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Joute n°44
Joute 44 Texte B : Connecticut-1
Le 29/04/2020 par Bébel non favori



C'était une énorme masse, un rocher aux arêtes saillantes qui filait à quatre kilomètres par seconde à travers le vide intersidéral. Par le hublot du Connecticut-1, le capitaine Hood regardait ce tueur silencieux qui aurait très bien pu désintégrer son vaisseau en un choc fatal.

- Vous l'avez vu, James ?
Le major Frank James ne répondit pas. Le vieux soldat qui tenait les commandes de l'appareil était tendu comme un câble d'atterrissage. Cela faisait bientôt cinq heures qu'il s'était installé au poste de pilotage et qu'il assurait le guidage de la frégate entre les deux planètes jumelles du Système Nébuleux.
Hood prit ce silence pour une marque d'agacement (évidemment qu'il l'avait vu!), mais n'en prit pas ombrage. Cela faisait deux semaines que son escouade s'était réfugiée dans l'appareil et qu'elle tentait désespérément de rejoindre la Terre. Les nerfs de chacun avaient été particulièrement éprouvés depuis un an, et ces derniers jours avaient sans doute été les pires.

Hood ne dormait plus depuis trois jours. En tant que capitaine, il avait pris le commandement de l'escouade à la mort du Colonel Javitt. La survie de l'équipage pesait sur lui depuis bientôt trois cent cinquante heures. Cramponné aux barreaux d'une échelle pour ne pas dériver dans l'habitacle, il contemplait l'obscurité dans laquelle son vaisseau fonçait. A travers la nuit éternelle de l'espace, il revoyait la Terre, l'imaginait au loin, paisible, inaccessible.
L'escouade avait quitté la Planète Bleue un an plus tôt, engagée dans une mission de maintien de l'ordre bien plus loin, dans le système Atlantique.

C'est là que le quart de la population terrestre avait migré cinq cents ans plus tôt, sur cette planète identique à la Terre que les Hommes avaient mis plus de mille ans à découvrir.
Identique, pas vraiment, en fin de compte. Ce n'est qu'à la troisième génération de colons que les scientifiques s'étaient rendus à l'évidence : sur Athènes, on mourait plus, plus jeune que sur Terre. L'air était moins propice, les bestioles pullulaient, des tropiques partout en quelque sorte, malgré la température clémente. On manquait de métaux aussi, et l'industrialisation correcte de la planète avait vite paru utopique.

Tout le monde sur Terre plaignait ces colons aussi fermement piégés, mais aucun retour n’était techniquement possible. Aussi les Humains avaient engagé toutes leurs forces dans la bataille contre les maladies, les disettes et cette rage indicible qui les prenait tous à la pensée que cette planète-miracle s'avérait finalement moins accueillante que la vieille Terre essoufflée.
Un jour, des troubles avaient éclaté. Certains Athéniens se disaient abandonnés, voulaient rentrer, dans un mouvement rétro-migratoire insensé. D'autres au contraire s'estimaient bridés par les politiciens de la planète-mère, ils voulaient rompre les contacts, s'organiser seuls, une fois que les « Terriens » leur auraient fourni ce qu'ils demandaient, une exigence impossible à tenir.
Cela donnait lieu à des discussions féroces qui avaient fini par dégénérer. Les Athéniens fidèle, au début les plus nombreux, étaient cibles d'actes hostiles de plus en plus répétés, jusqu'à ce qu'ils décident de faire appel à des troupes de renfort de la Terre, pour suppléer les forces athéniennes dépassées. C'est dans ce contexte que le colonel Javitt et ses hommes avaient débarqué sur Athènes un an plus tôt.

Le capitaine Hood se rappelait sa grande surprise en découvrant la situation réelle sur la planète. Javitt et ses hommes étaient tombés dans un guêpier. Les rebelles athéniens étaient bien plus nombreux et organisés que ce à quoi il s'attendait. Très vite, il était apparu comme une évidence qu'ils ne pourraient jamais empêcher la révolte de triompher. Lorsque toute une planète se révolte contre vous, vous avez beau être les Humains de la Terre, les plus intrépides explorateurs et les plus organisés des colons, que pouvez-vous y faire ?

Les Terriens, dès le début, cinq cents ans plus tôt, avaient en tête de laisser à Athènes son autonomie, mais le projet prenait l'eau : ce que les Athéniens voulaient, à présent, c'était rentrer sur la planète-mère les armes à la main et se faire la place qu'il n'était plus possible de leur laisser.
Pris par les désertions, les traîtrises, l'hostilité générale d'une population qui dans l'ensemble n'avait jamais vu la Terre, Javitt et ses hommes avaient rempli avec honneur la mission qui leur avait été confiée, en laissant de côté la compassion qu’ils pouvaient légitimement éprouver pour les habitants de cette planète.
Et puis vint ce jour terrible où le colonel avait été tué, emporté par le flot invincible des rebelles. Hood et les quinze survivants de l'escouade n'avaient dû le salut qu'à la fuite, mais leur frégate avait été durement touchée par les tirs ennemis.

Cela faisait deux semaines que le Connecticut-1 filait dans l'espace au tiers de sa puissance, en mode économique total, sans aucun système de détection. Le pilotage devait s'effectuer en mode manuel permanent, car le pilote automatique n'était plus fiable dans ces conditions aveugles.
La frégate avait atteint péniblement le Système Nébuleux, et le passage entre les deux planètes jumelles devait, par un effet de fronde gravitationnelle renforcé, permettre au vaisseau de reprendre de la vitesse à moindre coût énergétique.
C'était le point crucial de leur voyage de retour. S'ils rataient cette manœuvre, Hood et ses hommes perdraient tout espoir de rejoindre la Terre, car alors ils n’auraient plus assez de carburant pour achever leur voyage.

Alors depuis trois jours ils se relayaient, quatre équipes par jour, pour garder le cap au mépris de toutes les infortunes, frôlant les météores destructeurs qui pullulaient dans le Système.
Et au milieu d'eux, cramponné à son échelle, cachant ses tourments sous le masque de l'autorité la plus ferme, le capitaine Hood scrutait la nuit à la recherche du moindre signal d'alerte.

James et Tyler, la jeune recrue qui le secondait, quittèrent leur siège pour permettre à Ronde et Stills de les remplacer. Hood suivait leur installation avec attention, c'était à peu près la seule chose qu'il pouvait faire.
Ronde était un sous-officier de valeur, mais qui, plus que les autres, avait été affecté par la disparition du Colonel Javitt. Il étalait sa grise mine à tous les coins du vaisseau depuis deux semaines. De tous ses hommes, il était celui que Hood sentait le plus proche du désespoir total.
- Alors, Ronde, bien dormi ? lança-t-il d'un ton qu'il voulait jovial.
- Oui, mon capitaine – son visage morne et ses yeux éteints proclamaient le contraire.
- Vous avez raté un beau rocher, tout à l'heure.
- Je l'ai vu. J'étais déjà réveillé. Quitte à me faire écraser, je …
Il s'interrompit, regardant un petit cadran qui s'agitait.
- Eh bien, il semble que nous regagnions de la vitesse. Enfin une bonne nouvelle dans ce marasme …
- On doit être tout près du centre de gravité du Système Nébuleux, commenta Stills.
- Etrange …
Le capitaine Hood s'était approché du panneau de commandes.
- … c'est trop tôt. La position ne correspond pas. Stills, vérifiez la direction.
Pendant que son voisin obtempérait, Ronde aussitôt se décomposa. Hood s’en rendit compte immédiatement, rien qu’à sentir un léger affaissement.
- Ça va aller, Ronde.
- Oui, mon capitaine.
Sa voix était fortement altérée et il dut se racler la gorge.
- En effet, la direction change, reprit Stills. On a quelques degrés d’écart, déjà.
- Quelques degrés ? Combien ?
- Hum … 3 … environ … Ce n’est pas grand-chose, on a dû dévier un peu, je vais rectifier.
- Non, laissez, ne touchez à rien. Si jamais l’écart grandit, c’est que …
Mais le capitaine s’interrompit, car de lui-même il voyait l’angle croître sur le cadran.
- Allez prévenir les hommes, il va falloir scruter l’espace. Un corps céleste nous attire, pas loin.
Ainsi fut fait. Chacun se posta à un hublot. Il fallait savoir ce qui, dans la nuit, attirait ainsi le vaisseau, et les hommes n'avaient que leurs yeux pour trouver. Hood resta avec Ronde et Stills.
- Gardez le cap. Combattez l'attraction. Si elle s'avérait bénéfique et pouvait nous propulser encore un peu, il sera toujours temps, dans une heure ou deux, de lui céder.

Stills gardait un air froid et des gestes précis. Hood espérait que cela redonnerait confiance à Ronde. Lui-même, aussi, avait besoin de sentir ses hommes forts. Au fond de lui, hélas, il ne voyait pas ce qui pourrait arriver de bon avec cet attracteur imprévu.
Chaque homme était à présent silencieux, attentif au moindre signe. Non loin, à droite, à gauche, les deux planètes jumelles semblaient former les deux plots d'un portail qui peut-être s'appelait la liberté.
James soudain appela. Cela faisait vingt minutes que les hommes observaient.
- Mon capitaine ! Venez voir !
Péniblement, à la force de ses bras, Hood flotta vers le major.
- Je crois que … que je … Sa voix était blanche.
Il était posté à bâbord, là d'où venait la force d'attraction. Hood regarda aussi. Tout d'abord il ne vit rien.
- Eh bien quoi ?
- Il y a plein de points noirs, mon capitaine.
Noir sur noir, Hood ne voyait toujours rien. Mais James avait forcément raison, c'était James. Les hommes se pressèrent tous à bâbord. Quelques exclamations se firent entendre. Hood ne savait pas s'il voyait enfin ces fameux points noirs ou si ses yeux, à force de s'écarquiller, ne lui jouaient pas des tours. James lui tapota l'épaule de façon fort peu protocolaire.
- Mon capitaine, c'est un nuage d'astéroïdes.
Ronde, resté à son poste, ne put réprimer un gémissement.
- Gardez votre œil, Ronde, le rabroua son voisin, Stills.
- Mais je … garde l’œil, répliqua l'homme, dont la tête avait basculé en avant (un instant passa). Mon capitaine ! appela-t-il, la voix fêlée.
Un voile s'était abattu sur les yeux du capitaine. Il réfléchissait à toute vitesse, et n'entendait rien.
- Mon capitaine ! insista Ronde.
Hood détourna la tête. Il ne fallait pas laisser Ronde aux commandes.
- Oui ? J'arrive !
- Mon capitaine, je suis désolé, mais, … énonça l'adjudant sans cesser de fixer la route. Mais … je ne me sens pas en mesure de …
- Je comprends, Ronde. Votre lucidité vous fait honneur. Dégagez-vous de là. James !

Le major vint.
- James ! Vous sentez-vous la force de reprendre les commandes ? C'est une question franche, James.
Frank James venait de passer six heures les doigts crispés sur les commandes à guetter la mort en face, mais il était de loin le plus expérimenté des pilotes à bord de cette frégate. Tous le savaient, le capitaine comme lui-même. James regarda Ronde qui s'écartait piteusement. Une immense pitié le saisit, lui qui d'ordinaire n'éprouvait que mépris pour ceux qui flanchaient face au danger. Il connaissait Ronde depuis longtemps, il savait quels étaient les talents de cet homme ; mais trop d'épreuves avaient eu raison de sa volonté. James s'installa sans un mot ; Hood plana vers l'adjudant qui hasardait un coup d’œil par le hublot.
- Ronde ! Ne regardez pas ça. Ça ne sert à rien. Allez vous détendre, reprenez vos … reprenez vos nerfs (il ne voyait pas quoi dire d'autre ; Ronde lui saurait gré de cette sincérité). Lorsque nous serons sortis de ce danger, il faudra relayer les autres, et c'est là que j'aurai besoin de vous. Allez-y, Ronde.
- Merci mon colonel … mon capitaine.

Ronde rejoignit la chambrée qu'il venait à peine de quitter. Ses mouvements étaient lents, son corps sembla soudain aussi lourd que sur Terre.
Hood avait détourné la tête et ne s’occupait plus de lui. Pendant que Stills et James luttaient contre l’attraction, il retourna au hublot pour voir encore mieux les débris rocheux qui semblaient filer vers eux.
On les distinguait clairement à présent, ce qui prouvait qu’ils se rapprochaient du vaisseau, mais Hood n’avait aucun moyen de savoir si celui-ci pourrait leur échapper. Il ignorait presque tout d’eux : leur nombre, leur vitesse, leur trajectoire. Et il comprit soudain qu’ils n’étaient pas assez massifs pour expliquer l’attraction à laquelle la frégate était soumise.

- On dévie encore, se plaignit Stills.
- Rectifiez, Stills, bon sang, fit la voix de James, comme étouffée.
Hood sentit une main de fer saisir leur vaisseau. Un combat inégal s’annonçait, et ils allaient perdre.
- Approchez tous, ordonna-t-il, alors que lui-même s’en revenait vers le poste de pilotage. J’ai analysé la situation, et voici ma décision.
Les hommes ne bougeaient pas, pour ainsi dire, si ce n’était le léger balancement des corps au rythme des soubresauts du vaisseau.
- Ce ne sont pas les astéroïdes qui nous attirent. Il y a derrière eux un corps bien plus massif, c’est la seule explication à cette étrange attraction gravitationnelle. Je suis persuadé que nous ne tarderons pas à le voir apparaître. Dès lors trois possibilités : la plus simple, les astéroïdes traversent notre trajectoire de part en part, et nous désintègrent.

Il laissa passer un temps, et chacun mesura en lui-même la pertinence de cette assertion.
- La deuxième : nous poursuivons notre route droit devant, et nous échappons à cette rafale, tout en résistant à la mystérieuse attraction, et sans gaspiller trop de carburant à la combattre. Considérant d’une part notre manque d’informations sur ces astéroïdes, et d’autre part le peu de réserves dont nous disposons, je considère cette hypothèse comme la plus aléatoire. Il reste une troisième solution : foncer face aux astéroïdes.
Un même murmure sortit des poitrines, murmure tranché par la voix grave de James :
- Et nous suicider ?
- Non, major. Ces astéroïdes sont certainement les débris d’une planète qui s’est fait percuter par une autre, plus massive. C’est cette planète qui nous attire. Mais si les débris viennent vers nous, c’est que la planète aussi arrive. Je suis désolé de vous dire les choses ainsi, mais de toute façon nous sommes perdus.
Personne à bord ne pouvait contester les connaissances scientifiques du capitaine, pas même Frank James, qui bien évidemment n’avait jamais vécu pareille situation. Le major se contenta d’écarter les bras en signe d’impuissance.

Le jeune Tyler voulut intervenir :
- Mais, mon capitaine, si nous allons tout droit, nous passerons peut-être ?
- Regardez ! cria Jones, collé au hublot.
Il avait vu la Chose, une sorte de planète naine, noire, qu’on devinait par le trou qu’elle faisait sur le fond étoilé. De petites boursouflures indistinctes l’accompagnaient : c’étaient les funestes débris qui lui ouvraient la voie. Tyler ne pouvait plus rien dire. Le regard de James s’était durci :
- Alors vous voulez que nous zigzaguions entre ces rochers pour foncer sur cette planète ? Et après ?
- Après, nous remettons les gaz et nous repartons, catapultés par le champ gravitationnel. Exactement ce que nous essayons de faire depuis trois jours avec les planètes jumelles.
- Mon Dieu, lâcha James, vous voulez que … vous voulez que je le fasse. La charge d’un coup tomba sur lui.
- Nous le ferons tous, cher James, nous vous guiderons, Stills vous secondera. Je suis désolé, James, de vous demander cela, mais … Le ton implorant du capitaine leur serra tous le cœur.
- Bien.
Il ne lâcha plus un mot. Lui et Stills opérèrent le virage.

Chacun se mit à son hublot, sauf Hood qui resta près des deux pilotes.
Dans la chambrée, Ronde s’était attaché dans sa couchette et fixait le plafond, hébété. Il sentit la manœuvre et se redressa, nagea jusqu’au hublot, et vit la Chose sombre, les éclats rocheux. Il aurait pu crier, mais l’air manqua à ses poumons. Incapable de réfléchir, il ne voyait plus qu’une chose, son éparpillement prochain. Aucune autre image ne lui vint, pas le moindre souvenir réconfortant, pas le moindre espoir. Tout son être anéanti face à l’image de la mort.

Le vaisseau prit de la vitesse, ils sentaient ses vibrations. La chute les menait droit vers les débris, et James, dont le corps se souvenait des six heures haletantes déjà passées aux commandes, serra plus fort encore le levier de direction.
Un premier bloc fut évité, de loin. Maintenant qu’on y était, les rocs ne semblaient pas si serrés. Hood, en sueur, se demanda s’il n’avait pas surestimé le risque de collision latérale, s’il n’aurait pas mieux valu continuer tout droit. Les mots « trop tard » s’imprimèrent en rouge sur son front. Un coup d’œil à Stills le réconforta quelque peu. Dieu que cet homme était calme ! James, au diapason, les yeux fixés sur la Chose, ne faisait plus un geste de trop.
On entendit un bruit violent, comme une détonation. Hood releva la tête, attendit, mais le vaisseau ne trembla pas, aucun signe de collision. A cette vitesse, un caillou aurait mis fin à leurs espoirs.
- Ronde ! pensa soudain le capitaine. Allez voir Ronde, ordonna-t-il à Jones, qui se tenait près de lui.
Le première classe Jones, fasciné, voyait tous ces blocs qui arrivaient sur eux en une avalanche apocalyptique. Hood dut le rappeler à l’ordre, et il quitta son hublot à regret. Mourir, peut-être, mais sans voir sa fin ?

Il se dépêcha de rejoindre la chambrée. Des boulettes rouges lui sautèrent au visage lorsqu’il ouvrit la porte. Elles sortaient en bouillons du crâne de l’adjudant. Ronde s’était donné la mort dans sa couchette et sa tête explosée pendouillait, grotesque, lâchant une aérienne fontaine de sang.
Jones n’était pas un tendre, et des morts, il en avait vu. Il prit un sac et recouvrit la tête de l’infortuné pour stopper le flot néfaste, serra un lacet autour de ce qu’il restait de gorge au malheureux et ressortit. A aucun moment il n’avait imaginé que ce premier massacre annonçait sa possible mort imminente.

Le combat de l’équipage contre la nuée meurtrière se poursuivait. Peu à peu James perdait pied. Il n’aurait pas dû accepter cette dernière mission. Stills aurait pu la remplir aussi bien que lui. Mais lui aussi vit les mots « trop tard » imprimés sur son front. Sa vue se brouilla, un bloc approcha, il l’évita, tout devenait plus rapide, on apercevait très bien la planète naine à présent, et peu à peu la densité des projectiles faiblissait. Il sentait Stills toujours présent, mais la sueur devenait piquante, ses yeux ne voyaient plus grand-chose, il s’affala.
Hood avait pris la mort de Ronde comme une douleur intime, et la relative indifférence de Jones l’avait blessé. Lui voyait la Mort dans cette mort. Les astéroïdes passaient partout en haut, en bas, parfois surgissaient de l’ombre au dernier moment, mais James et Stills évitaient tout, splendides et beaux comme des archanges, et Hood qui n’était plus qu’un homme apeuré se dit que sa dernière pensée serait pour ces pilotes superbes. Soudain James s’affala.

Hood se précipita ; les yeux du major roulaient comme des billes dans l’espace. Il le dégagea et prit sa place tout en hurlant au secours. Tyler arriva et recueillit le corps inerte de Frank James. Stills n’avait pas bougé, son levier de direction se déverrouilla et il devint le pilote en chef. Nulle force dans cet univers n’aurait pu venir à bout de sa détermination, et les astéroïdes qui à présent passaient comme des éclairs semblaient s’écarter de la course du vaisseau.
Le Connecticut-1 franchit les derniers obstacles ; alors le capitaine Hood reprit les commandes, infléchit la trajectoire de la frégate et lui fit dépasser la planète naine qui poursuivait sa route vers l’infini.

Les hommes n’osaient pas crier victoire. Jones leur avait appris la mort de Ronde, et Tyler, pleurant, leur annonça celle de James. In extremis, une crise cardiaque avait eu raison du major, et il n’avait pu profiter du chef d’œuvre de sa vie. On l’emporta dans un placard sécurisé, et dans le silence chaque homme se replaça là où les ordres l’avaient posté.
Le capitaine Hood alla s’attacher dans un coin du poste de pilotage, et en attendant que la chambrée redevienne utilisable s’octroya quelques instants de repos.
Le Connecticut-1, ayant repris la direction des planètes jumelles, filait vers son destin.