recherche de la part des lecteurs de la signification de ce geste. L'humanité qui reproduit ses erreurs (horreurs?) la psychologie de l'homme qui le pousse a un besoin de vengeance meme inutile, ou peut etre le perso qui prends conscience de ce que ces mutilations on fait de lui...

Texte B : Sympa. Le seul "hic" que je lui trouve est le scénario un peu léger. Je l'aurais préféré sur un théme plus comique en fait ou le héro aurait pu vouloir vraiment une succube à la base. Une inversion aile de chauve souris/grenouille aurait pu lui donner une demoiselle au physique beaucoup moins...agreable (mais cela vient surement du fait que je n'arrive pas a m'enlever l'image d'une succube orc aux yeux globuleux)

Texte C : Au niveau technique il n'y a rien a redire. Le scénario ne me gène pas non plus, même le début ne me semble pas superflu. Au contraire je trouve qu'il entre parfaitement dans ce genre de récit. Le seul point négatif est que je n'aime pas du tout ce style désolée, donc j'ai eu un peu de mal a le lire plusieurs fois (j'essaye de tous les lire 2 ou 3 fois avec plusieurs jours entre, histoire de prendre un peu de recul). Je rappelle en passant que je fais partie de la minorité qui n'aime pas du tout (mais alors vraiment pas) le style de Tolkien... Donc qui que soit l'auteur, ne le prends pas mal c'est vraiment une histoire de gout

Texte D : Sur celui ci je confirme ce que dit JustBob, il faut le lire au moins deux fois. La premiere fois j'ai été un peu déroutée par "l'illogisme" du texte. Que sur tout un poulet un ne puisse pas nourir un roi et ses deux fils (et qu'il n'y ai qu'un poulet...) et les libertés des autres peuples envers ce fils (ou le mépris est clair et assumé), bref tout ca ne me paraissait pas credible. Mais a la deuxieme lecture on se détache un peu de tout cela (apres tout il suffit de lire du Vian pour se dire que la logique d'un monde dépends de comment les personnages vivent dans ce monde, et non pas de ses similitudes avec le notre). Le texte prends alors plus de profondeur (et je me suis surprise a ricaner, j'avoue, honte sur moi meme). Du coup la fin que j'avais trouvé décevante a la premiere lecture me plait maintenant. Apres tout dans un univers aussi décalé, pourquoi faire une fin traditionnelle ou le pauvre enfant brimé se transforme en héro courageux ?

En conclusion, cela fait plaisir, les textes sont toujours de qualités Félicitations aux jouteurs.
Aramina
Zacharias
24/09/2003 11:13
Ménestrogier

Bon a mon tour pour mes commentaires (je ne pensais pas avoir le temps de le faire avant les resultats)

texte a : Une histoire sombre dans un univers sombre ecrit de facon sombre donc tout est compatible. J ai bien aime l histoire et on a pas de mal a se mettre dans la peau du personnage (ca doit faire mal de se faire trancher un doigt). Les personnages sont vivants.
Ce qui me gene le plus est l utilisation massive du passe simple alors que l imparfait aurait rendu le texte plus fluide (ca ma souvent stoppe dans ma lecture et c est dommage)
Moi aussi un peu decu par la fin car je me demande ou il a apprit la compassion. Comme Aramina j aurais plus vu une fin ou le hero reproduit l histoire.

texte b : l idee est bonne mais pas assez developee a mon gout.les personnages n ont pas de volume ce qui fait qu on lit l histoire sans rentrer dedans. Je pense qu il aurait fallut insister sur l ambiance du reve et la peur de l'archimage que l on ressent peu. Un recit plus detaille aurait certainement donne une autre dimension au texte.

texte c : bonne ambiance, des personnages vivants. je pense que le debut n est pas superflu car il permet de planter le decort.
La fin aurait peut etre meritee d etre plus surprenante mais celle ci passe quand meme

texte d : Comme les copains, je dit qu il faut lire le texte 2 fois pour l apprecier entierement. A la deuxieme lecture, on voit les indices laisse par l auteur nous permettant de savoir que ce n est pas un homme.
Je pense que ce texte aurait merite d etre ecrit au "je" ca aurait donne plus de presence au personnage principal et de ce fait le recit plus emouvant.

Encore felicitations a tous j ai pris un grand plaisir a vous lire.
Zacharias
25/09/2003 12:29
Ménestrogier

je vois que la 4eme joute est deja en route mais qu en est il de "l aile ou la cuisse" ?
Neojah
25/09/2003 13:43
Ménestrel bibliophage

Ben, j'attend le classement de Moridin (Moridin, si tu m'entends ... ). J'espère que les résultats seront donnés le plus rapidement possible.
Moridin
01/10/2003 21:22
Jury

Euh oui oui pardon. (et dsl pour le role-play là ) J'étais un peu busy ... (désolé encore pour ceux qui lisent que le français. De toute façon ceux là ne me connaissent pas A part ... tiens je vais lancer ça ailleurs)
Dom
13/10/2003 15:12
Ménestrels et cochons: tout y est bon !

J'ai beaucoup aimé tous les textes, et tous les commentaires, que j'ai trouvés très constructifs.

Sur le mien (le D), je suis d'accord avec Zac': il aurait mérité d'être écrit à la première personne (c'est d'ailleurs ce que j'avais commené à faire), mais je ne voyais pas comment envoyer la fin.

A Felwyn: je crois qu'avant de découvrir d'autres auteurs que Tolkien ou Leiber, mon univers fantasy a surtout été "formaté" par ADD. Et toutes mes découvertes littéraires après n'ont rien changé à cela. Donc je revendique cette référence que je couplerais avec Rêve de Dragon, le deuxième jeu de rôles auquel j'ai joué.

Je me suis rendu compte après coup qu'effectivement c'était à la deuxième lecture que les malheurs de mon "héros" prenaient plus de sens. Merci d'avoir pris le temps de le relire.

Enfin j'avais envie de me "lâcher", de quitter toute logique, et aussi d'être un peu "sadique" avec ce personnage, dont je n'avais pas envie qu'il sorte "grandi" de l'histoire. J'ai beaucoup ri (et ricané) en décrivant ses malheurs, en imaginant comment le rendre ridicule. Bref, un texte exutoire peut-être ?

Merci pour vos commentaires.

Zacharias
13/10/2003 15:57
Ménestrogier

Tu fais une p'tite erreur Dom le c c est le miens toit tu as ecrit le D me semble t il
Dom
13/10/2003 16:39
Ménestrels et cochons: tout y est bon !

Hum ... désolé. Je modifie mon post.
Feldwyn
13/10/2003 21:45
Un coup d'oeil... de temps en temps

Euh... je crois que tu me confonds avec Aramina: c'est elle qui a parlé de Tolkien
Dom
14/10/2003 11:14
Ménestrels et cochons: tout y est bon !

Certes, mais tu parlais de ce que l'on qualifiera dambiance D&D ...
Feldwyn
14/10/2003 13:46
Un coup d'oeil... de temps en temps

Ah oui pardon, je pensais que ton texte était le C
Zacharias
14/10/2003 13:49
Ménestrogier

Le texte C c est moi
et ca ma fait plaisir que mon style ait ete compare a celui de Tolkien
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