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Joute n°44
Joute 44 Texte A : Régénération
Le 29/04/2020 par Sordon non favori



L’homme affronte ce regard lourd qui accable tout son être.
Une sinistre présence sourde des lieux.
D’une sombre silhouette sise sur un monstrueux trône d’ossements émane une écrasante pression qui oppresse la pathétique créature.
L’espace laissé au haut de l’escalier qui parachève la majestueuse ossature des lieux contient le sinistre assemblage d’os et de tendons qui sert d’écrin au monarque millénaire.
La sensation de mort, instaurée par la crasse et la poussière centenaire est aggravée par les lamentables lambeaux de lourdes draperies, jadis bordeaux et lie mais désormais noircis de suie et de moisissures, qui tapisses murs et galeries

Un imperceptible mouvement fixe les orbites vides de l’ancien monarque sur cet être de chair et de sang qui se tient devant lui.
Tandis que la misérable créature manque de passer de vie à trépas tant sa peur étreint ses entrailles, un cliquetis retenti et résonne lorsque le bracelet d’or orné, dérangé pour la première fois depuis des siècles se repositionne sur le radius d’un blanc laiteux, rendu presque lunaire par la luminescence spectrales de torches qui ponctue l’obscurité de quelques flaques de lumières tremblotantes.
Ici et là, entre de gigantesques colonnes qui soutiennent le haut plafond de la nef gothique les restes des richesses du temps jadis renvoient quelques éclats mystérieux qui subliment l’ambiance morbide.

Le bras décharné du monarque, se tient désormais à l’horizontale, pointé droit devant lui.
Sans qu’un seul mot ne soit prononcé, lentement mais inexorablement, des créatures sortent des ombres et s’amassent derrière l’homme.
Ce dernier, pétrifié, se remémore les circonstances qui l’ont poussé à se trouver en ces lieux en cet instant.

Hiver 917 CR [calendrier du renouveau] – Quelque part dans les montagnes Irganes

L’homme nommé Rictus par ses compagnons tente de conserver un semblant d’espoir.
Affichant la mine qui lui valut son surnom, le sergent pose un pied devant l’autre.
Le cheminement est difficile dans cette neige qui colle aux jambes.
Quand ce n’est pas un brouillard à vous geler les os, c’est un blizzard mordant qui vous assaille et quand, miracle, les éléments cessent de se déchainer, la luminosité réverbérée par la neige immaculée vous brule la rétine.
Les quelques rares lames de granites et d’ardoise qui saillent de la neige ne servent qu’à vous empêtrer les pieds où finir de déchirer ce que la tempête n’avait pas lacéré.
A ses côté, le jeunot progresse péniblement. Sa blessure s’aggrave. La seule raison pour laquelle la gangrène ne s’est pas encore établie, est que le gel des chaires meurtries empêche la pourriture de prendre. Son bras est ruiné, Rictus le sait bien, mais il se garde bien de faire le moindre commentaire.
Le jeunot n’est pas stupide, mais il a décidé consciemment de s’aveugler et de garder ce fol espoir que peut-être tout s’arrangera.
Depuis l’escarmouche, surtout depuis la mort du médecin du bataillon, une atmosphère morose flotte parmi les hommes. Le sergent en est bien trop conscient pour prononcer quelque parole susceptible de plomber un tant soit peu plus l’ambiance.
Cela fait une semaine que les cinquante hommes pataugent dans une neige de plus en plus épaisse. Avec la peur de perdre leur avance sur les éclaireurs impériaux comme seule motivation pour continuer.

Sans être désespérée, la situation n’est pas non plus des plus enviables. Isolés derrière les lignes ennemies, à environ deux-cent kilomètres du front, traqués par la garnison locale, le bataillon poursuit l’objectif chimérique de retrouver les vestiges de l’ancienne civilisation.
Tentative désespérée de l’état-major républicain pour renverser le cours de la guerre contre l’empire d’orient.
La trouille au ventre, privé de médecins et de ravitaillements, le lieutenant compte désormais sur les éléments déchainés et l’improbabilité de leur cheminement pour échapper à l’ennemi.
Le seul relâchement de tension s’est produit lors du franchissement du premier col, trop altitudinal pour les biplans impériaux. Toutefois ils ne sont que trop conscient de la présence de leurs poursuivants.

Profitant d’une relative accalmie et d’un renfoncement dans les parois de roc gelé, le Lieutenant, Casimir Ibrahimovick, ordonne une halte.
La force de l’habitude prenant le pas sur la morosité ambiante, le bivouac est rapidement établi. Ibrahimovick organise promptement la garde puis convoque ses sergents.
Il leur expose la situation à venir.
Au fil de l’énoncé, les mines moroses affichées par les briscards, virent au faciès crispés.
Le prochain col s’annonce particulièrement rude, impraticable pour les traineaux. Ce qui implique de se séparer de tout équipement non-indispensable.
A savoir : Armes, munition, tentes lourdes, radio, en fait quasiment tout ce qui la troupe possède. Seule la nourriture, le gaz et quelques armes légères seront conservées.
Coincée en territoire ennemis, privé de la plupart de ses ressources dans un climat hautement hostile, la vie des soldats va devenir vraiment rude.
Le lieutenant conclut en donnant l’ordre à ses sergents d’inventer une histoire de contact radio avec l’état-major susceptible de soutenir le moral des troupes.

Rictus et le sergent Alex déballent la radio. Pendant qu’Alex s’échine avec la dynamo, Rictus s’affaire sur les boutons.
Evidemment, au sein même de la tempête et à grande distance, il serait chimérique d’essayer de joindre les troupes alliées, mais tant qu’à faire semblant, autant intercepter une communication impériale.
Toutefois, des ondes, seul le bruit blanc et de l’environnement, seul le bruit du blanc ne se font entendre.
Tout en simulant un décodage, il tente de converser avec un Alex essoufflé, mais impossible de communiquer au milieu des rafales de vent chargées de plus en plus de rasoirs de glace.

Hiver 917 CR – Quelque part sous le plateau d’Empirion.

Un abime de ténèbres infinies, omniprésentes et oppressantes. La conscience immergée flotte et s’égare. Il n’y a pas de notion de temps en ces lieux.
Toutefois, la conscience existe et s’auto définit : « Je suis_ »
Avec l’existence, revient la souffrance : Une ligne infinie d’une nitescente insoutenable et cependant toute aussi obscure que son environnement.
Faute de pouvoir faire autre chose, la conscience observe cette souffrance, la fixe intensément, s’y accroche de toute son existence et l’absorbe.
Inexplicablement, son regard semble se porter depuis un « ailleurs », externe aux ténèbres environnantes.
Pourtant, sa vision fait partie de ces ténèbres, non, l’être EST les ténèbres et le trait en fusion son agonie.
Une sphère immatérielle, d’un éclat semblable à celui de l’axe, parcourt ce dernier. Parfaitement silencieuse la géométrie nouvelle induit le mouvement. Au même moment, un son lancinant, pur, omniprésent et insondable nait de l’environnement.
La sphère atteint l’extrémité de l’infinité. Elle y rebondi, toujours aussi silencieuse, glissant tout en propageant des ondes de souffrances.
La conscience s’affermit, se baigne dans le supplice infligé par la sphère, vibre de toute son existence en résonance au son et aux ondes.
Elle suit du regard l’avance de la sphère. Celle-ci provoque une cascade d’évènement au sein de l’entité qui désormais existe en tant que : « Moi. »
Le moi est désormais capable de se dissocier du néant, porté par l’indéfinissable souffrance.
La sphère atteint à nouveau l’extrémité de l’infini, rebondit pour repartir d’où elle vient.
L’entité glisse.
Elle tente de se raccrocher à la sphère.
Plus elle se démène, plus le néant se délite. Elle tombe, ailleurs. Dérive au sein de sa propre conscience. Puis enfin, forgée à l’aune de sa propre souffrance, s’éveille.

L’obscurité règne autour de l’être.
Pas les ténèbres de l’autre lieu, la simple absence de lumière. Hébétée, la créature reste immobile repliée en elle-même. Elle se sent mal.
Pas la souffrance de l'autre temps, un simple mal de chair. Elle tente de vomir, mais rien ne se passe.
Un long moment, semblable à l’éternité lui est nécessaire pour s’ouvrir à ses sens. Ce n’est plus le néant qui l’entoure. Il fait noir, froid, le silence règne et pas un souffle d’air n’agite l’environnement. Toutefois, l’environnement existe et l’être en a conscience.
Avec cette conscience vient également la conscience de son propre corps et par la même, apparait également une sensation de perte terrible.
Agacée, elle ne parvient toutefois pas à mettre le doigt sur ce que cela peut bien être.
Et puis soudain, sans raison apparente, le souvenir du néant lui revient. Et avec la mémoire du néant, « tout » lui revient…

Alors elle hurle :

Un hurlement sinistre, l’incarnation même du désespoir.
Tout le pouvoir de l’être millénaire est infusé dans ce cri. Des lézardes se forment dans les parois de la grotte, tandis qu’une formidable énergie se propage le long du tissu de la réalité.

Hiver 917 CR – Montagnes Irgannes, milieu d’une paroi rocheuse.

Les hommes souffrent. Impossible d’avancer sur ces parois de granite avec les gants. Impossible également dans ce froid de conserver ses doigts sans les gants.
La montagne prend son tribut aux pathétiques créatures qui osent la braver.
Telle une déesse implacable, elle les toise de toute sa grandeur. Sa masse imposante se faisant ressentir malgré l’univers restreint à un cocon tissé de fils d’air glacé et de cristaux de glaces vibrionnants.
Le gel s’insinue partout. Il s’engouffre sous les vêtements à l’occasion d’une bourrasque traitresse. Il remonte le long de des membres depuis leurs extrémités glacées. Il cingle les visages et mord le moindre centimètre carré de peau non protégée.
Cela fait à peine deux heures que la troupe a entrepris l’escalade. L’impression ressentie par Rictus s’apparente pourtant bien plus à une éternité de souffrance qu’a une progression de quelques centaines de mètres à peine.
Le vieux sergent de toute la hauteur de son improbable optimisme trouve toutefois une bonne nouvelle :
Les conditions météo sont si exécrables que la zone de bivouac n’est déjà plus visible. Aucunes chances donc que les éclaireurs impériaux ne les repèrent. Ni aucune chance non plus qu’ils trouvent la cache d’équipement, dissimulée sous un épais manteau de neige.
Toutefois, il existe également une mauvaise nouvelle :
Les conditions météo sont exécrables.
L’enfer blanc se déchaine tout autour des hommes. Les corniches polies par les incessantes bourrasques seraient absolument impraticables sans les crampons. Privés depuis l’escarmouche de la plupart des piolets, les hommes du bataillon, encordés par cinq ou six, tentent de s’accrocher aux rares prises qu’ils trouvent.
L’escalade est rude. Les sensations anesthésiées par le gel ne permettent pas aux hommes de s’assurer des prises. Gênée par leurs épais vêtements la progression des soldats se fait millimètres par millimètres.

Privé de son bras droit, le jeunot peine.
Le bataillon n’abandonne personne, c’est la règle. Pourtant le lieutenant doit prendre une décision : Il est déjà quasiment impossible d’avancer pour un homme valide, alors un blessé n’a quasiment aucune chance de survivre à cette escalade.
Incapable de penser correctement dans ce froid, aux prises avec sa propre survie, Ibrahimovick ne parvient pas à résoudre son dilemme.
L’impulsion délivrante provient du principal concerné. Epuisé et conscient qu’il ne pourra jamais survivre au col, Le Jeunot propose de redescendre, de tenir le bivouac aussi longtemps que possible faces aux forces impériales. De les retarder aussi longtemps que possible pour laisser une chance aux autres de s’échapper.
L’idée plait au lieutenant. D’autant qu’un petit commando aurait une petite chance de pouvoir tirer profit des conditions climatique pour priver l’adversaire de l’avantage de leur nombre.
Rictus se porte volontaire pour accompagner son gars.
Après un bref conciliabule, lancé à force de cris à la face du vent, à plus de cents mètres au beau milieu d’une tempête, collé contre une paroi de pierre gelée toute l’escouade de Rictus prend le chemin du retour.

Malgré le rendez-vous fixé de l’autre côté des montagnes, personne n’est dupe : Rictus et ses gars vont au-devant de la mort…
C’est dans un silence morose, entrecoupé des gémissements du vent qu’Ibrahimovick et ses hommes reprennent l’ascension.
Grace au rappel, Rictus et son détachement atteigne relativement rapidement le pied de la falaise. Ils entreprennent de rejoindre la zone du bivouac.

La secousse les fait chanceler.
Tout autour d’eux, s’abattent blocs de glaces, neige et pierres descellées.
Trop occupé à s’abriter contre la paroi comme ils le peuvent, ils n’ont guère loisirs de s’inquiéter pour leurs camarades restés là-haut, accrochés à la falaise mouvante.
Ebranlé par l’évènement Rictus ne réalise pas tout de suite la présence de l’avalanche sur le versant opposé de la vallée. C’est uniquement lorsque le Jeunot crie : « courrez ! » qu’il prend conscience de la masse de neige et de glace qui se précipite à leur rencontre à toute vitesse. Oubliant absolument toutes ses responsabilités et ses hommes, il décanille pathétiquement usant de toutes ses forces, luttant contre l’épaisse couche de neige qui le fait trébucher.
A une petite centaine de mètres devant lui, l’affleurement rocheux qui masquait leur ancien bivouac le contemple d’un air narquois, semblant lui susurrer à l’oreille : « C’est trop tard ! Tu ne vas pas y arriver mon gars ! » Redoublant d’effort il fend la neige en direction du relatif abri que la roche semble lui refuser. Rapidement, ses hommes, aidés par sa trace, le rejoignent. Et miraculeusement, quelques secondes avant que s’abatte la déferlante, le petit groupe trouve refuge derrière le granite qui désormais fait rempart à la neige tonitruante.
Priant pour que l’avalanche ne surpasse pas l’éperon, Rictus et ses hommes se blottissent au si loin que possible du flux déferlant.
Lorsque le calme retombe, les oreilles assourdies, Rictus se demande quel peut bien être ce rythme effréné qui lui emplit l’esprit. Il lui faut quelques secondes pour réaliser que c’est son propre battement de cœur. Soudainement privé de l’adrénaline, il s’effondre, épuisé, contre le granite glacé. Lorsqu’il rouvre les yeux, le lieu du campement est transfiguré.

La coulée recouvre la plupart de la zone. Une grande crevasse s’ouvre désormais au fond de l’enclave. Imposant sa présence béante aux petits humains qui remercient tous leurs dieux et même les autres pour leur survie.
Harassé, le sergent reprend ses esprits. S’ils ne veulent pas mourir de froids, ils doivent bouger ou s’abriter. Dans l’immédiat les tentes et le matériel étant toujours ensevelis, heureusement à l’écart de la coulée, Rictus ordonne à son peloton de s’abriter dans la crevasse. Celle-ci est en effet suffisamment grande pour accueillir une dizaine d’hommes.
A l’intérieur, la chaleur ne remonte pas, mais l’absence de vent est un réel soulagement.

Hiver 917 CR – Quelque part sous le plateau d’Empirion.

Les derniers échos du cri se répercutent au loin puis s’estompent laissant le silence reprendre possession des lieux.
La solitude assaille le monarque millénaire, lui tord les entrailles. Le poids de l’éternité s’abat sur ses épaules et l’écrase. Ni la peur ou la tristesse ne l’atteigne, c’est un désespoir indescriptible qui l’étreint.
Assis sur son trône d’ossement, il se souvient :
Il avait tout : Richesses, puissance et savoir.
Tout ce qu’il était humainement possible de posséder était en sa possession.
Au fil de son existence de mortel, emporté par son insatiable soif de savoir et de pouvoir, l’homme était devenu un dieu.
Issus d’une famille aristocratique il avait eu accès aux meilleures écoles. Sa fierté personnelle l’empêchant d’être moins que le meilleur, il enchainait études, entrainement physique et réflexions socio-philosophiques. Tout ce qui pouvait le rendre meilleur était consumé par sa faim dévorante.
Très rapidement, il était devenu la coqueluche des clubs les plus prisés.
Invité de marque pour de nombreux événement, il s’était tissé un réseau de relation des plus remarquables.
Afin d’assoir sa position et son influence sur les hautes sphères de l’empire, il prit pour épouse l’héritière d’une famille rivale riche et puissante.
Très vite, grâce à ses talents de stratège et de manipulateur, il obtint le trône avec la bénédiction de toute la nomenklatura.
Une fois son autorité assurée, toujours en manœuvrant subtilement ses pairs et grâce au pouvoir économique de tout Empirion, il s’était attelé au plus vaste programme de recherches de toute l’histoire de l’humanité. S’édifiant au rôle de référence pour toutes les sciences appliquées en plus d’être le roi.
Les années passant, alors que ses connaissances de l’univers s’approfondissaient, au début très subtilement puis de plus en plus insidieusement sa compréhension des humains s’étiolait. Et plus elle s’amenuisait, moins il ressentait le besoin d’en comprendre la raison.
A soixante-neuf ans ses connaissances sur le monde physique étaient telles qu’il parvint à l’aide d’insaisissables procédés à retrouver un corps jeune et bien portant, aveugle aux jalousies que cela suscitait. Dans le but de maintenir le décorum et afin de conserver une emprise sur le monde des hommes, il se remaria alors avec une jeune femme intelligente et influente. Il appréciait son intelligence qui lui permettait de partager avec elle ses grandes envolées philosophiques.
Malgré la philanthropie que ses longues séances de réflexion et de philosophie l’avaient poussé à adopter envers la population, meilleur moyen de la conserver heureuse et docile et donc de conserver sa position, plus il gagnait en puissance personnelle, plus il s’éloignait des réalités de la chair et des besoins fondamentaux des vivants.
C’est à l’âge de cent ans, qu’eut lieu sa plus grande réussite :
Il était enfin parvenu à libérer son esprit des contraintes de son corps, à l’ancrer dans la réalité même de l’univers. Il ne gardait désormais plus qu’un lien avec son corps pour interagir sommairement avec ses anciens pairs.
Libérés de la surveillance de leur monarque dont la réalité divergeait de plus en plus de la leur, les membres de la nomenklatura complotaient et s’entre-déchiraient dans le but futile de récupérer quelques bribes du pouvoir sur le monde des hommes.
Ce qui eut pour conséquence directe : une dégradation rapide de l’appareil de gestion et des infrastructures de l’empire.
Le monarque ne s’en souciait guère. Ses besoins matériels ne subsistant plus que pour interagir avec le milieu du même plan d’existence.
Tandis que la révolte grondait parmi la population face à l’oppression grandissante des sphères de pouvoir, l’être désincarné qu’était devenu le monarque engrangeait une quantité incommensurable de connaissance sur les fondements de l’univers tout en perdant peu à peu sa capacité de raisonnement philosophique.
En quelques décennies, les guerres incessantes entre les grandes familles, les états voisins et la population civile avaient dévasté le monde des hommes.
Les armes construites à l’aide des fragments de savoir légués par le monarque consumaient le monde.
Désormais sa femme ne s’occupait plus que d’une coquille de chair vide pour le seul pouvoir que cette position lui confiait. Les quelques rares édits ou conseils qu’il proférait ne l’était que sur demande directe et bien souvent abscons et déconnectés de la réalité matérielle.
Décimée par le ravage de la planète, l’humanité retombait lentement dans un moyen-âge obscurantiste et semi-technologiste subsistant tant mal que bien.
Un demi-siècle plus tard, les derniers gouvernants des ruines du monde des hommes, la femme de l’empereur en fin de vie comprise cherchèrent un bouc-émissaire pour la débâcle que vivait l’humanité, souhaitant futilement se dédouaner aux yeux de la postérité.
Chargeant cyniquement l’être dont la seule faute avait été d’abandonner l’humanité à sa propre stupidité de tous les maux du monde. Ils le sacrèrent roi des ossements, puis le scellèrent dans une crypte profondément enfouie sous les montagnes, assis sur un trône bâti avec les ossement des défunts. Censé représenter les maux et tords qu’on lui reprochait l’artefact immonde accompagnerait désormais à jamais l’être immortel dont la chair disparaissait morceau après morceau.
Ils le condamnèrent à l’oubli et à sa seule solitude.

Il lui fallut longtemps pour réaliser qu’un changement de condition avait occouru dans le monde matériel. Mais trop absorbé par les arcanes de l’univers il n’en avait cure.
Toutefois, les décennies s’écoulant, ses connaissances de l’univers approchant de l’absoluité, il se mit soudain à ressentir un manque.
Une émotion insidieuse commençait à ronger ses pensées. Tel un cancer pour cet être qui n’était plus que réflexion et esprit, la solitude se mit à le détruire.
Désormais omniscient, l’être ressentait le besoin primal de continuer à évoluer. Mais il avait atteint la limite de son propre développement. Il prenait conscience en ce moment seulement de la perte qu’il s’était infligé en se détachant des autres existences.
Son égoïsme puéril orienté vers son seul but de connaissance l’avais privé de la seule et unique chose qui pouvais désormais l’emplir et le satisfaire :
Les émotions telles que l’amour, la peur, la colère, la joie et toutes les autres, disparues à jamais. Consumées par la solitude et le désespoir, seul réalité encore à sa portée.
Nulle relation désormais ne lui était permise. Oublié dans une crypte obscure du monde matériel et seul à son niveau d’existences.
La flammèche fugace qu’était la solitude à son apparition était désormais un incendie qui le consumait tout entier. Un brasier qui effaçait son égo du plan de l’existence. Le néant étant le seul refuge que l’entité avait trouvé pour échapper à l’horreur de la souffrance innommable qui déchirait son âme.

Dans le présent, l’entité prenais conscience que sa solitude n’était pas née le jour de son sacrement mais bel et bien au tout début de son existences tandis que, jeune aristocrate, il se démarquait des « autres » en s’efforçant de leur être supérieur en tout.
Dans un réflexe primal, issus de son existences de mortel, une larme formée de condensation s’échappe de l’orbite vide d’un crâne oublié de tous, dans une crypte obscure dissimulée sous un haut plateau de montagne portant le nom d’: « Empirion » .

Une question toutefois restait en suspens : Pourquoi avait-il été régénéré du néant ?
Pour la première fois depuis des millénaires l’être n’avais pas de réponse. S’accrochant à ce maigre espoir, il se met à sonder son environnement.

Hiver 917 CR – Une crevasse quelque part dans les montagnes Irgannes.

Rictus estime qu’ils disposent du reste de la journée et de la nuit avant l’arrivée des premiers éclaireurs impériaux.
Mettant à profit ce répit, le petit détachement, composé de six hommes, commence à s’organiser.
Dans un premier temps, ils construisent un abri de neige et de glace au-dessus de la cache de matériel pour pouvoir le dégager à l’abri de la tempête.
Puis tandis qu’une équipe creuse pour récupérer le matériel, une autre explore la crevasse. Correctement dissimulée, cette dernière pourrait bien leur offrir un abri le temps de laisser passer les impériaux.
Ce qui s’apparentait au premier abord à une simple béance dans le roc, s’étend en réalité sur plusieurs centaines de mètres dans la montagne. Assurés d’avoir assez d’air, les hommes de Rictus s’installent sous la roche. Grace à un mur de neige habilement placé devant l’entrée de la crevasse, la lumière des réchauds ne filtre pas à l’extérieur. Ils parviennent à l’aide de cloisons de neige à se chauffer un petit volume d’air. S’offrant par la même le summum du confort dont ils ont disposé depuis longtemps.

A l’extérieur, le sergent explore les environs immédiats. Le terrain alentour se prêtera bien à une embuscade et sous condition que le temps se dégage devrais leur offrir une vue bien dégagée pour repérer les éclaireurs impériaux. Satisfait, il dresse une carte sommaire qu’il présente à ses hommes.
Dessus il a indiqué : position de vigie, emplacement pour tireurs embusqués, voies de replis et tout ce qu’une stratégie de guérilla de montagne peut nécessiter.
Confiant dans leur chance de succès le petit détachement creuse quelques tranchées afin de pouvoir de se déplacer efficacement, dissimulés dans l’épaisseur de neige laissée par la coulée.
Misant sur le fait que les impériaux ne s’infligerait pas une marche de nuit en ces contrées hostiles et glaciales, Rictus ordonne à ses homme de profiter pleinement de la nuit pour se reposer. Personne ne prend de tours de garde.
L’absence de mauvaise surprise jusque à l’aurore lui donne raison. Reposés et réchauffé pour la première fois depuis des semaines, le moral est plutôt haut.
Néanmoins, l’angoisse de l’attente ne les épargne pas. C’est les tripes nouées que ses gars prennent positions.

Rictus reste malgré tout confiant.
Le temps est plutôt favorable pour une fois, sans neige pour boucher la vue mais tout de même couvert avec une très légère brume qui dissimulera efficacement ses gars immobiles sans pourtant pouvoir masquer les mouvements ennemis. Priant pour que la météo se maintienne, Il attend.
Les heures passant sans que rien ne se passe, il commence à croire que les troupes impériales ont décidé d’abandonner la poursuite. Malheureusement pour lui, aux alentours de dix heures, sur la crête du col qu’ils avaient franchi pour parvenir dans cette vallée, une silhouette se découpe.
Le signal, transmit aussi discrètement que possible à l’aide d’une petite chute de neige depuis une vigie alerte tous ses soldats. Plaqués au sol afin de ne pas se faire repérer ils regardent l’impérial dévaler la pente rapidement.
Des skis ! Exactement ce dont le bataillon aurait eu besoin pour ne pas souffrir ces dernières semaines.
Originalement le plan prévoyait d’en dérober avant l’ascension des contreforts, toutefois, l’escarmouche ne leur en avait pas laissé l’occasion.
Étonné qu’ils aient maintenu leur avance sur les impériaux malgré leur manque d’équipement, Rictus suppose que les impériaux n’en avais pas non plus sur place.
Après courte réflexion il conclut qu’en effet il est inutile pour une garnison d’arrière-garde de patrouiller une chaine de montagne profondément située en terres alliées. Probablement que les impériaux se sont également tapé le chemin à pied avant l’arrivée de renfort correctement équipés.
Priant pour que l’éclaireur ait la mauvaise idée de continuer plus avant son chemin avant l’arrivée de l’avant-garde au sommet du col, le sergent estime la trajectoire de l’éclaireur et se déplace furtivement à l’aide d’une des tranchées dans le but d’intercepter l’impérial sans tirer de coups de feu.
Pour la trace en revanche il ne pourra rien faire, désavantage d’une météo plus clémente.
Il a une pensée rapide pour les gars d’ Ibrahimovick, leur souhaitant de s’être tiré sans encombre du séisme.
Manifestement, l’éclaireur ne s’attend pas à une embuscade puisque il continue son chemin sans plus attendre.
Rictus en affiche un :
L’éclaireur vient droit sur lui. A la vitesse à laquelle il progresse, le risque que le gros des troupes n’apparaisse avant qu’il le neutralise est quasiment nul.
Surpris par le brusque vide de la tranchée qui s’ouvre dix mètres devant lui, l’impérial se met en alerte. Mais pas avant que le sergent ne lui ait décoche un morceau de glace d’un tir de fronde magnifiquement placé. Remerciant sa brillante idée de s’entrainer quelques heures la veille à cette méthode archaïque et donc abandonnée de se battre, Le vieux sergent se précipite hors de la tranchées, abat son poing sur le visage ensanglanté de l’homme hébété et l’assomme.
Le combat ne dure que quelques secondes. Malgré le silence ambiant, le sergent ressent la suspension de respiration de ses hommes. Promptement il tire l’éclaireur dans la tranchée, recouvre le rouge du sang avec de la neige et retourne se cacher pour l’attente suivante. Non sans en profiter pour achever en silence l’éclaireur et lui prélever ses skis.
Malheureusement leur bonne étoile ne pouvait pas durer indéfiniment.
Le deuxième éclaireur qui apparait une dizaine de minute plus tard est alerté par l’arrêt brusque de la trace de son compagnon. Il lance une fusée rouge depuis le haut du col avant de repartir en arrière.
Une vingtaine de minutes plus tard, c’est tout un bataillon qui prend position sur la crête du col. Rictus prie pour qu’ils n’aient pas de tireurs d’élites avec eux. Le col les surplombant à une distance d’environ 800 mètres, un sniper équipé d’un bon fusil ferait un carnage.
Un simple soldat équipé matériel standard ne représenterait en revanche pas trop de risque au-dessus de 300 mètres, distance à laquelle ce serait ses gars qui disposeraient d’une position de surplomb.
Rictus laisse échapper un petit soupir de soulagement. Tous les soldats ennemis s’engagent dans la descente. Il suppose que les bons tireurs doivent tous être mobilisés au front pour couvrir les no-man’s land entre les tranchées.
Dissimulés derrière leurs abris de neige et de glace, les gras de Rictus laissent s’approcher à découvert les impériaux. L’honneur d’ouvrir le bal revient au vieux sergent. Il attend patiemment que le premier ennemi s’approche à moins de cinquante mètres pour ouvrir le feu.
Malgré l’état d’alerte, le bataillon impérial est pris au dépourvus. Les gars de Rictus abattent une bonne quinzaine d’impériaux avant qu’un sergent n’ordonne le repli.
Quelques soldats toujours dans la descente tentent bien de riposter mais les tirs totalement imprécis n’inquiètent que très peu les retranchés.
Le moral de Rictus remonte d’un bon cran. Ils disposent d’une bonne position, que l’ennemi ne pourra pas contourner à moins de franchir un autre col depuis une vallée adjacente, ce qui prendrait au moins trois jours.
De plus, le bataillon adverse semble ébranlé. Ils ne s’attendaient probablement pas à une embuscade de la part d’une troupe ennemie sensément désespérée et sur les rotules.
Si ce bataillon est seul ils pourraient bien gagner la confrontation malgré leur réel désavantage numérique.
Toutefois, la réalité le rattrape promptement. L’ennemi sonne la retraite puis L’empire prend position dans la descente du col.
Rictus jure pour lui-même. Cette attitude ne peut signifier qu’une chose : L’ennemi attend sous peu l’arrivée de renfort.
Laissant le Jeunot à la vigie, il fait rapidement le point avec ses gars. Ils conviennent de ne se replier sur les positions les plus élevées, proches du bivouac qu’en dernier recours. D’essayer de tenir jusqu’au soir puis de se murer dans la crevasse.
En espérant que les impériaux croient à une fuite nocturne au mépris des dangers de la montagne.
Qu’ils ne cherchent pas de cachette.
Plan qui dépend tout de même grandement de la présence de chute de neige durant la nuit. Gros coup de poker qu’ils tentent. Mais après tout cette dernière était quasiment tombée continuellement les deux dernières semaines. Elle serait bien vache de leur jour ce mauvais tour maintenant que sa présence ne serais plus une malédiction.
Evidement comme tout bon plan qui se respecte il n’a pas tenu plus de cinq secondes après le début de la vraie confrontation…
Un autre bataillon rejoint le premier, puis un deuxième, puis un troisième. Le vieux sergent jure. Ce n’est pas quelques garnisons locales qui sont à leurs trousses. Mais bel et bien toute une foutue compagnie !
Quelqu’un là-bas son cul posé bien au chaud dans un bureau devais vraiment leur en vouloir.
Finalement, peut-être que le plan désespéré de l’Etat-major Allié est bel et bien plus qu’un espoir chimérique. Sinon pourquoi l’empire aurait-il pris la peine d’envoyer toute une compagnie se geler le cul dans des montagnes d’arrière-pays ?
Evidemment, qui dit compagnie dit tireurs d’élites… Et de toute façon qu’auraient-ils bien pu faire à dix contre un demi-millier ?
Le sergent beugle à ses gars de décaniller promptement. C’est sous une grêle de balle, que l’ennemi n’a même pas besoin d’ajuster, qu’ils se replient vers la crevasse.
Malgré les tranchées, Jürgen y laisse sa peau.

Hiver 917 CR – Quelque part sous le plateau d’Empirion.

Assez rapidement la présence d’esprit inférieur à proximité s’impose. Mais cette information triviale est vite oubliée. Sondant les abimes de l’univers, le vieux monarque cherche la cause de son réveil.
Mais rien, pas même la fusion improbables de deux quasar à des milliards d’années-lumière des restes de son corps n’explique la situation.
Un peu agacé de ne pas trouver de réponse, mais en même temps stimulé par ce nouveau mystère, l’être prend de nouveau conscience de la présence d’humain quelque part au-dessus de lui.
Leurs esprits faibles sont soumis à un stress intense. Un événement traumatisant semble les déstabiliser. Sa curiosité piquée, il prend la peine de les observer plus attentivement. Trois groupes se distinguent. Allant du plus petit et stressé à un relativement conséquent plus ennuyé que réellement perturbé.
Ce dernier, encore relativement loin semble pourchasser une proie. Après une brève analyse, le monarque est surpris par l’équipement en leur possession. Majoritairement fait de bois et de cuir, ils ne transportent que de très rares objets électriques. L’humanité semble avoir sérieusement régressé durant son absence.
La cinquantaine d’homme qui forme le second groupe sont tous épuisés. Ils viennent passer une nuit au froid après avoir franchi une paroi rocheuse au mépris du froid et de la tempête. Ébranlé par la caresse fugace de la mort qu’ils ont ressentis lors du séisme qui les a ballottés au bout de leurs cordes pendu au beau milieu d’une paroi de granite.
Par chance pour eux. Leur accroches ont tenu bon. Ils ne déplorent qu’une perte de matériel minime, mais tout de même problématique. Seule leur foi dans la mission leur permet encore d’avancer.
Le dernier groupe, tapis dans la neige semble attendre la mort.
Histoire de se divertir quelques instants de l’agacement provoqué par l’absence de succès dans sa quête de réponse, l’entité prend le temps d’observer plus attentivement les humains qui se démènent au-dessus de lui.
Il observe le sergent Rictus et ses hommes se replier dans l’étroite fissure de la montagne, poursuivis par les impériaux. Il les voit s’enfoncer de plus en plus profondément sous la montagne talonnés par un adversaire implacable bien décidé à leur faire la peau. Un à un il contemple les membres de l’escouade tomber sous le feu de l’ennemi, non sans pour autant en avoir emporté au moins une dizaine chacun avant de succomber.
Il observe le lieutenant Casimir Ibrahimovick s’approcher des ruines de son ancien empire, ignorant qu’il ne va qu’au-devant de son propre désespoir. En effet, il ne subsiste guère en termes d’héritage que quelques bouts de bétons maculés de rouille et d’antiques objet depuis longtemps cironné à tel point que le moindre contact les change en poussière.
Il prend le temps de contempler le petit groupe d’homme s’abandonner au désespoir.
Il reporte son attention sur les deux derniers survivants du plus petit des groupes : Un vieux soldat âgé qui aide un jeune blessé à progresser dans le noir. Ils ont perdu leur lampe un peu plus tôt ce qui a l’avantage toutefois de les dissimuler à leurs poursuivants. Ces derniers retardés par l’éboulement de la galerie consécutive à l’utilisation d’une grenade par le vieux sergent s’affairent à déblayer la roche pour s’assurer du trépas de leur proie.
L’acte du vieux sergent, consistant à s’enterrer vivant sous plusieurs centaines de mètres de roche qui pourrait sembler stupide au premier abord n’était pas motivé par le désespoir, mais bel et bien par une décision rationnelle :
Un instant plus tôt un léger courant d’air avait attiré l’attention du vieux briscard, preuve que la galerie débouche bel et bien quelque part aussi improbable que cela puisse paraitre. Il espère simplement maintenant que l’espace entre les deux parois ne s’amenuise pas trop pour leur laisser le passage. Bien mal lui en prend. Bien plus corpulent que l’adolescent qui l’accompagne, il finit par ne plus pouvoir avancer au contraire du Jeunot.
Il lui abandonne sac, vivres et munition. Ne conservant que le strict nécessaire pour un dernier barouf d’honneur. Il ordonne au jeune d’avancer. Lui dit qu’il a encore une chance de s’en tirer. De fuir les montagnes. De faire soigner son bras et de vivre une vie heureuse avec une bonne épouse. Qu’il retiendra les impériaux aussi longtemps que possible. Qu’il leur fera vivre un « putain d’enfer » avant de clamser. Après tout le vieux Rictus n’est pas si facile à trucider.
Armé de son seul désespoir, il se tapit dans un renfoncement et attend.
L’impression qu’il laisse aux impériaux ressemble bel et bien aux portes de l’enfer. Contre toute logique, il en trucide plus d’une quarantaine avant qu’excédé, un lieutenant impérial ordonne d’incendier fissa cette « foutue fissure ». Délogé de son abri, une grenade dans chaque main le vieux briscard rend un dernier souffle tonitruant qui emporte six impériaux supplémentaires. Condamnant par la même l’étroit boyau.
Relativement indifférent à l’extinction de tant de vie, un petit détail attire tout de même l’attention du monarque :
Dans son esprit, tel un mantra, le Jeunot se répète : « Oh seigneur d’Empirion, toi qui t’éleva au-dessus des mortels, toi seigneur tout puissant, prend en pitié tes enfants et délivre nous de l’affliction. »

La prière adressée de façon si fervente semble entrer en résonance avec son propre être.
Alors il comprend.
Ce n’est pas dans les limbes de l’éternité ou de l’univers qu’était dissimulé le secret de son réveil. Mais bel et bien dans l’insignifiance de l’esprit enfiévré d’un jeune homme qui s’accroche à tout ce qui lui reste. A savoir sa foi dans une antique prière que lui récitait sa grand-mère, accompagnée d’une histoire sur les mythiques origines de leur famille.
Au bord de la folie, privée de tous ses compagnons, dans le noir, une douleur de plus en plus indescriptible lui déchirant le bras au fur et à mesures que les engelures qui anesthésiaient sa blessure laissent place à la pourriture, le jeune homme progresse lentement mais surement vers cette présence qui semble l’appeler. Cette présence qui l’a empêché en dépit du bon sens de céder totalement à l’abandon de sa raison.
L’antique monarque réalise alors, que sur le plan matériel, ce n’est pas un hasard si cette voie existe dans la roche. Ce que parcourt péniblement le Jeunot n’est pas un caprice d’une nature imprévisible, mais bel et bien les vestiges de l’antique accès à sa crypte.
A cette révélation, se mêle une chose étonnante. Une sensation que cet esprit tout puissant n’avait pas ressentie depuis une éternité.
L’appréhension ?
Son étonnement ébranle à nouveau le tissu de la réalité. Tandis que des torches spectrales s'embrasent dans la crypte, une nouvelle secousse, plus faible que la précédente toutefois, ébranle le monde des hommes.

Hiver 917 CR – Quelque part sous le plateau d’Empirion – crypte

Abandonné, seul le Jeunot continue d’avancer. Porté tant par l’ordre impérieux du vieux Rictus que par la conviction mystique que tout cela va s’arranger. Lorsque retenti la seconde secousse, il ne prête même pas attention à son vacillement. L’idée qu’il pourrait finir enseveli ne l’effleure même pas.
Il pénètre dans la salle mystérieusement éclairée l’esprit embrumé par la douleur. Dans un recoin de ses pensée, flotte le souvenir de mamie Victoria qui lui contait le mythe de la famille.
Il lui faut plusieurs secondes avant de réaliser que l’espace autours de lui est désormais dégagé. Qu’il se tient face à un escalier surplombé d’un monstrueux trône d’ossement sur lequel siège un squelette larmoyant.
Lorsque la conscience de son environnement lui parvient, quelque chose de primal s’empare de son corps.
Un frisson de peur lui remonte l’échine tandis que ses genoux cèdent son poids. La pression qui l’assaille alors que le regard vide se pose sur lui soulève des vagues de panique qui déferlent dans son âme. Cette chose ne peut être. Un concentré de malheur et de ténèbres semble s’écouler de la créature qui trône en ces lieux.
Malgré l’impossibilité de ce fait, le squelette lève le bras. Un bracelet dérangé, cliquette sur les ossement blanchis du monarque antique.
Des ombres entre les colonnes sortent plusieurs personnes. Toutes portent le visage d’une personne qui est cher aux yeux du jeune homme. Elles se rassemblent derrière lui, puis tendrement l’allongent avant de soigner son bras meurtris.
L’esprit totalement dépassé par les événements le Jeunot s’évanouit.

L’appréhension du monarque se change en désappointement. Il n’avait pas vraiment prévu que son descendant perde conscience. Le coup de l’illusion des proches pour rassurer n’était peut-être pas une bonne idée en fin de compte.
Il va devoir réapprendre beaucoup de chose à propos de la vie humaine semble-t-il. Il entreprend de soigner le bras meurtrit du jeune homme avant de se pencher sur son cas. Complètement perdu au sein de toutes ses émotions qui le transportent, il laisse échapper un rire, mi- fou, mi- joie. Pour la première fois depuis des millénaires, lui, l’omniscient dieu humain est totalement perdu. Mais pour la première fois depuis des millénaires, il n’est plus seul. Bien déterminé à saisir cette nouvelle chance qui lui est offerte d’être humain. Egalement déterminé a étudié cette idée folle que ses descendants ont envisagé :
Une société basée sur la responsabilité collective. Qui honni l’individualisme au profit d’un développement du bien commun. Un concept qui lui échappe.
Qui l’eut crût ? Née d’esprits inférieurs, un concept complètement étranger lui était révélé.