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Joute 37 : Fragments obscurs
Joute 37 Texte B : Le rescapé du Taiscéalaí
Le 31/05/2015 par Bébel non favori



Le système stellaire vibre de secousses confuses. Les planètes bougent, elles tournent en vitesse, sur elles-mêmes, autour d'un point lointain, bien incertain. L'espace-temps frémit en silence. Au centre de cette torsion gravitationnelle, ride en surface, un vaisseau spatial, tout bleu, fend le vide.
Il a quitté la Terre il y a déjà deux ans. Son équipage, bien que très expérimenté, commence à se languir du retour. Le commandant Egwuekwe elle-même, toute de rigueur militaire, laisse transparaître quelque lassitude. Elle aussi, parfois, relève la tête de ses instruments de bord et se prend à rêver en regardant par le hublot noir.
Pour elle comme pour les 25 autres humains à bord, cette mission est tout à la fois un grand honneur et une rude épreuve. Le vaisseau bleu est depuis plus de sept cents jours en mission d'exploration à travers le système 23, fouillant les planètes et les astéroïdes. Le système 23, comme son nom l'indique, est le 23ème endroit de l'Univers où les hommes ont trouvé de la vie, il y a près de soixante ans. Mais il n'a jamais été sérieusement exploré : les ennuis rencontrés dans le système 7 ont monopolisé l'attention des Terriens pendant plusieurs décennies. C'est pourquoi la Mission EGW 23 revêt tant d'importance, c'est pourquoi les hommes d'équipage et leur commandant sont partis si pleins d'allant.
Irene Egwuekwe se souvient de cette joie immense, lorsqu'elle a appris sa nomination à la tête de la mission, il y a cinq ans déjà. Trois ans de préparatifs, de recrutements, l'élaboration des protocoles scientifiques, l'entraînement, tout cela est passé si vite … Le commandant sort un livre. Elle a besoin de se détendre, et depuis trois heures elle est officiellement en repos. La poésie l'a toujours réconfortée.

XXX

Couvés par les étoiles

Je sens sur moi les heures où tu es là, si chère,
Comme un beau souvenir, parfum en suspension ;
Et ce joli souffle faible, par sa tendre action,
Eveille comme un tourment nostalgique en ma chair.

Les traces du passé nimbées d'une lueur blanche errent
Dans mon esprit usé, vestiges de la passion
Que j'éprouvais autrefois quand nous unissions
Nos cœurs de plus en plus fort, ô gaie surenchère !

Le ciel me couve du regard de ses yeux milliards,
Des fragments lumineux à travers le brouillard
Qui tirent ces pensées noires de mon âme abîmée.

Quelque part, couvée aussi par ces mêmes lumières,
Tu es là, si chère, mais perdue dans l'Univers,
Et je rêve au battement doux de ton cœur aimé.

XXX

Journal de bord de la Mission EGW 23 – jour 734

07H00
Commandant Egwuekwe : Repos.
Sous-Commandant Nayeemuddin : Prise de service.
Capitaine Maldini : Service 2.
Capitaine Poussin : Service 4.
Capitaine Larsen : Repos.

08H12
Descente sur le satellite 9 d'Uranus 23. Objectif 31.548 km.
Fusées 5, 6, 8 : RAS.

08H35
Le chef-mécanicien Bagan signale une baisse du niveau d'huile dans le moteur 49.

09H00
Commandant Egwuekwe : Repos.
Sous-Commandant Nayeemuddin : Service 2.
Capitaine Maldini : Service 4.
Capitaine Poussin : Service 6.
Capitaine Larsen : Repos.

09H11
Descente sur le satellite 9 d'Uranus 23. Objectif 28.245 km.
Fusées 5, 6, 8 : RAS.

09H36
Le chef-mécanicien Bagan signale la remise à niveau de l'huile dans le moteur 49.

10H17
Le capitaine Maldini signale un objet non identifié en direction du satellite 14 d'Uranus 23.

10H22
Le capitaine Maldini reconnaît l'objet non identifié comme étant une capsule de survie Galak, modèle C.
Le sous-commandant Nayeemuddin charge le capitaine Poussin de prévenir le commandant Egwuekwe.

10H31
Commandant Egwuekwe : Prise de service
Sous-Commandant Nayeemuddin : Service 3.
Capitaine Maldini : Service 5.
Capitaine Poussin : Service 7.
Capitaine Larsen : Prise de service.

10H35
Le commandant Egwuekwe charge le capitaine Poussin et le soldat Martin de ramener la capsule à bord.

XXX

Le commandant a retrouvé son hublot, alors que les deux volontaires sont en train de s'équiper. La découverte de la capsule de survie la plonge dans des pensées confuses. Les capsules Galak-C ont été déclassées il y a 47 ans : trop chères, elles ont été remplacées par les Galak-D, plus petites et plus simples. La capsule découverte provient nécessairement d'un des premiers voyages dans le système 23. A-t-elle un lien avec la disparition de la mission MCH 23 ? Il y a 52 ans, un vaisseau d'exploration a été détruit sans raison apparente, sous les yeux impuissants des équipages de deux autres vaisseaux. Un ou plusieurs survivants auraient-ils donc réussi à échapper à la catastrophe ? Et peut-on imaginer, 52 ans après, trouver encore de la vie à bord ? Grâce à leur si coûteux système de réassemblage, les Galak-C avaient une autonomie théoriquement illimitée.
Le sas du vaisseau s'est ouvert et deux silhouettes sortent à la rencontre de l'épave.

XXX

Journal de bord de la Mission HIG 23 – jour 202

07H00
Commandant Higgins : Service 2.
Capitaine Durkan: Service 8.

07H32
Le vaisseau Taiscéalaí est en approche de la planète Uranus 23.

07H48
Le vaisseau Taiscéalaí vient de se faire détruire sans raison apparente, alors qu'il était à 3h10 du Siorc.

07H49
Le Commandant Higgins appelle le vaisseau Balla Cloiche pour décider de la marche à suivre.

08H15
Le Commandant Higgins, chef de la mission HIG 23, et le Commandant Lyons, chef de la mission LYO 23, ont décidé conjointement de rentrer sur Terre pour les raisons suivantes :
1. La destruction du Taiscéalaí est une cause majeure d'abandon de mission.
2. Le dernier message reçu par le Balla Cloiche en provenance du Taiscéalaí fait état d'une rupture subite du système de thermorégulation, possiblement causée par un rayonnement naturel émanant de la planète Uranus 23. La destruction ultra-rapide du Taiscéalaí laisse envisager la possibilité d'un danger immédiat pour les deux vaisseaux survivants de l'escadre.
3. Ni le Balla Cloiche ni le Siorc ne disposent des instruments de mesure nécessaires pour une analyse ultra-fine du rayonnement supposé de la planète Uranus 23.
4. Aucune capsule de survie n'a été repérée s'échappant des lieux de la catastrophe. Les chances de trouver des survivants sont nulles.
5. Les missions liées HIG 23, LYO 23 et MCH 23 devaient durer 200 jours. A l'heure actuelle, et sans tenir compte des aléas du retour sur Terre, le temps de dépassement de chacune de ces missions est de 2 jours effectifs, et de 14 jours envisageables.
6. Tous les honneurs militaires et civils seront rendus aux 7 hommes d'équipage du Taiscéalaí. Le départ de la zone de danger n'affectera pas le protocole d'hommage aux morts de l'espace.
7. Le Commandant Higgins et le Commandant Lyons s'engagent sur l'honneur à faire tout ce qui sera en leur pouvoir pour convaincre les autorités spatiales de la nécessité d'un retour rapide dans les parages d'Uranus 23, afin de vérifier la nature et l'origine du rayonnement ayant supposément détruit le Taiscéalaí.

XXX

Mardi 5 juillet 3412
Moi, Andreas Sweeney, matelot de première classe sur le vaisseau Taiscéalaí, ai pris possession de la capsule de survie Galak-C TA17. Pour une raison inconnue de moi, le Taiscéalaí a été détruit en quelques minutes aux abords de cette planète qu'on appelle Uranus 23 (car c'est la troisième plus grosse planète du système 23). La capsule fonctionne parfaitement. Néanmoins je n'ai pas trouvé trace des deux autres vaisseaux de l'escadre, le Siorc et le Balla Cloiche. Ils ont largement eu le temps de se rendre sur zone, mais ils ne l'ont pas fait. Ou bien ils ont été détruits eux aussi, auquel cas je n'ai plus qu'à me préparer à une longue solitude ; ou bien ils ont fui devant un danger manifeste, et je peux espérer un retour des secours d'ici quelques mois peut-être.
[...]
Mercredi 5 juillet 3413
Je fête aujourd'hui ma première année de survie dans l'espace. Je suis en bonne forme. Cela fait un an que j'attends l'arrivée des secours, mais aussi un an que je cherche à me persuader qu'ils ne viendront pas. Je me félicite d'une telle prudence. Cela fait un an que j'attends et je n'ai pas le droit de désespérer. Dans ma merveilleuse capsule de trente mètres cubes habitables, je sais que je peux tenir toute une vie encore. Je sais quoi faire. Il faut doser la routine et l'imprévu. Ainsi, tous les trois mois, je tire au sort le temps qu'il va faire pour la saison, et je règle les paramètres atmosphériques en fonction. Je suis scrupuleusement le calendrier, les fêtes religieuses.
Je peux tenir, et tenir mon rôle de sentinelle. Mes amis sont morts, et je suis en vie. S'il le faut, si les secours n'arrivent pas, je vivrai encore longtemps pour eux. Malgré mes moyens d'observation limités, je vais tourner autour de cette planète et explorer autant que faire se peut ce monde nouveau. J'ai de la lecture, j'ai le sport, je vais aussi devoir écrire des rapports.
[…]
Samedi 19 août 3419
Dans deux jours j'arriverai à portée d'une nouvelle lune. C'est la neuvième. Les trajets sont bien lents.
[...]
Mardi 22 août 3419
Me voici tout près de la lune. Dans mon rapport, je vais la baptiser « James ». Jimmy sait pourquoi. Mon Dieu, Jimmy, où es-tu ?

XXX

… , baptisée « James » par l'équipe d'exploration, est d'un rayon estimé à 450 kilomètres. Aucune trace de vie n'est formellement visible. Néanmoins, sous un certain angle, les rayons du Soleil 23 semblent colorer la surface de vert sale. Serait-ce une manifestation de présence végétale, ou un simple effet optique ? La présente observation ne permet …

XXX

Lundi 15 juin 3420
Riche idée d'avoir mis de la poésie à bord.

XXX

Le ciel me couve du regard de ses yeux milliards,
Des fragments lumineux à travers le brouillard

XXX

Mardi 22 février 3424
Je fête aujourd'hui mon 38ème anniversaire. C'est l'occasion pour moi de sortir une bonne bouteille ! Cela fait quatre jours que je l'ai mise à réassembler, elle est prête.
[…]
Vendredi 11 août 3426
Quelle chaleur cette année ! C'est irrespirable. Je ne sais plus quel philosophe de l'Antiquité disait : « Mourir pour ses idées, oui, mais de mort lente ... » J'y suis. Mon idée était de passer ma vie dans l'espace : objectif atteint, je pense. J'écris ces lignes et je ris tout seul.
[…]
Jeudi 11 mars 3427
Je viens de finir le dernier livre à bord ! J'attends deux semaines avant de relire la Saga des Hommes Froids. L'occasion de me remettre à mon manuscrit.
[...]
Samedi 15 avril 3429
Comme tous les samedis, j'ai repris mon manuscrit. J'ai écrit comme un fou !

XXX

… dans l'air quelque chose de malsain. Kriggs se retourna pour prévenir les autres, mais derrière lui il n'y avait plus personne. Seul un mystérieux bruit sifflant se faisait entendre. Nerveusement, Kriggs mit la main sur son Sabre de la Nuit. Se pouvait-il que la Bête ait survécu à l'explosion et se soit accrochée au vaisseau ? Brusquement la terreur s'empara …

XXX

Samedi 17 novembre 3435
J'avais fini par me convaincre que jamais personne ne me retrouverait. Ceci explique la baisse de mon activité des derniers mois. Mais je viens encore de changer d'avis, et si je ne crois plus au salut, du moins gardé-je au fond de moi l'idée qu'un jour quelqu'un trouvera le caisson. Je veux qu'on y trouve un corps propre et beaucoup de matériel utile. Les pilules finales sont encore là, sous leurs scellés. Je me souviens très bien de ce qu'on en disait : « le naufragé les avalera au bout de deux ou trois ans ». Eh bien, moi, Andy Sweeney, je ne suis qu'un brave gars tiré de son patelin, mais j'ai tenu 23 ans dans ce gros tonneau, et je n'ai pas cassé les scellés.

XXX

Martin et Poussin ont réussi à ramener la capsule sans difficulté. Le capitaine a vu à travers le hublot. Il enlève son casque comme un automate et répète sans y croire : « Il y a un homme qui dort là-dedans ! »
Ce n'est qu'un murmure, mais il emplit tout le vaisseau bleu.
Le commandant Egwuekwe elle-même ne peut cacher sa nervosité lorsque Bagan ouvre le caisson pour les scientifiques du bord. Tout l'équipage s'est mis en cercle autour du chef-mécanicien qui est resté dans l'ouverture, fasciné. Aucune odeur ne sort du vaillant appareil. Allongé en travers de la cellule, le corps décharné d'un homme qui vient de passer cinquante-deux ans seul à guetter le retour de ses frères humains. Il est mort depuis dix ans peut-être, mais son visage est serein, presque souriant dans son impassibilité. L'inconnu, peu avant de mourir, a totalement asséché et refroidi l'atmosphère et son corps s'est comme momifié.
Toute la mission EGW 23 a gardé le silence. Qui osera parler le premier ?
Chacun dédie au malheureux une pensée douloureuse.
Dans le dos des explorateurs, on entendrait presque les secousses confuses du système stellaire.