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Joute n°40 : Sciences et Arcanes Joute 40 Texte G : L'Exécuteur
Douze. C’est le nombre d’âmes que l’Exécuteur allait prendre aujourd’hui. Son pas lent, allongé l’amenait plus près. Chaque coup de son pied sur le sol résonnait dans l’arche tel un coup de marteau. Il ressentait leur coeur battant, pulsant. Il ressentait leurs troubles. Ils l’entendaient. Son regard portait au loin, pourtant son esprit lui, était plus loin encore. Du bout des doigts, il caressait les ramures de bois du couloir, prenant joie dans la pureté de la vie naturelle qui pulsait à travers tout le vaisseau. Son visage, pourtant, restait impassible. Et ses pensées étaient tournées plus profondément encore, au plus profond de la matrice de l’appareil. L’appareil était vivant, ni plus ni moins. Chaque couloir était comme une artère, un élément d’un tout beaucoup plus grand. Le tout était le Vaisseau-Arbre, qui les accueillait, lui et les autres membres d’équipage. Dans ses couloirs ils pouvaient marcher, respirer et se sentir chez eux. L’équipage entretenait l’Arbre, et l’Arbre le leur rendait en accueil, nourriture et survie. C’était le Pacte, la façon de vivre que lui et les siens avaient adopté depuis déjà longtemps. Mais pour l’heure il fallait s’occuper de ceux qui n’étaient pas dans le Pacte. Sa main poursuivait le parcours des racines alors que ses pas l’approchaient des douze portes. Une vie se cachait derrière chacune des ouvertures. Il retira sa main alors qu’il parvenait à la première. Un noeud de racines, épaisses comme un bras, bloquait le passage et la vue. L’Exécuteur prit une inspiration audible. « Commençons », dit-il. Son escorte se mit en mouvement. Un garde plaça ses paumes le long de l’entrelacs de branches. L’obstacle mit plusieurs secondes avant de réagir, pour finir par se retirer lentement. L’Arbre leur obéissait. La porte naturelle s’ouvrit sur un être décharné - un maigre terrien des bordures extérieures. Poussant un hoquet de surprise, la pauvre créature se recroquevilla au fond de sa cellule. L’Exécuteur s’avança de deux pas. Il n’était pas nécessaire d’aller plus loin. Il ressentait déjà tout. Il ne put que fermer les yeux et inspirer devant ce flagrant bouquet d’émotions. La route était toute tracée ; il lui fut incroyablement facile de suivre la panique du prisonnier et d’entrer dans son esprit. Il marchait dans ses pensées, respirait par lui. Les souvenirs l’amenèrent au plus profond des terres crépusculaires. L’homme était perdu dans ses propres désirs : sa faim, sa soif, ses pitoyables envies primaires. Un être faible. La créature passait ses mains sales à travers des cailloux brisés, des objets rouillés, à la recherche de quelque chose de valeur. Elle observa un objet à son poignet. La chose émettait un son strident. Les bips du détecteur de métal donnaient un faible espoir à la créature. Autour de lui, son groupe - d’une douzaine d’individus en haillons - fouillaient aussi les gravats. La créature releva la tête - les étoiles brillaient en partie à travers une mince couche nuageuse. Cela l’incitait à penser, à s’élever au delà de son statut un court instant. Elle était accablée ; mais l’Exécuteur n’eut pas le temps de comprendre pourquoi. Une odeur acre lui vint aux narines. Tout le groupe s’immobilisa aussitôt. Devant lui, une femelle maigre s’avança. Il posa sa main sur son épaule. « Pars », dit la créature. « PARS, VITE ! » ordonna-t-il. La femelle l’observa puis courut à toute vitesse. Elle avait de l’importance pour lui. La créature écoutait ses pas sur les caillasses alors qu’elle s’éloignait. Puis l’odeur le surprit - elle s’intensifiait. La créature prit une inspiration pour en connaître la direction, puis se redressa, prête à faire ce qu’il fallait. L’Exécuteur ouvrit les yeux. Il en savait assez. Ce terrien avait sauvé un être qu’il aimait, mais cela importait tellement peu. Il s’avança devant cette créature pensante, cet amas de chair, et fronça les sourcils devant tant d’effluves de peur et de panique. L’Exécuteur se pencha plus près, et agrippa un bout de haillon décharné ; il tira dessus, assez fort pour voir la peau en dessous. Oui, elle était là; là était la Marque qu’il avait senti. L’Exécuteur pinça les lèvres. Cette tâche noire aurait pu passer pour une meurtrissure mais elle était bien plus. Quelques semaines et la créature aurait été gagnée par la servitude. L’Exécuteur relâcha la créature et se redressa. Il baissa son regard un moment, le temps de prendre une dernière inspiration - s’imprégnant des pensées, de l’identité de l’être devant lui - puis il dressa le poing. La créature grogna soudain, mais rapidement se figea. Son coeur, son âme, tout était en suspens. Elle était paralysée. Seuls ses yeux daignaient s’écarquiller sous tant de pression mentale. Il compta lentement. Un. La bête relâcha un soupir, profond et lent. Deux. Les épaules du terrien s’affaissèrent. Trois. Sa panique hurlait, en un cri mental, silencieux mais strident. Quatre. La créature s’étranglait. Cinq. Elle s’écroula. L’Exécuteur desserra le poing. Il ressortit. Les gardes s’occuperaient du cadavre. ***** C’est arrivé à la septième porte que l’attendit la première surprise. La cellule derrière contenait une femelle. Ce qui ne fut pas la surprise en soi ; la seconde porte aussi avait retenu une femelle, qui était en sanglots, et fut rapide à soulager. Les autres portes avaient enfermé des créatures dont les Marques étaient déjà entrées en action, il avait agi rapidement. Mais l’être féminin devant lui, cette fois, avait quelque chose de particulier. Sa Marque n’était pas visible pour lui. Il allait falloir la rechercher. Mais la personne aussi était particulière ; il la reconnut ; c’était elle ! Celle que le terrien décharné avait sauvé. Les souvenirs d’un autre étaient parfois difficiles à restituer ; cela lui avait pris quelques instants. Un temps précieux. L’Exécuteur adressa une prière silencieuse au Dieu-Arbre pour sa faute, avant de reprendre. D’aspect extérieur c’était une terrienne assez commune. Elle avait des yeux clairs, des cheveux noirs et un corps décharné. Elle se tenait recroquevillée sur elle même. Cependant elle ne bougeait pas. Pas un mouvement ne l’agitait. La première différence notable c’est aussi qu’elle ne faisait pas de bruit. Elle avait bien levé légèrement la tête pour l’observer, à son entrée, mais depuis ne disait rien. La suite était encore plus intrigante ; son Ka’tei, son âme exprimée, ne laissait rien transpirer. C’était pourtant ce chemin qu’il devait rechercher en premier. L’Exécuteur s’assit en tailleur devant elle. Sa toge couleur noire s’adapta très facilement à sa nouvelle position. Il n’était sans doute pour elle qu’un visage au milieu d’un flot de ténèbres. Elle ne modifia pas son attitude. « Votre nom ? » demanda-t-il à cette nouvelle créature. Elle ne répondit pas. L’Exécuteur attendit. Puis il ferma les yeux un moment. Il ressentait bien le corps de la créature, les pulsations de son coeur. Mais quelque chose d’autre venait d’elle - une odeur non corporelle. Probablement la Marque qu’elle portait ? Il la sonda mais ne ressentit pas de transformation. L’Exécuteur rouvrit les yeux. « Je suis l’Exécuteur Shaaku », dit-il d’une voix profonde. La créature ne réagissait toujours pas, et son Ka’tei restait, encore, silencieux. Il allait falloir changer d’approche. Un détail revint à l’Exécuteur. « Si vous ne parlez pas », reprit Shaaku, « alors je devrai continuer immédiatement avec les autres chambres.» La créature devant lui ne bronchait pas. « Il reste trois hommes, deux femmes et… et un enfant ». Il eut une réaction ; soudaine, vive. Il s’en délecta et s’engouffra aussitôt dans son esprit. La créature avait comme des barrières. Il contourna les murs de ses pensées et suivit le tracé direct de son sentiment. Elle avait des sentiments forts, un véritable torrent. C’était en temps normal une voix dorée pour lui. Mais le chemin pour y accéder était comme tortueux, bloqué de l’intérieur. « Est-ce que je devrai commencer par l’enfant ? » demanda-t-il à voix haute. C’était un raccourci. Mais elle ne réagit pas comme prévu. Shaaku sursauta. Rejeté ! Il avait été rejeté de sa pensée. C’était comme si le Ka’tei de la créature lui obéissait fermement. Comble de la surprise, il sentit quelque chose - l’effleurement d’une volonté - qui glissait sur lui. L’Exécuteur se releva, s’écarta et fit signe aux gardes. Les deux soldats firent vivement leur entrée. L’un d’entre eux dégaina sa lame-coeur pendant que l’autre plaqua la créature d’une seule main. « Konei ! » s’exclama l’Exécuteur d’une voix forte. Les gardes s’arrêtèrent. L’un d’entre eux marqua même sa surprise, tant il était habitué aux exécutions sommaires. Une odeur déplaisante piqua l’esprit de L’Exécuteur ; ce garde était déstabilisé, hésitant. Shako tourna le regard vers lui, inspira et put facilement suivre son esprit branlant. Il le plia à sa volonté, le força à se redresser. La peur du soldat, dégoûtante, lui monta plus encore aux narines. L’Exécuteur le prit par un pan de son armure, l’amena à lui, et lui insuffla de se reprendre. Shaaku conserva l’entrée dans son esprit grande ouverte. Un esprit affaibli, indigne de la confiance de l’Arbre. Il allait devoir s’en occuper plus tard. L’autre garde se remit en faction. Shaaku lança un dernier regard à la créature emprisonnée, avant de la quitter. Il allait d’abord en finir avec les autres cellules. ******* Sa seconde confrontation avec la créature allait être, pour l’Exécuteur, une nouvelle surprise. Elle avait pourtant commencé sous des auspices très favorables. Et c’était une bonne chose, car il ne pouvait pas tolérer cette perte de temps. Il était entré comme à son habitude. « Il ne reste plus que vous. » dit-il à la créature. Elle semblait abattue, extérieurement. Prête à céder, pensa-t-il. « Vous et l’enfant » il ajouta brusquement. Elle réagit à cette remarque ; relevant la tête pour l’observer. Mais pas assez encore pour ouvrir son esprit. « Je ne viendrai pas le voir tant que vous me parlerez. Parlez et je resterai ici, à vous écouter. ». La chose devant lui le regarda longuement, puis acquiesça. « Très bien, alors, reprenons », dit Shaaku. « Je suis l’Exécuteur Shaaku. » « - Exécuteur… », reprit-elle d’une voix éteinte et rompue par la soif. Shaaku acquiesça. Elle ne continua pas. C’était pour elle une façon de prendre en compte son rôle. « Oui. Je suis ici pour vous guérir de votre mal », continua l’Exécuteur. La créature l’observa. « - Vous êtes ici pour me tuer », dit-elle sèchement. « - Ecoutons d’abord ce qu’il y a à dire à votre sujet. Vous pouvez être sauvée. Cela ne dépend que de vous. » Shaaku disait la vérité, mais pas toute la vérité ; aucune créature terrienne n’avait été jugée digne d’être sauvée, jusque là. « Alors je vous écoute ! - Et que désirez-vous entendre, au juste ? » Shaaku eut une seconde d’amusement. Il répondit longtemps après. « - Tout. » La femelle marqua une pause, puis commença. « Nous venons des terres de Karnad. » Shaaku écoutait. Le Karnad s’appuyait sur la moitié nord des continents. C’était un territoire vaste. La boucle de Karnad, comme l’appelaient les siens, était une des plus peuplées ; peut-être dix à vingt mille créatures comme elle s’y abritaient encore après la destruction. « Nous étions partis chasser. Récupérer du matériel. » Elle le regardait ; elle étudiait ses réactions. Les efforts de la créature amusaient grandement Shaaku. « Nous ne voulions pas être repérés par les Séraphins », elle ajouta enfin. Shaaku s’éveilla aussitôt. Il avait ressentit ce goût piquant, ces trois gouttes de peur. Les Séraphins avaient souvent cet effet sur les terriens. Je la tiens. Il se lança dans son esprit. C’est avec délectation qu’il entra dans le ce torrent. Mais il devait se concentrer ; il devait trouver la Marque ! Si elle n’était pas sur son corps, alors il fallait la rechercher ailleurs. Il était plus aux aguets, désormais ; elle ne pourrait pas le rejeter aussi facilement. Il se jeta de toute son expérience, à travers tous les embranchements à la fois, puis remonta à la branche précise qui l’intéressait. Les souvenirs abondaient. « Pars », elle entendait. « PARS VITE ! » Elle se jeta en courant mais les gravats la ralentissaient. L’odeur acre et forte remontait à ses narines. Elle courut à perdre haleine, trébuchant plusieurs fois sur les cailloux instables. Elle finit par prendre appui, enjamber une poutre en toute hâte, passer un cadre de fenêtre, puis se retrouver à l’extérieur du bâtiment en ruines. Elle courut encore longtemps, jusqu’à trébucher et heurter de l’épaule un pan de métal rouillé. Il y avait un trou au travers de la machine. Il y faisait sombre. Elle s’y engouffra. Puis elle attendit. L’odeur était moins forte - pour le moment. Elle calma peu à peu sa respiration, son pouls. C’était habitait la carcasse vraiment délabrée d’une ancienne machine, mais elle y était bien cachée. Elle avait chaud, mais l’acier de son abri restait froid. C’était bon signe. Le calme s’installa en elle. Quelque chose se mit à la tarauder un moment plus tard. L’Exécuteur ressentit un picotement et faillit s’extraire de ses pensées par prudence. Mais il devait en savoir plus. La créature bloqua sa respiration. Elle ne se sentait plus en sécurité. Quelque chose, un sixième sens, lui hurlait le danger. Elle toucha le métal de son abri. Et réprima un sentiment d’horreur - car le métal était subitement devenu chaud. ******* L’Exécuteur savourait cet instant qu’il appelait celui de vérité. Ou plutôt, il savourait tout ce qui précédait tout juste cet instant délicat ; les prémices fugaces de cette révélation. Car il allait bientôt savoir qu’elle avait bel et bien été Marquée. Le destin d’une vie allait se décider. Sûr de la suite des événements, il ouvrit les yeux pour observer sa victime. Habituellement, les choses dont le Ka’tei se trouve envahi restent dans un état de stase. Le corps des créatures est hébété, comme figé ; leur mental n’arrive pas à reprendre le dessus, et le corps ne sait plus vraiment comment agir. Selon l’intrusion souhaitée, l’Exécuteur pouvait laisser ainsi la personne comme une coquille vide pour un temps indéfini. Cela finissait le plus souvent par un tir de pistolame, car les pantins ne procuraient aucun amusement pertinent. Ses intrusions actuelles étaient pressées ; sa supérieure, l’Akalla, allait bientôt venir et il ne saurait la faire attendre. Mais Shaaku fut confronté à une nouvelle surprise. La créature devant lui n’était pas en stase. Elle n’était pas non plus hébétée. Elle n’était pas non plus en transe, comme perdue dans un chant oublié. Non. Elle avait les yeux ouverts, et elle le REGARDAIT. « Comment faites-vous cela ? » elle demanda d’une voix vive. « Pourquoi faites-vous cela ? » elle insista férocement. N’obtenant pas de réponse - Shaaku était encore sous le coup de la surprise - elle se releva. Ce qui était un autre exploit, l’Arbre étant souvent prompt à drainer la force de ses hôtes indésirables et irrespectueux. L’Arbre semblait s’accorder avec elle. « C’est votre technique ? » elle demande. « Pourquoi nous considérez vous comme des rats ? » Shaaku ouvrit la bouche mais aucun son ne sortit. Elle avait brisé son contact - ce qui était une chose rare - et il n’allait pas vérifier dès maintenant si son Ka’tei pouvait être rouvert. Ce qui était sûr c’est que le chemin ouvert dans son âme avait donc fonctionné dans les deux sens, contrairement à son souhait. « - Et bien, et bien, dit-il enfin. Qu’avons-nous là… vous êtes bien la première que je rencontre parmi les créatures perdues. » Elle fronça les sourcils. « - Vous avez tué les autres » dit-elle. Ce n’était pas une question. « - En effet, répondit-il. En effet. » Shaaku se releva à son tour, pour la dominer de sa hauteur. « Tel était leur châtiment. » « - Leur châtiment pour quoi ? POUR QUELLE FAUTE ? » Elle s’était mise à crier. Le coeur de l’Exécuteur fit comme un bond malgré lui. Dans son cri résonnait la puissance d’une spirite ; dans son coeur la force d’un lion ; et elle récupérait de la force à chaque instant. Il ressentit une flamme s’éveiller en elle. Shaaku fut pris de l’envie de reculer, mais maîtriser ses instincts lui était depuis très longtemps acquis. Les instincts n’étaient-ils pas l’héritage de l’animal ? Eux n’étaient-ils pas au-dessus, devenus des serviteurs de l’Arbre et de forces plus immuables, plus stables, supérieures ? Instinct ou pas, par contre, il lui fallait gagner en prudence. Aussi il décida de se retirer. A son départ, il laissa son garde refermer l’ouverture. A l’intérieur de la cellule était maintenant une créature terrienne, mais surtout une spirite, un être dangereux comme lui. L’heure était maintenant venu pour lui d’en faire part à l’Akalla. ******* Il traversa plusieurs chemins, de nombreuses voies qui auraient été tortueuses pour d’autres que lui. Mais l’Arbre suivait sa progression, il lui parlait et il savait où se rendre. Le dernier couloir lui fit passer devant une garde d’honneur ; douze gardiens au moins sortirent de leurs alcôves discrètes pour le surveiller. Ils avaient le corps affublé des armures kyto capables de résister aux blasters et étaient bardés d’armes léthales. Un néophyte les aurait considéré comme habillés de bois souple. Ses deux gardes personnels, en comparaison, dans leurs longues toges noires, lames-coeur et simples pistolames d’exécution, n’étaient que peu de choses. Tout au plus partageaient-ils en commun le masque qui dissimulait leur visage. Shaaku laissa son regard glisser sur l’un des gardiens, détaillant consciemment sa panoplie. A la ceinture, le garde portait des sphères et petites barres de métal. Les barres, il le savait, pouvaient se déplier et devenir des lances énergétiques mortelles. C’était l’arme préférée de leurs guerriers, utilisable au contact et en projectile à large champ. Les sphères étaient habituellement des diffuseurs de gaz paralysant ; très utiles quand on descendait capturer des spécimens. Au bras droit se trouvait un arsenal caché dont lui-même n’avait pas connaissance, et au bras gauche, comme négligemment fixé à l’extérieur de son poignet, un petit cercle ; discret, anodin, mais certainement l’outil le plus important dans toute cette panoplie. Il s’agissait en effet d’un émetteur de champ de force, suffisamment puissant pour dévier toute attaque dans la direction souhaitée. La puissance de tout cet arsenal était animée par la seule volonté du guerrier ; son énergie « interne ». Pour cette raison, les gardiens étaient rarement vus en activité en dehors des entraînements fréquents et des moments où ils étaient en faction. Ils préservaient leur force. L’Exécuteur passa devant eux sans les saluer. Leur présence seule justifiait qu’il était tout près de la rencontrer. Il traversa une arche, et aperçut enfin l’Akalla. Sa supérieure était devant lui, resplendissante et redoutable à la fois. Ses cheveux étaient devenues des racines ; et sa peau, creusée de fines rainures de bois. Son corps était de chair mêlée à l’Arbre, et s’il s’agissait d’une femme, c’était maintenant une autre espèce. La force d’une Akalla était multiple : elle avait une puissance physique incroyable ; un regard flamboyant capable de percer les âmes et les Ka’tei ; et on ne pouvait réellement la détruire, car une Akalla était capable de se reconstruire de rien. Sa présence était un honneur, mais également toutefois un danger pour quiconque pensait avoir quelque chose à se reprocher. Elle se tourna vers lui. Ses yeux, de couleur orangés, lui lançaient un défi. « JE SUIS AKALLA. QU’ES-TU ? » « - Je suis l’Exécuteur Shaaku, serviteur du Dieu-Arbre », fit-il en ployant le genoux. Un instant de silence suivit. Il se sentait sondé, soupesé par celle que l’on appelait la Messagère de l’Arbre. « - JE SUIS AKALLA. ET JE TE RECONNAIS. » dit-elle. L’Exécuteur en fut soulagé. Il se releva. Le reste allait pouvoir suivre selon la tradition. Il sentit les pensées de l’Akalla chercher à entrer dans son Ka’tei, aussi il lui ouvrit un espace. Il ne fallait jamais rien lui refuser. « Les égarés sont-ils détruits ? » pensa la Messagère. « - Oui, Akalla. Sauf… » « - Sauf une. », reprit-elle. Elle tourna son regard flamboyant vers le côté, comme observant quelque chose à travers la paroi pourtant opaque du vaisseau. « Celle-ci, et tous les autres. Ils sont un danger. Je le sens. » Il ressentait dans son esprit que « tous les autres » signifiait bien l’ensemble des terriens. « Certains ont donc le pouvoir de devenir grands », pensa-t-elle. « Prends tous les gardes, tous les serviteurs. Tous les Exécuteurs. Installez -vous sur leurs terres. Chassez-les. Détruisez-les. » Elle rompit subitement le contact. « ELIMINE-LES TOUS. » continua-t-elle de sa voix physique. « ET TU COMMENCERAS PAR ELLE » dit-elle. Shaaku se mit de nouveau à genoux. L’Akalla avait quitté son esprit très brusquement. Son ordre était d’une intensité brûlante. Shaaku laissa les vibrations mentales s’estomper et son coeur reprendre son rythme. Perdre le contrôle, devant une Akalla, était évidemment hors de question. Aussi aucune émotion ne devrait l’ébranler. Il laissa ainsi ce moment passer lentement. Cependant, il ne comprenait pas. Si des spirites étaient maintenant parmi les terriens, ne fallait-il pas plutôt les guider ? L’exclure de toute éducation, décider de la supprimer, était inconcevable. Mais Shaaku se releva en ayant accepté son devoir. Le vaisseau-arbre avait déjà transmis le message à tous ses habitants. Quand il sortit d’un pas décidé, la garde d’honneur lui emboîta aussitôt le pas, prête à agir. Le reste des terriens, quelques milliers de créatures, allait être éliminé. En commençant par « elle »… ******* … à ceci près que la cellule de la créature était vide. La disparition de la créature n’était pas seulement un embarras ; c’était une aberration, pure et simple ! Le passage était actuellement ouvert, comme pour insulter sa propre intelligence. L’Arbre refusait de révéler la position de la créature, mais Shaaku était certain qu’il l’avait pourtant laissée sortir. La cellule étant vide, Shaaku n’avait plus rien à faire ici. Il ordonna sa recherche - les équipes la trouveront facilement. Pour l’heure, il fallait organiser la mise en place d’une oeuvre bien plus grande. Il gagna la passerelle - un lieu de l’Arbre situé vers l’avant, vers l’extérieur, et en distribua les premiers ordres. Leur appareil se mettait en position. Une centaine de nacelles allaient être déployées et former tout autant de bases d’opérations sur la planète. Des dizaines d’autres vaisseaux allaient ensuite les rejoindre pour en faire autant. La Terre était en dessous, ravagée et meurtrie. Les continents étaient à peine visibles tant les fumées noires et toxiques recouvraient l’atmosphère. Les dégâts causés par les Séraphins n’était que la toute dernière couche de multiples et longues destructions déjà engagées par l’Homme. Les Séraphins. Ils avaient hérité ce nom d’anciennes croyances ; les êtres humains croyaient alors qu’ils s’agissaient d’anges de feu, d’apôtres divins envoyés répandre l’apocalypse finale. Pour les punir, évidemment. Ou même pour les sauver ! C’était une allusion assez aisée, finalement, vu l’aspect ailé et enflammé des nouveaux arrivants, et il était tellement facile de placer l’Homme encore une fois au centre des projets. Mais c’était seulement l’une des races non terrestres parmi plusieurs milliards. Une race qui avait la compréhension totale des forces physiques comme des âmes et qui écrasa littéralement les armées, les bâtiments, et tout ce qui était fait homme. Des vagues de feu, de lave et d’ondes mentales avaient ravagé le monde. Autrefois ils seraient passés pour des dieux, désormais ils n’étaient que la fin d’une autre espèce. Les motivations réelles des Séraphins restaient pourtant inconnues. Le début faisait penser à une race « d’équilibreurs » ; de ceux qui intervenaient sur les mondes en déliquescence pour en chasser l’espèce qui détruisait et infestait toute la planète. Les équilibreurs étaient très nombreux dans la galaxie et s’assuraient qu’une race néfaste n’allait pas envahir l’univers entier comme un essaim de sauterelles. Sans eux, mêmes des galaxies innombrables ne seraient pas à l’abri d’une bêtise toute aussi infinie. Mais mille années d’occupation était un temps assez long que les Séraphins avaient mis à profit pour terraformer le monde. Les horreurs commises envers la nature étaient visibles, insupportables, faites de crevasses, déserts et plaines vidées de toute vie normale. De nouvelles faunes et flores avaient pris forme. Shaaku regrettait le départ de tant de vecteurs uniques. Le retour des gens de l’Arbre à leur berceau d’origine avait été une terrible déception. Plongé dans ses pensées, Shaaku reçut un sentiment d’alerte. La fugitive est trouvée. Il donna ordre à ses gardiens d’organiser l’embarquement et partit flanqué de ses deux gardes pour régler son sort à la créature restante. ******* L’Exécuteur la retrouva cachée au fond d’une impasse. Son corps se soulevait rapidement sous l’effet d’une respiration effrénée. Elle transpirait mais ce n’était pas sous l’effet de la course. Il reconnut les symptômes. Son canal s’éveille ! Ses pouvoirs de spirite sont sur le point de se déchaîner pour la première fois ! Ses deux gardes la tenaient en respect avec leurs pistolames mais il allait falloir faire plus. Shaaku concentra ses pouvoirs. Le tourbillon des émotions de la prisonnière était terrifiant de puissance. Mais il l’entoura de ses pensées, le contint, le réprima. Elle se relâche trop ! Leur canal les faisaient percevoir les émotions de toute forme de vie. Les émotions étaient la base des pouvoirs de tout spirite. Par leur biais, ils pouvaient contrôler les autres, les utiliser et connaître leurs plans. Les Serviteurs de l’Arbre avaient reçu l’enseignement de cette capacité il y a un millier d’années, dans les Sept Responsabilités qui étaient la fondation de leur ordre. Il était surprenant de voir apparaître cette capacité sous une forme aussi sauvage, car la forme sauvage signifait être vulnérables. « Vous allez nous détruire », dit-elle. « JE L’AI VU ! » Son cri envoya une onde puissante qui fit reculer les gardes. Mais qui ne le fit pas reculer, lui. Shaaku fit un pas en avant. « Nous n’allons pas vous détruire. Nous ne ferons que peu de choses. » dit-il en avançant encore. « Votre peuple était grand, autrefois. » La créature l’observait. Ses yeux brillants et ses lèvres tremblantes trahissaient son état. Ce qui aurait été inoffensif pouvait être désormais terrible dans l’esprit d’une spirite. Il l’approchait encore, l’hypnotisant dans son mouvement. « Il a survécu à de grands fléaux. De très grands. » « Mais il en a causé… de plus terribles encore ! » continua-t-il d’un ton triste. « Puis est venu son heure de gloire ! » dit-il sur une note d’espoir. Il restait concentré, concentré sur la maîtrise de l’autre. « Il s’est éveillé au besoin de protéger le monde. Il s’est éveillé à son devoir, sa responsabilité dans l’Univers. » Il leva une main, dressa ses cinq doigts, et s’amusa à voir que son geste fonctionnait. « Cinq cent. » « Cinq cent vaisseaux ont été fabriqués pour rechercher d’autres mondes. » « Dix seulement d’entre eux sont devenus les gens de l’Arbre. » ajouta-t-il en fermant le poing. « Un fondateur. Neuf qui l’ont rejoint. » Neuf conquis était plus près de la vérité. Il était maintenant tout près d’elle et elle était en son pouvoir. Il baissa les bras et prit ses mains dans les siennes, avec tendresse. Elle était jeune. « Vous avez souffert. Je le sens. » « Les Séraphins changent les personnes qui les approchent. Vous le savez. Vous le sentez vous aussi ». La voix de Shaaku s’adoucit. « Ils ne terraforment pas que le sol, l’air, l’eau. Ils terraforment aussi la chair. Ils terraforment aussi… les esprits. » Il leva sa main droite comme pour caresser ses cheveux, de manière paternelle. « Vos amis ont tous été Marqués. » « Ils n’étaient que des restes vaincus de votre peuple. De notre peuple. » « Mais ils allaient devenir d’autres choses. » Il ouvrit son esprit juste assez pour lui transmettre quelques images de ce qui aurait été leur sort. « Vous avez été transformée. Différemment. » Elle baissait sa garde. Shaaku se délectait de sa victoire imminente. « Mais vous ne voulez pas les servir. Il vous faut mourir. ». « Vous savez que je dis vrai. » dit-il enfin. Il détacha sa main gauche de la sienne. Il ressentait son pouls. Chaque battement, chaque pulsation les habitaient tous deux. Il leva son bras gauche, et serra le poing. Elle ferma les yeux. Prête à s’abandonner. Un. La respiration de la créature s’arrêta aussitôt. Il la tenait. Deux. Il sentit un craquement suspect à l’intérieur de son âme. Des larmes coulèrent le long de sa joue. Trois. Elle n’eut pas le hoquet escompté. Elle repensait à son amour passé. Et à son enfant ! C’était donc le sien ? Comment me l’ont-ils caché ? Il ne put retenir ce qui arriva. Une fraction de seconde, il pressentit la chose. Mais l’instant d’après, un VERITABLE TORRENT LE BRISA. Son contrôle était balayé. « JE VOUS TUERAI ! » hurla-t-elle en se libérant. Il fut surpris, et même frappé d’hésitation. Il sentit sa volonté envahie. Il était paralysé ! « JE VOUS TUERAI ! » hurla-t-elle encore, en larmes et en plein déchaînement. L’un de ses gardes, le plus fiable, leva son arme en un geste rapide. Il visa la créature entre les deux yeux. Shaaku entendit un déclic. Mais le projectile de lumière se brisa en plein vol. Ainsi que le second. La créature tourna le regard vers le garde puis ferma les yeux. Il s’écroula. Le second soldat, lui ne bougeait pas. C’était le soldat faible. L’Exécuteur sentit l’attention de la créature se porter sur lui-même. Il sourit intérieurement tant il se savait prêt pour ce combat. Leurs esprits dansaient mais lui était entraîné au contrôle de ses émotions. Elle était comme un feu incontrôlé que lui pouvait éviter sans crainte. Il retrouva même le contrôle de ses mouvements. Il tendit un bras, sentit sa chair, et l’étrangla alors même que leurs esprits dansaient. Il ne dit pas un mot alors qu’il l’Exécutait. Elle ouvrit ses paupières et le regarda intensément. Ses larmes séchaient. « Je vous tuerai », souffla-t-elle d’une voix étranglée, sur un ton plus calme. « Puis je les sauverai », elle ajouta. Un bruit derrière Shaaku l’alerta. L’Exécuteur ressentit un éclair de douleur et fut poussé en avant, plaqué contre la créature. Il écarquilla les yeux. Alors que son corps vacillait, il tourna la tête. Le second garde avait encore l’arme pointée et fumante. Le garde. Sous son contrôle ! La porte laissée dans l’esprit du soldat avait été utilisée. Shaaku sentit ses forces l’abandonner et son propre corps chuter. Il ressentit la volonté de la jeune spirite parcourir son esprit et aspirer toutes ses connaissances, toute son histoire. Elle le retint alors qu’il glissait vers le sol. « Comprends », soupira-il alors qu’il tombait. « Comp.. rends… nous… » dit-il en mourant. Son dernier souvenir fut le bruit des nacelles d’invasion lancées vers la planète. Puisses-tu réunir nos deux peuples, pensa-t-il de toutes ses forces. |
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