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Joute n°40 : Sciences et Arcanes
Joute 40 Texte E : Andaria
Le 30/04/2017 par Aramina non favori



Un petit garçon potelé jouait assis dans l'herbe. Ses tous petits orteils s'agitaient au contact des brins chatouilleurs. Il les fixait du regard avec le sérieux et l'extrême concentration d'un enfant de deux ans découvrant le monde. Une douce brise caressait ses belles boucles blondes. Une journée idéale, comme toutes celles d'Andaria.
L'enfant se leva pour de nouvelles aventures printanières et son image se zébra sur le vieil écran grésillant. L'espace d'une respiration l'estomac de Jonas se noua de peur que le poste ne s'éteigne. Il aurait dû partir depuis longtemps, tout son corps lui hurlait de se déconnecter du circuit, mais il ne parvenait pas à lâcher cette télé des yeux. Il voulait juste le voir quelques minutes, quelques secondes de plus. Le temps de lui dire au revoir. Le petit garçon réapparut dans une netteté toute cathodique et Jonas se remit à respirer.

Une toute petite partie de son cerveau récitait l'invocation qui lui était allouée. Tout le reste était comme hypnotisé par ce petit bout d'homme qui courait en riant dans un vaste jardin en fleur. L'enfant s'arrêta et leva les yeux. Un magnifique papillon voletait vers lui. Jonas, lui, n'avait pas besoin de le regarder pour savoir à quoi il ressemblait. C'était lui qui l'avait imaginé dans ses moindres détails. L'insecte enchaina les pirouettes pour le plus grand bonheur du petit et se posa sur sa main tendue. L'enfant approcha le papillon de son visage, en louchant sur l'insecte tant il était proche. Le papillon se mit à battre des ailes contre le petit nez retroussé, ce qui déclencha chez le garçonnet un bel éclat de rire. Louisa créait toujours des merveilles. Normalement il était interdit de prendre des initiatives ou d'utiliser sa magie pour des créations personnelles, mais tout le monde fermait les yeux sur ces petits écarts, c'est aussi ça qui leur permettait de tenir. Le papillon reprit son vol et se dirigea vers une belle demeure en arrière-plan. L'enfant le suivi en sautillant. C'était l'heure de se laver les mains avant de passer à table, les nourrices avaient déjà du préparer son petit bol préféré et sa cuillère. Louisa avait autant envie que Jonas de garder l'enfant sur l'écran, mais le raccompagner à l'heure c'était sa manière de rester encore maman. Ils auraient donné n'importe quoi pour que le son accompagne l'image. Ils n'avaient jamais entendu sa voix.

Dès que l'enfant eu disparut de l'écran Jonas se déconnecta d’Andaria. Son rôle était de filtrer l’air de la plateforme. Il ne savait pas comment il faisait, juste que son pouvoir lui permettait de le faire. Un peu comme il était difficile d’expliquer comment respirer ou faire battre son cœur. Alors tous les jours il prenait son poste et son esprit purifiait l’air des enfants. En échange, il gagnait le droit de regarder l’écran et l’impression qu’un torrent d’immondices traversait son cerveau. Jonas toussa. Personne ne purifiait leur air. Il traversa rapidement les artères métalliques de la station pour se diriger vers les navettes de retour. Sur le quai Louisa l’attendait déjà. Ils échangèrent un petit sourire plein de tendresse et de fatigue et attendirent leur wagon dans les bras l’un de l’autre. Ils ne parlaient jamais avant d’être rentrés chez eux, les incantations leur prenaient trop d’énergie. Et quitter l’image de leur fils étaient tous les soirs un nouveau déchirement. Le chemin du retour leur servait à récupérer et à encaisser ce deuil quotidien.

Jonas regardait le paysage défiler derrière la fenêtre de son wagon. Tout était ocre et sable. Plus un arbre, plus un brin d’herbe. Encore moins une fleur. Des nuages de poussières s’envolaient de la terre morte sous le vent permanent. Au loin se dessinait la silhouette d’une machine déversant ses produits chimiques habituels pour faire pousser les quelques plantes transgéniques qui avaient survécu. Comment les paysans avaient-ils pu empoisonner volontairement leur bien le plus précieux ? Quelle que soit la réponse, il était trop tard de toute manière.

Autrefois la nature était riche et belle. Il y avait des fruits, des animaux. Tout le monde trouvait ça normal. Tout le monde pensait que ce serait toujours le cas. Puis il y avait eu des signes que les choses étaient en train de déraper. Que l’homme avait perdu pied. Qu’il ne vivait avec la planète, mais à ses dépens. Le temps avait commencé à changer. Des plantes et des animaux à disparaitre. Des zones devenaient inhabitables, des populations étaient déplacées, mourraient. Mais comme un train lancé à trop grande vitesse, l’homme avait continué à accélérer sur sa trajectoire, incapable de freiner ou changer de route. Sauf qu’en lieu et place d’un tunnel, il y avait un mur au bout de la voie. Ils avaient tout ce dont ils avaient besoin, mais leur société les avait convaincus qu’ils n’en avaient jamais assez, ou peut-être s’en étaient-ils convaincus eux même. Alors ils produisaient, détruisaient et consommaient, y compris ce dont ils n’avaient même pas envie. Tout devait être plus beau, plus lissé, plus standardisé. Tout devait être en quantité. Les modes changeaient d’un mois à l’autre, les melons pourrissaient sur pied si leur forme ne répondait pas à un ridicule cahier des charges. Aujourd’hui il n’y avait plus de mode. Il n’y avait plus de melons.

Et puis un jour, alors que tout était sur le point de basculer et que la fin semblait proche Elle était venue. Ou Lui. Ou Ça. Chacun avait sa version. Une sensation totalement inconnue et pour laquelle il n’existait pas de mot. Comme une étreinte de l’esprit, une immense lueur sans lumière. Pour Jonas c’était « Elle » car il l’avait ressentie comme une maman pleine de douceur et de compassion qui vole au secours de ses enfants préférés. Cela n’avait duré que quelques secondes, mais certains s’étaient vu doter de pouvoirs. Elle leur avait donné une deuxième chance, celle d’apprendre de leurs erreurs et de réparer leurs dégâts. Et bien entendu ils n’avaient rien appris et encore moins réparé. Au contraire.

Certains peuples s’étaient fait la guerre dans leur désaccord de qui ou quoi était venu. Tous les autres en ont profité pour utiliser ces nouveaux pouvoirs afin de reprendre sur leur lancée. Alors qu’ils avaient la chance inespéré d’un nouveau départ, ils avaient continué à étouffer la poule aux œufs d’or dans l’espoir de pouvoir gratter quelques paillettes. Jour et nuit des corps fatigués incantaient pour faire produire toujours plus à des terres déjà épuisées. Des illusions rivalisaient d’exubérance pour vendre quelques babioles inutiles. On mangeait des fraises sous la neige, dans les robes aux couleurs changeantes. Les enfants pouvaient admirer des licornes tout en circulant dans des allées de supermarché. Personne n’avait jugé utile de soigner leur seule terre malade de ses enfants, ou du moins trop peu de monde. Et la terre est morte.

C’est arrivé comme ça, d’une année à l’autre. Un hiver la nature s’est assoupie et, comme une vieille dame dont le corps ne peut plus porter l’âme, elle ne s’est pas réveillée. Tout s’est effondré, l’abondance, l’apparence et la boulimie de consommation. Les hommes se sont retrouvé avec leurs pouvoirs, leurs grosses voitures, leurs armoires de vêtement et leur étalage de technologies mais sans l’essentiel pour vivre. Alors comme un enfant qui s’est perdu et qui ne retrouve pas sa maison, il a paniqué, mais il n’y avait plus personne pour lui indiquer le chemin du retour. Et de toute façon il n’y avait plus de maison où rentrer. « Elle » n’est jamais revenu, ils avaient même réussi à décevoir cette force plein d’amour au point qu’Elle ne cherchait plus à les sauver. Il y eu alors ce que l’on appellait maintenant « Le grand éveil ». La prise de conscience. Du jour au lendemain les hommes se sont souvenus de l’essentiel et les rues se sont retrouvées noires de monde. Dans un grand élan, scientifiques et magiciens se sont réunis, des groupes de travail sont nés spontanément aux quatre coins du monde. Pendant que les catastrophes naturelles s’enchainaient, que les récoltent mourraient et que les populations déclinaient, il n’y avait plus de guerre, plus de profit, juste un effort commun pour tenter de sauver l’espèce humaine. Il y avait tant d’énergie mais si peu de temps, et pour une fois les hommes s’étaient comporté en adultes. Ils avaient décidé d’assumer leurs erreurs, d’expier leurs péchés et de préserver les enfants. C’est ainsi qu’Andaria et ses sœurs étaient nées.

Chaque ville avait construit sa plateforme. Ingénieurs et incantateurs travaillèrent sans relâche à leur réalisation. Recréer un environnement parfait. Des champs, des fleurs, des écureuils dans les arbres et des oiseaux qui chantent. Les super-structures flottaient au-dessus des perma-nuages. Des centaines d’hommes et de femmes se connectaient en permanence aux circuits pour injecter la magie nécessaire à leur bon fonctionnement. Chacun s’était spécialisé dans un domaine. Jonas filtrait l’air pour le débarrasser de tous les gaz toxiques et irritants. Louisa créait des illusions parfaites d’animaux et d’insectes. Mécanique et magie avait fusionné pour offrir l’essence de ce qu’elles avaient de meilleurs aux enfants. Contre toute attente, ça avait marché. En contrepartie les adultes devaient survivre avec ce qui restait de leur planète.

Jonas soupira. Il effleura la joue de Louisa qui semblait dormir. Invoquer toute la journée la vidait de son énergie, mais c’était sa seule raison de vivre, comme à eux tous. Le soir venu ils rentraient dans leurs logements, simples cubes limités au minimum d’espace nécessaire. Il avait été décidé de laisser un maximum de zones désertes, pour laisser une chance à la nature de reprendre ses droits. Mais contrairement aux déserts d’entant aucune vie ne se dissimulait sous les cailloux et la terre sèche. Ni plante, ni animal, ni insecte ne venait reconquérir les espaces nus. Tout restait désespérément vide. Seuls les virus et les bactéries semblaient vouloir se rappeler à leur bon souvenir. Le paysage n’offrait plus de surprise. Le soir, comme tous leurs voisins, ils ouvraient une boite d’aliment, une par personne. Comme à tous les repas elle contenait une bouillie aussi verte que fade mais apportant tous les nutriments dont ils avaient besoin pour survivre. Comme dans tous les logements il y avait une ampoule au plafond et de vieux radiateurs aux murs, mais ils devaient utiliser leur propre magie s’ils voulaient les faire fonctionner. L’ensemble de l’énergie produite était consacré aux plateformes. Il n’y avait plus de pétrole, plus de gaz. Que des énergies propres et les structures étaient plus que gourmandes. Comme la plupart des gens Jonas et Louisa allaient s’allonger tôt. Ensemble ils évoquaient les images de la journée, les chutes dans l’herbe et les chasses aux coccinelles, les fleurs qui sentent bons et les pieds dans les flaques d’eau, les siestes en plein air et les bulles de savon a éclater. Avant de s’endormir ils passaient de longues minutes, parfois des heures, à imaginer ensemble les moindres détails du Papillon-Au-Revoir. Sa taille, ses couleurs, ses formes… ils construisaient à deux l’illusion que Louisa invoquerait le lendemain. Tous les soirs une différente.
Dans le silence d’un monde qui se vide certains dépensaient le peu d’énergie qui leur restait pour faire fonctionner de vieux postes de musique. D’autres les écoutaient, reconnaissants de cet interlude dans leur monotonie. Ils avaient connu la musique à volonté sans l’apprécier. Maintenant ils se rappelaient de sa valeur. Dans la chaleur et l’air vicié certains trouvaient peut-être l’envie de s’aimer, et peut-être que de cet amour apparaitrait une nouvelle vie. Alors ils devraient faire le choix terrible entre garder leur enfant dans leur monde sans couleur, sans plaisir et sans espoir ou l’envoyer sur une plateforme comme Andaria. Ce n’était pas vraiment un choix, personne ne pouvait souhaiter cette vie terrestre pour la chair de sa chair. Il y aurait des larmes, des déchirements. Certains n’y survivraient pas. Pour tous les autres il y avait les salles d’incantation et les écrans fixés sur leur progéniture.

Le wagon commença à ralentir à l’approche du terminus. En file bien disciplinée tout le monde descendit pour rejoindre leur cube. Jonas balaya du regard le paysage lunaire autour de lui et leva les yeux vers Andaria. Quelles qu’ai été leurs erreurs du passé ils avaient tant réussi en si peu de temps. Ils avaient sauvé les enfants et, dans leur grande culpabilité, leur avait tout consacré pour leur offrir un monde parfait jusqu’à l’âge adulte. Ils avaient renoncé au superflu, innové, ils s’étaient adaptés. Après le pire l’homme avait montré ce qu’il avait de meilleur et de plus courageux en lui. Personne ne pouvait dire de quoi le futur serait fait. Il y avait de moins en moins d’enfants. Peut-être que l’être humain allait s’éteindre de lui-même, en baissant les bras devant l’utilité de continuer une vie sans espoir de renouveau. Peut-être qu’un jour l’inespéré allait se produire, et que la nature se réveillerait d’un très profond sommeil. Ils avaient même accepté de vivre dans cette incertitude. Une seule chose réveillait encore et toujours Jonas et ses compatriotes la nuit. Une seule chose les paniquait et les rongeait un peu plus chaque jour qui passait.
Le regard que porteront sur eux les enfants devenus grands qui descendront d’Andaria.