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Joute 38 : Les chronochaotiques
Joute 38 Texte B : Les Lilas
Le 08/06/2016 par Aramina non favori



Amy soupira. Pas besoin de compter, dès son entrée dans la pièce elle su qu'il manquait un pensionnaire. D'instinct. Elle allait devoir agir vite, le présent de leur univers était peut-être en jeu.

Cela faisait maintenant 5 ans qu'elle travaillait aux Lilas et elle n'avait toujours pas compris pourquoi on donnait des noms de fleurs aux maisons de retraite. Cela sentait plus les fuites urinaires et les produits désinfectants que les pétales et la rosée. Elle balaya la salle commune des yeux. Alice souriait toute seule dans son rocking chair. Elle allait devoir la surveiller, qu'elle ne se plonge pas trop profondément dans un bon souvenir. Maurice tournait en rond à tout petit pas autour d'une table basse. Dommage, elle savait toujours quand le retrouver. Inlassablement il retournait espionner le jour de son mariage. Amy espérait rencontrer un jour quelqu'un qui l'aimerait autant que Maurice avait aimé sa défunte épouse. Jeanne dormait en faisant des bulles. Louis...
Pas de Louis.
Elles couru en esquivant les frêles patients dérivant dans la salle jusqu'à la fenêtre où Louis passait le plus clair de ses journées. Elle ferma les yeux, boucha ses oreilles et arrêta de respirer pour laisser toute la place à sa sensorialité temporelle.
La trace était là, ténue. Voila plusieurs minutes qu'il était parti et personne ne l'avait détecté jusque là. Amy était contrariée, tant de choses peuvent se passer en quelques minutes, mais elle comprenait ses collègues. Louis, Jeanne et leurs colocataires des Lilas n'étaient pas des gens comme tout le monde. Ils avaient été des héros. Ils avaient été des chronopointeurs d'élite.

Les chronopointeurs passaient des années à s’entraîner pour pouvoir voyager dans le temps, à un moment précis. Les plus doués réussissaient leur transfert à la seconde près. Ils sauvaient des vies, des nations, et à quelques reprises l'humanité. Une pandémie se répandait ? Un chronopointeur partait isoler le patient 0. Un conflit éclatait ? Un chronopointeur était envoyé pour de la diplo-prévention. Ils étaient raresn ils étaient connus... Et ceux d'Amy étaient vieux ? Pas le genre de vieillesse qui fait mal aux articulations et plisse votre peau comme à la sortie du bain. Le genre de vieillesse qui vous ronge le cerveau et vous fait perdre contact avec la réalité et le monde qui vous entoure. Des super héros avec des supers pouvoirs et une super démence. Ils étaient devenus chronochaotiques. Amy était chargée de surveiller qu'ils ne se transfèrent pas à une période sensible ou tout simplement que leurs actions sur le passé ne détruisent pas le présent.

Elle s'accrocha mentalement à la trace laissée par Louis et se laissa glisser. La sensation de déplacement temporel était toujours aussi grisante pour elle.

Lorsqu'elle ré-ouvre les yeux elle est sur un trottoir, entourée des bruits caractéristiques d'une grande ville. C'était déjà bon signe, Louis n'est pas parti trop loin dans le passé, elle ne risque pas de se faire croquer par un animal préhistorique.
Elle embrasse la scène d'un regard : Le jour qui tombe. Un alignement de building financiers. Un homme grisonnant, beau costume et air pressé en sort pour monter dans une grosse berline avec chauffeur. Et Louis à quelques mètres.
Lui aussi l'a repérée.
Dans un claquement caractéristique du vide d'air laissé par une disparition, il s'évapore. Amy traverse en courant, manquant de se faire écraser par des taxis harangués par leurs clients.

Fermer les yeux, boucher les oreilles, arrêter de respirer. La trace est nette presque éblouissante.

Amy n'était pas comme Louis et ses collègues, elle ne pouvait pas se déplacer comme elle voulait. C'était une chronofileuse. Beaucoup moins prestigieux que le chronopointage, le chronofilage nécessitait de suivre la trace résiduelle d'un chronopointeur. Les chronofileurs leurs servaient souvent d'assistants ou, comme dans le cas d'Amy, de papysitter. De nouveau elle glissa avec cette sensation de vertige habituelle.

Lorsqu'elle réouvre les yeux la ville a disparu pour laisser place à une salle de réception. Sur l'estrade une poignée d'étudiants reçoivent leur diplôme d'une prestigieuse école. Les coiffures et les tenues des parents débordants de fierté lui indiquent que Louis s'enfonce dans le passé. Un jeune homme tout sourire vient de finir son discours. Amy a une impression de déjà vu en croisant ses yeux rieurs et pleins d'assurance mais elle n'a pas le temps de s'attarder sur la question. Moins précise que Louis elle est arrivée trop tard, le fugueur est déjà reparti. Dans un angle de la pièce la trace temporelle s'estompe déjà. Amy s'y dirige discrètement mais personne ne fait attention à elle, tous les regards dévorent leurs prestigieuses progénitures.

La respiration qui s’arrête, un battement de cœur qui passe.

L'odeur acre des bêtes envahi les narines d'Amy. Les sabots font vibrer le sol sous ses pieds. Elle ouvre les yeux.
C'est une belle journée ensoleillée. Les fanions multicolores volent dans la légère brise. Des spectateurs attendris applaudissent de petits compétiteurs sur leurs double poney. Un chien aboie dans l'excitation du moment.
Louis est là. Bouche ouverte, cramponnant sa canne d'une main, il se tient appuyé à la barrière de la carrière suivante. Sous ses yeux un garçon d'une dizaine d'années enchaîne sans faute les obstacles de son parcours. Amy n'hésite pas une seconde. Elle sprinte dans la douceur estivale. Elle esquive adultes et enfants, les yeux fixés sur Louis. Ses bottes martèlent l'allée de terre, soulevant des gerbes de poussières et de petits graviers. Elle dérape à l'angle de la carrière et se jette en avant vers un Louis fasciné par le garçonnet...Qui saute son dernier obstacle.
Les bras d'Amy se referment dans le vide. Elle ne prend pas le temps de réfléchir ou de se cacher. Elle s'engouffre dans la trace que vient d'ouvrir son pensionnaire.

Elle s'écrase dans l'herbe fraîche d'une fin d'après midi d'automne. Louis est là, assis sur un banc, sa vieille canne abandonnée dans les feuilles rousses qui jonchent le sol. Quelques parents surveillent leurs enfants perchés sur des balançoires. Louis, lui, n'a d'yeux que pour un Louis beaucoup plus jeune, assis à quelques mètres et qui serre dans ses bras une grosse couverture. De cette couverture sort une toute petite main qui tente d'atteindre le visage de son père.
Amy se relève doucement, dans cet instant où le temps semble figé. Le vieil homme regarde la scène comme on se replonge dans son plus beau souvenir. Le jeune homme regarde les petites mains en se demandant comment des ongles peuvent être aussi minuscules. Et l'enfant regarde son père avec tout l'amour de l'univers.
Amy s'approche à pas feutrés et s’assoit à côté de son Louis. Elle lui murmure doucement :
« Louis ce n'est pas notre temps, il faut rentrer maintenant c'est dangereux ».
Sans la regarder Louis lui réponde de sa vieille voix rocailleuse : « ' ai pas le choix »
C'est la première fois qu'Amy entend Louis répondre lucidement à une question
« Le choix de quoi Louis ? »
« Il vient jamais me voir. Alors c'est moi qui vient. »
De grosses larmes roulent sur ses joues et se scindent en autant de petits ruisseaux que Louis a de rides. Sur son banc le jeune Louis profite de son bonheur total et présent, sans penser au temps qui passera, aux compétitions d'équitation, aux diplômes, aux agendas surchargés ou à la vieillesse.
Amy pose la main sur la vieille main osseuse. Dans quelques minutes le jeune papa recouvrira les petits bras de son fils et rentrera dans son foyer avant la nuit. Dans quelque minutes Amy raccompagnera le vieux monsieur aux Lilas et aura sûrement une conversation téléphonique avec un fils beaucoup trop absent. Dans quelques minutes. Mais parce que certaines minutes valent le risque de morceler tout l'univers et l'espace temps, Amy garda le silence et laissa un vieux monsieur se regarder vivre les plus beaux instants de sa vie.