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High-Fantasy
Mosaïque de Sarance (La), par Guy Gavriel Kay
Le 25/08/2011 par Webmaster non favori

Comment décrire la joie et l'émerveillement qui m'ont saisie à la vue, puis à la lecture, de ces deux nouvelles perles de Guy Gavriel Kay ? Après la Tapisserie, Kay s'attaque à la Mosaïque, de toute la force et la beauté de sa plume. Une nouvelle œuvre qui sublime le temps, les âges et les caractères…

"Dépose ta couronne, le Seigneur des Empereurs t'attend" : Apius, empereur en Sarance la belle, entend cette phrase rituelle avant de mourir, laissant sa patrie sans souverain à sa tête. Un prologue assez long -le résumé en quatrième de couverture est bien mal inspiré- nous projette aussitôt au cœur d'une Sarance agitée par cet événement, et les problèmes de succession qui s'ensuivent. Kay brosse en quelques pages le décor grandiose qui nous accompagnera dès lors : une ville respirant au rythme de l'art et du divertissement (des saisons théâtrales à celles des courses de chars), au sein secoué d'intrigues et de complots, divisée en quatre factions rivales : d'un côté les Bleus, soutenus par les Blancs, de l'autre les Verts et la ligue mineure des Rouges. Un joyau universel chanté par les poètes, une vision prophétique ; car celui qui va à Sarance chemine vers son destin…

Quelques années plus tard, on retrouve Valérius II et Alixana, son épouse, une ex-danseuse. Dans un monde de guerres, de complots et de traditions sauvages fleurit une idée de l'Empereur : édifier le sanctuaire le plus somptueux que le monde ait jamais connu. Il lui faut alors un maître de la mosaïque, qu'il trouvera en la personne de Crispin, personnage à l'esprit hanté par l'art et la perte d'une épouse et de deux filles. Crispin que nous suivrons, du reste, lors de son long voyage vers Sarance, vers son destin, un parcours initiatique dans des contrées sauvages où il découvrira l'essence divine et la raison de son art - et qui occupera les 3/4 du premier tome de cette Mosaïque de Sarance. Comment vous parler de ces deux livres sans trop en déflorer l'intrigue ? Il vous suffit de savoir que Crispin arrivera en Sarance, et qu'alors nous goûterons plus âprement les intrigues de la cour, les guerres, les mystifications, les haines et les alliances, mais aussi, surtout, l'élévation de l'âme que procure l'Art, la quête du Beau subie par l'artiste, l'introspection intérieure qu'elle nécessite. L'art comme moyen d'exorcisme, l'art comme chemin vers l'Universel. En lisant Kay, le lecteur est confronté à une sensibilité semblable à celle d'Henri Bauchau quand il parle de sculpture, de danse et de chant dans son si beau roman Œdipe sur la route (éd. Actes Sud et Babel pour l'édition de poche). En lisant ces deux volumes, il est témoin de la quête passionnée des hommes tentant d'inscrire leur nom dans l'histoire -par l'art, le pouvoir, la sagesse ; par l'émotion donnée aux autres, leur douceur et leur volonté. Par un don de soi si total qu'il en est effrayant.

Comme toujours, Kay crée un monde subtile et riche. Si jusqu'alors sa plume s'était inspirée des mythologies celtes, nordiques et grecques (la trilogie de la Tapisserie de Fionavar), de l'Italie de la Renaissance (sublime Tigane), de l'Espagne médiévale (Les Lions d'Al Rassan) et, disons, de la Provence (La chanson d'Arbonne), aujourd'hui, c'est à Byzance et à l'Antiquité tardive qu'elle emprunte ses merveilleux accents. Ah, ces magiques descriptions des courses de chars ! Cette violence dans l'évocation des rites païens ! Mais, aussi, ces interrogations sur la religion de Jad, qui ne sont pas sans évoquer certaines réflexions sur le christianisme naissant. Comme toujours, donc, ce monde sait mêler références connues et imaginaire grandiose, en une tapisserie -peut-être devrait-je dire une mosaïque ?- complexe et d'une grande richesse. Et comme toujours, si le monde est fascinant, Kay s'intéresse particulièrement à ses personnages, les creusant, leur accordant une existence quasi-palpable. Leur offrant doutes et incertitudes, réflexions d'une grande profondeur et d'une grande richesse. Des personnages très humains -la réflexion peut paraître saugrenue mais il n'est pas donné à tous de savoir créer des personnages aussi vrais, si justes et touchants qu'on les entendrait presque… Son personnage principal, Crispin, fait écho au Paul de la Tapisserie : l'histoire, l'art -contre la magie et la divinité accordée à Paul- lui est prétexte à déchirer les limbes de son malheur, à quitter ses ténèbres psychologiques pour enfin retrouver le bonheur et la sérénité. Les évènements ne sont qu'un prétexte à son cheminement intérieur -la plume touche au sublime. Comment vous dire ? Comment vous parler, en peu de mots, sans trop révéler l'histoire et les mouvements la sous-tendant, de ces personnages ? Femmes, hommes, nobles et humbles, tous mêlés dans cette histoire géniale, tissant de leurs émotions et interrogations les plus fondamentales sur le sens même de la vie, sur celui du pouvoir, de l'art, de la guerre, de l'amour, les pages de ce roman. Et tous sont confrontés à leur propre néant, à la fuite du Temps, et à l'essence divine dans ce qu'elle a de plus terrible et de plus grandiose. La lente et savante danse de la plume du maître nous entraîne dans un Ailleurs fascinant et émouvant, où la poésie, l'humour, la religion et la philosophie s'entrelacent en une valse intemporelle. Un baiser de la vie à la mort. De l'art à la vie. De la passion à l'art. Un chef d'œuvre.

Je voudrais enfin, pour tenter de conclure cette critique émerveillée, rendre un hommage personnel à Elizabeth Vonarburg qui, par ses travaux de traduction, m'a permis, il y a quelques années de cela, de découvrir cet écrivain grandiose qu'est Guy Gavriel Kay. Si je peux lire en anglais depuis, je suis ravie de voir que son œuvre continue et suis toujours aussi heureuse de retrouver le Maître en (belle) langue française!

Ysandell

Voir aussi :
Tigane
Biographie de Guy Gavriel Kay
Les Lions d'Al-Rassan