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Joute 33
Joute 33 Texte B : Les regrets
Le 15/08/2013 par Gael non favori



La lourde porte à deux battants s’ouvrit enfin sur l’antichambre. Dans la pièce lambrissée de bois précieux, éclairée par quatre flambeaux figurant les saisons, un militaire en grande tenue faisait les cent pas. Cela faisait une heure que le général Vérès attendait, dédaignant les banquettes de velours garnies de coussins aux armes d’Hélion, le vin sucré mêlé d’épices, les gâteaux. Il détestait attendre. Chaque minute perdue lui paraissait une heure.

Enfin, le chambellan entra. Encore une coutume aussi idiote que chronophage. Mais depuis qu’il avait été forcé, cinq années plus tôt, de reprendre la gérance de son domaine, chaque instant de chaque journée était rythmé par ces inepties protocolaires. Comme chaque fois, il aurait pu prononcer chaque mot du chambellan avant même qu’ils n’ait le temps de les dire. Et heureusement! Comment donc pourrait-il juger une affaire sur ces quelques mots de présentation ? Mais c’était le protocole. Toujours le protocole.
- “Sir Marco de Sari, confondu par Sir Dinan le Haut pour des faits d’abus de pouvoir et d’attouchements sur sa personne alors qu’enfant il prenait des cours d’escrime auprès de Sir Marco. L’accusé a reconnu lors des entretiens préliminaires les faits et réclame l’application de votre justice au nom de dieu.”
- “L’accusé et l’accusation sont-ils an place dans la chambre du jugement, sous l’oeil et la bienveillance de dieu ?” Encore le protocole. Bien sûr qu’ils étaient là, et certainement aussi impatient que lui d’en finir. Mais dans cette campagne du sud du royaume, si loin de la capitale, la tradition était au moins aussi importante que les faits, et toute entorse rendrait le jugement totalement caduque.
- “Oui, général Vérès, ils n’attendent que vous pour présider le jugement.”
Le général s’avança jusqu’au centre de la salle, s’arrêta, puis tourna sur lui-même pour tourner le dos au chambellan, laissant au vieil homme la possibilité de déposer sur ses épaules l’étole représentative de la charge exécutive. Enfin, il allait pouvoir en finir avec ce simulacre de jugement, pourtant déjà réglé puisque l’accusé avait avoué et que le conseil des anciens avait déjà fixé la sentence. Sans compter qu’il détestait violemment avoir affaire avec ces types qui s’en prennent aux enfants, ce qui lui valait une fâcheuse tendance à s’emporter. Des efforts étaient toujours nécessaires pour s’en tenir au jugement décidé par les anciens.
***
ça faisait déjà une heure que Dinan attendait dans la chambre du jugement. Absorbé dans ses pensées, il ne voyait même pas la majesté de cette salle plusieurs fois centenaire. Sous un dôme couvert de vitraux représentant l’histoire d’Hélion, mêlant scènes de batailles et de martyr dans une myriade de couleurs, se tiennent tous les procès du domaine. Les murs de la pièce circulaire étaient lambrissés de bois précieux aux gravures d’oiseaux que nul n’avait vu depuis des siècles. Mais le plus impressionnant restait le sol de marbre d’un blanc immaculé, qui semblait fabriqué d’une seule pièce, avec en son centre un soleil en or massif de trente pas d’envergure, dont l’éclat pourrait faire pâlir le véritable astre. Mais Dinan ne lui jeta pas plus qu’un rapide coup d’oeil, trop occupé à étudier la petite barre située au centre du soleil. Et plus précisément, la personne debout derrière cette barre. Marco. Pendant des années, ce nom a été synonyme de tourments, de honte et de souffrance. Non pas qu’il ait jamais fait preuve de violence, les faits qu’il lui reprochait étaient plutôt mineurs. De simples attouchements. Simples. C’était toujours plus facile à dire qu’à subir, et les traumatismes étaient bien là, eux. Mais aujourd’hui, les choses étaient différentes. Vingt jours plus tôt, Dinan avait enfin trouvé le courage d’aller trouver le régent, le général Vérès, pour lui en parler. Dix années auront été nécessaires pour trouver le courage de débuter cette démarche. Et seulement dix jours furent nécessaire pour qu’une confrontation ait lieu entre Marco et lui. Oh combien redoutée, elle eut un effet assez radical sur Dinan. Lui qui s’attendait à une lutte, à des heurts, à du déni, n’a trouvé face à lui que du regret. Celui qui avait hanté tant de nuits se tenait là devant lui et un assistant du régent prénommé Telim. Pitoyable. Amoindri. Abattu. Les aveux et les larmes coulaient à flots. Cette rencontre eu l’effet d’une catharsis très efficace. La haine avait disparu, remplacée par un soulagement profond. Cet horrible secret était enfin partagé. Et surtout, l’enquête menée par la milice avait prouvé l'innocence de Dinan. Non pas qu’il s’estimait coupable de ces attouchements, ce sentiment il l’avait connu mais en était déjà revenu, mais pendant ces dix années de silence, une pensée revenait chaque jour : “M’a-t-il remplacé ? S’est-il trouvé une nouvelle victime ?” Le sentiment de culpabilité envers les autres enfants en était étouffant. Mais si Marco avait effectivement avoué pour ce qu’il s’était passé avec Dinan, il avait nié avoir touché d’autres enfants. Et la milice avait été incapable de trouver d’autres enfants concernés. Un incroyable soulagement.
***
Sir Marco était le seul debout de l’assemblée, et il faisait tout ce qui était en son pouvoir pour éviter les regards. Et particulièrement celui du jeune Dinan. Il méritait ce qui lui arrivait. Il regrettait terriblement ses actes envers l’enfant, et espérait secrètement pouvoir tout oublier. Ne plus jamais en entendre parler. Quand la milice s’est montrée à son domicile, seulement quinze jours plus tôt, il a cru perdre tout lien avec la réalité. Ses genoux avaient cédé en même temps que ses larmes lorsque le nom de Sir Dinan le Haut fut prononcé. Tout était remonté d’un seul coup en mémoire. Désespoir. Abattement. Désir. La douleur de cette époque trouble, l’époque du suicide de son épouse. La honte de toucher un enfant, de n’avoir jamais su s’arrêter. Le tourment d’une âme perdue dans les méandres les plus sombres de l’esprit humain.
Depuis ce jour, la seule chose qui occupe ses pensées, c’est “comment être pardonné ? Qu’est-ce qu’il m’a pris de faire une chose pareil ? Que vais-je devenir ?”. Les yeux rivés sur la massive porte derrière le bureau du juge, Marco se ressassait la confrontation de la semaine passée avec Dinan. Ces retrouvailles, il en avait mille fois rêvé, et mille fois, la situation était différente. Des fois, Dinan lui sautait à la gorge. D’autres fois, c’est Marco qui attaquait Dinan pour le réduire au silence. Mais la réalité fut bien plus sobre. Et c’est ce qu’il y avait de plus perturbant.
Cette rencontre lui a offert le portrait d’un jeune homme on ne peut plus normal : bien sur lui, de bonne éducation et employé dans une entreprise convenable, mais avec un regard... si froid qu’on se sentait pris de frissons si on avait le malheur de le croiser. Derrière ces yeux se cachait une brisure nette. Une souffrance gardée sous silence. Mais aussi surprenant que ça puisse paraître, ni honte, ni colère. Il exposait les faits un à un, sans ciller. Et mieux encore, il avait accepté ses excuses. Sans hâte, mais pas à contre coeur non plus. Il avait réfléchit un instant avant de hocher la tête, comme pour lui-même, avant de le fixer de ses yeux de glace.
Les réflexions de Marco furent interrompues par l’ouverture des lourds battants de la porte, laissant le chambellan pénétrer dans l’antichambre pour quérir le général Vérès qui présidera le jugement. Son jugement. Dans seulement quelques instants, il saura de quoi sera constitué son avenir. Si il aura un avenir. Rester debout à la barre, sans fuir ni fléchir était une lutte de chaque instant.
***
Vérès pénétra dans la chambre de justice. Drapé dans l’étole de la justice, il avait le sentiment de ressembler à une vieille femme, et il détestait ça. Heureusement, le pleutre qui se tenait devant lui allait lui servir de défouloir, et il le méritait.
- “Sir Marco, vous êtes ici aujourd’hui pour répondre des accusations de Sir Dinan, sous le regard, la bienveillance et la sagesse de Dieu.” La salle était constituée de telle sorte que le dôme portait la voix de la personne à la place du juge à travers toute l’assemblée, permettant à cette personne d’être entendue de tous sans pour autant avoir à forcer la voix. “Tout mensonge proféré en présence du tout puissant sera puni de mort et de la damnation éternelle. Toute omission volontaire sera punie d’enfermement à vie, et de la damnation éternelle.” Vérès fit une courte pause, laissant à l’écho de sa voix le temps de s’éteindre, et à l’auditoire d’incliner la tête en signe d’assentiment. “Sir Marco, vous êtes accusé d’attouchements à caractères pédophiles avec abus de position dominante sur la personne de Sir Dinan il y a dix ans de cela, alors qu’il était élève de votre école d’escrime. Sir Marco, que répondez-vous à ces accusations ?” La mention de la pédophilie était un ajout de son cru, que les anciens désireux de ménager un noble ne manqueront pas de lui faire regretter.
- “Je reconnais”, annonça Marco, provoquant une vague de murmure dans le public. Sa voix tremblante trahissait son attitude stoïque. “Et je regrette de n’avoir pas fait pénitence plus tôt.”
- “Je vois en effet dans votre dossier que le lendemain de votre confrontation avec Sir Dinan, vous avez tenté de vous donner la mort.”
- “C’est vrai.” Marco était visiblement décontenancé que ce sujet vienne sur le tapis, son expression déconfite déclenchant un léger sourire chez le général. “J’ai essayé de mettre fin à mes jours en nouant un sac en plastique autour de ma tête. C’est mon fils qui m’a trouvé ainsi et qui m’a empêché de recommencer.” Se redonnant une contenance, il ajouta : “Je suis prêt à entendre ma condamnation. Quelle qu’elle soit.”
- “ça va venir, Sir Marco, ne précipitez pas les choses. Il est également consigné que vous avez été entendu par les psychologues royaux, je vais vous donner lecture de leur compte-rendu.” Levant devant ses yeux un document manifestement froissé, le général commença la lecture. “Sir Marco de Sari, maître d’arme du domaine François, a été entendu par le professeur Tansi, psychologue royal. Le patient semble incapable d’expliquer clairement l’origine des actes qui lui sont reprochés. Un contexte dépressif pourrait expliquer ces agissements, le patient était alors très atteint émotionnellement par le décès de son épouse, qui a succombé après plusieurs années de lutte contre sa maladie. Le patient semble avoir cherché refuge en recherchant des sensations d’une époque moins troublée, en l’occurrence la pré-adolescence du patient, durant laquelle il avait pour habitude de participer à des jeux à caractère homosexuel avec ses camarades.” Vérès fit une courte pause pour observer Marco. Celui-ci était prostré, comme s’il cherchait à rentrer en lui-même pour se cacher, hochant légèrement la tête en regardant ses pieds. “Le professeur précise que, bien que le cas de Sir Dinan soit isolé, la récidive n’est pas exclue.” Un silence pesant tomba sur l’assemblée. Tous les yeux étaient braqués sur Marco. “L’une ou l’autre des parties souhaite-t-elle ajouter quelque chose ?”
- “Oui.” Intervint Marco. “Je souhaite encore une fois, sous le regard de Dieu, présenter mes excuses auprès de Sir Dinan.” Il plongea ses yeux dans ceux du jeune homme, qui hocha le tête, ses lèvres si serrées que sa bouche n’était qu’une fine ligne sur son visage, son regard fuyant celui de Marco.
- “Très bien.” Tonna Vérès après un court instant pour laisser à Dinan le temps de réagir également. “Je vais à présent me retirer avec le conseil pour délibérer. Veuillez patienter un instant.”
Sur ces mots, la double porte située dans son dos s’ouvrit, et le général s’y engouffra, suivi de près par les quatre anciens du domaine, les battants se refermant sur le dos du dernier d’entre eux. Le chambellan, que l’attitude cérémonieuse ne semblait jamais quitter, s’adressa à l’assemblée :
- “Le conseil interroge l’opinion de Dieu. Puissent-ils interpréter justement sa volonté.”
***
Le choc. Jusqu’à cet instant, Dinan n’avait jamais pensé à autre chose qu’à sa douleur ou aux “autres” qui auraient été victimes après lui. A aucun moment il n’avait pensé que Marco puisse souffrir lui aussi! Et l’image du fils et de la fille de Marco, faces à leur père détruit par ce procès. Eux n’avaient rien demandé, rien fait qui ne mérite d’avoir à supporter ce tourment. Et pourtant, ils étaient les victimes collatérales de la dénonciation que Dinan avait faite devant l général Vérès. Il avait fait vivre l’enfer à ces deux innocents. Et combien de proches de Marco seraient-ils touchés ? Avait-il des petits-enfants ? Des frères et soeurs ? Combien recevront sur eux la honte d’être le proche d’un criminel ? Combien seront-ils à être pointés du doigt dans la rue, parce qu’ils seront frère, fils, ami, voisin de Marco le pédophile ?
Ce procès, qui était sensé lui apporter une certaine tranquillité d’esprit prenait une tournure inattendue. Lorsque Marco lui adressa à nouveau des excuses, Dinan du se mordre les lèvres pour se retenir de lui présenter les siennes. A présent, il ne voulait plus qu’une chose : en finir au plus vite, et oublier tout ça.
***
La lourde porte s’ouvrit encore une fois dans un grincement de gonds mal huilés. Le général Vérès pénétra seul dans la salle et s’installa derrière son bureau, sans s'asseoir. Les quatres anciens étaient restés dans l’antichambre et l’observaient à travers la porte laissée ouverte. La tradition voulait qu’elle soit refermée, mais les récents écarts du général les avait enclin à faire quelques incartades au protocole pour s’assurer que le jugement annoncé était bien celui prévu.
- “Les sages ont interprété la volonté de Dieu, et je me fais leur porte-parole.” L’assemblée retenait son souffle, tous les yeux étaient braqués sur lui, même ceux paniqués de l’accusé. “Sir Marco! Au nom de Dieu, le conseil vous condamne à deux années de sursis d’enfermement, à un enregistrement éternel au registre des prédateurs sexuels, à dix années de suivi psychiatrique intensif, à quinze années de honte et de réprobation publiques - toute insulte passé ce délai sera condamnable pour diffamation. Vous êtes interdit à vie de toute pratique auprès d’enfants, et enfin, vous devrez faire aveux et excuses en place publique. Sur ce dernier point, sauf avis contraire de Sir Dinan, le conseil estime que vous avez ce jour assumé cette peine.”
Après un rapide coup d’oeil au soulagement général de l’assemblée, et s’être assuré que Dinan ne remettrait pas en cause le verdict, le général se retourna et retourna sans un mot dans l’anti-chambre. Les battants se refermant derrière lui pour la dernière fois dans ce procès. Perdu dans ses pensées, il n’accorda pas un seul regard aux anciens assis sur les délicats coussins de l’antichambre. Il se dirigea directement vers ses appartements pour se débarrasser de cette tenue d’apparat. Son esprit était concentré sur ses dernières paroles. Le jugement donné était-il vraiment juste ? N’avait-il pas laissé courir un dangereux prédateur ? Il ne pouvait pas croire qu’il n’y avait eu qu’un seul enfant, un esprit tordu ne peut se contenter d’une seule victime. Et Dinan, n’allait-il pas se sentir trahi ? Il lui avait pourtant promis de la mettre sous les barreaux... Ah, qu’il était dur d’être le porte parole de ces anciens, parfois trop durs, d’autres fois trop laxistes, trop rarement en accord avec ses propres principes. Difficile dans ces conditions de garder l’esprit tranquille en se couchant le soir.