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Joute 29
Joute 29 Texte 1 : En ces murs
Le 08/11/2011 par Mélisande non favori



« Je vous le demande encore une fois, concentrez-vous, intima sœur Margarede. C'est la dernière et je vous libère. »
Autour d'elle, une trentaine d'enfants firent la grimace. L'un d'eux, un petit garçon rondouillard d'environ huit ans, se laissa tomber sur le sol d'un air boudeur et croisa les bras. Sœur Margarede s'approcha de lui à grands pas et le força à se relever.
« Augustan, ce n'était pas une demande que je vous adressait. C'était un ordre. Relevez-vous et reprenez votre place dans le cercle. Si vous refusez, soyez certains que j'en parlerai à votre responsable.
-Je n'ai plus envie de le faire, grommela l'enfant. Ça ne m'amuse plus.
-Une fois encore, je ne vous demande pas votre avis Augustan. Reprenez votre place.
-Je n'ai pas envie ! »
Le petit garçon hurla ces derniers mots tout en levant ses deux mains vers la sœur. L'air sévère de celle-ci se changea en une grimace d'appréhension. La peur se lisait dans ses yeux tandis qu'elle reculait sans quitter l'enfant des yeux. Celui-ci lui sourit d'un air méchant. De ses mains jaillit un rayon opaque d'une couleur brune presque rouge qui frappa de plein fouet sœur Margarede. Celle-ci fut catapultée à l'autre bout du champ où elle et sa classe se tenaient debout au milieu des blés.
La jeune femme atterrit dans la boue et se releva dans un horrible bruit de succion. Elle était couverte de terre et d'une couche brune de crasse qui faisait disparaître le blanc immaculé de ses robes et de sa coiffe. Lorsqu'elle fit un pas en avant, sa jambe gauche trembla puis céda sous son poids et elle tomba une nouvelle fois. En face d'elle, la classe entière était secouée par des rires enjoués. Margarede peinait à retenir ses larmes. Douleur physique et peine morale se mêlaient jusqu'à frôler l'explosion.
Tout en essuyant la boue de son visage, elle rejoignit les enfants. Elle se força à garder son air le plus impassible. À son grand plaisir, celui-ci fit son effet car les enfants cessèrent de rirent et commencèrent à murmurer entre eux d'un air inquiet. Certains, trop rares, gardaient les yeux fixés au sol, honteux. Mais la plupart gardaient un sourire arrogant en la fixant du regard. Elle aurait voulu leur donner quelques bonnes paires de claques.
Si seulement elle pouvait encore...
« La leçon est close, déclara-t-elle. Rentrez immédiatement à la maison mère. Augustan, vous vous présenterez dès votre arrivée à votre grand frère. Expliquez-lui ce qui s'est passé. N'omettez pas de lui dire que le sort que vous m'avez envoyé manquait de puissance et que vous avez été passable toute la journée. »
L'enfant blêmit de rage. Un instant, la sœur crut qu'il allait réitérer son geste. Mais l'enfant se contenta de lui tourner le dos avant de disparaître en un clin d'œil. Les autres enfants de la classe disparurent à leur tour, se téléportant à la maison mère. Pas un seul ne se proposa pour l'emmener. Sœur Margarede se retrouvait seule au milieu d'un champ perdu au milieu de nulle part et avec une cheville foulée, voire cassée. Des larmes de rage coulèrent sous ses paupières.
Elle se mit en route, avançant avec difficulté, mais sans jamais émettre le moindre gémissement de douleur. Un bâton trouvé le long de la route l'aida à mieux répartir son poids et épargner sa jambe blessée, mais le rythme de sa marche se faisait de plus en plus lent au fur à mesure que passait le temps. Pour ajouter à la difficulté, la nuit tombait et Margarede butait de plus en plus souvent dans des ornières du chemin de terre qu'elle suivait.
Il faisait totalement noir depuis plus d'une demi heure quand la jeune femme cru distinguer une lueur tremblotante à l'horizon. Bientôt, elle distingua plusieurs lumières avançant vers elle. Avec un soupir de soulagement, la sœur continua à avancer, jusqu'à ce que deux femmes et un homme vêtus des mêmes robes blanches que la sienne la rejoignent en courant.
L'homme se précipita aussitôt pour la soutenir par le bras alors que Margarede commençait à s'effondrer.
« Nous nous inquiétions pour vous ma sœur, lui dit-il. Mais pourquoi avoir dit aux enfants de rentrer sans vous ? Vous auriez dû vous téléporter avec eux ! Marcher dans ces mauvais chemins avec la nuit qui tombe... C'était très imprudent ! Nous n'osions envoyer les enfants à votre recherche de peur que l'un d'eux ne trébuche et ne se fasse mal. Franchement, je m'attendais à mieux de votre part.
-Ils ne m'ont pas laissé le choix, souffla Margarede. Ils sont juste... partis. Ils ont fait exprès. »
La sœur ne put que remarquer les regards sombres et presque méprisants qu'échangèrent le frère et les deux autres sœurs. Elle eut envie de crier, mais se retint à la dernière seconde.
« Vous verrez cela avec le frère supérieur, finit par dire la plus âgée des deux femmes. Rentrons, et nous demanderons à l'un des enfants de s'occuper de votre jambe.

Une heure plus tard, la jeune femme était allongée dans une salle d'infirmerie déserte et silencieuse, attendant que quelqu'un vienne s'occuper d'elle. Après une attente qui lui sembla interminable, une enfant de sept ans entra dans la pièce. La petite fille était vêtue d'une chemise de laine trop grande pour elle et ses yeux étaient gonflés par la fatigue et le manque de sommeil.
Margarede connaissait ce regard là. Elle le croisait tous les jours dans les yeux des plus jeunes enfants de la maison. Elle-même, elle avait eu ce regard fatigué lorsqu'elle avait l'âge de la petite fille. C'était il y avait à peine quinze ans, mais elle avait l'impression que des siècles s'étaient écoulés. L'enfant pleine de vie et heureuse de quitter la ferme où elle avait grandis pour devenir autre chose s'était évaporée. Elle avait laissé place à une femme amère et colérique. Elle ne voulait pas accepter ce qui lui était arrivé, et elle préférait ruminer sa rancœur contre l'univers entier, et contre les enfants en particulier. Elle n'était pas quelqu'un de bien, sans doute. Mais Margarede s'en accommodait.
« Comment tu t'appelles ?, demanda-t-elle à l'enfant qui s'approchait en baillant.
-Cédile, répondit la petite fille en souriant.
Elle avait l'air gentille et serviable. Margarede avait été pareille à son arrivée à la maison-mère.
-Tu es nouvelle ici n'est-ce-pas ?
-Oui. Je suis là depuis deux mois. Frère Ansène dit que je suis douée pour soigner les gens. Alors il m'a réveillée pour que je vous soigne. Vous avez quoi ?
-Une cheville foulée, répondit Margarede d'une voix plus dure qu'elle ne l'aurait voulu.
Elle aussi, elle avait été douée pour les soins quand elle pouvait encore pratiquer la magie. Avant qu'elle ne devienne une adulte.
Pendant que la petite fille promenait ses mains au-dessus de sa jambe, Margarede eut l'impression de sentir une fois encore la magie. C'était presque la même sensation que lorsqu'elle était enfant. Le frisson d'extase, l'impression de plénitude... Mais la magie qu'elle sentait à l'œuvre dans sa jambe n'était qu'un picotement en comparaison. Elle aurait donné n'importe quoi pour redevenir une enfant et être à nouveau capable de faire des merveilles.
Pourquoi la magie était un don que seuls les enfants pouvaient employer ? Pourquoi le monde entier était-il bâtit sur une telle injustice ?
« Voilà, c'est fini. »
Margarede sortit de ses pensées. La douleur à sa cheville était partie, laissant place à un profond sentiment de manque. Elle aurait voulu que la magie reste encore dans son corps, toujours. Mais c'était un souhait vain, comme tous les autres. La magie était partie, à jamais. Mieux valait s'en accommoder.
« Je peux m'en aller maintenant ? Ma sœur ?, demanda la petite fille.
-Oui, répondit Margarede avant de s'interrompre. Non, attends. J'ai une question, Cédile. Que seras-tu quand tu seras grande ?
-Une grande magicienne, répondit l'enfant d'un ton arrogant du haut de ses sept ans. Pas comme vous.
-Que suis-je pour toi ?
-Une ratée, comme tous les autres frères et sœurs ici.
Margarede sourit froidement.
-A ta place je me demanderais pourquoi ce sont des adultes dépourvus de magie qui vous enseignent à utiliser celle-ci. Et maintenant, file te coucher. »
Cédile la fixa quelques secondes avec incompréhension, puis sortit de la pièce en haussant les épaules.
« Petite peste, murmura Margarede. Tu crois tout savoir juste parce qu'on te dit que tu es une enfant merveilleuse. J'attends avec impatience de voir ton réveil. »
La sœur aurait dû se lever et se rendre au bureau du frère supérieur. C'était son devoir d'expliquer ce qui s'était produit. De dire que tout était de sa faute, qu'elle n'avait pas l'instinct maternel, qu'elle ne savait pas s'occuper des enfants... Mais elle ne voulait pas. Elle désirait juste s'endormir, et se réveiller enfant.
S'éveiller pleine de magie, de rêves, d'espoir.
Le cœur empli à nouveau de magie.

La cloche annonçant le début des cours la réveilla. Elle était toujours allongée sur le lit, le dos accoudé au mur, et elle avait froid. Elle voyait plusieurs enfants et adultes dans l'infirmerie, mais aucun d'eux n'avait pensé à la recouvrir d'une couverture. Les enfants avaient même dû le faire exprès dans l'espoir qu'elle tombe malade.
Les enfants ! Donnez leur la moindre liberté, la moindre sensation qu'ils sont importants et voilà comment ils se comportent, songea Margarede en se redressant. Comme des tyrans dotés de tous les pouvoirs. Et le fait qu'ils en aient vraiment ne les rendait que pire.
Alors qu'elle se rendait au bureau du père supérieur, en tentant de faire passer la douleur dans sa nuque due à sa nuit des plus inconfortable, elle sentait le regard de chaque enfant peser sur elle, scrutateur. Beaucoup des charmantes petites têtes blondes et brunes impeccablement coiffées se frôlaient pour étouffer des rires. Des petits bambins joufflus de trois ans jusqu'aux grands adolescents dégingandés, tous étaient amusés. Heureux de la voir en difficulté.
Ce fut avec un énorme soulagement qu'elle referma la porte du bureau du frère supérieur derrière elle. Au moins ici, il n'y avait pas d'enfants.
« Sœur Margarde, la salua le frère supérieur. Prenez place je vous prie.
-Volontiers mon frère, répondit-t-elle.
Elle s'avança dans la pièce et s'assit sur l'inconfortable cathèdre de bois qui faisait face au bureau du frère supérieur. Celui-ci la fixait de l'air sévère qu'il affichait la plupart du temps. Jeune encore, âgé d'à peine quarante ans, il était comme elle-même et tous les autres frères et sœurs, habité par un même regard aigri et hanté.
Le regard de quelqu'un ayant touché à la magie et en étant désormais à jamais privé.
« Pouvez-vous me dire ce qui s'est passé exactement ?
-Les enfants m'ont laissé. Augustan s'est montré... insolent, il m'a projeté en arrière puis ils m'ont tous laissé. C'est tout.
-Non ce n'est pas tout ma sœur. Vous avez un problème d'autorité. Vous ne savez pas vous imposez aux enfants dont vous avez la charge. Vous êtes leur grande sœur, vous devez vous comporter comme telle.
-Comment ?, hurla Margarede, laissant la rage accumulée se décharger enfin. Comment voulez-vous qu'un adulte se fasse respecter par même un seul de ces enfants ? Chacun d'eux a le pouvoir de nous tuer d'un claquement de doigts. Ensemble, tous les enfants de la maison pourraient détruire le soleil ! Et je suis sensée réussir à imposer mon autorité ?
Le frère supérieur se dressa hors de son siège, plaquant ses mains sur la table qui les séparait.
-Silence !, lui intima-t-il. Certaines choses ne doivent pas être dites à voix haute !
Margarede lui répondit par un sourire glacial.
-Vous voyez ? Vous même vous les craignez ! Vous avez aussi peur que moi.
-Taisez-vous !
-Vous avez peur qu'un jour quelqu'un révèle la vérité et que les enfants découvrent qu'aucun adulte n'a de pouvoir magique. Parce que ce jour-là, les enfants comprendront qu'ils sont des dieux et nous des insectes, et ils détruiront le monde pour s'amuser.
-Vous êtes congédiée ma sœur, rétorqua le frère, le visage désormais couvert de sueur. Deux de vos sœurs vous conduiront chercher vos affaires. Vous savez ce que cela signifie. Vous êtes bannie à vie de toutes les maisons-mères, avec interdiction d'approcher un enfant ou de devenir mère vous-même. Vous n'êtes pas faite pour l'éducation. »
Margarede ne prit même pas la peine d'opiner avant de quitter la pièce. Elle ne perçut même pas vraiment la présence des deux sœurs à ses côtés, les rires et les insultes des enfants. Elle avait l'impression d'être aveugle et sourde.

Le bruit des lourdes portes de bois de la maison mère se refermant derrière elle la ramena au temps présent. C'était le crépuscule et le vent soufflait tout autour d'elle. De lourds nuages s'amoncelaient sur sa tête, menaçant de la noyer sous des trombes d'eau. La terre gelait autour d'elle à ses pieds. Mais elle ne le remarquait même pas. Margarede secouait frénétiquement la porte de bois dans l'espoir insensé qu'elle se rouvrirait pour elle, qu'on la laisserait rentrer.
« Vous n'avez pas le droit, murmura-t-elle en sanglotant. C'est ma maison. C'est ma maison depuis que je sais marcher, vous n'avez pas le droit de me la prendre. C'est chez-moi ici... »
La pluie commença à transpercer ses vêtements, le gel se répandait autour d'elle et commençait à se infiltrer ses chaussures et à remonter le long de ses jambes. Le bois se couvrit d'échardes acérées qui lui cisaillaient la peau. Mais même ainsi, elle refusait de s'éloigner, d'accepter son exil hors de la maison de son enfance. Elle avait peur de l'inconnu qui s'étendait au-delà des limites de la maison-mère, peur de ce monde sans magie. Mais les enfants se montrèrent sans pitié dans leur cruel amusement. Un blizzard glacial se leva, naissant de nulle part, la soulevant et l'emportant loin de chez elle à la vitesse d'un éclair.
De la neige glacée la frappait de toute part, pénétrant sous ses vêtements, dans sa bouche, son nez et ses oreilles. Elle valsait dans tous les sens, incapable de protester face à cette manifestation de magie sauvage et sadique.
Personne ne ferait rien pour elle. Les adultes étaient impuissants face à la force d'un enfant. Et pour préserver leur petit confort créé par la magie d'enfants rois, pour que leur mensonge ne soit jamais dévoilé, ils étaient prêts à la laisser torturer par des enfants vicieux et rancuniers.
Et Margarede ne se leurrait pas, ils espéraient bien qu'elle meure rapidement. Ils ne lui avaient laissé emporté que quelques vêtements de rechange, mais pas la moindre nourriture, ni rien lui permettant d'affronter le froid hivernal qui avait commencé à s'installer dans la région. Tout cela parce qu'avec elle mourrait leur petit secret parfaitement préservé : à l'âge adulte tous ces enfants perdraient leurs pouvoirs et redeviendraient des humains normaux. Et le seul choix qu'ils auraient serait de rester à la maison mère comme enseignants obligés de taire ce secret, ou de rejoindre une famille qu'ils n'avaient pas vu depuis des années et devenir paysans, marchands, soldats ou commerçants en attendant qu'on leur vole leurs enfants pour que ceux-ci par leur magie fassent à leur tour tourner le monde.
Oui, Margarede savait qu'elle n'avait aucune capacité pédagogique, mais pas moins qu'aucun de ces prétendus adultes responsables qui mouraient de peur devant ces enfants tout puissants. Elle aurait pu en rire si elle ne s'apitoyait pas autant sur son sort, et si elle ne préférait pas nourrir sa haine envers les enfants.
Elle atterrit finalement brutalement dans le même champ où la veille tout avait commencé. Les enfants avaient bien pris garde à l'envoyer dans la même flaque de boue. Elle se releva gelée, trempée, et poursuivie par un rire d'enfant enjoué.
C'était fini.